Procès HATEGEKIMANA/MANIER, jeudi 15 juin 2023. J24



Audition de madame Sapientia RUGEMANA, convocation en vertu du pouvoir discrétionnaire du président, souhaite se constituer partie civile à l’audience, assistée par maître GISAGARA, en visioconférence depuis KIGALI.

Sapientia RUGEMANA commence son témoignage en parlant des discriminations dont elle a été témoin et qu’elle a subi au cours de ses études. En apprenant l’attentat contre l’avion du président à la radio le 7 avril 1994, Sapientia et sa famille se sont vite inquiétés parce que la, veille, son père était parti à KIGALI. Sa famille était composée de ses parents et de neuf jeunes enfants.

Quatre jours après l’attentat, Sapientia a vu des gens venir fouiller leur maison. Un jeune homme qui travaillait dans le commerce de sa mère est venu leur donner des informations sur la situation. Pendant plusieurs jours, Sapientia et sa famille passaient leurs journées couchées, et les nuits cachées dans les brousses. Un mercredi matin, le même jeune homme leur a dit que leurs noms étaient sur une liste de personnes qui allaient être tuées. La mère de Sapientia a décidé d’emmener ses enfants à NTYAZO d’où elle était originaire. Ils ont réussi à arriver à destination en passant par un marché dans la ville de NYANZA et en se fondant dans la foule.

Arrivés à NTYAZO, Sapienta et sa famille se sont réfugiés chez un oncle paternel qui leur a conseillé de fuir au BURUNDI. Alors qu’ils tentaient de suivre son conseil et de fuir, ils ont été arrêtés à une barrière et se sont dispersés. Sapienta et l’une de ses sœurs sont retournées chez leur oncle tandis que le reste de sa famille a réussi à rejoindre le BURUNDI. Le lendemain, les deux sœurs qui s’étaient retrouvées avec un grand groupe de réfugiés Tutsi se sont dirigées vers la colline de RWEZAMENYO.

Le lendemain matin vers 6h, des Interahamwe[1] armés de fusils ont attaqué la colline. Le groupe a fui vers la colline voisine, la colline de KARAMA. Dans l’attaque, la petite sœur de Sapienta, alors âgée de neuf ans, avait reçu des coups de pierre dans les côtes. La témoin raconte qu’elle s’est sentie très impuissante face à sa sœur qui lui demandait des soins et de la nourriture.

Dans la nuit, Sapienta a été réveillée par les cris des Interahamwe qui s’appelaient entre eux en disant « GP » et « Pawa ! Pawa ». C’était leur signe de ralliement. En fuyant, elle a été séparée de sa sœur, et après quelques jours de fuite, Sapienta s’est retrouvée à suivre un groupe de Tutsi qui se dirigeait vers l’ISAR SONGA[2]. Elle y a alors passé quatre jours pendant lesquels les Interahamwe tentaient régulièrement des petites attaques à la machette. La témoin raconte ensuite qu’elle a vu un hélicoptère de couleur kaki militaire passer au-dessus d’eux. Elle dit avoir cru que c’était un hélicoptère de l’État qui venait les aider. Elle et les Tutsi autour ont crié à l’aide, en vain.

Le jour de la grande attaque de l’ISAR SONGA vers 15h, Sapienta et sa cousine étaient en train de se laver. En entendant les bruits de tirs de balles et d’explosions, elles se sont couchées au sol comme on leur avait dit de le faire. Elles sont montées un peu plus haut sur la colline mais se sont retrouvées au milieu d’Interahamwe et de gendarmes en train de tuer. A ce moment, elle a été témoin d’une scène qui la hante encore aujourd’hui. Elle a vu un père et ses deux fils se faire dépouiller de leurs vêtements, se faire émasculer et être tués. Sapienta a couru pour leur échapper.

La témoin décrit les explosions, les bouts de chair humaine et des vaches qui mouraient dans ces explosions. Dans sa fuite, elle a suivi un groupe qui se dirigeait vers le BURUNDI. Ce groupe a été arrêté sur le pont de MYIRAMAGELI par des Interahamwe. Les tueurs ont dit aux Hutu de se lever et de rentrer chez eux. Plusieurs d’entre eux avaient suivi les Tutsi sans savoir qu’ils n’étaient pas recherchés. Les Interahamwe ont séparé les hommes des femmes et ont choisi des femmes à épouser parmi les Tutsi. Une femme qui avait des liens de parenté avec Sapienta et qui avait été choisie pour épouser un des Hutu a insisté pour qu’elle vienne avec eux. Les deux jeunes filles ont donc été emmenées chez cet Interahamwe et y ont passé plusieurs semaines pendant lesquelles elles s’occupaient des tâches domestiques.

