Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 6 décembre 2024. J23


 

Audition de madame Longine RWINKESHA, partie civile, en visioconférence du Rwanda.

À noter que le témoin partie civile est entendue en visioconférence de KIGALI, sans la présence de ses avoctas à ses côtés. Ils sont au Palais de justice de Paris.

« Ma famille a été décimée à l’ISAR SONGA[1]. Ce qui représente plus de 160 personnes. Depuis 1994, je suis handicapée car j’ai été tabassée par des Interahmwe[2]. À ce moment-là, des gendarmes venus de NYANZA ont tiré sur nous et il y a eu beaucoup de victimes. Avant l’arrivée des gendarmes, un hélicoptère a survolé l’endroit où nous nous trouvions.

À l’époque, j’avais 22 ans, j’habitais à KINAZI , chez mes parents, près de l’ISAR SONGA. J’avais six frères et sœurs. Je suis allée vers cet endroit où il y avait un établissement d’élevage de vaches, vaste et protégé. Le terrain était clôturé, on ne pouvait pas y accéder sans autorisation. Beaucoup de réfugiés, venus de partout, s’étaient rassemblés là. Je suis restée plus d une semaine et après les fusillades, je suis restée handicapée. Ce sont les gendarmes qui m’ont évacuée. Avant la grande attaque, des Interahamwe, armés de machettes et de gourdins se sont rués sur nous mais ils ont été repoussés.

Le 28 avril 1994, il y a eu des tirs d’armes lourdes qui faisaient sursauter des corps (sic) qui tombaient sur nous. On disait qu’il s’agissait d’une arme lourde, j’entendais les explosions et les corps tombaient sur moi. Il y a eu aussi des tirs par balles et grenades. Les tireurs étaient surtout des gendarmes, ils portaient un uniforme différent de celui des militaires: habits kaki et béret rouge. Les Interahamwe étaient arrivés avant les gendarmes. Ils sont revenus pour achever les survivants. »

Sur question de monsieur le président, le témoin continue le récit de son chemin de croix.

« J’avais été frappée par les Interahamwe, des coups de gourdins dans le dos et sur les jambes et ils m’avaient demandé de creuser ma tombe. Ce sont les gendarmes qui m’ont sortie de là. »

Monsieur le président s’étonne d’entendre le témoin révéler que ce sont les gendarmes qui l’ont sauvée. « L’un d’eux voulait me faire sa femme (sic). Il s’agissait du gendarme MAYOMBO.  J’ai eu un enfant. Nous avons cohabité à BIGEGA, près d’une barrière. »

Le président: « Et vous étiez d’accord pour être sa femme? »

Longine RWINKESHA: « Ils faisaient de moi ce qu’il voulait« .

Le président: « Il vous a violée? »

Longine RWINKESHA: « Oui, c’est violée, dit-elle en haussant la voix, c’est violée, c’est violée. »

Le président: « Il vous a pris comme une esclave? »

Le président: « Oui, il partait et, de retour, il se vantait d’avoir mené des attaques et il louait BIGUMA en disant qu’il était mieux que le commandant du camp de gendarmerie qui restait dans son bureau. BIGUMA venait parfois dans cette maison et il contrôlait la barrière de BIGEGA en donnant ses instructions. Nous avons fui ensemble à GIKONGORO, avec d’autres gendarmes,  et là, il m’a abandonnée. Ils partaient pour le Congo.

Cette fuite a eu lieu vers la fin mai, ou tout près du mois de juin. « J’étais enceinte quand il m’a abandonnée. L’enfant est née, une fille qui a survécu.

Lors de l’attaque, j’ai vu un véhicule avec des gendarmes: si mes souvenirs sont bons, c’était une Toyota double cabine, d’une couleur légèrement verte. Plusieurs militaires accompagnaient BIGUMA. En partant avec les militaires, ils m’ont remis un sac qui contenait des grenades. C’est par les autres gendarmes que j’ai appris que BIGUMA dirigeaient les attaques. Je serais tout à fait capable de le reconnaître, même si je ne l’ai pas vu pendant l’attaque. »

Le témoin cite alors les noms des victimes de sa famille proche, sur demande de monsieur le président:

Son papa, RUZINDANA, sa maman Floride MUKABALISA, ses frères Dieudonné RUTABINGWA Léopold RUDAHUNGA et Credo RUZIGANA, ses trois sœurs, Georgette MUKAYIZIGA, Marietta UMUHIRE et Grâce MUKANDUHUYE. Tous sont morts à l’ISAR SONGA. Elle est la seule survivante de sa famille. Elle appartenait au clan des ABANIGA, un clan très important  de 164 membres. Il y a eu seulement dix rescapés.

Maître PHILIPPART remercie le témoin dont elle est avocate. Elle n’éprouve pas le besoin de lui poser des questions.

Sur question de madame l’avocate générale qui la remercie, le témoin redit que BIGUMA avait dirigé la barrière de BIGEGA et qu’il a distribué des armes. Après l’attaque, il circulait partout.

Maître GUEDJ, pour la défense, va assaillir le témoin de questions plus ou moins pertinentes dans la mesure où il a l’habitude de poser des questions qu’on a déjà entendue.

Exemple de question à côté de la plaque: « Pourquoi le témoin Léonard parle du 28 avril concernant l’attaque de l’ISAR SONGA? » C’est exactement la date qu’avait donnée le témoin! Et si Longine RWINKESHA ne rapporte pas les mêmes événements, c’est tout simplement que le site de l’ISAR SONGA est extrêmement vaste et qu’elle ne se trouvait pas au même endroit. Le témoin dit ce qu’elle a vu.

Puis les éternelles questions sur la couleur des véhicules, des habits des gendarmes. D’autres témoins avaient dit ou diront que leur priorité était de fuir et non de compter les gendarmes ou de s’attarder sur leur tenue. Et puis ce sont des souvenirs qui datent de trente, concernant des événements extrêmement traumatiques.

Interrogé, BIGUMA reconnaît, et il l’a déjà dit, qu’il y avait bien un camion kaki à la gendarmerie, un camion, pas un véhicule léger, mais il était en panne ( NDR. Rires dans la salle. En panne, comme par hasard!)

On s’en tiendra là.

 

Réponse de la Cour concernant trois demandes de la défense.

La demande d’une nouvelle expertise balistique sur place au Rwanda est rejetée, ce transport n’étant pas jugé utile.

La demande d’obtenir les jugements gacaca[3]: la Cour se dit suffisamment éclairée sur ce sujet.

La demande concernant la recevabilité ou non des parties civiles: il est décidé de sursoir à statuer.

 

Audition de madame Chantal MUKAYIRANGA, partie civile.

Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.

Le témoin commence par dire que leur domicile a été attaqué par des Interahamwe[2] le 21 avril 1994: ils voulaient s’emparer de leur bétail. Les habitants des lieux se sont défendus. La maison familiale s’était remplie de personnes venues d’ailleurs: plus de 25 personnes s’étaient rassemblées. S’étant présentée à la paroisse du père canadien SIMART, ce dernier leur aurait savoir qu’il ne pouvait les accueillir. Chantal et sa famille décident donc de rejoindre l’ISAR SONGA[4].

Les réfugiés vont vivre là plusieurs jours difficiles: faim, soif, insécurité, pluie abondante. Ceux qui se hasardaient à aller chercher de quoi manger se faisaient tuer par les Interahamwe. Sa maman était devenue gravement malade et des jeunes hommes l’ont conduite dans un centre de santé.

Quelques jours après, un avion a tourné au-dessus des réfugiés. Le témoin précisera plus tard qu’il s’agissait d’un hélicoptère.

Le lendemain, les enfants de l’âge du témoin sont partis se laver dans la vallée. Ils ont entendu des tirs: les enfants s’étaient mis à pleurer.

Des gendarmes sont arrivés à la laiterie de l’ISAR SONGA. Les adultes leur lançaient des pierres mais les réfugiés commençaient à se sentir de plus en plus faibles.

« Nous nous sommes mis à courir, poursuit Chantal, avons traversé les collines en passant par MAYAGA pour tenter de rejoindre le BURUNDI ». Des Interahamwe[2] sont arrivés à bord d’un véhicule et ont tiré en l’air. Les réfugiés se sont scindés en deux groupes: un prenant la direction du bureau communal, l’autre sous la conduite de SINZI[5].

Les Interahamwe promettent aux enfants qu’ils ne leur feront pas de mal. Une femme qui avait perdu son enfant remet une robe à son jeune frère. Le lendemain, les hommes vont être déshabillés et ont leur attachera les bras derrière le dos. Ils seront alignés…

Quant aux femmes et aux jeunes filles, il n’était pas question de les tuer. Il fallait les sauvegarder pour les violer ensuite. Sur question du président, Chantal avouera qu’elle était présente lors des viols. Les enfants, eux, étaient pris pour servir dans les maisons des Hutu. Placée chez une vieille femme qui va la maltraiter, elle sera ensuite confiée à une autre qui s’est bien occupée d’elle et de sa nouvelle compagne. Son frère, confié à un enseignant, sera aussi maltraité et finira par la rejoindre.

Cette vieille femme hutu s’occupera d’eux jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi[6]. Sa mère sera prise par des Interahamwe et violée.

Questions

M. le président l’interroge sur la présence d’un hélicoptère : elle l’a vu une seule fois le jour avant l’attaque. Elle dit aussi qu’elle a entendu des gros tirs et qu’elle voyait les gens tomber au même endroit. Elle reconnaît les gendarmes à leur béret rouge et leur uniforme kaki. Elle se rappelle seulement qu’il y avait plusieurs véhicules mais ne se souvient plus de leur nombre ni de leur couleur.

En parlant de BIGUMA, elle connaît son nom. Elle dit qu’elle n’est pas sûre mais qu’elle pensait qu’il était militaire car les militaires de l’ISAR semblaient le connaître.

