- Laetitia HUSSON, juriste au TPIR.
- Audition d’Ignace MUNYEMANZI.
- Audition du général Jean VARRET.
- Audition du Michaela WRONG.
- Audition d’Erasme NTAZINDA, maire du district de NYANZA.
- Lecture de l’audition de Jacques SEMELIN.
Audition de madame Laetitia HUSSON, juriste au TPIR.
Avec l’accord du témoin, nous vous proposons de vous reporter à son audition du 12 mai 2023, lors du procès en première instance. Seules les questions seront donc abordées ci-dessous.
Questions
Monsieur le président précise pour les jurés ce que signifie la tradition inquisitoire du procès pénal en France. Le juge d’instruction a été créé plus tard en France et la défense a pris de plus en plus de place. Actuellement en France, les victimes ont le droit de porter plainte ce qui permet l’ouverture d’une instruction qui se fait à charge et à décharge. Il travaille sous le regard des parties civiles, la défense et du procureur qui peuvent lui demander de faire des actes. Le juge peut accepter ou non de faire des actes, ce que peuvent contester les parties. Au TPIR[1], les parties peuvent citer des témoins qu’ils interrogent eux-mêmes. Monsieur le président demande comment les juges du TPIR ont apprécié la preuve testimoniale. La témoin répond qu’un des grands principes a été de considérer la preuve non pas de manière individuelle mais holistique: évaluer la crédibilité d’un témoin à la lumière des autres preuves et du dossier. Les juges ont du faire face à des difficultés liées à l’impact des traumatismes et chronologie ce qui leur a permis de développer certains standards: chaque incohérence va être prise en compte et analysée pour établir la crédibilité de cet aspect du témoignage.
Monsieur le président fait état des 4 jugements déposés dans la procédure. Il rappelle qu’en 1998 KAMBANDA[2] qui a plaidé coupable des faits de génocide, d’entente, incitation et complicité de génocide, est condamné à perpétuité, fait appel et dit qu’il a été obligé de plaider coupable. Les juges d’appel confirmeront quand même le jugement de première instance. Ils vont considérer que les faits étaient d’une telle gravité qu’ils justifiaient cette peine. A titre de comparaison, Hormisdas NSENGIMANA et Augustin NDINDILIYIMANA ont été acquittés de chefs de génocide par manque de preuve.
Le jugement du TPIR contre la ministre des affaires familiales Pauline NYIRAMASUHUKO, son fils milicien Shalom NTAHOBALI, Joseph KANYABASHI (bourgmestre), Sylvain NSABIMANA (préfet 1), Alfonse NTEZIRIRYAYO (préfet 2), va questionner le rôle du gouvernement dans les tueries à BUTARE. Le procès de BUTARE conclue que la décision de révocation du préfet a été prise pour encourager le début des tueries pour justifier une condamnation.
Me GISARA demande si des personnes ont été condamnées pour entente en vue de commettre un génocide, ce à quoi elle répond par l’affirmative. Il l’interroge maintenant sur la crédibilité des témoins au TPIR. Certain témoins vont reconnaître avoir menti pour différentes raisons (sous pression des autorités rwandaises, corruption, vengeance…). Dans l’affaire de Butare, sur 189 t2moins, seulement trois vont avouer avoir menti. Les juges vont cependant réfuter les allégations de fabrication de preuve. Les TPIR avait la capacité de poursuivre les témoins pour faux témoignage, il n’y a eu qu’une seule poursuite. Ce témoin va finalement expliquer avoir été payé pour retirer ce témoignage. Me GISARA demande aussi si la justice internationale a considéré comme suffisantes les garanties judiciaires nationales pour les jugements au Rwanda. En effet, la témoin répond que le TPIR a renvoyé deux affaires vers la France et deux vers le Rwanda.
