- Audition d’Emmanuel UWUTIJE.
- Audition d’Obed BAYAVUGE.
- Audition de Primitive MUJAWAYEZU, partie civile.
- Audition de Geneviève GAHONGAYIRE, partie civile.
Audition de monsieur Emmanuel UWUTIJE, cité par l’accusation, en visioconférence de depuis le Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Le témoin avait déjà été entendu par les gendarmes français en 2017. Il évoquait des faits du 23 avril 1994 concernant le bourgmestre NYAGASAZA. A une date entre le 21 et le 22 avril, il voit un véhicule arriver à MUSHIRARUNGU à côté de la colline de NYABUBARE. Des militaires arrivent et commencent à massacrer des Tutsi et manger leurs vaches. C’est son conseiller de secteur, Israel DUNSINGIZIMANA, qui les aurait fait venir. Il dit que le meurtre du bourgmestre serait intervenu avant l’attaque. Le président souligne que lors de son audition, il déclarait que la mort du bourgmestre était postérieure à l’attaque. À cela il répond que les militaires sont arrivés les premiers, sûrement un vendredi. Ils portaient un béret rouge, donc le béret des gendarmes. La population a été convoquée et les militaires ont ordonné au conseiller de secteur de déclencher le génocide.
La journée du 23 avril, un véhicule de type Toyota blanc est arrivé vers 8h du matin avec le bourgmestre NYAGASAZA et le conseiller de secteur DUSINGIZIMANA. Ils descendent tous à l’exception du chauffeur. Le bourgmestre est tué de deux balles. Le témoin se tenait à environ 30 mètres de la scène. Quand ce véhicule est arrivé, les Tutsi étaient déjà réfugiés sur la colline car c’est Israel qui leur avait ordonné de monter sur la colline d’en face. Un militaire était présent avec eux, Pierre NGIRINSHUTI.
Au regard du meurtre de NIAGASAZA, Emmanuel UWUTIJE ne saurait pas dire qui a tiré ni qui a donné l’ordre. Le témoin ne connaissait pas BIGUMA à ce moment-là, il ne pouvait pas attester de ses actes. Après le meurtre, les Tutsi se sont réfugiés sur la colline et les villageois ont suivi les gendarmes. Le témoin pense qu’ils étaient très nombreux, des centaines sûrement.
Il atteste avoir vu une arme longue portée être utilisée par les gendarmes. Il décrit cette arme comme étant sur un trépied, de couleur verte/grise. La photo d’un mortier lui est montrée mais il ne confirme pas l’exacte similitude de l’arme qu’il a pu voir sur la colline. Il confirme cependant que les gendarmes ont « pilonné » la colline de 9h à 12h. Il décrit l’arme comme envoyant de petits obus qui faisaient sauter de la matière et tomber les gens. Après cela, les personnes encore vivantes étaient achevées à la machette. BIGUMA demande au militaire PIERRE de se rendre, ce qu’il refuse. Les gendarmes ont tiré sur sa maison (Pierre NGIRINSHUTI avait réussi à fuir). L’ordre a été donné d’encercler la colline et de tuer tous les Tutsi qui échappaient aux tirs. Après l’attaque, le chef des gendarmes remercie les assaillants d’avoir bien travaillé.
Ce chef des gendarmes, il a su que c’était BIGUMA parce qu’Israel DUNSIGIZIMANA l’a présenté comme tel aux tueurs. M. le président souligne que le témoin n’a pas reconnu l’accusé sur la planche de photos. Il se serait d’abord trompé avant de déclarer qu’il ne se souvient pas. Le témoin répond qu’il n’a vu l’accusé qu’une seule fois sur la colline de NYABUBARE et que c’est pour cette raison qu’il ne peut pas le reconnaître.