Me HERBEAUX prend la parole pour questionner la partie civile. L’église était une église catholique de RWENZI avec un prêtre canadien. Sa maison était située en contrebas de cette église. Son grand-père est décédé avant le génocide, et le reste de sa famille est décédé à l’ISAR SONGA. Elle est restée en contact avec la femme qui l’a protégée avec son frère et ils font les commémorations ensemble tous les ans.

Son mari, Léopold NSHIMUREMYE qui est aussi partie civile, a perdu toute sa famille à NYABUBARE.

Me GUEDJ interroge la victime. L’hélicoptère était un hélicoptère de couleur verte. Il insiste pour savoir si elle a vu de ses propres yeux des véhicules et les gendarmes. Elle répond que oui, elle était là. Elle affirme qu’elle n’a jamais témoigné dans une Gacaca[7]. Me GUEDJ souligne qu’elle disait avoir entendu son nom dans une Gacaca et qu’elle pensait qu’il s’agissait d’un militaire génocidaire. Elle précise qu’elle a effectivement assisté à une Gacaca mais n’a pas témoigné.

Me GUEDJ finit ses questions en accusant le récit de la victime d’être stéréotypé et insinue que les victimes se mettraient d’accord sur leur récit près de la machine à café qu’il qualifie d’ « antichambre de ce procès ».

Les avocats de la partie civile réagissent en précisant que c’est le droit strict des parties civiles de communiquer avec leurs avocats et entre elles contrairement aux témoins. Cela ne remet absolument pas en cause la validité de leur récit.

 

Lecture de l’audition de madame Florence MUKANKUBABA dont le nom figure dans l’OMA.

Cette audition concerne la colline de NYAMURE où elle dit avoir vu les gendarmes de NYANZA.

Lecture de l’audition de madame Immaculée KANKUYE dont le nom figure également dans l’OMA.

Cette audition se rapporte aussi à la colline de NYAMURE. Elle signale que plusieurs attaques d’Interahamwe ont été repoussées par les réfugiés avant que n’intervienne la grande attaque des gendarmes. Elle se trouvait près de l’école et de l’église.

 

Audition de monsieur Eugène HABAKUBAHO, partie civile.

Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.

Eugène habitait avec sa famille de six enfants dans la commune de NTYAZO, secteur de GISASA en 1994. Il avait alors 11 ans et était en 4ème année d’école primaire. Environ une semaine après la chute de l’avion du président HABYARIMANA, lorsque les massacres ont commencé dans la région, Eugène et sa famille ont fui plus loin dans la commune de NTYAZO. Ils ont appris que le bourgmestre NYAGASAZA venait d’être tué par des gendarmes. Le père d’Eugène est allé voir un de ses amis qui était prêtre. Il lui a conseillé d’aller se réfugier à l’ISAR SONGA[4]. Au moment de partir, la famille d’Eugène a été dispersée.

Eugène, son père et son petit frère sont restés à l’ISAR SONGA pendant à peu près trois jours au cours desquels plusieurs petites attaques ont eu lieu. Eugène dit avoir vu un hélicoptère passer au-dessus du site. Les Tutsi arrivaient à les repousser en lançant des pierres sur les assaillants. Eugène explique que le 28 avril, aux alentours de 15/16h, sont arrivés des gendarmes et Interahamwe[2] en provenance de NYANZA. Ils ont tiré sur les Tutsi présents sur la colline. Eugène a vu des explosions et a été touché par des éclats. Il voyait les gendarmes en uniformes kaki avec des bérets rouges, armés et mélangés aux Interahamwe, qui eux portaient des feuilles de bananier à la ceinture et autour du cou. C’est ce jour-là que le père et un frère du témoin ont été tués, ainsi que ses tantes maternelles. La mère d’Eugène est morte plus tard sur une colline non loin de là, celle de CYOTAMAKARA.

Eugène a alors fui avec d’autres Tutsi vers le BURUNDI. Il a échappé de justesse à des Interahamwe qui tuaient les Tutsi dans un marécage. Eugène est arrivé jusqu’à l’ancienne commune de MUYEGA. Il a alors été intercepté et a reçu un coup en bas du cou, dont il garde encore la cicatrice aujourd’hui, par un Hutu qui marchait derrière lui. Il a perdu connaissance et s’est réveillé le lendemain. Un homme l’a trouvé et l’a pris chez lui, il l’a soigné et lui a donné de l’eau. Eugène est resté chez cet homme jusqu’à l’arrivée des soldats du FPR[8].

À la fin du génocide, Eugène a pu retrouver  deux grands-frères qui avaient été séparés du reste de la famille et appris comment était morte sa mère. Il explique, au cours des questions du président, qu’à la fin du génocide, les personnes qui avaient survécu étaient pauvres, elles n’avaient pas de maisons. Eugène a dû attendre trois ans avant de pouvoir retourner à l’école primaire, quand le FARG[9] a pu financer ses études. Il est aujourd’hui commerçant à KIGALI, il est marié et a deux enfants.

Madame l’avocate demande au témoin s’il faisait partie du groupe conduit par monsieur SINZI. Il répond par l’affirmative. Elle révèle au témoin les propos de la défense ( NDR. Propos iniques) qui déclare que les témoignages des parties civiles sont « stéréotypés« . Monsieur HABAKUBAHO ne partage évidemment pas ce point de vue. Il déclare que chacun s’exprime avec ses mots et avec le souci de bien témoigner.

 

Audition de monsieur Innocent MUNYANKINDI, partie civile.

Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance. Nous avons pris aussi le parti de reproduire sa déposition spontanée telle qu’elle a été dite, sans chercher a en faire une synthèse.

« Mes parents étaient enseignants à NYANZA, une des rares professions que les Tutsi pouvaient exercer. Quelque chose m’a surpris à la fin du génocide. Certains membres de ma famille qui s’étaient réfugiés à l’étranger m’ont dit que c’était étonnant de voir que mon père avait eu la même mort que celle de son propre père. Mon grand-père était mort en 1959, lui aussi tué par les Hutu. Mon père m’avait caché ça.

Mes parents étaient salariés, leur situation leur avait permis d’acheter une maison et deux voitures. Hier, on a parlé d’un véhicule qui transportait les cadavres, le camion en question nous appartenait. Nous menions une vie convenable. Comme nos parents nous cachaient certaines choses, on n’était pas convenablement informés des menaces qui pesaient sur nous.

Les problèmes ont éclaté avec l’attaque du FPR le 1er octobre 1990. C’était deux mois après que mon père soit retourné en France. Il était venu suivre une formation. Et on le soupçonnait d’être allé rencontrer des Inkotanyi[10] en Europe. De plus, il souffrait du diabète. Il a été arrêté et mis en détention pendant trois mois comme « Ibyitso », complice[11]. Puis il a été libéré. Mais cela n’a pas empêché qu’on continue à le poursuivre et à suivre de près ses faits et gestes.

Nous étions une fratrie de sept membres. J’étais le fils aîné. J’avais cinq sœurs et un petit frère, le benjamin. Mon père l’avait engendré à sa sortie de prison. Il y avait à NYANZA une gendarmerie, il n’y avait pas un autre organisme, tout ce qui se passait à NYANZA était de la responsabilité de la gendarmerie. C’était eux qui venaient perquisitionner notre domicile parce qu’il y avait des fouilles à cette époque-là. La gendarmerie c’était le seul organe de sécurité à NYANZA.

Le 7 avril, ma mère est venue me voir dans ma chambre et m’a demandé si j’avais su que HABYARIMANA était mort. J’ai vu que la situation avait changé et que les parents avaient peur. À NYANZA, il y a eu des instructions comme quoi tout le monde devait rester à la maison. On ne pouvait sortir que deux jours par semaine. C’est ces jours-là que les magasins étaient ouverts et que nous pouvions aller faire les courses. Cela a perduré du 7 au 21 mai, mais personnellement je ne pouvais pas pu continuer à rester tout le temps à la maison.

À l’époque, un ami passait parfois la nuit chez nous. Durant deux semaines, la peur était immense. Les parents nous dispersaient dans les familles de Hutu. Je n’ai pas pu continuer à changer de domicile chaque nuit et j’ai demandé à cet ami de me conduire chez lui. J’ai dit à mon père et ma mère que j’allais partir avec BARUSHYA : c’était son surnom, son vrai nom c’était Jean-Pierre SEBASHI. Quand j’ai dit à mes parents que je partais avec cette personne, mon père a été soulagé. On voyait qu’il était dépassé. Il ne voyait pas de solution au problème.

Ma mère m’a demandé où m’emmenait cet individu. C’était un « gamin des rues » et maman me demandait pourquoi je lui faisais confiance. Elle se demandait même s’il avait une famille. Mon père nous a dit de partir mais avant, il devait nous donner de l’argent. Nous sommes ainsi partis à une douzaine kilomètres de NYANZA, vers une petite colline qui se trouve en face de SONGA. Nous sommes partis à pied jusqu’au domicile de ce garçon. Son père était décédé. Ils nous ont bien accueillis mais c’était des conditions inférieures à ce que je connaissais à la maison. Je dormais à même le sol.

Nous sommes restés quelques jours puis nous voulions retourner à NYANZA chercher de l’argent. C’est à ce moment-là que le fameux discours a été prononcé[12]. Et la population a commencé à fuir. De là ou j’étais, je pouvais voir sur les collines d’en face que les maisons étaient incendiées. Cette situation devenait de plus en plus critique. Les gens se faisaient tuer. La situation a changé. Je n’ai pas su où aller. On a réfléchi. Je me suis faufilé dans une cachette. J’ai quitté leur maison pour aller vivre dans un trou. J’ai entendu des bruits de massacres toutes la journée. Je suis resté caché là où j’étais.

