- Audition d’Israël DUSINGIZIMANA, conseiller de secteur, détenu.
- Audition de Célestin NIGIRENTE.
- Audition d’Augustin NZAMWITA.
Audition de monsieur Israël DUSINGIZIMANA, conseiller de secteur, en visioconférence de KIGALI, cité à la demande du ministère public, détenu.
Israël DUSINGIZIMANA est entendu en visio-conférence du Rwanda ou il est incarcéré depuis le 10 mai 1996. Il a été jugé et condamné pour génocide par la juridiction Gacaca[1] du RWABICUMA à une peine de 24 ans de réclusion. Aujourd’hui, il a dépassé l’exécution de cette peine depuis 3 ans et attend son billet d’élargissement pour pouvoir sortir. En 1994, il a participé à des massacres à NYABUBARE et et des assassinats et pilages dans le secteur de MUSHIRARUNGU, aujourd’hui renommé RWABICUMA.
En avril 1994, Israël était conseiller communal du secteur de MUSHIRARUNGU dans la commune de NYABISINDU, depuis 1990. Quand il est devenu conseiller, le bourgmestre de … s’appelait Denis SEKIMONYO. SEKIMONYO a été accusé d’être un complice du FPR[2] et en 1993, il a été remplacé par le bourgmestre GISAGARA. Tout deux sont morts pendant le génocide.
Israël raconte qu’au début du génocide des Tutsi, le sous-préfet, Gaëtan KAYITANA, a encouragé la population à tuer les Tutsi en disant que c’était des ennemis. Lors d’une rencontre le 22 avril 1994, pendant laquelle il sensibilisait la population, il s’est adressé au capitaine BIRIKUNZIRA en disant que le capitaine allait mettre à disposition des hommes, des véhicules et des armes. À la suite de cette réunion, les barrières ont été érigées. Israël a participé à l’érection des barrières à MUSHIRARUNGU, à RWABUYE et au lieu dit du BLEU-BLANC. À ces barrières, il voyait souvent Philippe HATEGEKIMANA venir et contrôler. Il parlait parfois avec lui à ces occasions. Le témoin dit ensuite qu’il avait déjà vu l’accusé lors des réunions de sécurité, accompagné du capitaine BIRIKUNZIRA.
Le 23 avril 1994, le jour de l’attaque de NYABUBARE, Israël est allé à la gendarmerie de NYANZA tôt dans la journée pour chercher du renfort dans l’attaque. Beaucoup de Tutsi de la région et des régions aux alentours s’étaient réfugié dans la colline de NYABUBARE et parmi eux, se trouvait un militaire armé d’un fusil. Pendant qu’il demandait du renfort auprès du capitaine BIRIKUNZIRA, il a vu BIGUMA arriver dans un véhicule à double cabine blanc qui transportait aussi le bourgmestre de NTYAZO, Narcisse NYAGASAZA, 5 autres Tutsi et des gendarmes. BIGUMA venait d’arrêter le bourgmestre à NTYAZO.
A l’arrivée d’HATEGEKIMANA, le capitaine lui a demandé de prendre des armes et un mortier 60 et de partir à a colline de NYABUBARE en prenant le bourgmestre avec lui. Le témoin les a vus charger le mortier et est parti avec eux. Le véhicule s’est d’abord arrêté devant le domicile de NTASHAMAJE. Les gendarmes, sous les ordres de BIGUMA, ont fouillé les cinq Tutsi, leur ont pris leur argent et les ont tués par balle en contrebas de la route.
Puis ils sont remontés dans le véhicule : « Cela avait pris entre une et trois minutes ». Les gendarmes ont continué la route et sont arrivés devant le bureau du secteur de MUSHIRARUNGU qui était en construction. Ils sont descendus du véhicule et sont montés en contre-haut de la route dans un petit bois. L’adjudant chef BIGUMA a ordonné de fouiller le bourgmestre. Les gendarmes ont sortis 1000 francs de ses poches. Le bourgmestre s’est couché par terre sur le bras gauche. Et deux gendarmes lui ont tiré deux balles dans les côtes, toujours sur ordre de BIGUMA.
Après cela, l’adjudant-chef HATEGEKIMANA a dit aux Hutu autour de lui : « Voici l’exemple de ce que vous allez faire aux Tutsi qui se trouvent sur la colline de NYABUBARE ». La population, qui se trouvait un peu plus haut sur la colline, est descendue. Tous ont cheminé sur 500 mètres, et les gendarmes ont installé le mortier. La population est remontée sur la colline avec des armes traditionnelles. Les gendarmes, dont BIGUMA, sont restés à côté du mortier. Ils ont tiré sur la colline. Le témoin dit avoir vu « des choses qui montaient en l’air ». Les assaillants se sont rués vers les Tutsi avec leurs armes traditionnelles et ont commencé le massacre. Pendant que la population tuait les Tutsi avec leurs armes blanches, les gendarmes continuaient de tirer avec des grenades et des fusils individuels. L’attaque aurait duré de 11 heures à 14 heures.