L’avocat général prend maintenant la parole. Elle demande la confirmation que l’exigence de plan concerté n’était pas existent pour le TPIR, ce que la témoin confirme. Elle interroge maintenant si ce que le standard de « au-delà de tout doute raisonnable » en Droit Pénal International peut correspondre avec l’intime conviction des jurés. La témoin affirme que cela a déjà été reconnu par beaucoup. Enfin la témoin déclare qu’elle n’a pas pu observer un phénomène de culture du mensonge au sein du TPIR.
La défense n’a pas de questions. Suspension d’audience à 10h50.
Audition de monsieur Ignace MUNYEMANZI, cité par la défense sur pouvoir discrétionnaire du président.
Après s’être présenté dans ses nombreuses activités professionnelles successives au Rwanda et depuis qu’il a quitté le pays, le témoin déclare qu’il est venu pour défendre l’accusé qu’il ne connaît que depuis qu’il est à Rennes. Il ajoute que ce n’est pas agréable pour lui devenir dans cette enceinte de la cour d’assises.
C’est en 1998 qu’il obtient le statut de réfugié en France, puis la nationalité. Il a été enquêteur au TPIR pour Emmanuel BAGAMBIKI, le préfet de CYANGUGU d’où il est originaire lui-même. Ce dernier sera acquitté. Il parle ensuite des nombreux membres de sa famille tués en 1994, Hutu et Tutsi. Il exprime la souffrance qui l’habite: « Notre souffrance, dit-il, dépasse la vôtre qui n’avez vu des images qu’à la télévision ».
Monsieur le président reprend la main et lui demande de parler de l’association AMIZERO dont il a été le président, qui réunit Hutu et Tutsi et dans laquelle il a rencontré monsieur MANIER. De se lancer alors dans des louanges appuyées de l’accusé: très proche des enfants, il réglait les conflits entre les membres de leur communauté, toujours bienveillant. Il n’a jamais entendu dire du mal de son ami qui est « hypersensible ». Il ne l’a vu pleurer que lorsqu’il lui a fait part de l’affaire qui nous occupe. Il accuse un certain Epiphane, membre d’AMIZERO, qui serait l’auteur de la lettre anonyme adressée au CPCR, par vengeance.
Concernant l’accusé, ce dernier lui aurait confié qu’il regrettait de n’avoir pas pu sauver ses amis à NYANZA car il est parti trop tôt (NDR. Philippe MANIER base toute sa défense sur le fait qu’il n’était plus à NYANZA lorsque les massacres ont commencé, prenant le contre-pied de tous les témoins qui viendront l’accuser).
Lorsqu’il déclare que l’origine du procès est la plainte déposée par le CPCR suite à une lettre anonyme reçue par Alain GAUTHIER, monsieur le président intervient alors pour dire qu’on interrogera le CPCR et ses méthodes de travail. Le nom du témoin apparaît aussi dans cette lettre anonyme. Mais c’est un fax faussement attribué à l’association IBUKA qui va alerter le témoin. Et ce fax aurait été envoyé par l’Epiphane en question, condamné pour avoir détourné l’argent de l’association AMIZERO.
Monsieur le président lit alors le contenu de la lettre anonyme versée au dossier par le CPCR lors du dépôt de la plainte. C’est alors que monsieur MUNYEMANZI raconte son propre cheminement lors du génocide, son départ de KIGALI jusqu’à CYANGUGU, sa ville d’origine, dès le 12 avril 1994.
Sur questions de la défense à qui le président donne exceptionnellement la parole en premier, le témoin se déclare un parent de l’ancien premier ministre Faustin TWAGIRAMUNGU qui l’encouragera à ne pas revenir au Rwanda car « on y massacre les intellectuels ».
Maître DUKE interroge: « Massacrés vivants? » (NDR. On pourrait rire de cette question si le sujet n’était pas aussi grave!)
Au sein de l’association, le témoin n’a jamais entendu monsieur MANIER tenir des propos anti-Tutsi ou négationnistes. Il n’est jamais allé voir son ami en prison mais le souhaiterait. Il fait sienne la ligne de défense de l’accusé: si ce dernier a quitté NYANZA, c’est parce qu’il était menacé par des gendarmes extrémistes du Nord. On le soupçonnait d’être pro-FPR!