Le soir, les bruits de balles se sont arrêtés. Le jeune homme est venu me voir, il m’a dit que la situation était critique et que les Tutsi étaient tués. Que les bruits de balles venaient de SONGA. Les balles ont cessé mais le lendemain elles ont repris. Il m’a expliqué qu’on achevait ceux qui étaient encore en vie. L’extermination des Tutsi a pris deux semaines encore.

SONGA. Lieu de rassemblement des réfugiés qui tentaient de fuir au Burundi. Seuls une centaine y parviendront. Photo AG

 

Je suis retourné dans la maison, mais je suis tombé malade, je pense que j’avais attrapé la malaria. Quand le jeune homme voyait que mon état de santé empirait, il a voulu aller chercher des médicaments à NYANZA. Il est parti chez un ami de mon père pour chercher ces médicaments. Entre temps, il a demandé des informations sur mes parents. Il m’a dit que ma mère était cachée. On m’avait menti, on avait dit que rien n’avait pu arriver aux femmes et aux enfants. Plus tard j’allais apprendre que ma famille était allée à MWENDO où résidait une tante paternelle.

J’ai essayé de savoir quelle était la situation là-bas et on m’a dit que cette famille-là avait été exterminée. On a dit que même les enfants qui s’étaient dispersés avaient été tués vers SONGA. La personne m’a ramené des médicaments. Elle m’a dit qu’il ne restait plus personne. Je gardais un peu d’espoir puisqu’une de mes sœurs était scolarisée à l’école d’infirmière. Je suis resté au même endroit, grâce aux médicaments je me suis remis de la maladie. J’ai attendu pour revenir à NYANZA vers la fin du mois de juin.

La famille de mon « ami » m’a aidé et m’a fait passer pour le chef de ce ménage. On avait un mot de passe. Quand quelqu’un venait, on parlait du chef de famille. J’ai regagné NYANZA fin juin, j’ai trouvé notre domicile incendié. Les informations que les gens nous ont fournis indiquaient que les gendarmes avaient lancé un obus chez nous.

Plus tard, j’ai vu des militaires du FPR[8], dans un garage, je leur ai dit que j’étais en 4ème année d’étude de mécanique. A 19 ans, du jour au lendemain, je suis devenu responsable de ma famille. Par chance, toutes les maisons n’avaient pas été détruites. J’ai appris que ma sœur était encore vivante et était dans la Zone Turquoise[13] : les Français avaient retrouvé les élèves infirmiers et étaient partis avec ma sœur.

À la fin du génocide, dans une famille de neuf membres, nous n’étions plus que deux. Mes parents avaient été tués dans la ville de NYANZA, je voulais les inhumer dignement.  Je me disais que c’était déshonorant de s’imaginer que mes parents gisaient dans les latrines. C’est en novembre 1995 que j’ai procédé à leur inhumation. J’ai abandonné les études. Le rêve de devenir ingénieur, j’ai dû l’abandonner car je devais chercher de l’argent en vue d’assurer notre survie. Je suis allé chercher, en guise de ressource, la pension à laquelle mes parents avaient droit. Il y avait des documents à remplir, mais je devais avoir 21 ans ou venir accompagné d’un membre de la famille. Je me suis adressé au procureur, il m’a dit de solliciter une émancipation. Je devais déposer une requête au tribunal. C’est à partir de là que j’ai réfléchi et que j’ai vu que ma situation devenait une affaire judiciaire.

Je me suis résolu à étudier le droit. C’est ainsi que j’ai introduit cette demande d’émancipation judiciaire, je l’ai obtenue. J’ai pu récupérer la pension de mes parents. Mon père n’avait pas encore procédé à l’enregistrement sous son nom. Des gens ont tenté de m’escroquer des immeubles. J’ai vu que pour faire face à cette vie on devait connaître le droit. Ma sœur a pu terminer sa scolarité.

À chaque période des commémoration, je ne vois pas où il faut rechercher ces enfants, s’il faut que j’aille du côté de SONGA. Je me demande si ces enfants sont encore en vie. Mais ce n’est pas possible. Une question importante que je me pose, c’est celle concernant le rôle des gendarmes. À NYANZA, il n’y avait pas d’autre organe qui devait assurer la sécurité de la population. Je me pose une question : est-ce que la personne qui allègue que ce ne sont pas les gendarmes qui les ont tués, est-ce qu’il dit que c’est quelqu’un d’autre qui a fait ça ? On dirait qu’on raconte une fiction, quelque chose qui n’aurait pas existé. La nuit, les tueurs allaient se reposer, ils laissaient des barrières pour continuer à tuer les gens. Les informations qui me sont parvenues, je n’ai jamais entendu que quelqu’un a été tué la nuit, c’est arrivé en pleine journée, à la vue de tout le monde. Nous autres, victimes, nous n’arrivons pas à comprendre la situation à laquelle nous devons faire face après toutes ces années. Nous sommes reconnaissants à la justice française et à ce processus qui nous a offert cette opportunité de nous constituer partie civile. Nous pensons que chacun doit porter sa pierre à l’édifice pour que cela ne se reproduise plus jamais ».

Localisation des barrières à Nyanza. Cliquez sur la carte pour agrandir (un bouton apparaîtra alors en haut à gauche pour l’afficher en plein écran sur les navigateurs compatibles).

Questions

Sur question du président, il répond que son père était enseignant mais n’avait pas de fonction politique.

Des photos de la famille sont montrées. La victime précise qu’il a pu reconnaître les corps des membres de sa famille grâce aux vêtements.

Me EPOMA demande à la victime:  « Y a t il des Hutu qui ont fait le choix de ne pas tuer? ». Il répond par l’affirmative et ajoute qu’il ne pourrait pas y avoir des rescapés autrement. Il ne sait pas si la gendarmerie de NYANZA a joué un rôle dans le massacre des Tutsi.

Sur question de son avocat, le témoin ne prétend pas qu’il y ait un lien entre le fait que son père ait fait un séjour en France en 1989 et son arrestation comme « complice » en 1990:  » C’est peut-être un prétexte, mais s’il a été arrêté, c’est parce qu’il était Tutsi. »

Madame l’avocate générale remercie la partie civile pour son témoignage.

Me LHOTE demande à la partie civile si il comprend bien que la défense ne nie absolument pas le génocide et certines de ses composantes et cherche seulement à établir la vérité sur la responsabilité de BIGUMA. La victime affirme que les accusations de concertation des témoignage lui font de la peine car il parle de ce qu’il a vécu. Me LHOTE réaffirme très clairement que la défense ne nie pas les actes de génocide et qu’il s’agit seulement de remettre en cause  la crédibilité de certains témoins.

Monsieur MUNYANKINDI souhaite demander à l’accusé comment le camion de son père a pu se retrouver à la gendarmerie après le génocide.

Réponse de BIGUMA:  » Il y avait un commandant à la gendarmerie. Ce n’est pas à moi de répondre. »

Après avoir donné le nom des victimes de sa famille proche, le témoin termine son audition: « Ce qui est difficile, c’est qu’il nous revient de chercher à savoir comment les nôtres ont été tués. Ceux qui ont tué, et qui savent, ne disent rien.« Et puis, en réaction aux questions de la défense, il manifeste son étonnement: « Comment demander à un enfant de dix ans, qui court pour échapper à la mort, de dire quelle est la couleur de la voiture? »

 

Audition de madame GAUTHIER MUKARUMONGI, membre fondateur du CPCR.

Portrait © Francine Mayran
Portrait © Francine Mayran, collection « PORTRAITS MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA »

Je m’appelle Mukarumongi Dafroza-GAUTHIER

Je suis co-fondatrice du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) créé en novembre 2001.

Je suis aussi co-fondatrice de l’association IBUKA-France, crée en 2002

J’aime dire aussi que nous (le couple Gauthier), sommes de petites mains de la justice. Nous ne sommes animés par aucune haine, aucune vengeance envers les accusés avec qui je partage la même histoire, l’histoire du Rwanda, cette histoire qui s’écrit dans cette cour d’assises et qu’il faut écrire à l’endroit. Nous ne sommes animés que par une quête de justice, une quête de vérité.

Je suis née au Rwanda le 04/08/1954 à Astrida, devenue Butare, après l’indépendance. Je suis retraitée, ingénieur chimiste de formation. Je suis née dans une famille d’éleveurs Tutsi à l’ouest de Butare à une dizaine de kilomètres du Burundi voisin dans une région qui s’appelle NYARUGURU. Mes parents sont arrivés dans la région peu de temps avant ma naissance, sur cette colline de Rwamiko qui se trouvait dans l’ex-préfecture de GIKONGORO. Une partie du berceau familial de mon grand père habitait cette région. C’était de grandes familles d’éleveurs qui habitaient ces collines, non loin des uns des autres, beaucoup de tantes et oncles, beaucoup de cousins et cousines, ils aimaient se retrouver pour des événements familiaux.

Quant à ma mère, elle était native de Butare. Sa famille habitait dans un rayon de 2 à 3 km autour de Butare, sur les collines de Mbazi et Sovu. La dernière demeure de ma mère se situait sur la localité de Cyarwa, à quelques 500 mètres de l’université de Butare.