À la remise en situation, il dit avoir vu BIGUMA tirer sur la maison de Pierre. Il a positionné le bourgmestre au même endroit que le conseiller de secteur Israel. Il affirme ne pas s’être concerté avec lui pour placer l’événement. Il infirme aussi avoir parlé d’un discours. (NDR. Sûrement défaut de traduction). Sur la demande du président, il dit avoir été condamné à 15 ans de prison, en avoir effectué 8 ainsi que 5 ans de travaux d’intérêt général. Il a plaidé coupable pour sa participation à l’attaque de NYABUBARE.
Madame l’avocate générale questionne maintenant le témoin sur le déroulement des faits. Il confirme que le 23 avril au matin, c’est le conseiller de secteur qui a réuni les habitants au sujet du militaire Pierre. Il confirme aussi que le véhicule avançait très doucement pour que les habitants puissent suivre. Ce sont les gendarmes qui ont demandé de les suivre en masse et leur ont expliqué le mode opératoire lors d’une réunion quelques jours avant. Le gendarme leur aurait dit que s’il ne déclenchaient pas l’attaque ce sont eux qui mourraient. Il confirme que les gendarmes avaient énormément de pouvoir.
Me GUEDJ, pour la défense prend la parole sur quelques points de la déclaration du témoin.
Au sujet du meurtre de NYAGASAZA, le témoin affirme que le bourgmestre avait vu qu’on avait tiré sur une de ses épaules avec un fusil « à main ». Cependant, il n’a pas su qui a tiré car il ne connaissait pas BIGUMA. L’avocat est repris par le président sur une de ses questions qui reposait sur une fausse information. Il se voit obligé de répondre: « Je m’accroche à ce je peux ». (NDR. Signe manifeste de son désarroi). Il demande ensuite au témoin s’il est certain que ce sont les gendarmes qui ont tué le bourgmestre, ce qu’il confirme.
Au regard maintenant de l’attaque contre Pierre, Me GUEDJ demande des précisions sur l’attaque de la maison. Le témoin confirme les propos qu’il a déjà tenus.
Me GUEDJ reprend le sujet de la reconnaissance sur la planche de photos. Le président reprend le détail de l’audition. Menée en 2016 par les gendarmes français, le témoin répond qu’il n’est pas sûr de reconnaître BIGUMA car cela fait trop longtemps et suggère une photo qui n’est pas la bonne en précisant qu’il n’est vraiment pas sûr. L’audition dure 10 minutes. Le témoin ne se souviens même pas qu’on lui ait présenté une planche photographique. Me GUEDJ observe: « Je pense, Monsieur, qu’on vous a dicté le nom de BIGUMA ».
Emmanuel UWUTIJE affirme avoir été présent lors de l’attaque de NYABUBARE, lors du meurtre du bourgmestre NYAGASAZA et de l’attaque de la maison de Pierre NGIRINSHUTI. Cependant, le meurtre du bourgmestre ne fait pas partie des FAITS pour lesquels il a été condamné, contrairement à l’attaque de la colline.
Enfin Me GUEDJ fait référence à une audition faite par des Belges au cours de laquelle on lui a demandé comment il avait pu témoigner à l’encontre de son frère (NDR. Obed BAYAVUGE, qui va témoigner après lui). Le témoin répond que ces Belges avaient été envoyés par les autorités rwandaises et le responsable de sa cellule. Me GUEDJ déclare qu’il s’agissait donc d’Israel.
M. le président le reprend encore une fois sur la mauvaise interprétation qu’il fait régulièrement des propos des témoins.
La défense n’a plus de questions.
M. MANIER, invité à prendre la parole, affirme qu’il ne peut pas commenter car il n’était pas là.
Audition de monsieur Obed BAYAVUGE, cité par l’accusation, en visioconférence de depuis le Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Il s’agit du frère du premier témoin.