Toujours sur questions de la défense, le témoin revient sur son rôle d’enquêteur de la défense au TPIR. Occasion lui est donnée de dénoncer les témoins qui mentent lors des procès, sur pression du pouvoir rwandais.
Monsieur le président intervient pour signaler que madame HUSSON, le matin même, a dit tout le contraire. Il y a eu très peu de témoins condamnés au TPIR pour avoir menti.
Maître PHILIPPART revient sur ces témoins dont on aurait rejeté le témoignage pour avoir été jugés non crédibles et avoir été considérés comme des menteurs. L’avocate du CPCR déclare que l’association qu’elle représente ne dépose pas plainte uniquement sur lettre anonyme: « Monsieur GAUTHIER s’en expliquera! » Le témoin, qui a perdu récemment sa mère, n’a pu se rendre au Rwanda.
Maître QUINQUIS interroge le témoin sur les activités de l’association AMIZERO mais surtout sur la façon dont les membres commémoreraient le génocide des Tutsi. Monsieur MUNYEMANZI reconnaît que son association n’est plus active depuis 2019 et que la commémoration, il la fait « tous les jours, dans mon [son] cœur. »
Sur question de maître EPOMA, le témoin déclare que sa carte d’identité portait la mention « Hutu »[3] mais que dans sa famille il y avait des Hutu et des Tutsi.
Maître KARONGOZI revient sur le départ du témoin de KIGALI le 12 avril 1994. Son voyage vers CYANGUGU lui a pris 10 heures (4h15 en temps normal). Il a dû passer par la barrière de GITIKINYONI (NDR. Cette fameuse barrière tenue par le milicien Joseph SETIBA que le CPCR a interrogé dans certains dossiers). Cette barrière se trouvait à la sortie de KIGALI, à l’embranchement des routes BUTARE/RUHENGERI. L’avocat s’étonne que le témoin vienne témoigner en faveur d’un accusé qu’il n’a pas connu en 1994! Monsieur MUNYEMANZI déclare qu’il ne comprend pas qu’on puisse considérer l’accusé comme un monstre: « Il est impossible qu’il ait commis les crimes qu’on lui reproche. »
Sur question de maître TAPI, le témoin fait part de la « consternation » qui a été la sienne lorsqu’il a appris la condamnation de monsieur MANIER en première instance.
Madame l’avocate générale revient sur les pleurs de l’accusé lorsqu’il a évoqué le fax faussement attribué à IBUKA, dont « le logo a été piraté », ajoute-t-elle. Occasion donnée au témoin de préciser que Epiphane a été condamné pour avoir détourné 7000 euros de l’association AMIZERO.
Après son audition, monsieur MUNYEMANZI demande une faveur: pouvoir saluer son ami. Monsieur le président l’autorise à lui adresser un signe d’amitié. Le témoin s’approche alors du box des accusés et serre longuement la main de monsieur MANIER.
Audition du général Jean VARRET, cité par l’association SURVIE.
Bon pied bon oeil, le témoin, âgé de 88 ans arrive à la barre. Il refuse de s’assoir mais souhaite avoir l’aide de quelqu’un auprès de lui car il a des problèmes d’audition. Maître BERNARDINI se tiendra à ses côtés.
Le témoin était un général détaché au ministère de la Coopération qui a fonctionné de 1959 à 1999. Vingt-six pays, anciennes colonies, dépendaient de ce ministère. Il avait la responsabilité de 800 militaires répartis dans ces différents pays. C’est fin 1990 qu’il se rend au Rwanda, le colonel René GALINIE étant attaché de défense à l’ambassade de France au Rwanda (NDR. En 1991, il avait alerté les autorités françaises d’un risque de génocide au Rwanda. Il n’a pas été écouté et sa hiérarchie l’a sanctionné et a brisé sa carrière.)