Ce bonheur de l’enfance fut éphémère car, très vite et très tôt la violence s’est invitée dans ma vie de petite fille et dans nos familles dès cette année 1959.
Et, aussi loin que remontent mes souvenirs de petite fille, deux événements restent gravés dans ma mémoire :

Je me souviens de cet instant où mon père vient annoncer à la maison la mort du roi Mutara III Rudahigwa, je devais avoir autour de cinq ans. Je vois les grandes personnes bouleversées et ma mère qui s’essuie les yeux… mais ce n’est que plus tard que je comprendrai la portée de cet événement…

Un deuxième événement, plus proche de nos familles, et qui doit se situer dans le courant de l’année 1960, fut l’assassinat de mon instituteur de l’école primaire, à coups de hache, décapité, (on apprendra cela plus tard) : il s’appelait Ludoviko, en français Louis. Il était très aimé sur notre colline. Un voisin est venu souffler quelque chose à l’oreille de ma mère. Je la vois paniquée, catastrophée, déstabilisée, et cachant ses larmes…

Depuis cet assassinat, un premier regroupement familial avec les familles tutsi les plus proches dont celle de mon cousin RUHINGUBUGI qui habitait au-dessus, va avoir lieu. La peur était perceptible, le monde semblait s’être arrêté ! En début de soirée, deux employés de chez ma tante paternelle sont arrivés. Je vois encore ma mère ramasser quelques petites affaires et les mettre dans de grosses malles. Je comprends avec mes yeux d’enfant que la situation n’est pas normale. Pendant la nuit, nous sommes partis à pied chez mon oncle NGENZI à environ trois Kilomètres, avec tous les occupants de la maison. Un deuxième regroupement familial venait de commencer.

Dès le lendemain, ou le surlendemain, notre maison et celles des familles voisines tutsi furent pillées et brûlées. Nous avons tout perdu! Je ne suis jamais retournée à Rwamiko jusqu’à ce jour… !

Une grande période d’errance commençait pour nous et pour les Tutsi de notre région.

Et c’est en ces années-là, de 1959 à 1962, que nos familles tutsi de la région vont fuir en masse et se réfugier au Burundi, voisin, nous habitions à peine à vingt kilomètres de la frontière.

L’année 1963 fut une année meurtrière et sanguinaire dans notre région de Gikongoro. Au moins 10 000 morts. Bertrand RUSSEL, philosophe, parle du « petit génocide de Gikongoro », dans le journal Le Monde daté du 6 février 1964 :

« Le massacre d’hommes le plus horrible et le plus systématique auquel il a été donné d’assister depuis l’extermination des Juifs par les nazis ».

À 9 ans, je dois la vie sauve à l’église de Kibeho où nous avons trouvé refuge avec ma mère, ma famille proche et d’autres Tutsi de notre région. Les miliciens ne massacraient pas dans les églises à l’époque, ce qui ne fut pas le cas en 1994 où ce tabou a volé en éclat et où les églises sont devenues des lieux de massacres de masse, et des lieux d’exécution.

À la suite de ce massacre de la région de Gikongoro, beaucoup de rescapés de nos familles ont été déplacés dans la région du Bugesera, au sud-est de Kigali. C’était à l’époque une région peuplée de bêtes sauvages, une région inhospitalière, sans eau potable, une région où sévissait la mouche tsé-tsé. Des familles entières ont été décimées sans possibilité de soins. Il a été question du Bugesera devant cette Cour d’assise à propos du massacre de 1992.

Les Tutsi, contraints à l’exil en 1963, ayant survécu à la mouche tsé-tsé, ayant survécu aux massacres de 1992, vont périr en masse en 1994. Il n’y a presque pas eu de survivants dans la région du Bugesera. Le génocide les a emportés en masse. Les survivants se comptent sur les doigts d’une main.

Nous avons même été réfugiés à l’intérieur de notre propre pays.

Je suis allée en pension très jeune, de la 3ème à la 6ème primaire, chez les religieuses de la congrégation BENEBIKIRA de KIBEHO, avec d’autres enfants tutsi dont ma cousine Emma. Nos parents nous avaient mis à l’abri, pensaient-ils. Nous avons appris à nous passer d’eux très tôt, trop jeunes… à nous passer de la douceur familiale.

Nous étions des citoyens de seconde zone, nous Tutsi, avec nos cartes d’identité sur lesquelles figurait la mention « Tutsi ».

Nous étions des étrangers chez nous.

Plus tard, après mes années de collège à Save, à 10 kilomètres de Butare, quand j’entre au Lycée Notre-Dame des CITEAUX à Kigali à environ 130 kilomètres, je devais me munir d’un « laisser passer » délivré par la préfecture. Je n’étais pas la seule. Au fameux pont de la Nyabarongo, au pied du Mont Kigali, nous devions descendre du bus pour y être contrôlés et présenter nos laisser-passer, nous les Tutsi, au vu de notre faciès…. Cette opération pouvait prendre des heures. Nous étions insultés, voire brutalisés, parfois, humiliés, et tout cela reste gravé dans nos mémoires…

Nous avons grandi dans cette ambiance de peur et d’exclusion, avec la révolte au fond de nous … ! Enfant, notre mère nous a appris à nous taire, à nous faire petit, pas de vague : à l’école, au collège, au lycée, dans la rue, à l’église, partout, il ne fallait pas se faire remarquer, il fallait se taire, baisser les yeux, essayer de passer inaperçu!…

J’ai eu la chance d’aller à l’école et de poursuivre une scolarité normale. Beaucoup de Tutsi, surtout des garçons, ne pouvaient pas accéder à l’école secondaire de l’Etat et à l’université. C’était la période des quotas. Le témoignage de SINZI devant cette cour d’assises est un exemple parmi beaucoup d’autres, il a dû s’exiler au BURUNDI pour pouvoir faire ses études secondaires.

Et c’est en ce début 1973 que j’ai quitté mon pays pour me réfugier au Burundi après la période des pogroms de cette époque. Cet épisode a été évoqué devant cette Cour d’assises. Chassés des écoles, des lycées, des universités, de la fonction publique d’État, et autres emplois du secteur privé, les Tutsi vont de nouveau se réfugier dans les pays limitrophes et grossir les effectifs de réfugiés Tutsi des années précédentes, ceux de nos vieilles familles d’exilés depuis 1959.

J’entends encore notre mère nous dire, en ce début février 1973, avec ma sœur, qu’il fallait partir et le plus vite possible. Elle avait peur de nous voir tuées ou violées sous ses yeux, nous dira-t-elle plus tard… Ce fut une séparation très douloureuse, j’ai hésité… Je me souviens de ces moments si tristes, si déchirants… à la nuit tombée, où il fallait partir si vite, sans se retourner, les yeux pleins de larmes!

Après notre départ, notre mère fut convoquée par le bourgmestre de notre commune, un certain J.B. KAGABO, et mise au cachot communal. On lui reprochait son manque de civisme, à cause de notre fuite. Elle en sortira le bras droit en écharpe, cassé, nous dira-t-elle plus tard. Je me sentais coupable d’avoir fui, et de l’avoir abandonnée !

Je vous épargne le récit de ce périple en pleine nuit à travers les marais de la KANYARU, le fleuve qui sépare le Rwanda et du Burundi. Vous en avez entendu parler dans ce procès. Nous avons quitté BUTARE à deux véhicules, entassés, 6 par 6 par véhicule. Nous avons longé la piste en terre sous les collines du MAYAGA, le long de l’AKANYARU qui mène jusqu’au lieu de passage. Une traversée interminable en deux jours, où le groupe de nos amis de Butare, nous ayant précédés, n’aura pas la chance d’arriver, ils ont été sauvagement assassinés par les passeurs, ces piroguiers qui voulaient prendre leur maigre butin… Nous avons eu de la chance, les hommes de notre groupe étaient plus forts et plus nombreux et nous avons pu regagner le nord du BURUNDI, près de KIRUNDO, au bord de l’épuisement, mais sans trop de dégâts. Cette traversée revient souvent dans mes rêves ou mes cauchemars, nous avons vu la mort de très près. Nos corps en portent encore les stigmates.

Au BURUNDI, un camp du HCR nous attendait près de KIRUNDO avec ses bâches bleues comme seul abri de fortune. Nous n’avons pas été accueillis les bras ouverts par nos frères burundais, je m’en souviens. Vivre un exil forcé est une expérience unique dont on ne sort jamais indemne. Elle conditionne le reste de votre vie !

Après quelques jours au camp de KIRUNDO, environ six semaines, un premier tri est effectué parmi les réfugiés pour rejoindre la capitale Bujumbura. Je fais partie du premier voyage avec ma sœur. Je ne resterai à Bujumbura que sept mois, pour ensuite rejoindre mon frère aîné, François, réfugié en Belgique depuis le début des années 60. J’ai pu poursuivre mes études.
Mon statut, depuis le Burundi, est celui de réfugiée politique, « Titre de voyage » délivré par le HCR et les restrictions que ce document imposait à l’époque. J’obtiendrai en 1977 la nationalité française après notre mariage.

De 1977 à 1989 ce sont des années sans histoires, une vie de famille ordinaire avec nos trois enfants. Nous avons pu retourner au Rwanda régulièrement voir ma mère et les familles qui s’y trouvaient encore avec mon passeport français.

Notre dernier voyage en famille, à Butare, date de l’été 1989, notre plus jeune, Sarah, avait un an. Au cours de cet été 89, nous avons profité de ces vacances à Butare pour visiter nos familles réfugiées au Burundi. Je me souviens encore de cet incident où lorsqu’on arrive à la KANYARU, au poste frontière avec le BURUNDI, la police va nous arrêter. Elle va laisser passer tous les véhicules, sauf le nôtre. Ils nous ont fait attendre une journée presque entière, avec nos jeunes enfants ! Nous avions des papiers en règle, des passeports en règle, tout était en ordre, mais ils vont trouver le moyen de nous humilier, une fois de plus, sans autre explication, j’étais révoltée ! Cela me rappelait mes années lycée au pont de la NYABARONGO, mais je n’étais plus seule, nos enfants subissaient sans rien comprendre!

La guerre éclata entre le FPR et le gouvernement de HABYARIMANA le 1er octobre 1990 et nous ne pouvions plus aller au Rwanda visiter ma mère.