Il a été condamné par la Gacaca[1] à une peine de 13 ans de prison. Il est sorti pour faire des travaux d’intérêt général après 8 ans et quelques mois pour une durée finale de 13 ans. Il a plaidé coupable pour avoir participé à l’attaque de NYABUBARE. Il est entendu par les gendarmes en 2017, puis participe à une remise en situation en 2019. Le témoin affirme qu’il a pas été témoin de la mort du bourgmestre car il était chez lui à ce moment-la. Avant l’attaque du 23 avril, il n’y avait pas eu de Tutsi tué sur la colline, ni d’autres attaques contre les réfugiés à NYABUBARE.
Au sujet du 23 avril, il confirme avoir entendu des coups de feu, être sorti de chez lui, qu’il a vu arriver un véhicule dans lequel il y avait BIGUMA et le conseiller de secteur Israel DUSINGIZIMANA. C’était la première fois qu’il voyait BIGUMA et il a su qu’il s’agissait de lui car avant l’attaque, le conseiller Israel DUSINZIGIMANA et KAIYRANGA (conseiller de cellule) avaient dit qu’ils le feraient venir. Le conseiller de secteur Israel aurait fait descendre toute la population après la mort du bourgmestre. Le vendredi 22 avril, la barrière de MUSHIRARUNGU est érigée, et c’est le lendemain que l’attaque contre les Tutsi commence à NYABUBARE. Il parle d’un véhicule à double cabine blanc. Au sujet des repères temporels, il donne différentes dates et se reprend sur remarque du président. Le témoin explique maintenant que les gendarmes ont utilisé des petits fusils et une arme lourde qui avait été installée en contrebas de la route où étaient installés les gendarmes et BIGUMA. Il ne saurait pas nommer cette arme mais il la décrit comme noire avec un canon dirigé sur la colline. Il reconnaît l’image de mortier présentée[2].
Il explique que le rôle de la population qui avait encerclé la colline était de tuer les Tutsi qui échappaient aux balles et aux obus. D’autres attaquants arrivaient de NYABINYENGA. BIGUMA avait un rôle déterminant dans l’attaque car après cela, il a fait arriver chez le témoin l’épouse de Pierre, Jacqueline NYIRANDEGEYA et ses deux enfants. Le président observe que c’est la première fois qu’il dit cela. Le témoin précise que cela a eu lieu après l’attaque. BIGUMA amène Jacqueline chez le témoin, c’est donc la deuxième fois qu’il le voit. Il donnait des ordres au conseiller, qui en donnait lui même à la population. Le témoin confirme qu’après l’attaque, BIGUMA avait dit qu’ils avaient bien travaillé. Il ne sait pas le reconnaître sur photo car il ne l’avait vu qu’une seule fois mais le président observe qu’il a mentionné son passage chez lui avec Jacqueline, la femme de Pierre.
Le président parle de deux remises en situation avec Israël et Emmanuel UWITIJE. Il note qu’aujourd’hui le témoin est capable de donner les caractéristiques de l’arme lourde contrairement à ses auditions. Le témoin répond qu’il a dit la vérité.
Me MARIE prend la parole pour demander qui leur a demandé de coopérer avec les gendarmes. Il affirme que DUSINGIZIMANA organisait cela pendant les réunions et qu’il a été forcé de participer à l’attaque par le capitaine et ses militaires.
Me GISAGARA demande si c’est seulement Israel DUSINGIZIMANA qui donnait des ordres ou bien aussi ses gendarmes. Il répond que des gendarmes aussi ont donné des ordres au moment de l’attaque sur la colline et qu’ils leur ont montré par où passer pour encercler la colline.
Madame l’avocate générale interroge maintenant le témoin sur l’emplacement du mortier.
Au sujet de famille RUGEMA, le témoin dit qu’elle comprenait 5 membres et que le père était OPJ. Elle demande s’il se rappelle avoir dit que la famille avait été tuée par les gendarmes. Il confirme et explique qu’effectivement, le responsable de la cellule avait fait part de ce meurtre le jour-même, ce qui avait ameuté la population. Il confirme enfin que les gendarmes avaient beaucoup de pouvoir.