Le général VARRET raconte alors sa rencontre avec Pierre-Célestin RWAGAFILITA, chef d’état-major de la gendarmerie qui, au sortir d’une réunion, lui réclame des armes lourdes: « Mon général, je vous demande cela parce que nous allons participer à la liquidation des Tutsi? Cela ira vite car ils ne sont pas très nombreux. » Refus du général qui, furieux, se confie au colonel GALINIE et demande à rencontrer aussitôt le président HABYARIMANA. « Il vous a dit ça, ce con? Je vais le virer », tonne le président. Le général s’en ouvre au chef d’état-major des armées, l’amiral Jacques LANXADE. Mais c’est le chef d’état-major particulier du président MITTERRAND qui prenait les décisions, le général Christian QUESNOT. Quand le général VARRET reviendra au Rwanda, RWAGAFILITA sera toujours en poste.
Le général VARRET savait qu’un massacre de masse était possible au Rwanda, mais il ne prononce pas alors le mot « génocide » qui aurait obligé la France à intervenir plus avant. Il fera plusieurs allers-retours au Rwanda jusqu’à sa démission en 1993 « à cause de la dérive des choix politiques français ». Il n’avait pas d’autre choix que de démissionner: « J’ai fermé ma gueule et j’ai démissionné ». Comme l’a fait le colonel GALINIE. À la lumière des conclusions du rapport DUCLERT[4] qui reconnaît « des responsabilités lourdes et accablantes de la France » dans ces événements, le général VARRET se félicite d’avoir démissionné.
Il évoque ensuite ses différents avec le gendarme Michel ROBARDEY, chargé de la réorganisation de la gendarmerie rwandaise. Ce dernier l’aurait traité de « menteur », ce dont il se défendra. (NDR. Le général ROBARDEY est venu témoigner au procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA en 2016 aux assises de Bobigny. Il s’était alors retourné vers nous, les parties civiles, en prétendant être celui qui avait perdu le plus d’amis dans le génocide. Propos que nous avons jugés indignes et insupportables.[5])
Sur question des parties civiles, le général VARRET revient sur les propos qu’il avait tenus en présence du journaliste de La Croix, Laurent LARCHER[6]. Il dénonçait « le clan des Hutu du Nord, le clan d’Agathe KANZIGA, épouse du président HABYARIMANA, dont faisait partie le colonel Laurent SERUBUGA » (NDR. Lui-même réfugié dans le nord de la France et visé par une plainte qui risque de ne jamais aboutir vu son âge avancé et une santé fragile[7]).
Concernant le soutien de l’état-major major particulier du président MITTERRAND: « Je connaissais la pensée du président que j’ai rencontré lors d’une de ses visites en République Centrafricaine. » Ce dernier lui assènera les propos suivants: « Mon général, vous n’avez rien compris à ma politique africaine. » MITTERRAND voulait contrer l’influence anglo-saxonne en Afrique et au Rwanda (NDR. A ce propos, on a souvent parlé du complexe de FACHODA. La crise de FACHODA est un incident diplomatique sérieux qui opposa la France au Royaume-Uni en 1898 dans le poste avancé de FACHODA au Soudan, aujourd’hui Soudan du Sud).
L’entourage du président MITTERRAND partageait la notion « d’ennemi » égale Tutsi!
Le témoin, sur question de maître SCIALOM, dit connaître la doctrine contre-insurrectionnelle utilisée par le Vietminh, mais il n’en a jamais entendu parler concernant le Rwanda.
Monsieur l’avocat général revient sur le rôle de Michel ROBARDEY. Il était chargé de la formation des gendarmes rwandais, rapporte le témoin: « Peut-être avait-il reçu des directives autres que les miennes? » Difficile de savoir s’il a refusé d’assurer la sécurité de sœur LOCATELLI à NYAMATA.
Audition de madame Michaela WRONG, citée par la défense, en visioconférence de Grande-Bretagne.