Le FPR attaque par le nord du pays. Les nouvelles du pays nous arrivaient des différentes sources, notamment par les rapports des ONG. Certains ont été évoqués par les témoins de contexte dès les premières semaines de ce procès. Mon frère suivait de très près l’évolution politique du pays via le front. Il avait aussi beaucoup d’amis militants des droits de l’homme sur place, entre autres Fidèle KANYABUGOYI et Ignace RUHATANA, ses amis, membres fondateurs de l’association KANYARWANDA. Ils seront tous les deux sauvagement assassinés en 1994 avec la quasi-totalité des membres de l’association KANYARWANDA.

En cette fin février 1994, je pars seule au Rwanda pour voir ma mère qui se reposait en famille à Kigali chez Geneviève et Canisius, mes cousins. Ils habitaient Nyamirambo, près de la paroisse St-André. Ils avaient une pharmacie. Canisius et Geneviève, sa femme, avaient fui comme moi en 1973. Nous étions au Burundi ensemble. Ils avaient ensuite quitté le Burundi pour regagner le Zaïre à la recherche de meilleures conditions de vie. Ils reviendront ensuite au Rwanda dans les années 80 lorsque le Président Habyarimana a incité les réfugiés tutsi à revenir pour reconstruire le pays. Certains de nos amis et membres de notre famille sont rentrés d’exil à ce moment-là, et ils n’échapperont pas au génocide de 1994. Ils ont été emportés en masse.

Je me rends donc au pays, en cette fin février 94, ce fut : « un voyage au bout de la nuit » ! J’arrive à Kigali le jour du meeting du parti MDR[14] qui avait lieu au stade de Nyamirambo, sur les hauteurs de notre quartier, sous le Mont Kigali. À la sortie du stade, c’était des bagarres entre milices de la CDR[15], du MRND[16], du MDR[14], et du PSD[17], mais on s’en prenait surtout aux Tutsi, les boucs-émissaires de toujours ! C’est une période où la RTLM[18], la Radiotélévision des Mille Collines, était à l’œuvre. Elle diffusait nuit et jour ses messages de haine, d’horreur et d’appel aux meurtres en citant des listes de Tutsi à tuer ainsi que leur quartier de résidence.

À Kigali, durant cette période, des Tutsi étaient attaqués à leur domicile, et étaient tués, sans aucun autre motif si ce n’est être des complices du FPR!

Dans la nuit du 21 février 1994, le ministre des Travaux publics, GATABAZI Félicien, le président du parti PSD, est assassiné. Il était originaire de Butare. On a évoqué cet assassinat devant cette Cour d’assises. En représailles, les partisans de GATABAZI ont assassiné BUCYAHANA, le leader de la CDR, le parti extrémiste, près de Butare, à MBAZI exactement, alors qu’il partait à Cyangugu d’où il était originaire. Très rapidement, certains quartiers de Kigali étaient quadrillés et attaqués. Je pense au quartier de GIKONDO où habitait BUCYAHANA mais aussi ma tante Pascasie et ses enfants et petits-enfants. Ils ont subi des représailles, ainsi que les autres Tutsi du même quartier. Les Interahamwe[2] de GIKONDO étaient connus pour être des plus extrémistes, réputés aussi pour leur cruauté. En ces mois de février et mars, et dans la ville de Kigali, des Tutsi ont fui dans les églises, et dans d’autres lieux qu’ils croyaient sûrs, comme au Centre Christus, le couvent des Jésuites. Beaucoup de nos familles tutsi et amis y ont trouvé refuge : ils y passeront quelques jours. Cette semaine fut particulièrement meurtrière à Kigali alors qu’ailleurs, dans le pays, il y avait un calme relatif. A Nyanza, les témoins-rescapé-e-s nous ont parlé des menaces et des intimidations qu’ils ont subies à la suite de l’assassinat de BUCYANA, le leader de la CDR. Les Tutsi ont dû quitter leur domicile pour trouver des cachettes en attendant le calme.

J’évoque toujours cette période avec beaucoup de tristesse. J’aurais aimé faire exfiltrer ma famille, certains d’entre eux, ceux que je pensais être les plus exposés, comme Canisius, pour qu’ils puissent quitter Kigali ! Mais il était déjà trop tard… ! Moi, comme d’autres, nous avons échoué… Kigali était bouclée par toutes les sorties, on ne passait plus quand on était Tutsi! La tension était à son maximum!

Nous ne sortions pas de la maison, cette semaine-là, sauf une fois, au petit marché de Nyamirambo, tout prêt, avec ma cousine, pour un petit ravitaillement. Mon cousin dormait à l’extérieur quelque part et rentrait au petit matin…. C’est une semaine où on entendait des cris, des hurlements, des attaques à la grenade dans le quartier qui rythmaient ces journées sans fin!

Tous les jours on subissait des provocations de miliciens, avec des projectiles sur le toit de la maison. De gros pneus brûlaient à longueur de journée devant la pharmacie, dans le caniveau, sur le boulevard. Je me souviens de la quinte de toux que cela provoquait chez ma mère qui était asthmatique, et nos yeux étaient irrités par cette fumée épaisse d’hydrocarbures et de plastiques.
Je me souviendrai toujours des conseils trop naïfs de ma cousine Geneviève qui me disait de ne porter que des pantalons, on ne sait jamais, car elle et les autres femmes portaient des caleçons longs sous leur pagne! Comme si cela pouvait éloigner les violeurs!…

L’insécurité était totale dans le quartier de St-André et ailleurs dans Kigali. Nyamirambo était réputé pour être habité par beaucoup de Tutsi. Ma mère était très inquiète, et elle me dira qu’il faut partir le plus vite possible, comme en 1973. « Cette fois-ci, tu as ton mari et des enfants, il ne faut pas que la mort te trouve ici et que l’on périsse tous en même temps » ! Elle ne se faisait plus d’illusion! Par l’aide d’un ami, j’ai pu avancer ma date de retour!…

Moi, j’ai sauvé ma peau, mais pas eux!

Avant de quitter le pays, j’ai appelé ma famille de Butare et leur ai conseillé de fuir le plus vite possible. Dans leur naïveté, ils m’ont répondu que ce sont des histoires politiciennes de Kigali et que ça ne pouvait pas se produire à BUTARE où le calme régnait. Ils étaient confiants grâce à la bonne gouvernance du préfet J.B. HABYARIMANA. La préfecture de Butare n’avait pas connu de massacres depuis 1959.

Le retour en France en ce mois de mars 1994 fut très dur, avec ce sentiment de culpabilité qui ne me quittait jamais. Je me sentais coupable et lâche de les avoir laissés, de les avoir abandonnés dans ces moments critiques!… Nous prendrons des nouvelles régulièrement par l’intermédiaire d’un ami. Au vu de l’insécurité grandissante, ma famille a fini par se réfugier à la paroisse St-André pendant la semaine qui a suivi mon retour.

Alain, se met à alerter de nouveau : il écrit à François Mitterrand, mais c’est un cri dans le désert! Il ne sera pas entendu à l’image de l’appel de Jean Carbonare sur France 2, après son retour de mission avec les ONG des droits de l’homme ayant enquêté sur le massacre des BAGOGWE, cette communauté des éleveurs Tutsi du nord-ouest du Rwanda.

Le 6 avril 1994, je ne me souviens plus exactement de cette soirée en famille. Je me souviens surtout de la matinée du 7 avril, très tôt, le matin, où Alain qui écoutait RFI m’a annoncé la chute de l’avion et la mort du président Habyarimana. Dans la foulée, je téléphone à mon frère à Bruxelles pour avoir des nouvelles fraîches. Mais avant même de quitter la maison pour aller au travail, je reçois un coup de fil d’une compatriote journaliste, Madeleine MUKAMABANO, qui m’annonce l’attaque du couvent des Jésuites à Remera, à Kigali, et de la famille Cyprien RUGAMBA, un historien, ami de la famille. Mon frère m’apprend également le sort incertain des personnalités de l’opposition dont celui de Madame UWILINGIYIMANA Agathe, Premier ministre. Je connaissais Agathe jeune, nous étions sur les mêmes bancs au lycée notre Dame et elle était de la région de BUTARE comme moi, on prenait le même bus ensemble pour aller au Lycée.

Avec le voyage que je venais de faire, j’ai compris que la machine d’extermination était cette-fois ci en marche !

Le 7 avril 1994, une journée maudite qui a duré 100 jours. Il y aura un avant et un après le 7 avril. Nous avons commencé ce jour- là une année zéro, une nouvelle ère.

Au matin du 7 avril, peu avant 6 heures, nous apprendrons que des militaires ont investi la maison à Nyamirambo. La pharmacie est pillée et tous les occupants sont priés de sortir, les mains en l’air, dans la cour intérieure entre la maison d’habitation et la pharmacie. Ils devaient être autour d’une douzaine avec les amis et visiteurs qui n’avaient pas pu repartir chez eux au vu de la situation. Ils vont réussir en ce matin du 7 avril à rejoindre l’église Charles LWANGA, de l’autre côté du boulevard, moyennant une somme d’argent! D’autres Tutsi du quartier les rejoindront. Ils passeront cette première journée du 7 ainsi que la nuit dans l’église.

Le 8 avril, dans la matinée, peu avant 10 heures, des miliciens accompagnés de militaires attaquent l’église. Ils demandent aux réfugiés de sortir. Des coups de feu sont tirés, des grenades explosent, des corps tombent et jonchent le sol de l’église, tandis que d’autres réfugiés tentent de s’enfuir vers l’extérieur en empruntant les escaliers pour rejoindre les habitations!

Ma mère, Suzana MUKAMUSONI, âgée de 70 ans, est assassinée de deux balles dans le dos au pied de ces escaliers, dans la cour de l’église. Notre voisine, Tatiana, tombera à ses côtés aussi avec son petit-fils de deux ans qu’elle portait dans le dos. Les trois sont mortellement touchés, ils ne sont pas les seuls, d’autres victimes sont allongées dans la cour, tuées ou grièvement blessées, comme Gilberte, plus connue dans la famille sous le petit nom de Mama Gentille, la femme d’un de mes cousins, l’une des occupants de la maison au matin du 7 avril : elle sera évacuée par la Croix-Rouge vers l’hôpital de Kabgayi.

