Journée consacrée au réquisitoire des avocats généraux, madame Aude DURET et monsieur Rodolphe JURY-BIRMANN.
« Raconter la nuit ». C’est par ces mots du président MACRON au Mémorial de GISOZI à KIGALI en 2021 que monsieur JURY-BIRMANN, avocat général, commence son intervention. Pendant ces six semaines, nous avons rencontré des charniers, des massacres, la déshumanisation des Tutsi, l’ignominie des crimes de monsieur MANIER, dit-il en substance. « Mais le temps n’a pas accompli son oeuvre. Nous saluons la dignité des victimes qui sont venues pour raconter la nuit, pour comprendre. Nous saluons leur courage: elles n’abandonnent jamais. »
Monsieur l’avocat général rend ensuite hommage aux associations de parties civiles, remercie l’association qui est chargée d’accueillir les rescapés qui viennent témoigner et le colonel CHEVALIER, à KIGALI, qui a assurer la bonne marche des auditions en visioconférence. Il remercie enfin sa collègue, madame Aude DURET, qui a systématiquement remercié les rescapés qui avait fait ce si long voyage pour être entendus à la barre.
Monsieur JURY-BIRMANN adresse quelques mots aux jurés et pose une question importante: « Pourquoi juger monsieur MANIER en France? » Plusieurs raisons à cela:
- La France n’extrade pas ses nationaux et Philippe MANIER a obtenu la nationalité française.
- Il n’est pas possible de lui faire purger sa peine au Rwanda, peine prononcée en 2002 dans ce pays.
- le 22 mai 1996, il y a eu la transposition d’une loi du TPIR dans le droit français. ( Pas sûr que ce soit clair!)
- cette cour est composée de jurés tirés au sort et non de magistrats professionnels seul, comme c’est le cas pour des crimes liés au terrorisme (NDR. Pourquoi ne pas envisager la même chose pour les crimes de génocide commis au Rwanda pour accélérer les procédures?)
- il existe la loi de compétence universelle qui permet de juger des crimes qui ont été commis à l’étranger, par des étrangers, sur des étrangers, à condition qu’ils soient domiciliés en France au moment de la plainte.
« Nous ne jugeons pas le génocide des Tutsi mais un homme, pour ses actes. Le reste n’est que du contexte, voire un écran de fumée« , assène-t-il (NDR. Allusion aux tentatives incessante de la défense de vouloir faire le procès du président KAGAME et de son régime qu’elle ne cesse de présenter comme une dictature. Ces arguments seront certainement repris par les avocats de BIGUMA lundi prochain, dans leurs plaidoiries).
Et l’avocat de rappeler les dernières paroles de Klaus BARBIE à la fin de son procès: « C’était la guerre, et la guerre c’est fini », manière de dire qu’on aurait tord de le juger?
« Le temps est le principal obstacle dans ces affaires de génocide au Rwanda. Mais nous avons affaire à des crimes imprescriptibles. Il faut que la justice passe! » Ce temps qui ne facilite pas l’accusation dans la mesure où nous n’avons que des témoignages sur lesquels nous appuyer.
Les témoignages? La preuve parfaite n’existe pas. Les témoignages « indirects », dénoncés par la défense, seraient irrecevables? « Ils ne sont pas moins valables que les témoignages directs ». Les témoins tiendraient des propos incohérents? « Même un témoignage imparfait compte. »
Et s’adressant aux jurés, l’avocat général termine sa longue introduction: « C’est à vous de construire une vérité judiciaire. »
Madame l’avocate générale, prend la parole à son tour pour aborder le sujet peut-être le plus difficile: l’explication de la loi. (NDR. Je vais essayer de transcrire en substance ce que je crois avoir compris.)
« La terre ne veut pas être complice »**. C’est par ces mots de Vassili GROSSMAN, journaliste et écrivain russe né en 1905, que madame Aude DURET commence son intervention. Elle évoque l’ouverture des fosses, décrite par Dafroza GAUTHIER, la nécessité d’écrire l’histoire à l’endroit car le négationnisme est constitutif du génocide. Elle rappelle alors les propos des rescapés et leurs traumatismes.