Quand le FPR[3] s’est emparé de la région, elles ont accompagné l’Interahamwe et sa famille dans leur fuite vers GIKONGORO. Quand le groupe a été arrêté par des Inkotanyi[4], Sapienta leur a fait savoir qu’elle était Tutsi et a été ramenée chez elle quelques semaines après, une fois les combats terminés. Elle a pu alors retrouver sa famille qui est revenue du BURUNDI.

Quand son conseil lui demande à quoi ressemble sa vie maintenant, elle répond que, comme tous les Rwandais, elle a essayé de se reconstruire et qu’elle travaille aujourd’hui pour son compte afin d’offrir un futur à sa famille. Elle raconte son histoire à ses enfants petit à petit.

Colline où sont les réfugiés de l’ISAR SONGA.


Audition de madame Chantal UWAMARIYA, convocation en vertu du pouvoir discrétionnaire du président, souhaite se constituer partie civile à l’audience, assistée par maître PARUELLE, en visioconférence depuis KIGALI.

Pendant le génocide, Chantal avait 9 ans. Sa famille, mais aussi les familles de son père et de sa mère étaient toutes voisines et habitaient à RUSATIRA près de l’ISAR SONGA. Elle habitait avec ses parents et ses 4 frères et sœurs. Un jour, elle a vu arriver une partie de sa famille qui venait de GIKONGORO. Elle mentionne notamment une autre partie civile, SINZI Tharcisse[5], son oncle. Sa famille a alors été attaquée et les adultes ont tenté de se défendre en barrant la route aux Interahamwe et en détruisant un pont qui les séparait.

La famille s’est dirigée vers l’ISAR SONGA. En arrivant sur la route qui sépare l’ISAR SONGA et la colline à côté, la colline de SAZANYE, ils ont vu des gendarmes armés passer dans une voiture SUZUKI avec un mégaphone. Ils étaient en train de sensibiliser la population pour les encourager à tuer l’ennemi. Les adultes autour de Chantal disaient que c’étaient des gendarmes de NYANZA. La témoin raconte qu’une fois arrivés sur la colline de l’ISAR SONGA, les conditions de vie étaient très difficiles. Chantal et sa famille sont retournés chez eux.

Après quelques jours, un matin, vers 7h, des Interahamwe ont attaqué leur domicile. Le père de Chantal a caché les enfants dans les faux-plafonds. En voyant les parents de Chantal, les Interahamwe les ont tués, ils ont lancé une grenade dans la maison et ont fini par la brûler. Le faux-plafond fait en roseaux s’est écroulé révélant les enfants cachés. Des enfants qui portaient des vêtements en nylon ont été pris dans les flammes sans pouvoir enlever leurs vêtements en feu qui restaient accrochés à leur peau. Une fois sortis de la maison, Chantal a entendu des gros bruits de tirs et d’explosions en provenance de l’ISAR SONGA. Elle a ensuite vu des Tutsi revenir blessés de l’ISAR SONGA qui lui ont raconté l’attaque. Chantal a perdu deux de ses frères à SONGA.

Après cette grande attaque, Chantal était seule et n’avait nulle part où aller. Elle a erré de famille en famille et de cachette en cachette. Elle a failli être tuée par des assaillants qui lui ont fait creuser sa propre tombe. Ils ont demandé à des enfants de la tuer mais ces derniers ont refusé de l’exécuter et lui ont dit de s’enfuir. Elle est donc vite partie et est ensuite arrivée chez un homme Hutu qui s’appelait GATERA et qui connaissait bien son père. Au moment de l’arrivée des Inkotanyi[4], elle a fui avec lui en direction de GIKONGORO. Alors que GATERA, lui-même très impliqué dans le génocide, voulait la tuer, une femme du nom de Domitille, qui vivait près de chez GATERA et d’un groupe d’Interahamwe, et qui cachait plusieurs enfants Tutsi, a prévenu Chantal et lui a dit de fuir avant qu’ils ne la tuent.

Après le génocide, Chantal a pu retrouver son petit frère de 8 ans, GATARI. Tous deux sont les seuls rescapés de leur famille. La témoin explique à quel point elle a été traumatisée par ce qui lui est arrivé. Elle dit qu’elle n’a jamais pu retourner dans sa localité natale à cause des souvenirs qu’elle en garde. Elle n’a pas non plus réussi à dire à ses enfants qu’elle était une rescapée du génocide, par peur qu’ils soient traumatisés, eux aussi.