Me ALTIT, pour la défense questionne le témoin sur son emprisonnement. Ce dernier affirme avoir été condamné le 3 juin 2005 puis libéré tout de suite pour faire des travaux d’intérêt général. Il était en prison depuis le 27 mai 1997. Il n’a rien eu à négocier avec les autorités pour pouvoir sortir. Il a plaidé coupable car sa présence à l’attaque impliquait sa responsabilité.
Me ALTIT essaie de faire dire au témoin qu’il a tué des personnes sur la colline. Le président le reprend en disant, encore une fois, que ce n’est pas qu’il a dit. Me ALTIT reprend sa question et demande pour quels faits il a été condamné. Le témoin répond que c’est pour avoir participé à l’attaque.
Pendant les 4 ans de Travaux d’intérêt général, le témoin a participé à la reconstruction des maisons qui avaient été incendiées.
Me ALTIT demande s’il a participé à d’autres Gacaca. Le témoin répond qu’il a témoigné pour des faits à MUSHIRARUNGU. Il explique aussi avoir répondu aux questions d’enquêteurs pour la Gacaca de son frère notamment, en présence d’enquêteurs belges.
Me ALTIT l’interroge maintenant sur la deuxième fois que le témoin voit BIGUMA avec Jacqueline la femme de Pierre. Le témoin répond que c’est possible que les gendarmes français n’aient pas pris cet élément dans sa déposition.
Au sujet de l’attaque du 23 avril, le témoin se rappelle avoir vu environ 8 gendarmes dans la voiture blanche. Il montre que l’arme lourde correspondant à environ la longueur d’un bras et une vingtaine de centimètres, c’est à dire environ 1 mètre. Cependant, il ne pouvait pas savoir à quoi ressemblaient les munitions car il ne les a pas manipulées lui-même. Me ALTIT demande s’il a vu les gendarmes faire l’action de tirer avec cette arme. M. Le président, encore une fois, fait remarquer à Me ALTIT qu’il essaie de faire dire au témoin quelque chose qu’il n’a pas dit. Il reformule donc la question: « Combien de personnes faisaient fonctionner l’arme. Le témoin répond qu’il ne sait pas et qu’il ne l’a pas vu.
Me ALTIT demande s’il y avait un autre gradé au cours de cette attaque. Le témoin répond que oui. Il explique aussi qu’il n’a pas vu BIGUMA sur le versant de la colline où il était lors de l’attaque, mais qu’il pense qu’il était resté près du mortier.
Me ALTIT en est réduit à poser des questions inutiles. On a l’impression qu’il interroge le témoin comme on le faisait à ARUSHA, lorsque l’instruction se faisait au cours du procès. Il voudrait absolument faire dire au témoin que BIGUMA n’était pas là.
M. le président donne la parole à l’accusé qui dit qu’il n’a pas de commentaire.
La séance est suspendue à 13h15 puis reprend à 14h30.
Audition de madame Primitive MUJAWAYEZU, partie civile.
Elle souhaite demander à l’accusé s’il connaît le bourgmestre NYAGASAZA, NAKARASHI et MUSORA. Il répond qu’il connaissait l’existence du bourgmestre mais pas des deux autres. Elle demande alors comment peut-il ne pas les connaître alors qu’il les a enlevés. Le président précise qu’elle est la fille de Pierre NAKARASHI, un policier tutsi de la police communale de NTYAZO. Il était responsable de la sécurité des gens et de leurs biens. Elle ne connaissait pas NYAGASAZA qui est venu par la suite. Son père travaillait dans la police avant l’arrivée de NYAGASAZA au poste de bourgmestre et ne travaillait plus après sa nomination.