Nous apprendrons plus tard que grâce à une pluie abondante qui s’est mise à tomber, les miliciens et les militaires se sont éloignés pour se mettre à l’abri. Pendant ce temps-là, les survivants de l’église parviendront à atteindre le presbytère et à s’y réfugier. Ce jour-là, mes deux cousins en font partie.

C’est en fin de journée du 8 avril que j’apprendrai la mort de ma mère. Alain a réussi à joindre au téléphone un des prêtres de la paroisse, le père Otto MAYER, qui lui demande de rappeler en fin de journée. C’est le curé de la paroisse, le Père Henry BLANCHARD, qui lui apprendra le décès de maman. Mon corps m’abandonne en apprenant la nouvelle : je ne me souviens plus de la suite de cette soirée du 8 avril.

Des quatorze occupants de la maison de Nyamirambo, seule Gilberte, alias mama Gentille, survivra à l’attaque du 8 avril avec des blessures par balle. Mon cousin Canisius KAGAMBAGE sera fusillé chez les frères Joséphites le 6 juin 1994 chez qui il était parvenu à se cacher avec plus de soixante-dix autres Tutsi dont cinq frères Joséphites. Nous avons retrouvé sa dépouille lorsque la fosse de chez les Frères a été ouverte, grâce à sa carte d’identité dans la poche de son pantalon. Quant à ma cousine Geneviève, elle sera tuée le 10 juin, à quatre jours d’intervalle, avec la centaine de réfugiés de la paroisse St-André! Elle sera jetée dans une fosse commune d’un quartier de Nyamirambo, avec les autres, dont une centaine d’enfants. Et lorsque la fosse a été ouverte en 2004, on n’a pas trouvé de corps, juste des bouts de rotules et quelques mâchoires ! Nous avons même été privés de leurs dépouilles.

Devant cette Cour d’assises, vous avez écouté beaucoup de rescapé-e-s qui cherchent à savoir où se trouvent les restes de leur famille, comme Primitive, la fille de Pierre Nyakarashi, qui a interpellé l’accusé pour lui demander où se trouvent les restes du corps de son papa. Difficile d’entamer un travail de deuil..

Je me souviendrai toujours de ce mois de juin 2004, 10 ans après le génocide, où nous avons dû repartir précipitamment, au Rwanda, lorsqu’une amie nous a annoncé qu’une fosse commune avait été identifiée à la paroisse St-André. D’après certains récits, ma mère pouvait se trouver dans celle-là avec ceux qui avaient été assassinés le même jour. Nous partons tous les deux pour Kigali sans nos enfants. Nous y étions pour les commémorations quelques semaines auparavant. L’ouverture de la fosse s’est faite en présence des familles venues de partout : du Canada, d’Afrique du Sud, des USA et d’ailleurs. Quelques rescapés de Nyamirambo et amis proches étaient là également.

Ce sont des moments difficiles pour les familles et les proches : difficile de contenir ses émotions. C’est un stress bien particulier entre des cris et des crises de nerfs. Il arrive même que l’on se chamaille autour de ces fosses du désespoir où chacun croit reconnaître ses proches Chacun va scruter le moindre signe distinctif, un habit, un bijou, une chaussure…. Des odeurs qui ne vous quitteront plus jamais, elles restent imprimées pour toujours dans votre cerveau!

De cette fosse de la paroisse St-André, deux corps seulement ont été formellement identifiés, il s’agit d’un jeune joueur de basket de 20 ans, Emmanuel, je crois, reconnu par son frère. Son corps entier va apparaitre, en tenue de sport, maillot orange fluo, numéro 14 : il semblait dormir d’un sommeil profond, la tête enfoncée dans le sol rouge sableux de cette terre de la paroisse St-André. L’autre corps était celui d’un jeune enfant de 7 ans, identifié par son cousin, grâce aux habits qu’il portait ce jour- là.

Pour ma part, je me contenterai d’un bout de bracelet en cuivre et d’un chapelet comme unique signes distinctifs, en espérant que c’étaient ceux de ma mère. Je les ai ramenés à Reims pour les montrer à nos enfants!

En 1994, au RWANDA, les Tutsi n’ont pas été enterrés, ils ne sont pas morts sereinement, ni paisiblement, ils sont morts dans des souffrances atroces, affamés, assoiffés, humiliés, décapités, brûlés vifs, découpés, chassés comme des gibiers, leurs corps dépecés ont été jetés à moitié vivants ou à moitié morts dans des énormes trous, dans des latrines, dans la rivière MWOGO, des corps mangés et déchiquetés par des chiens, par des rapaces, des corps profanés et niés. Les TUTSI de Nyanza, de NYABUBARE, de NYAMURE, de KARAMA, de l’Isar-SONGA et partout dans cette région du MAYAGA ont subi le même sort.

Tous ces lieux martyrs, tous ce sang versé, le sang des innocents qui n’avaient commis d’autre crime que d’être nés TUTSI.

Nos morts hantent toujours nos esprits, en particulier certains, les enfants surtout, emportés dans leur innocence, emportés sans rien comprendre. Difficile de les oublier. Souvenez-vous de ce bébé qui n’a pas eu le temps de voir le jour à NYAMURE, souvenez-vous de ces enfants dépecés de NYABUBARE sous les yeux hagards de François HABIMANA qui a du mal encore aujourd’hui à parler de cet épisode traumatique de sa vie!…

Du côté de ma mère, près de BUTARE, aucun survivant retrouvé à ce jour ! Ma mère, avait une fratrie de cinq, ils avaient des enfants et de nombreux petits enfants Des familles disparues à jamais, vous en avez entendu parler devant cette cour d’assises. ! Des lieux méconnaissables, des maisons complètement rasées, des herbes qui ont poussé, des arbres arrachés, rien n’a survécu et toute trace de vie a été effacée…c’est le génocide! Compter nos morts, c’est s’exposer au vertige et à ce gouffre toujours prêt à nous engloutir!

Il est impensable d’imaginer que de toutes ces vies qui ne demandaient qu’à vivre, il ne reste rien!…

Le génocide c’est la mal absolu. Le mal dont on ne guérit jamais.

Chacun essaie d’y survivre à sa manière, à sa façon, pour éviter de disparaître à son tour.

Après le génocide, pourtant, une seconde vie a commencé avec ce « passé qui ne passe pas ». Notre première vie s’est arrêtée brutalement un jeudi 7 avril 1994 nous laissant un héritage très lourd. Notre seconde vie, chaotique parfois, est peuplée de nos fantômes familiaux, de nos êtres si chers ; et de ces immenses vides abyssaux. Elle sera celle d’une « mémoire trouée », celle de l’ « abîme et du néant » nous laissant dans un silence assourdissant.

Le génocide nous a définitivement abîmés.

Aujourd’hui, nous célébrons leur souvenir. Nous célébrons leur mémoire. Nous sommes les héritiers de cette mémoire, nous sommes les témoins de cette histoire, que nous devons écrire à l’endroit. Nous sommes les passeurs de cette mémoire, notre « Mémoire » , la mémoire du génocide.

« Ibuka, souviens-toi! »

Souvenez-vous de la joie d’Apollonia CYIMUSHARA, venue déposer devant cette cour d’assises, une promesse qu’elle a faite à son clan, les ABAJIJI, ces résistants de KARAMA. Elle est venue honorer leur mémoire en tant que survivante de cette hécatombe.

Avec cet héritage, nous sommes devenus des êtres singuliers.

Pour ma génération marquée par plus de 30 années de lutte contre l’impunité, nous avons une énorme responsabilité. Au Rwanda, on a pu tuer les Tutsi sans être inquiété de 1959 à 1994. L’impunité était la norme. Des rescapé-e-s sont venus ici demander la justice. Cette justice qui contribue à réhabiliter les victimes, à honorer leur mémoire et à leur donner une sépulture digne. Cette justice est salutaire pour nous tous. Elle est une arme contre l’oubli, une arme contre le négationnisme dont nous avons été témoins devant cette cour d’assises.

« Survivre au génocide et survivre ensuite au déni de nos existences, c’est devoir survivre une deuxième fois ».

Les témoignages donnés devant cette cour sont une démonstration, ils sont une preuve indélébile de ce qui s’est passé à Nyanza et sur ces collines martyres de NYABUBARE, de NYAMURE, de KARAMA, de SONGA et aux alentours. Nul ne pourra le nier, nul ne pourra dire que cela n’a pas eu lieu. C’est aussi le rôle de ces procès d’assises.

Pour terminer, je voudrais me souvenir de deux familles de Nyanza, celle de Raphaël MUREKEZI alias FATIKARAMU, un de mes nombreux cousins, et celle d’Antoine NTAGUGURA, ses voisins et amis, les deux ont été évoqué lors des débats devant la cour.

Je voudrais aussi me souvenir d’un petit garçon de la famille, Olivier MURENZI, 10 ans, tué à la barrière de l’hôpital de Nyanza.

Évoquer leur vie pour qu’ils retrouvent leur visage, évoquer leur vie pour les habiller un peu et rassembler tous ces morceaux éparpillés, désarticulés, démembrés, souillés et dénudés.
Evoquer leur vie, c’est les sortir de l’anonymat de ces fosses communes où les tueurs les ont jetés, ces  tombes sans noms , pour les ressusciter un peu.

Ces victimes sont restées silencieuses pendant ce procès, et elles ne viendront pas à la barre pour réclamer justice, faute d’avoir survécu, faute d’avoir pu être identifier dans ces nombreux charniers dont celui du stade de Nyanza où a été jeté Raphaël et ses trois enfants : Régis, Muriel et Solange.