** « La terre rejette des fragments d’os, des dents, divers objets, des papiers. Elle ne veut pas être complice. » Vassili GROSSMAN, dans L’Enfer de Treblinka.
En 2006, au procès KAREMERA, devant le TPIR[1], il a été reconnu le constat judiciaire du génocide des Tutsi, comme cela a été le cas en France lors des procès de Pascal SIMBIKANGWA[2] et des bourgmestres de KABARONDO, Octavien NGENZI et Tite BARAHIRA[3] .
Monsieur MANIER est poursuivi, rappelle-t-elle, pour crime de génocide, crimes contre l’Humanité et entente. Et d’expliquer la différence entre crime de génocide et crimes contre l’Humanité, ces derniers visant des civils et non des combattants.
Le plan concerté n’est pas la planification: dans le génocide des Tutsi, il n’y a pas de feuille de route. Pas question de parler de « génocide spontané » ou « improvisé » comme veut bien le laisser entendre l’accusé. De souligner alors le rôle de l’État, l’établissement de listes de Tutsi à éliminer, des contrôles systématiques aux barrières, l’interdiction de traverser la frontière vers le BURUNDI, la séparation entre Hutu et Tutsi avant les attaques, et la traque finale. Et pas d’attaques « improvisées ». Philippe MANIER est coupable de crime de génocide et de crimes contre l’humanité. Auteur ou complice? C’est la même peine qui s’applique. Les donneurs d’ordre sont tout aussi coupables que les exécutants. Pas de différence entre « commettre » ou « faire commettre ». (NDR. Pardon si cette partie du compte-rendu est moins claire pour les lecteurs. Je n’avais pas l’intention de rédiger un compte-rendu au départ, même si j’avais pris quelques notes. Les propos de l’après-midi seront plus concrets dans la mesure où on va s’intéresser aux faits, aux massacres des différents lieux de la sous-préfecture de NYANZA)
Monsieur JURY-BIRMANN.
Les barrières.
Les barrières ont montré leur efficacité. Seulement treize ont été retenues dans l’OMA (Ordonnance de Mise en Accusation) des juges d’instruction. Mais il y en avait beaucoup plus. Leur érection avait pour objectif d’empêcher les Tutsi de fuir. Entre BUTARE et la frontière du BURUNDI, soit une distance de trente kilomètres environ, des ONG en avaient dénombré près d’une trentaine.
À chaque barrière, il y avait un responsable, un secrétaire et on s’y relayait. BIGUMA en minimisera le nombre, barrières qu’il ne faut selon lui pas confondre avec les points de contrôle tenus pas les militaires. La barrière de l’hôpital avait pour but de contrôler les gens qui venaient se faire soigner, les blessés. Celle du Stade, empêcher les Blancs de voir ce qui ce passait dans cet enclos sportif. D’autres barrières ont été souvent évoquées: la barrière de BIGEGA, de RWESERO, de MUSHIRARUNGU, de KAVUMU, la barrière des Burundais, près de l’école ESPANYA, non loin du stade, celle d’Akazu k’Amazi près de laquelle une vingtaine de Tutsi ont été exécutés. BIGUMA a supervisé les barrières, il avait une autorité effective sur les gendarmes, il quittait souvent la gendarmerie pendant le génocide. Il a incité les tenants des barrières à tuer. L’ensevelissement rapide des corps avait pour objectif de les cacher. BIGUMA devra être déclaré coupable pour ces faits.
Madame Aude DURET.
La mort du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA.
Cette attaque a eu lieu le même jour que l’arrestation et l’exécution du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA. De son arrestation au bord de l’AKANYARU, sur la commune de NTYAZO, jusqu’à l’exécution de NYAGASAZA, monsieur HATEGEKIMANA est présent à toutes les étapes. Il est l’unique chef. Ce qui vient contredire le télégramme du sous-préfet KAYITANA auquel s’accroche la défense et qui affirme que le bourgmestre a été tué par la population.
Madame l’avocate générale rappelle les cinq étapes de ces événements:
- Arrestation de Narcisse NYAGASAZA, de Pierre NYAKARASHI, de MUSONERA et autres Tutsi près de la frontière avec le BURUNDI.
- L’itinéraire: deux témoins voient le bourgmestre conduit par BIGUMA, Silas SEBAKARA et Mathieu NDAHIMANA.