Après cela, il a eu des fonctions à GATUNA en charge des sorties à la frontière. Lorsqu’il a été capturé, la victime était avec son père et non loin de sa mère. Étaient aussi présents des cousins, neveux et nièces. C’était un samedi matin, NYAGASAZA était devant eux. Ils étaient très nombreux à suivre le bourgmestre. Au moment où le bourgmestre proposait d’aider à travers la rivière, Primitive MUJAWAYEZU voit un véhicule blanc avec trois gendarmes à bord. Ces derniers ont pris NYAGASAZA, l’ont jeté dans le véhicule. Puis ils leur ont tiré dessus en rafales. La victime est touchée à la hanche par une balle . Elle avait un bébé de huit jours sur le dos et était encore faible de son accouchement. Son bébé est tombé: quelqu’un l’a ramassé et le lui a remis sur le dos. Elle est accompagnée à ce moment-là de ses cousins. Aucun d’eux n’a pu traverser à part elle, son bébé de huit jours, sa fille de 18 mois et son mari. Sa mère n’a pas pu traverser.
Quand BIGUMA les a mitraillés, des Interahamwe étaient présents pour achever les survivants, notamment sa mère. Quand les soldats burundais ont essayé de les faire traverser, BIGUMA est revenu sur les lieux pour dire: « Le sang des vaches se mélange au sang des humains ». Le président précise le contexte. À ce moment-là, la famille de la victime tentait de fuir le Rwanda en traversant pour le Burundi. Trois gendarmes sont à bord de la Toyota. Elle identifie BIGUMA dedans. À l’époque, elle ne savait pas qui c’était mais elle se souvient de son visage, elle ne peut pas oublier ce qu’il lui a fait. En 2015, elle l’a rapidement reconnu sur des planches photos. Elle le reconnaît aussi formellement aujourd’hui, 30 ans après les faits.
M. le président revient sur l’enlèvement de son père. Elle explique de nouveau que trois gendarmes sont arrivés en voiture, ils ont pris NYAGASAZA, puis son père NAKARASHI pour les jeter dans la voiture. Elle ne se souvient plus si c’est BIGUMA qui conduisait mais se souvient que c’est lui qui a tiré. Apollinaire MUSONERA est ensuite kidnappé à son tour. Elle affirme qu’un Emmanuel aurait été kidnappé plus tard à KIBIRIZI. Les gendarmes auraient arrêté son père car il aurait été un grand Inyenzi[3] qui aurait travaillé pour le gouvernement rwandais. Des photos de son père sont montrées , une de NYAGASAZA et une de son fils qui est maintenant devenu policier.
La victime souffre encore de ses sévices et de handicap, elle bénéficie du Fond d’Aide aux Rescapes du Génocide (FARG).
Me HERBEAU interroge la victime sur la potentielle inscription de son père sur une liste des Tutsi à éliminer. Elle confirme.
Me BERNADINI lui demande aussi si elle connaît des personnes nommées Innocent SAFARI, Pacifique… elle répond par la négative.
Me GISAGARA demande aussi si elle connaît MUKAKIBIBI Cécile. Elle répond que oui. Elle dit avoir laissé les deux vieilles dames de cette famille qui auraient été tuées à KARWICO selon ce qu’elle a entendu.
Madame l’avocate générale demande à la victime si elle pensait qu’elle-même et sa famille pouvaient être considérées comme complices du FPR[4]. Elle répond que oui car elles étaient Tutsi et que c’était leur seul crime.
Au moment où BIGUMA dit qu’il faut « mélanger le sang des Tutsi avec le sang des vaches« , la victime en comprend que c’était le signal pour les Interahamwe pour tuer les survivants à la machette. Elle confirme que les vaches représentaient la richesse des Tutsi et qu’elles étaient tuées au même titre que les Tutsi.
M. le président prend la parole. La témoin confirme que les génocidaires voulaient tuer tous les Tutsi et même les empêcher de fuir au Burundi.