Audition de madame Longine RWINKESHA, déjà constituée partie civile (CPCR), assistée par maître Domitille PHILIPPART, en visioconférence depuis KIGALI.

Lorsque le génocide a commencé, nous avons entendu le bruit d’un fusil. Nous avons fui vers ISAR SONGA[2] avec notre père, notre mère (MUKABARISA), et avec les autres membres de ma famille : Dieudonné RUTABINGWA, Georgette MUKAYIZIGA, Julienne UMUHIRE, Credo RUZINGANA, et Grâce MUKANDUHUYE, mes frères et soeurs. Nous avions une grande famille.

Dans un premier temps sont arrivés les Interahamwe[1] qui portaient des feuilles de bananiers. Ils étaient armés de machettes, de gourdins, de marteaux et de lances. Nous étions de nombreux Tutsi réfugiés à cet endroit. Ils ont commencé à nous tuer. Entre-temps nous ramassions des pierres que nous donnions aux hommes. Ils les lançaient sur les Interahamwe. Ils ont fini par être repoussés et sont repartis.

Cinq jours après, je pense, un avion est arrivé et a fait plusieurs tours au-dessus de nous et de l’ISAR. Cela a duré un moment. Il est reparti sans s’être posé. Un ou deux jours plus tard, des gendarmes et des militaires de NYANZA sont venus. Ils ne faisaient que tirer sur un très grand nombre de gens. Ils ont tiré plusieurs fois dans la journée.

Après avoir tué, beaucoup d’Interahamwe passaient parmi les corps avec leur machette. C’est à ce moment qu’ils m’ont trouvée et m’ont emmenée. Ils m’ont demandé de creuser ma propre tombe et de retirer mes habits. Ils m’ont donné une houe et j’ai creusé une fosse. Je me suis mise dedans. A ce moment-là, un véhicule est passé avec des gendarmes. L’un d’eux m’a sortie de la fosse puis m’a frappé.

J’ai été mise dans la partie arrière de la voiture puis emmenée là où se gendarme habitait. J’ai vécu longtemps avec lui. Il m’a séquestrée et m’a violée. J’ai eu un enfant, une fille qui est toujours à mes côtés aujourd’hui.

Lorsqu’ils ont appris que les Inkotanyi[4] arrivaient, ils ont fui jusqu’à GIKONGORO et le gendarme m’a abandonnée dans le camp de KIBEHO. Mon périple s’est arrêté là. J’ai appris que j’étais enceinte et j’ai accouché de cet enfant le 26 février 1995.

Sur questions du président, la témoin précise qu’elle habitait NTARE/KINAZI en 1994, qu’elle appartenait au clan des ABAGINA et quelle est la seule rescapée dans sa famille proche. Son clan comportait plus de 180 personnes.

Elle précise que les assaillants portaient des fusils et qu’il y avait une arme lourde mais comme elle était couchée parmi les cadavres, il lui est difficile d’être plus précise. Quant aux gendarmes, ils portaient des bérets rouges. Blessée pendant les attaques (elle marche aujourd’hui avec une béquille) elle garde beaucoup de séquelles de ces événements. Elle est aidée par le FARG[6] et est régulièrement soignée à l’hôpital de KANOMBE à KIGALI. Quant à sa fille, Evelyne ULIHO, elle est elle aussi fortement traumatisée.

Elle souhaite ajouter que ceux qui ont tué les siens puissent être punis.

Sur question de son avocate, la témoin précise que les cadavres qu’elle a vus avant de se rendre à SONGA, elle les a bien vu au centre de négoce ARETE. Elle ajoute qu’elle a refait sa vie, s’est mariée, à eu quatre autres enfants mais que son mari l’a abandonnée à cause de son handicap.

La défense pose des questions rapides sur l’heure de l’attaque (NDR. Des témoins ont dit que pour eux une heure pouvait leur paraître dix ans!), la couleur de l’hélicoptère, la tenue des gendarmes et des militaires : si elle a pu dire que les gendarmes venaient de NYANZA, c’est parce qu’ils se vantaient de leurs exploits (NDR. Elle était séquestrée chez un militaire.)


Audition de monsieur Tharcisse SINZI, déjà constitué partie civile (CPCR), assistée par maître Domitille PHILIPPART.

Tharcisse Sinzi

Je commence par la définition de mon nom. SINZI signifie « je ne sais pas ». Je suis né en tant que Tutsi dans la zone de BUTARE. Les Hutu de GIKONGORO étaient venus dans la zone de BUTARE en 1963. Un ami de mon père avait retrouvé mon père dans la forêt et lui avait demandé s’il pouvait me donner un nom. Il lui avait dit « SINZI ».