On peut regretter que le témoin n’apparaisse pas à l’écran, ou vraiment en toile de fond, le premier plan étant occupé par le juge britannique. Cette audition a été précédée d’un échange qu’on pourrait qualifier de « houleux ». La défense demandait en effet au président d’assurer la protection du témoin qui aurait reçu 3850 tweets depuis la veille pour s’opposer à son audition. Ce que la défense dénonce comme le moyen de faire pression sur elle. Devant le refus du président qui dit ne pas en avoir la compétence juridique, un brouhaha s’installe dans la salle. Il ne peut non plus la rassurer: « Vous me demandez une chose impossible. »
L’avocat général intervient: « Nous avons une confiance totale aux autorités judiciaires britanniques pour régler le problème en Grande-Bretagne ». Au président: « Vous n’avez pas à rassurer le témoin ni à donner acte de cet événement », comme le demandait la défense. Arguments que maître GUEDJ, pour la défense, ne peut partager.
Après cette cacophonie, madame WRONG, qui s’exprime en français, va pouvoir commencer son audition. Nous avons hésité à faire un compte-rendu de cette audition tant les propos tenus n’ont rien à voir avec le procès de Philippe MANIER.
En 1994, le témoin se trouvait à KINSHASA, comme correspondante de Reuter au Congo, pour la BBC. En juillet, elle prend un vol pour GOMA, l’Opération TURQUOISE étant sur le point d’arriver pour mettre fin à la violence. « Je ne savais absolument rien sur le Rwanda, confesse-t-elle, comme beaucoup de journalistes. Jene connaissais pas le contexte. Il y avait des traces de massacres partout, on essayait de cacher les corps.: autour et dans les églises, dans les écoles, beaucoup de victimes tutsi. Dans les champs, on trouvait des corps qui commençaient à pourrir (?). Il y avait une forte odeur de charogne. »
A plusieurs reprises, le témoin va retourner au Rwanda, rencontrer des membres du FPR, des anciens ministres d’HABYARIMANA, suivre les pérégrinations des réfugiés en Tanzanie et au Zaïre. Elle rencontrera Paul KAGAME, encore comme chef rebelle. « J’étais une fan du FPR, ajoute-t-elle, comme les diplomates et les ONG. On parlait beaucoup de réconciliation, les forces rebelles étaient très disciplinées. Nous étions pleins d’admiration. »
Alors pourquoi avoir écrit 27 ans plus tard un livre contre le régime de KAGAME. » J’étais un peu naïve à l’époque » reconnaît-elle. Mes opinions ont changé pour plusieurs bonnes raisons. »
Tout d’abord en ce qui concerne le démantèlement des camps de réfugiés au Congo en 1996 et 1997, attaqués par des milices congolaises soutenues par l’armée rwandaise. Le rapport Mapping, en 2010 rapportait que beaucoup de réfugiés s’étaient enfoncés dans les forêts du Congo où ils ont été pourchassés, tandis qu’un grand nombre avaient été rapatriés au Rwanda. 617 lieux « d’incidents » sont mentionnés dans ce rapport des Nations-Unies et on évalue à 20 000 personnes tuées par l’armée de KAGAME.
Deuxièmement, elle voyait que le FPR était en train de cibler et d’assassiner des politiciens de son gouvernement. Elle donne l’exemple de Seth SENDASHONGA, assassiné à Nairobi en 1998, ministre qu’elle avait interviewé à plusieurs reprises.
» KAGAME était devenu impopulaire, poursuit-elle, il avait des problèmes avec ses propres amis tutsi. KAYUMBA NYAMWASA a été attaqué en Afrique du Sud où il s’était réfugié. Il n’est pas mort mais il a été blessé: c’étaot un commandant tutsi. La situation au Rwanda était beaucoup plus complexe que je ne le pensais. »
En 2014, ce sera le tour de l’ancien chef de renseignements, KAREGEYA, lui aussi réfugié en Afrique du Sud, qui sera étranglé dans son hôtel par un escadron de la mort venu de Kigali. » De plus en plus de témoignages fuitaient du TPIR, concernant une campagne de purification ethnique par le FPR au nord du pays » pousuit-elle.