Avant de commencer à tirer, l’adjudant-chef BIGUMA avait élevé la voix pour appeler à se rendre le militaire Pierre NGIRINSHUTI qui était réfugié avec les Tutsi. Le militaire lui a répondu : « Non, je ne te répond pas, je sais pour quoi vous êtes venus, faites ce que vous avez à faire ». Le sergent NGIRINSHUTI a réussi à s’enfuir mais, selon Israël, il a été tué plus loin dans le secteur de NYABIMYENGA par GAKUBA Théodore.
Au moment ou le Président demande au témoin ce qu’il est advenu des corps des victimes, il répond qu’il ne se sent pas bien et qu’il est en train de faire une crise d’hypoglycémie. L’audition est interrompue et Israël DUSINGIZIMANA est conduit à l’hôpital. Il va actuellement mieux mais son audition doit être reportée.
Complément du 2 juin 2023 : voir le compte-rendu de la suite de son audition.
Audition de monsieur Célestin NIGIRENTE, en visioconférence de KIGALI, cité à la demande du ministère public.
C’est par la radio que le témoin apprend l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA. Les premiers jours tout est calme, les problèmes viendront un peu plus tard. Il habitait à MUSHIRARUNGU, le conseiller de secteur était Israël DUSINKIZIMANA. Emmanuel UWITEJE et son frère Obed, qui ont été entendus la veille, n’étaient pas de très proches voisins. Ils habitaient à environ deux kilomètres de chez lui.
Après l’attentat, à partir du 22 avril 1994, les gens ont commencé à tuer les Tutsi. Un gendarme dénommé BIGUMA a réuni la population au Centre Bleu Blanc vers 16 heures. Il a donné l’ordre de manger les Tutsi et de manger leurs vaches. Personnellement, il n’a vu le gendarme que le lendemain car quand il est arrivé au Centre, BIGUMA était déjà reparti. Mais il avait sensibilisé la population qui ne savait pas ce qu’il fallait faire. C’est ce jour-là qu’ils ont érigé une barrière, sur ordre de BIGUMA. Le Centre Bleu Blanc se trouvait à un croisement de chemins: on y trouvait des boutiques et des débits de boissons.
Ils ont tué Charles KAREMERA qui tenait un bar et avait une situation assez aisée. Ils ont incendié des maisons de Tutsi à KARWA. Le témoin habitait la cellule GISORO et il a regagné son domicile avec un voisin, NGARUYE. Ils sont restés longtemps devant la maison de ce dernier qui habitait à Bleu Blanc. Juste en dessous de chez lui, des maisons étaient en feu. Des vaches ont été volées.
Ils ont passé la nuit à la belle étoile, sans trop savoir que faire. Le lendemain, vers dix heures, ils se sont rassemblés à MPYA, dans le secteur de GISORO. Ils ont vu arriver BIGUMA et des gendarmes, en compagnie du conseiller Israël DUSINGIZIMANA. Ces derniers leur ont demandé de les suivre: leur voiture blanche avec une caisse arrière se rendait à MUNYINYA, aujourd’hui NYABUBARE.
Le témoin affirme que le bourgmestre NYAGASAZA a été tué en sa présence. Il était dans le véhicule des gendarmes et c’est BIGUMA qui le leur a présenté. Le bourgmestre a été tué par balles, à GISORO, en contrebas du bureau du secteur, sur la route qui mène à NYABUBARE.
Sur question de monsieur le président, le témoin précise qu’il était sur la route à côté du véhicule des gendarmes. Ces derniers l’ont fait descendre pour le conduire à un endroit surélevé. On lui reprochait d’avoir aidé des Tutsi à traverser la frontière vers le BURUNDI.
Après l’avoir insulté, BIGUMA lui a dit de vider ses poches: on lui a confisqué mille francs et des documents, ainsi que sa carte d’identité. BIGUMA lui a demandé de se tourner et de bien se tenir. C’est lui qui a tiré un coup de fusil et qui a demandé d’enterrer le corps.
Invité à réagir après ces témoignages, monsieur MANIER, comme à son habitude, a déclaré qu’il n’avait rien à dire.