Me LOTH, pour la défense. « Comment savez-vous que c’était des gendarmes? »
« J’ai reconnu leur tenue. »
Me DUQUE pour la défense. « Comment savez-vous que c’est BIGUMA qui a prononcé la phrase que vous rapportez concernant les sang des Tutsi et le sang des vaches? ». Elle le reconnaît car il était très fort avec la peau très foncée. Me DUQUE souligne qu’elle ne l’a pas reconnu sur la planche photographique. L’avocate générale vole au secours du témoin et souligne qu’à ce moment-là, elle a dit qu’elle n’était pas sûre.
Audition de madame Geneviève GAHONGAYIRE, partie civile.
Le témoin commence par dire que c’est à l’école qu’elle a pris conscience qu’elle était Tutsi. Ses parents ne lui avait rien dit, probablement pour la protéger, elle et ses frères et sœurs. Ses parents n’avaient pu faire des études, les Tutsi étant écartés pour leur entrée dans l’enseignement secondaire.
En 1994, madame GAHONGAYIRE dit s’être rendue à MBUYE, chez sa grand-mère, Cécile MUKAKIBILI. C’était les vacances de Pâques. Ils passaient la nuit chez des voisins à cause des rumeurs qui circulaient. Son frère avait été conduit par sa mère chez son grand-père paternel, près de l’Akanyaru, à la frontière avec le BURUNDI.
Une cousine, venue de BUTARE, parle d’une situation qui s’est dégradée. Elle souhaiterait qu’ils puissent se réfugier au Burundi, mais sa mère refuse. Le bourgmestre de NTYAZO, Narcisse NYAGASAZA, avait lui aussi refusé de partir pour rester avec ses concitoyens. Le témoin raconte alors sa fuite vers le Burundi, en direction de NTYAZO. Dans la vallée qu’ils traversent, ils sont encerclés par la population. C’est KADOMA qui dirigeait l’attaque. Le groupe auquel elle appartenait s’est alors dispersé. Le témoin laisse à l’arrière sa grand-mère et sa tante. Par un éclaireur, ils apprennent que le bourgmestre NYAGASAZA a été arrêté. Arrivés près de KAZARUSENYA, un petit centre commercial juste au-dessus de l’Akanyaru, deux jeunes gens les arrêtent mais décident de les laisser continuer: « Vous serez tués plus loin » disent-ils. Elle est séparée de sa cousine.
Arrivés à KAZARUSENYA, des Interahamwe[5] grillaient des brochettes tout près d’un champ de sorgho: ils les ont arrêtés et leur disent qu’ils allaient les tuer. À ce moment, des bruits de balles se font entendre. Dans les champs gisent de nombreux cadavres. Passe alors une voiture avec NYAGASAZA à bord et trois ou quatre gendarmes.
Des militaires burundais effectuent des tirs à leur tour pour permettre leur fuite. Les plus âgés pouvaient passer en pirogue. l’Akanyaru charriaient des corps. Le témoin réussit à monter à bord d’une pirogue pour arriver au Burundi. Les rescapés vont alors marcher jusqu’à KAYONZA où se trouve un camp de réfugiés. Le témoin retrouve un oncle qui habitait au BURUNDI. Elle restera là deux semaines.
Sur question de maître PARUELLE, elle dit n’avoir pas bénéficié de soins psychologiques. Le souvenir le plus marquant qu’elle garde en mémoire, c’est lorsque elle a perdu de vue sa tante et sa grand-mère. C’est la première fois qu’elle témoigne. Si elle a accepté de le faire, c’est parce qu’elle a grandi, dit-elle, qu’elle comprend mieux les choses maintenant. Pour rendre aussi justice à ses parents.
Madame l’avocate générale la remercie pour avoir eu le courage de témoigner.
Coline BERTRAND, stagiaire du CPCR
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑] - Voir ci-dessus un exemple de mortier en illustration du témoignage précédent.[↑]
- Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[↑]
- FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]