» C’est ce qui m’a fait changer d’avis. Le FPR était un mouvement rebelle qui avait commis beaucoup de massacres. Le FPR faisait croire que les Tutsi étaient les gentils et les Hutu les méchants. KAGAME avait une grande responsabilité dans cette présentation simpliste. »
De poursuivre: » Le gouvernement actuel du Rwanda donne toujours une vision simpliste de la situation en direction des pays étrangers. Le génocide est devenu un fond de commerce: les visiteurs sont toujours conduits au Mémorial de Kigali. KAGAME est un personnage très controversé. Si vous travaillez dans les droits de l’homme, vous risquez la prison. Au Rwanda, il est impossible de se présenter aux élections. Avec plus de 99% des voix, KAGAME est le représentant d’un régime pur et dur. Si on lui pose des questions concernant les droits de l’homme, il revient toujours au génocide et culpabilise les journalistes: » Où étiez-vous en 1994? »
« Au Congo, KAGAME soutient le M23 qui a envahi le KIVU avec la présence de 4 000 soldats rwandais à ses côtés. 2 400 000 réfugiés s’entassent dans des camps, victimes des maladies et de la faim. Chaque fois que le gouvernement américain d’arrêter son soutien au M23; KAGAME revient au génocide en disant qu’on veut éliminer les Tutsi congolais. Bien sûr que des génocidaires ont réussi à fuir le Rwanda, tous les responsables du génocide ne sont pas en prison. Si on regarde les procès qui ont lieu, on voit que les preuves sont fausses, que les témoins sont manipulés, que ces procès sont exploités par Kigali pour distraire de ce que fait le Rwanda (sic). Chaque procès est une diversion très subtile de la part du gouvernement rwandais. Beaucoup de Congolais, et d’autres personnes, pensent que KAGAME devrait être poursuivi pour les crimes commis au Congo en 1996 et 1997. »
Madame WRONG signale plusieurs cas de témoins qui ont été instruits et préparés par Kigali. Des cours sont donnés à ceux qui viennent témoigner pour accuser des génocidaires qui sont jugés dans des pays étrangers. On leur a dit tout ce qu’ils devaient déclarer. L’un d’eux a pris l’avion et il s’est enfui de l’hôtel; il a demandé l’asile dans un pays voisin (NDR. De qui le témoin veut-elle bien parler? L’homme qui devait témoigner lors du procès en appel du bourgmestre de Kabarondo, Octavien NGENZI, ou d’un autre témoin, dans un autre pays?)
Autre cas, celui de Eugène GASANA, diplomate rwandais et ancien ambassadeur permanent auprès des Nations-Unies, un proche de KAGAME, un pur et dur du FPR, qui a refusé de revenir au Rwanda où il était appelé à s’expliquer. Une femme l’avait accusé de viol. On lui a pris tous ses biens. L’enquête diligentée aux USA l’a reconnu innocent. Accusations qui avaient une dimension politique.
Monsieur le président demande au témoin d’arrêter ses propos pour pouvoir éclaircir certains points. Pour madame WRONG, les élections au Rwanda ont été « truquées« , la presse n’est pas du tout libre, des journalistes sont assassinés ou en fuite, la société civile est « écrasée« : « le Rwanda est bien une DICTATURE! »
Monsieur le président demande au témoin si elle met en garde la cour. Madame WRONG de citer le cas de Enoch RUHIGIRA, devenu citoyen néo-zélandais, accusé d’avoir distribué des machettes pendant le génocide alors qu’il n’était pas dans le pays. De faux témoignages dont il faut se méfier. « Tous les témoins ne sont pas manipulés, mais je trouve que les autorités rwandaises ont tellement corrompu les témoins! C’est pourquoi je ne sais jamais si un témoin dit ou non la vérité. » C’est la même chose avec RUSESABAGINA dont elle rappelle les mésaventures et son procès à Kigali. Devant se rendre au Burundi, il s’est retrouvé à Kigali. Jugé pour terrorisme, il a été condamné et a bénéficié d’une grâce du président rwandais. Pour madame WRONG, comme pour les autorités américaines apparemment, ce procès a été un « spectacle », sa défense n’a pas été respectée. On a utilisé le témoignage des autres détenus pour l’accabler! (NDR. Le personnage d’Hôtel Rwanda, une super production américaine n’a pas le héros que le témoin veut bien présenter).