- Arrivée à la compagnie de NYANZA: témoignages de plusieurs gendarmes et d’Isaraël DUSINGIZIMANA, le conseiller de secteur.
- À RWESERO: exécution des Tutsi qui étaient transportés à l’arrière de la camionnette.
- Exécution programmée de NYAGASAZA à MUSHIRARUNGU, le signal, l’appel à tuer les Tutsi, sur ordre de BIGUMA.
Les massacres sur la colline de NYABUBARE, le 23 avril 1994.
La gendarmerie va jouer un grand rôle lors de ces massacres. Le témoignage du conseiller de secteur, Israël DUSINGIZIMANA est capital[4]. C’est lui qui va chercher les gendarmes car, sur la colline, est présent un militaire armé, Pierre NGIRINSHUTI. L’intervention des gendarmes va être déterminante: ils vont installer un mortier sur la colline d’en face et c’est BIGUMA qui donne ses directives. Plusieurs étapes :
- Séparation des Hutu et des Tutsi.
- Encerclement de la colline par les gendarmes et les assaillants.
- Utilisation du mortier 60.
- Traque des Tutsi qui ont échappé aux obus ou aux balles.
- Jet de grenade sur la maison de Pierre NGIRINSHUTI.
- Ratissage des survivants exécutés à coups de machette et de gourdins.
Il faut souligner le caractère généralisé de cette attaque avec l’utilisation du mortier 60 contre des civils désarmés. Se référer aux conclusions de monsieur Pierre LAURENT, expert en balistique[5]. De nombreux témoignages de rescapés corroborent les dires d’assaillants comme Israël DUSINGIZIMANA qu’on ne peut soupçonner d’avoir été soumis à des pressions du pouvoir.
De plus, ces massacres sont encouragés par la promesse de récompenses issues des pillages. Le témoignage de François HABIMANA[6] est éclairant: il est emmené dans la voiture de gendarmes au milieu de chèvres qui urinent sur lui. Ce témoin fait des déclarations des plus éloquentes: « Il s’est passé des choses innommables! » Son sauvetage inespéré, l’exécution de Tutsi, femmes et enfants, qui lèvent les bras pour qu’on les épargne, comme avait fait François. Tous seront exécutés sur ordre de BIGUMA, même la seule jeune fille qui avait échappé à la fusillade après avoir eu un sein coupé!
BIGUMA est donc auteur du génocide et de crimes contre l’humanité.
Les massacres sur la colline de NYAMURE.
C’est le lieu qui verra tomber le plus de victimes, où des viols seront commis: illustration de la notion de crime de masse. Les témoignages factuels sont crédibles à condition d’en circonscrire le lieu et la date. Il y a aussi nécessité de recouper les témoignages, les témoins se trouvant sur des lieux différents, sur la colline. Sans oublier la présence d’un mégaphone qui sera utilisé aussi à l’ISAR SONGA[7]. À noter qu’il y a bien eu des attaques avec des armes avant la grande attaque qui a vu la participation des gendarmes de NYANZA: des policiers communaux, armés, ont participé à ces attaques. Noter enfin le survol d’un hélicoptère comme à l’ISAR SONGA.
Les lieux. Les massacres sont partis du sud de la préfecture de BUTARE pour monter vers le nord, les Tutsi se réfugiant sur la colline de NYAMURE pour plusieurs raisons:
- Les Tutsi ont été chassés de chez eux par des Interahamwe[8] venus du BUGESERA, ou par les autorités locales. Des scènes de pillages sont organisées avec la participation des gendarmes, une distribution d’essence est effectuée pour brûler les maisons des Tutsi. Ces derniers se regroupent sue la colline de NYAMURE où ils vont souffrir de faim et de soif, même si certains réfugiés ont pu venir avec leur cheptel. Certains d’entre eux iront arracher des racines de manioc dans les champs voisins.