Josepha et Fatikaramu

Raphaël MUREKEZI alias FATIKARAMU a fait ses études secondaires au Groupe scolaire de BUTARE. Il aurait bien voulu aller à l’université mais c’était la période des quotas. Il est allé ensuite enseigner au Collège des Humanités Modernes de Nyanza devenu l’école des Sciences de Nyanza par la suite. Grand joueur de football au Club Rayon Sports de NYANZA, c’est ici qu’il fut surnommé FATIKARAMU, littéralement : « prend un crayon ». Prendre un crayon pour noter le nombre de buts marqués (il en marquait beaucoup) de peur de les oublier…
(photo de FATKARAMU seul )
En 1973, il se maria, et comme beaucoup de Tutsi intellectuels, il a dû quitter le pays pour se réfugier au BURUNDI.

C’est après le coup d’état de Habyarimana en juillet 1973 que FATIKARAMU est rentré au pays.
Plus tard, les professeurs du secondaire comme lui qui n’avaient pas fait des études universitaires ont été reclassés pour enseigner dans les écoles primaires. Josépha, sa femme, était aussi institutrice. Raphaël, le sportif, était très aimé à Nyanza, il était l’ami des jeunes et des moins jeunes. Il était membre fondateur, avec d’autres, comme Antoine NTAGUGURA, son ami, de l’école ESPANYA, une école secondaire des parents de NYANZA.

La famille NTAGUGURA Antoine et la famille FATIKARAMU étaient très amies et voisines. Elles habitaient dans le quartier dit « GAKENYERI » près de l’orphelinat de Nyanza pour ceux qui connaissent ces lieux.

Au début du génocide vers le 22/04/1994, les familles d’Antoine et de FATIKARAMU sont allées se cacher à RUSATIRA. FATIKARAMU était avec trois de ses cinq enfants (Régis-Murielle-Solange) et Antoine également avec trois des cinq leurs (Pascale- Pascal- Eugène). Ils ont été dénoncés et ce sont les gendarmes de Nyanza qui sont venus les chercher en compagnie du grand Interahamwe KANDAGAYE. Ils ont été emmenés à Nyanza pour y être tués près du stade. Pascaline qui était cachée par la femme de KANDAGAYE (à l’insu de ce dernier), l’a entendu se vanter de leur exploit le soir, disant que «  les chefs des cafards de Nyanza étaient morts ».

Chez les FATIKARAMU, seuls ont survécu les deux garçons, Olivier qui était à Kigali et le petit dernier, Pacifique, caché par une voisine hutu de Nyanza.

Antoine NTAGUGURA était avec ses deux plus jeunes fils, Pascal et le cadet Eugène ainsi que Jean Paul, le fils de leur voisin, Enoch.

Josépha serait parvenue à aller jusqu’à BUTARE où elle a été tuée le jour de la libération de Butare, le 4 juillet, par ceux-là mêmes qui l’avaient cachée avant de fuir.

Quant à Anastasia NTAGUGURA, elle a continué à travailler à l’hôpital et on ne sait pas quand elle a été tuée. Chez les NTAGUGURA, seule Pascale a survécu après un long périple!

Anastasia et Antoine Ntagurura. Les quatre garçons : Pascal, Eugène, Placide et Pacifique. En bas à droite : Pascale dite Pascaline et sa maman.

Je voudrais aussi rendre un hommage à un petit garçon de la famille : Olivier MURENZI. La famille habitait Kigali. Mais comme le génocide avait commencé à Kigali, la maman, Justine, en compagnie de ses quatre enfants, est allée se mettre à l’abri à Nyanza, chez des amis, pensait-elle… Le petit dernier, Benjamin, n’avait que deux mois, et était sur le dos de sa maman pendant toute cette errance. Comme les autres, Justine a dû chercher refuge ailleurs et son long chemin de croix l’a conduite à l’orphelinat du Père SIMONS à CYOTAMAKARA. C’est lors d’une opération où le FPR est venu libérer cet orphelinat, en pleine nuit, qu’Olivier, et un autre petit garçon, ne sachant pas ce qui se passait, ont eu peur et se sont enfuis vers Nyanza où ils seront tués à une des barrières, celle de l’hôpital de Nyanza.

Olivier était un petit garçon de dix ans, très aimant, très peureux ; peur de la punition, peur du noir, raconte sa sœur. Il aimait partager, surtout dans cet orphelinat où il n’y avait plus grand-chose à partager et où la famine s’était installée durablement…le peu d’eau qu’il pouvait trouver, il en partageait les moindres gouttes, se souvient sa sœur ADUHIRE. C’était un petit garçon très pieux. Il fut enfant de chœur à la cathédrale St-Michel de KIGALI. Durant leur fuite, quand il croisait les tueurs, il ouvrait sa bible et se mettait à dire son chapelet, raconte sa maman, et elle a eu l’impression que ce geste anodin d’Olivier les a protégés longtemps… Aîné des quatre enfants, il se sentait déjà responsable de sa fratrie dès son jeune âge. Très protecteur, surtout avec sa petite sœur qu’il allait attendre à la sortie de sa classe tous les jours en attendant que les parents arrivent. Nous nous souvenons du petit Olivier, de cette vie fauchée avant d’éclore!…

Je n’oublie pas, ô combien j’ai été bouleversée de voir le couple GAKUMBA Aloys, dont les photos ont été projetées par Sabine UWASE, leur petite fille qui a survécu. La tante de Sabine, Germaine BENEGUSENGA, était une amie d’enfance et je connaissais très bien ses parents, les GAKUMBA, chez qui je suis allée en vacances lors de nos années de collège.

Ibuka , ibuka, ibuka, souviens-toi…

Quelques victimes des familles des Parties Civiles :
NYANZA-NYABUBARE-NYAMURE-KARAMA-ISAR/SONGA

Ont été assassinés

MUREKEZI Raphaël alias FATIKARAMU
MUREKEZI  Régis
MUREKEZI  Murielle
MUREKEZI  Solange

Ont été assassinés

NTAGUGURA Antoine
MUKAMPORANYI Anastasia
NTAGUGURA Pascal
NTAGUGURA Eugène
Jean-Paul
MURENZI Olivier 10 ans

Ont été assassinés

MUKARUBAYIZA Siforo, 48 ans,
MUKAMWIZA Rebecca, 25 ans,
MUGISHA Obed, 22 ans,
SEBERA Maurice, 20 ans
MUKANEZA Judith, 18 ans
MUKAMANZI Christine,16 ans
MUSHUMBA Elisha, 14 ans,
MAZIMPAKA Eliel, 12 ans
MUKANGEYO

Ont été assassinés

SEMANA Gérémie, sa femme et ses deux enfants
MUBILIGI Zéphania, 54 ans
MUBANDAKAZI Valérie, sa femme et leur 7 enfants et deux petits-enfants
BIZIMANA Charles
KAYIHURA Sosthène
UWIMANA Ereda, sa femme et 2 enfants
NICYORIBERA Michel
MUKAMUDENGE Speciosa, son épouse et leur 7 enfants

NYIRABAGENZI Eliane
NYIRAHABIMANA Pélagie et ses 3 enfants
WISHAKA Dativa
Spéciosa et ses 5 enfants
UWIMANA Rosa
KAMALI Innocent

Ont été assassinés

NYIRAMONDO Concessa
NYAKARASHI Pierre,
USENGUMUREMYI Vincent
KANIMBA Charles
MUKARURANGWA Gloriosa
KANAMUGIRE
MINANI
KIBIBI
MUKANDOLI Francina
MUREKEYISONI Laetitia

Ont eté assassinés

UWANTEGE Médiatrice
NYIRANKUSI Pascasie
MULISA Spéciosa
NTABANA Innocent
MUKABALISA Espérance
RUZINDANA Claude, son mari et leurs 2 enfants
NYIRANKUNDWA Devota
BUHIGA Maurice
KANGABE Xavier, et
MUKAMUDENGE, son épouse
SINZINKAYO Sostène, et
NYIRABAGENI son épouse
FORTUNATE et ses 3 enfants
MUNYANKINDI Damascène
MUKAGASANA et ses 2 enfants
MUKARURANGWA Anita et ses 4 enfants
RURANGWA
NYIRAMANA et son fils RUBAYIZA Félicien
MUKAKALISA Mariguerite et son mari et 2 enfants
MUKANTABANA et ses 4 enfants

Ont été assassinés

NYAGATARE François,
MUKAGASANA Geneviève,
MUKANKWIRO Thérèse,
MUKESHIMANA Françoise, 26 ans
NKORABIKINA Dominique, 24 ans
FIACRE, 21 ans
NTUKABUMWE, 20 ans
BAYINGANA, 19 ans
Niyonagira, 16 ans
Madibiri, 14 ans
Rukuturi,12 ans
Nyirinkindi Célestin
Mukaruganji Clotilde et ses 2 enfants
Concessa et ses 6 enfants
Madende et toute sa famille
Forodo, sa femme et leurs 7 enfants
Mathieu, sa femme et leurs 6 enfants
Valens, sa femme et leurs 7 enfants
Nyiridandi, sa femme et leurs 2 enfants

Ont été assassinés

NKURIYABEGA Joseph,son père
NYIRABUKARA Suzana, sa mère
RUTAYISIRE Innocent, 38 ans
RUDASINGWA Marcel, 30 ans
MUKAYISIRE Marie Chantal, 28 ans
MUHIRE Vincent,12 ans
RUDAHABA Léon, 11 ans
KANAZAYIRWA Léonce, 10 ans
UMURERWA, 8 ans
UMULISA Yvonne, 5 ans

Ont été assassinés

KABERUKA Félicien, 49 ans
MUKANKUSI Xavière, 47 ans
GAHUNGA Gaspard, 9 ans,
KAMONGI Charles, 6 ans,
MUTEMBAYIRE Philibert, 3 ans