Sur question de monsieur le président, madame WRONG reconnaît qu’elle ne connaît pas les témoignages à charge et à décharges dans le dossier BIGUMA. Une façon de lui faire comprendre que le témoignage qu’elle vient de donner est hors sujet?
Pour la défense, maître ALTIT va interroger le témoin. Il lui fait redire qui est monsieur RUSESABAGINA, un gérant de l’Hôtel des Mille Collines à Kigali qui aurait négocié avec les miliciens pour sauver « ses clients »(NDR. RUSESABAGINA n’était par le gérant de cet hôtel. il avait exigé qu’on lui remette les clés. Ses « clients », il leur faisait payer leur chambre… Ce n’est pas la version que donne le film en question. RUSESABAGINA a été plutôt un anti-héros. Mais à chacun sa vérité!)
L’avocat de la défense demande au témoin pourquoi le Rwanda soutient le M23 au Congo. « Officiellement, ils ne sont pas là. L’ONU dit tout le contraire. Kigali prétend que des Tutsi congolais sont menacés et qu’il y a un risque de génocide. En réalité, KAGAME veut mettre la main sur les richesses de son voisin » (NDR. Tiens donc! Même si c’est vrai, qu’en est-il des grandes nations qui lorgnent sur les richesses du Congo et pillent ses minerais sur une échelle beaucoup plus grande!).
Toujours sur question de la défense, madame WRONG rappelle que 2 400 000 réfugiés s’entassent dans des camps aux alentours de GOMA, sous la protection de l’armée congolaise. Elle redit que le FPR s’est bien rendu coupable de purification ethnique dans le nord du Rwanda. Et de citer à ce propos le livre de sa collègue Judi REVER, Rwanda. L’éloge du sang, Concernant NYAMWASA, ce très proche de KAGAME a bien fait l’objet d’une tentative d’assassinat alors que leurs enfants avaient fréquenté la même école primaire et que le président rwandais est le parrain d’un des fils de son ancien ami!
Les avocats des parties civiles finissent par renoncer à poser des questions au témoin. C’était bien la meilleure position à prendre. Qu’aurait bien pu apporter aux jurés des réponses sans aucun rapport avec le procès de monsieur HATEGEKIMANA?
Je ne suis toujours pas convaincu qu’il fallait rédiger un compte-rendu de cette audition. Peut-être sera-ce utile un jour pour les chercheurs qui s’intéresseront aux procès d’assises qui se déroulent en France? Ou utile aussi pour tous ceux qui ne peuvent suivre ce procès qu’avec les comptes-rendus que nous rédigeons?
Audition de monsieur Erasme NTAZINDA, maire du district de NYANZA, partie civile, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin déclare qu’il s’est constitué partie civile parce qu’il a perdu des membres de sa famille sur les lieux concernant l’affaire: KARAMA et l’ISAR Songa[8]. Mais il avait fui au BURUNDI dès le 18 avril. Tout ce qu’il sait de l’accusé, il le tient d’un rapport qu’en tant que maire de NYANZA il avait commandité. Ce rapport a été rédigé sous la direction du professeur Déogratias BYANAFASHE, lui-même originaire de la région. (NDR. Monsieur BYANAFASHE a été mon collègue pendant deux ans, de 1970 à 1972 au petit séminaire de SAVE.)