- La frontière avec le BURUNDI est fermée. Les Tutsi sont donc refoulés vers NYAMURE. D’autres disent être venus là « parce qu’il s’y sentaient en sécurité. »
La temporalité. Difficile de dire quand arrivent les réfugiés. Le 17 avril? Le 19 ou le 20? Les réfugiés ont des parcours différents, d’où des témoignages qui divergent. Difficile aussi de donner le nombre des réfugiés présents sur la colline: 20 000? 30 000? Ils sont arrivés les uns après les autres mais il ne faut pas les confondre avec le nombre des victimes: 3000? 6000? 15 000 selon Valens BAYINGANA[9] Lors de l’inhumation des corps, il sera compté 11 000 têtes!
Trois constats toutefois.
- Les attaques se sont succédées pendant plusieurs jours. À partir du 22 avril? Le 24 ou le 25? selon Valens BAYINGANA. Il est difficile de dénombrer ces attaques, tout dépend du jour de l’arrivée des témoins.
- Les premières attaques ont été menées par des Interahamwe: 2000? 3000? venus de la région, habillés de feuilles de bananier pour se reconnaître entre eux. Ils ont participé au vol du bétail, étaient armés d’armes traditionnelles: outils agricoles, machettes (NDR. L’avocat général se trompe quand il dit que les machettes n’étaient pas des outils de tous les jours, faisant référence à l’achat massif de ces outils avant le génocide). Ces attaques se sont déroulées sous l’autorité des responsables locaux.
- Le renfort des gendarmes de NYANZA: cette intervention a été déterminante pour la réussite des tueries le 27 avril 1994. Difficile de savoir si les gendarmes ont participé à plusieurs attaques, difficile aussi d’en déterminer le nombre. Mathieu NDAHIMANA est bien désigné comme celui qui va chercher les gendarmes dès le 23 avril. Il obtiendra trois gendarmes de BIGUMA qui vont loger au Centre de Santé et participer aux attaques du 24 avril. Les gendarmes font usage de leurs armes: ils ont été vus par certains témoins, entendus par d’autres. Quant aux armes lourdes, certains n’entendent que des explosions, parlent de rafales: obus? grenades? Un mortier a bien été installé près de l’école, au pied de la colline. Autant d’armes que possède la gendarmerie de NYANZA.
La grande attaque du 27 avril.
Cette attaque est surtout décrite par Valens BAYINGANA[10] qui habitait au bord de la route qui mène à l’église et à l’école. Il situe cette attaque entre 13 et 15 heures. De nombreux autres témoins parlent aussi de ces événements. Des gendarmes ont tiré sous le regard des assaillants postés en haut de la colline. Les réfugiés répliquaient par des tirs de pierres. Un hélicoptère a survolé la colline. De nombreux réfugiés ont été massacrés, de nombreuses femmes violées.
Implication de BIGUMA. On peut faire l’hypothèse de sa présence avant le 27 avril. Il avait donné l’ordre d’ériger la barrière de BIGEGA le 22 avril. Il a remis une arme à un assaillant le 23. Plusieurs gendarmes ont participé à cette attaque. La présence de l’accusé sur place est probable.
Le 27 avril, BIGUMA a galvanisé les assaillants, il a accompagné les autres gendarmes au pied de la colline. Plusieurs véhicules se sont garés près de l’église et de l’école. BIGUMA dirigeait les gendarmes. Certains témoins l’ont identifié, d’autres ont entendu parler de lui: « BIGUMA arrive, nous sommes morts » se seraient écrié des réfugiés. Ce qui nous renvoie à sa personnalité. La simple évocation de son nom crée la panique.
BIGUMA, armé, a déclenché l’attaque en tirant en l’air, puis a tiré sur le groupe de femmes dont une était en train d’accoucher. (NDR. Contrairement à ce qui a été dit, les femmes n’étaient pas restées en bas de la colline: celles qui ont été tuées près de la femme qui accouchait étaient à moins de cent mètres du sommet. Constatations que nous avons faites lors de notre visite à NYAMURE en présence de Valens).
BIGUMA est donc bien auteur du crime de génocide et de crimes contre l’humanité.
La commune de RUSATIRA.
Refoulés de la paroisse de RUYENZI par un prêtre canadien, les Tutsi vont se diriger vers l’ISAR SONGA, un vaste domaine agricole. Deux collines sont concernées par les massacres qui vont y être perpétrés: la colline de GITOVU et celle de BUREMERA au pied de laquelle est installé le mortier. On situe l’attaque au 28 avril 1994.