J’ai fait l’école primaire. Comme j’étais Tutsi, en 1974, je ne pouvais pas faire l’école secondaire. Je suis resté à la maison pendant 3 ans, chez mon père. En 1977, je suis parti au BURUNDI. Une fois là-bas, comme je venais de faire trois ans sans étudier, on m’a placé en 5e année de primaire.

J’ai commencé l’école secondaire quand ma promotion au Rwanda la terminait. J’ai fait le secondaire au Collège Saint-Albert, collège qui avait été fondé par et pour les Tutsi réfugiés au BURUNDI afin de leur permettre de pouvoir étudier..

En 1988, je suis rentré au Rwanda diplômé. J’avais commencé le karaté en 1978 au BURUNDI. J’ai eu la ceinture noire en 1984. Quand j’ai regagné mon pays, j’ai eu la chance d’avoir du travail à l’université nationale du Rwanda. Ils avaient un club de karaté et recherchaient un entraineur. J’ai eu ce poste. Je travaillais aussi en tant que laborantin dans le centre de recherche sur les plantes médicinales financé par les Belges.

Comme j’étais Tutsi, on m’avait fait signer un document comme quoi je n’avais pas le droit d’entrainer un Tutsi. Je ne pouvais entrainer que les Hutu et je ne pouvais pas ouvrir mon propre club en dehors de l’université. De manière générale, l’ethnie des athlètes était précisée sur leurs cartes d’identité[7].

En 1990, j’ai été considéré comme un Ibyitso[8], comme un complice du FPR. J’avais donné des cours d’orientation à l’école belge et à l’école française. Je n’ai pas été mis en prison car les familles des enfants sont venus manifester au parquet.

En 1994, quand l’avion d’HABYARIMANA est tombé, j’ai regagné ma colline natale, chez mon père. J’avais une femme et un enfant. J’ai quitté BUTARE pour aller chez mon père à SONGA. J’arrive chez mon père la nuit du 12 avril. Comme en 1959, 1963, 1973 et 1990, BUTARE n’a jamais été touchée par les massacres à la différence des autres préfectures. En 1959, GIKONGORO était séparé par la rivière MUWOGO et était proche de BUTARE.

Les massacres avaient commencé à GIKONGORO. La nuit où je suis arrivé chez mon père, des réfugiés tutsi arrivaient. Nous avons construit une barrière. La population, hutu et tutsi, était unie. La résistance a commencé le 13 avril sur la rivière de MWOGO. Parce que j’étais assez fort, j’ai organisé des réunions avec la population. Je leur ai expliqué que nous avions des bras, des jambes, le même sang, et que nous avions les mêmes armes traditionnelles. J’ai expliqué que nous allions lutter contre eux (les Interahamwe[1] de GIKONGORO). Nous avons résisté du 13 au 21 avril. Nous étions environ 300 personnes, solidaires.

Un groupe de gendarmes est arrivé du côté de GIKONGORO. Ils ont tiré avec des fusils. Le groupe dans lequel j’étais a fui (moi également) car c’était la première fois qu’on entendait des tirs. Nous sommes allés sur la colline SAZANGE, qui est la colline voisine de SONGA.  Le premier groupe a pu traverser la route principale en direction de KIGALI et passant par BUTARE. Le second groupe a été repoussé. Le groupe qui a traversé la route principale s’est rendu à SONGA. Comme les attaques étaient fortes, nous avons décidé de continuer vers le BURUNDI. J’étais dans le premier groupe.

Arrivés de l’autre côté de SONGA, nous avons continué vers le BURUNDI. Nous avons été repoussés, et nous sommes revenus vers ISAR SONGA[2]. Nous sommes retournés à SONGA à 4h du matin, le 22 avril.

Une fois arrivé à SONGA, (je précise que je n’avais plus les membres de ma famille), j’ai réalisé qu’il fallait que je lutte pour ma vie. J’ai rassemblé tout le monde. Nous avons choisi un placement entre trois collines. De là nous avions une bonne visibilité sur les alentours.

Nous nous sommes organisés pour résister. Chaque jour, à partir de 8h du matin, nous avions des attaques des Interahamwe. Comme eux, nous avions des armes traditionnelles. Nous avons résisté du 22 au 27. Un hélicoptère est arrivé le 27. Il a survolé toute la masse et s’est rapproché de cette masse. Nous sentions l’air. Ils ont sorti leur tête et ont utilisé leur jumelle. Le 28 nous avons été massacrés.