Madame AÏT HAMOU, une des avocates générales, veut en savoir plus sur l’uniforme que portait BIGUMA. Le témoin répond qu’il avait un pantalon kaki, une veste camouflage et un béret rouge sur l’épaule. Il portait une petite arme. Toujours sur questions du ministère public, le témoin dit qu’il a vu les gendarmes surtout en ville avant 1994. Quant à NYAGASAZA, il est incapable de décrire l’état dans lequel il était. Difficile pour lui de dire qui a tué le bourgmestre: ils étaient deux gendarmes, mais c’est BIGUMA qui parlait.
Madame VIGUIER, l’autre avocate générale, demande au témoin si c’est la présence du gendarme Pierre NGIRINSHUTI qui a poussé les Tutsi à se regrouper sur la colline de NYABUBARE. Pour Célestin NIGIRENTE, cette présence du gendarme tutsi était un secret de polichinelle: tout le monde le savait. Les réfugiés se sont défendus: les hommes lançaient des pierres sur les assaillants (NDR. Ce système de défense s’est répété très souvent pendant le génocide, que ce soit à BISESERO, à NYAMURE et sur de nombreuses collines, ce sont les femmes et les enfants qui rassemblaient les pierres et les hommes qui les lançaient.) Les assaillants portaient des habits ordinaires mais ils s’entouraient la taille et la tête de feuilles de bananiers (NDR. Dans des témoignages recueillis pour d’autres affaires, cette façon de s’habiller leur permettaient, en cas de combats au corps à corps, de pouvoir se reconnaître).
Quant aux rondes, elles avaient été initiées par BIGUMA, selon le témoin.
La défense prend à son tour la parole et veut savoir si le témoin a réellement vu BIGUMA le jour où il a rassemblé la population. Célestin NIGIRENTE répond que ce sont Aimable SIBOMANA et MUSONI qui le lui avaient dit. Mais il l’avait appris aussi par NZABANDORA qui était venu le chercher dans son champ de manioc. Le témoin est obligé de se répéter: il n’était pas présent lors de l’érection de la barrière, elle était déjà là quand il est arrivé.
L’avocat, maître GUEDJ, tente un dernier coup de poker en laissant entendre que BIGUMA avait été acquitté lors de Gacaca[1]. Vérification faite, c’est FAUX.
Audition de monsieur Augustin NZAMWITA, en visioconférence de KIGALI, cité à la demande du ministère public.
Augustin NZAMWITA, est un agriculteur qui vit dans le district de NYANZA, dans le secteur de KIBILIZI. A l’époque du génocide des Tutsi, il était jeune et était encore en études primaires à MBUYE. En avril 1994, il est retourné chez ses parents pour les vacances scolaires. Son père tenait un commerce de débit de boissons dans le petit centre commercial d’AKAZARUSENYA, qui se situait près de la frontière du BURUNDI.
Un jour, alors qu’il était au centre commercial, Augustin a vu le conseiller UKWIZADIGIRA discuter avec le bourgmestre NYAGASAZA. Un peu plus tard, il a vu BIGUMA arriver à bord d’un véhicule blanc. Quand il est arrivé, la population a eu peur et les gens ont commencé à courir de gauche à droite. Les gens au centre étaient en grande partie des réfugiés Tutsi qui cherchaient à franchir la frontière. Certains venaient de SHARI, d’autres de GISAGARA.
A son arrivée, BIGUMA est venu devant NYAGASAZA et l’a brutalisé en lui donnant des coups de pied. Puis il l’a mis dans sa voiture. Il a dit aux habitants que personne ne devait accepter l’argent que les réfugiés proposaient pour s’enfuir. En disant ça, il aurait fait un signe d’égorgement pour menacer ceux qui accepteraient d’aider les réfugiés Tutsi. Après son départ, beaucoup de gens de SHARI sont venus à la frontière pour fuir. Des militaires du BURUNDI essayaient de les faire passer avec des cordes ou des barques.
Augustin a fui le Rwanda en avril 1994 et est arrivé au BURUNDI, dans un camp de réfugiés de Hutu à RUKURABIGABO. Plus tard il est allé dans un autre camp, le camp de RUKORE en Tanzanie. A la fin du génocide, en janvier 2003, il est rentré au RWANDA et a appris ce qui était arrivé au bourgmestre NYAGASAZA. Son père avait rejoint l’OUGANDA avec sa deuxième épouse et ses enfants. Il y serait toujours.
Pour clôturer la journée, monsieur le président va procéder à la lecture des auditions de trois témoins décédés dans les semaines ou lesmois précédant le procès. Il s’agit de l’audition de monsieur Charles NKOMEJE, celle de monsieur Assiel BAKUNDUKIZE et de monsieur Yobo KAYIRANGA. A la demande de la défense, il sera fait lecture de l’audition de monsieur Callixte MUNYANGEYO.
Margaux GICQUEL
Alain GAUTHIER
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.[↑][↑] - FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]