Ont été assassinés

RWABUYONZA Antoine et Léa
BIKUGURU François,
NZIRAGUSESWA Jean Berchmans
KABERA Straton, 62 ans,
RWAGASORE Léonard, 67 ans
MUKASAMURAGWA Anastasia, 66 ans

Ont été assassinées

NIMUGIRE Marciana, 43 ans, et son mari Evariste
MUKAREMERA Médiatrice, 40 ans
MUKAMBUGUJE Madeleine, 37 ans
UWIMANA Dativa, 35 ans
MUKAGATARE Donatille

Ont été assassinés

GASHUMBA Joseph, 47 ans et sa femme Pauline
KAJAMAGE Claver, 34 ans
GAKUMBA Gaspard,32 ans
KAGONYERA, 31 ans
NTIGURIRWA,29 ans
HABYARIMANA Pilote,
SIMPUNGA Felix
Jason,
KAYUMBA Cyriaque, un frère religieux
KAYIGAMBA Antoine
NAMUHUNGU Alexis, 32 ans
MUKAMA
MUTIGANDA

Ont été assassinées

MADAMU, 45 ans
NYIRIBAMBE Marie, 43 ans
KANYUNDO Josée, 42 ans
MUKARUBEGA Triphine,29 ans
MUKARUHIMA Faustine,18 ans
UMULISA Jeanine,16 ans

MUKAKIGELI Pascasie
MUZIRANKONI Spéciosa
Annonciata
UWANTEGE et sa fille
MUKAMANA
KABEGA Pacaline
MUKARUKAKA Marguerite

« …N’oubliez pas cela fut, non, ne l’oubliez pas… »

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Mes remerciements vont à la cour,

Mes remercîments à nos avocats, Philippe HERBEAUX, Sarah MARIE, et Domitille PHILIPPART, qui nous accompagne depuis toutes ces années, elle a porté ce dossier de bout en bout, Elle s’est rendue à NYANZA à plusieurs reprises, et ces collines du MAYAGA n’ont aucun secret pour elle !

À tous les membres du CPCR, sans qui ce travail ne serait pas possible.

Aux rescapés de notre famille qui ont compris très tôt l’indispensable travail de la justice, et son exigence. Leur contribution dès 1996 a été déterminante.

Je voudrais remercier tout particulièrement, « by’umwihariko » Canisius KABAGAMBA, responsable d’IBUKA à Nyanza, à l’époque, pour sa disponibilité, pour son dévouement sans faille, il n’a pas ménagé ses efforts pour que justice soit faite.

Et, pour finir, comme à chaque fois, ma profonde affection à nos enfants dont l’immense générosité nous a aidés à poursuivre ce travail de Mémoire et de Justice. Il n’est pas facile d’avoir des parents comme nous. Ils nous ont acceptés sans jamais nous juger, sans jamais nous rejeter, bien au contraire, ils nous ont entourés de leur soutien, de leur amour. Nous ne les remercierons jamais assez.

 

Questions:

Me LHOTE, pour la défense, prend la parole. Il commence par affirmer qu’il est touché par son témoignage et demande si elle comprend sa démarche. Elle répond que oui et qu’elle fait confiance au travail de la justice.

Me LHOTE lui pose des questions sur le CPCR. Elle répond que M. GAUTHIER en est le président et qu’elle en est membre actif. Elle le corrige sur le mot « traque » des génocidaires « Nous ne sommes pas des juges. C’est un devoir citoyen d’aller chercher la vérité ». Les victimes sont à la recherche des assassins de leur famille.

Sur questions de Me LHOTE, elle répond que le CPCR a participé à la constitution du dossier en collectant des témoignages. L’association a rencontré beaucoup de rescapés et quelques tueurs. Les visites en prison ont toujours été obtenues sur autorisation écrite du directeur de prison pour chaque détenu. Aucune demande de visite n’a jamais été refusée.

Le régime rwandais serait un régime autoritaire sous lequel les prisonniers peuvent être soumis à la torture? Elle ne l’a jamais constaté lors des visites. Les prisons sont visitées par la Croix-Rouge une fois par mois. « Vous avez le droit de le penser, mais je ne pense pas que ce soit la vérité ».

Me LHOTE demande si elle pense qu’une condamnation sur des témoignages imparfaits serait juste. Elle répond qu’elle a confiance en la justice et que ce n’est pas à elle de juger. Heureusement que les témoignages divergent, si tout le monde disait la même chose exactement 30 ans après les faits, ce serait inquiétant. Les couleurs des bérets, des voitures etc… ces détails sont insignifiants dans les souvenirs des rescapés.

Me LHOTE la questionne maintenant sur la crédibilité des témoignages de personnes qui ont participé au génocide. Elle explique qu’il faut se rendre compte dès le départ qu’ils ne disent pas toute la vérité. Il faut recueillir ce que l’ont peut. Ils disent ce qu’ils veulent dire. Elle précise qu’elle ne pose pas de question dirigée et qu’ils disent ce qu’ils ont bien envie de dire. Le CPCR n’est d’ailleurs pas avec les prisonniers lorsque ces derniers écrivent leur témoignage. Elle précise que pour ceux qui ne savent pas écrire, elle a déjà prêté sa main.

Me LHOTE l’interroge maintenant au sujet du tournage du documentaire Rwanda, à la poursuite des génocidaires de Thomas ZRIBI [19]. Elle explique que le tournage a eu lieu avant le premier procès et a été diffusé après. Il s’agissait d’une scène tournée pour une remise en situation pour les besoins du documentaire. Thomas ZRIBI leur avait demandé de faire un documentaire sur le travail du CPCR. Tous les témoignages ne sont pas retenus par le CPCR car certains sont inutiles

M. le président interrompt les questions pour dire que 10 témoignages ont été versés au départ à l’appui de la plainte. Tous les témoignages ont été entendus à nouveau.

 

Audition de monsieur Marcel KABANDA, président de IBUKA France[20].

Cérémonie du 7 avril 2018
Cérémonie du 7 avril 2018 à Paris (photo : ibuka-france.org – D.R.)

 

Le témoin fait part à la Cour qu’IBUKA France est une section indépendante d’IBUKA au Rwanda. Chaque association fonctionne selon l’ordre juridique du pays dans lequel elle existe. La fonction première est la mémoire du génocide. Le deuxième volet c’est la justice. La justice c’est aussi la mémoire. Le troisième volet c’est les rescapés. Il y en avait 300 000 au Rwanda en 1994. Il y en a moins aujourd’hui à cause des maladies et des blessures. Les rescapés vieillissent, il faut s’en occuper. En 1995, il fallait s’occuper de leur éducation, maintenant il faut s’occuper des personnes âgées.

Pour le volet de la mémoire: IBUKA organise les cérémonies de commémoration le 7 avril de chaque année et anime des rencontres dans des lycées.

Pour le volet de la Justice: IBUKA ne va pas sur le terrain pour enquêter. L’association apporte un soutien aux rescapés qui ont le courage de porter plainte. Il remercie l’institution de la justice qui a commencé avec quelques années de retard mais qui le fait. Il exprime son inquiétude car, depuis peu, les témoins cités par la défense ont tendance à avoir des propos négationnistes.

Aujourd’hui encore, il arrive que des rescapés soient tués par un prisonnier qui a été libéré!

La difficulté du témoignage : beaucoup de rescapés étaient des enfants. L’instinct de survie, c’est chercher à s’en sortir, pas à vérifier la couleur de la voiture. « On ne fait pas 6000 km pour qu’on vous raconte une histoire que l’on partagerait à la machine à café ». (NDR. Allusion à une remarque de la défense qui dénonce des témoignages stéréotypés partagés dans l’antichambre de la machine à café. Réflexion qui a soulevé les protestations de l’avocate générale, des parties civiles et de la salle.)

On ne dit pas à une victime qui vient de témoigner du viol de sa mère, que son discours est stéréotypé.

 

L’accusé est interrogé par le président, mais il n’a pas de commentaire à faire.

Sur les questions de Me AUBLE, il répond que IBUKA France est financé par les cotisations et les dons, que le budget annuel de l’association est de l’ordre de 50 000 euros. Il rappelle que IBUKA est régulièrement accusée d’être « un syndicat de délateurs », spécialisé dans la préparation des témoignages dans les procès. (NDR. Un des grands promoteurs de cette notion est un certain Joseph MATATA qui intervenait souvent à Bruxelles lors de colloques. Je crois me souvenir qu’il est venu aussi témoigner pour la défense d’une personne jugée en France). Ce sont des inepties car d’une part les témoins et les parties civiles ne sont pas tous connu d’IBUKA et d’autre part, personne ne peut mettre dans la tête d’une femme qu’elle a été violée. Il faut beaucoup de courage pour venir témoigner devant une Cour.

Madame l’avocate générale précise que la négation du génocide des Tutsi est un délit qui a été introduit dans la loi GUEYSSOT en 2017.

M. MANIER ne veut pas réagir ce soir.

 

Coline BERTRAND, stagiaire

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

  1. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[]
  2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[][][][][]
  3. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[]
  4. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[][]
  5. voir l’audition de Tharcisse SINZI, 15 juin 2023.[]
  6. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[]
  7. Gacaca : (se prononce « gatchatcha ») Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnels à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[]
  8. FPR : Front Patriotique Rwandais[][]
  9. FARG : Fonds d’assistance aux rescapés du génocide[]
  10. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[]
  11. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. Glossaire.[]
  12. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
    Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  13. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.[]
  14. MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[][]
  15. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  16. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[]
  17. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[]
  18. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[]
  19. Rwanda, à la poursuite des génocidaires, un documentaire réalisé par Thomas Zribi et Stéphane Jobert, accessible en ligne sur LCP []
  20. https://www.ibuka-france.org[]

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