Le 28, ils ont fait semblant de ne pas attaquer. Ils se déguisaient, enroulaient et cachaient leur fusil d’une nappe, ils avaient quelques choses sur la tête. Ils se rapprochaient de nous puis disparaissaient. A 16 heures, nous avons reçu des tirs qui faisaient beaucoup plus de bruit. On pouvait voir une centaine de personnes sauter. Ils ont bombardé les collines pendant 30 minutes,  une seconde nous paraissait une année. J’avais une montre. Nous sommes partis en débandade, les oreilles bouchées, nous ne savions pas où aller.

Nous sommes partis dans l’une des vallées entre les collines que j’ai citées. Il n’y avait qu’un seul chemin. Les Interahamwe étaient placés sur une colline mais ils n’étaient pas assez nombreux pour nous arrêter. Il fallait donc qu’ils nous séparent. Nous étions tellement nombreux que si quelqu’un tombait, il était piétiné.

La nuit du 28, nous sommes arrivés sur une barrière qui était forte. Les Interahamwe avaient des arcs. Ils nous tiraient dessus. Nous les avons bombardé avec des pierres. Ils ont cru que nous étions armés mais ce n’était pas le cas. Nous avons pu les faire fuir.

Ensuite, nous sommes arrivés vers MUYAGA. Nous avons perdu le chemin. Il y avait un enfant de 13 ans qui nous expliquait que l’on pouvait voir le BURUNDI depuis la colline de MUYAGA. Il avait l’habitude de s’y rendre car sa tante vivait sur la colline. Nous avons décidé d’aller sur cette colline vers 9 heures pour y faire une pause.

On s’est séparé en deux groupes. Le groupe qui est passé sur la droite a été surpris par une barrière des Interahamwe et s’est fait tirer dessus. Nous, nous étions passés par la gauche, mais nous avons été stoppés par la clôture des champs du propriétaire. Après plusieurs heures de marche, nous avons atteint la rivière AKANYARU.

Il y avait beaucoup d’eau. Nous devions nager pour traverser. J’ai pu traverser, j’ai enlevé mes vêtements et je suis retourné vers mon groupe. Nous avons fait une corde avec les vêtements de tout le groupe. L’un des membres du groupe a voulu se pendre. J’ai tenté de le raisonner. Mon groupe n’avait pas compris qu’il fallait qu’il tienne le bout de la corde. Il pensait que j’allais les tracter.

Une fois de l’autre côté de la rivière, on s’est dit qu’il fallait trouver de l’aide. Il n’y avait pas de chemin. Cela nous a pris deux heures pour nous frayer un chemin à travers les papyrus. Nous pensions atteindre le BURUNDI. Nous avions perdu notre boussole. Nous sommes tombés sur deux chiens, quatre hommes et une femme et je les ai salués en burundais. Le problème était qu’ils m’ont répondu en kinyarwanda. Nous n’étions donc pas sûrs d’être arrivés au BURUNDI. J’ai alors fait un signe aux autres membres du groupe pour qu’ils s’apprêtent à attaquer au cas où les quatre hommes se montreraient hostiles. Ils avaient des machettes.

Ces quatre hommes nous ont dit qu’ils devaient nous conduire au chef du village. MATHIEU. Ce dernier voulait de l’argent en échange de son aide. Une station militaire a dit à MATHIEU que s’il manquait l’un des membres de notre groupe, son village allait en subir les conséquences. Après une heure, nous sommes revenus avec les militaires burundais. Il était quatre heures du matin. Nous avons retrouvé mon équipe. Mon groupe, qui en réalité n’avait pas d’argent, a dû céder des vêtements, des chaussures pour payer.

Je me suis remarié en 1998. J’ai eu des enfants, j’ai pu aller à l’université.

Une série de questions permettra au témoin de préciser quelques points restés un peu dans l’ombre. La défense, sentant avoir affaire à un témoin un peu plus « coriace » va perdre un peu ses nerfs.

Monsieur le président suspend l’audience et donne rendez-vous au lendemain. Seront entendus deux témoins qui souhaitent se constituer partie civile à l’audience, puis, dans l’après-midi, un technicien en balistique, pour terminer par un dernier témoin de contexte, en visioconférence du Canada, Josias SEMUJANGA, à la demande du CPCR.

 

Margaux GICQUEL

Alain GAUTHIER

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

 

  1. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[][][]
  2. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[][][]
  3. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  4. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[][][]
  5. voir l’audition de Tharcisse SINZI en fin de journée[]
  6. FARG : Fonds d’assistance aux rescapés du génocide[]
  7. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[]
  8. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. Glossaire.[]

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