Le témoin n’ayant pas été entendu au cours de l’instruction, et n’ayant pas de déclaration spontanée à faire, monsieur le président renonce à lui poser des questions et passe la main aux avocats qui l’ont fait citer.
Maîtres BERNARDINI, SIMON et SCIALOM vont poser leurs questions.
Maître BERNARDINI interroge le témoin sur la méthodologie utilisée pour la rédaction de ce rapport. Des témoins, restés anonymes pour assurer leur sécurité, ont donné leur témoignage: rescapés et prisonniers.
Il interroge ensuite monsieur NTAZINDA sur la mort du bourgmestre Jean-Marie Vianney GISAGARA. Mais l’accusé a bénéficié d’un non-lieu pour ce meurtre. En fait, l’avocat veut l’interroger sur l’assassinat du bourgmestre de NTYAZO, monsieur NYAGASAZA. Le témoin rapporte les conditions dans lesquelles le bourgmestre tutsi a été arrêté alors qu’il allait passer au BURUNDI et le rôle de l’accusé dans son exécution de retour à NYANZA.
Des barrières, il y en avait bien avant le génocide. Elles avaient été installées pour arrêter « les infiltrés« . S’il prend la fuite dès le 18 avril, c’est parce que la situation était tendue suite à la mort du député GATABAZI, fin février, et celle, en représailles, du président de la CDR[9], Martin BUCYANA.
Maître SIMON interroge le témoin à son tour. Occasion donnée au témoin d’évoquer ses années de jeunesse et la politique des quotas qui limitait l’accès des Tutsi à leur entrée en secondaire puis à l’université. À NYANZA, on dénombrera environ 150 000 victimes. On continue d’ailleurs de trouver le corps de victimes, en particulier lors de travaux. Ce qu’il attend de ce procès? Que justice soit rendue, que la vérité soit dite et que les génocidaires soient punis.
Maître Sarah SCIALOM interroge à son tour le témoin sur le rôle de la gendarmerie et permet au témoin de témoigner sur les conséquences du génocide. Et d’évoquer les pertes humaines et matérielles, mais surtout les problèmes de santé mentale, pour les rescapés et les bourreaux.
Sur question de l’avocat général, le témoin déclare qu’il y a eu des listes de Tutsi à éliminer, mais les gens se connaissaient. Cela suffisait pour les désigner aux tueurs.
Madame l’avocate générale demande s’il y a eu une volonté de dissimuler les corps. Bien sûr. On a même brûlé des cadavres, d’autres ont été jetés dans la rivière ou jetés dans des fosses communes. Tant qu’on n’a pas retrouvé les corps, on ne peut vivre en paix. On reste dans l’incertitude.
Maître DUKE, pour la défense, va clôturer la série des questions.
Lecture de l’audition de monsieur Jacques SEMELIN qui a déjà été entendu dans plusieurs procès d’assises.
On peut se reporter à son audition du 11 mai 2022 lors du procès BUCYIBARUTA.
Coline BERTRAND, stagiaire du CPCR
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, notes et mise en pages
- TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
- Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
- Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[↑]
- La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994 – Rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021.[↑]
- Voir l’audition du colonel Michel ROBARDEY dans le procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA, le 9 novembre 2016.[↑]
- Rwanda, ils parlent – Témoignages pour l’histoire, Laurent Larcher, Éd Seuil, 2019[↑]
- Laurent SERUBUGA : ex-chef d’état-major adjoint des FAR(Forces Armées Rwandaise), réfugié en France dans la région de Cambrai et visé par une plainte pour génocide déposée le 6/10/2000 par la CRF, la FIDH et Survie avant même la création du CPCR qui s’est depuis également porté partie civile.
Lire également notre article du 7/2/2019 : Attentat contre HABYARIMANA: une note de la DGSE qui accuse BAGOSORA et SERUBUGA[↑] - ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
- CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]