Le bourgmestre de RUSATIRA, Vincent, s’était inquiété de la passivité du conseiller de secteur de KINAZI: d’où l’érection de barrières et le rassemblement de la population à l’ISAR SONGA. Le 23 avril, les Hutu ont été encouragés à rentrer chez eux: un message adressé par mégaphone leur faisait savoir qu’ils n’étaient pas visés par les massacres. La résistance des Tutsi s’est organisée autour de Tharcisse SINZI, « un résistant tutélaire« [11]. Les assaillants seront tenus à distance par des jets de pierres. Le 27 avril, on signale le survol d’un hélicoptère: sentant la menace, SINZI organise le départ de ceux qui acceptent de le suivre. Dans l’après-midi du 28 avril, une grande attaque se déclenche à partir de la colline de BUREMERA où est installé le mortier. D’autres assaillants, dont certains sont armés de fusils, attaquent à partir du haut de la colline de GITOVU. Les tirs de mortier font beaucoup de dégâts et provoquent la panique généralisée. Ceux qui fuient avec SINZI sont systématiquement attaqués par l’arrière de la colonne qui fuit vers le BURUNDI. C’est le même mode opératoire qu’à NYABUBARE et NYAMURE.
BIGUMA est impliqué dans l’attaque de l’ISAR SONGA: il doit être considéré comme responsable.
Quelques rappels:
- On signale la présence de militaires qui portent des bérets rouges, donc des gendarmes.
- Les réfugiés vivent des scènes traumatiques, ils fuient: difficile pour eux de décrire la présence de gendarmes.
- Des véhicules sont utilisés pour transporter des armes et des caisses d’obus: difficile d’en préciser la couleur.
- L’ISAR SONGA, dans la commune de RUSATIRA, fait bien partie du secteur territorial de la gendarmerie de NYANZA.
Trois gendarmes du camp de NYANZA voient partir BIGUMA et d’autres gendarmes le voient charger le véhicule. Intervient le témoignage capital de Longine RWINKESHA[12], sauvée par des gendarmes au moment où on s’apprête à l’enterrer vivante dans la fosse qu’elle vient de creuser. L’un des gendarmes la prend « pour femme ». Elle est transportée dans la maison de ce dernier, près d’une barrière. Elle va reconnaître BIGUMA lors de son audition. (NDR. Pas anormal car ce dernier venait dans la maison où elle était séquestrée.)
BIGUMA sera tenu pour responsable de cette offensive et de la mort de milliers de victimes. Il doit être considéré comme auteur de génocide pour avoir fait commettre les crimes et en qualité de complice qui a usé de son autorité et permis l’utilisation des armes.
Impressions d’audience par madame l’avocate générale.
Faisant référence au témoignage de monsieur Alain VERHAAGEN qui avait été frappé par la résignation des victimes tutsi[13], madame DURET reprend la parole: « En écoutant les rescapés, j’ai pensé à leur environnement: trous qu’il faut creuser, vaches qu’on se partage, chiens qui participent à la chasse des Tutsi et qui dévorent les cadavres, serpent qui cohabite avec une rescapée qui se cache dans un trou creusé dans un champ. J’éprouve indignation et colère à l’égard des bourreaux. »
« Il faut tenir compte de l’attitude de MANIER, poursuit-elle. Il s’est déclaré quelque peu compatissant, étant lui-même père et grand-père. Il défend son innocence, il se dit victime de KAGAME. Pour lui, tous les témoins sont corrompus. Il est victime d’Alain GAUTHIER qui a été décoré par le président KAGAME, il dénonce le discours stéréotypé des rescapés. Au TPIR, on a relevé un seul cas de faux témoignage (NDR. Et encore, un témoin de la défense?) Il se dit victime d’un complot, et les témoins, ses bourreaux. Opposant politique? Ce n’est pas crédible. Il avait bien préparé sa défense, ce qu’on a pu voir lors des perquisitions effectuées à son domicile ».
« Il avait bien préparé sa défense depuis 2015. Entre 2015 et 2017, il envoie de l’argent au CAMEROUN. Lorsqu’il parle, rien ne peut être vérifié. Il a donné quatre dates différentes concernant sa mutation à KIGALI. Ses alibis sont fragiles. Le colonel RUTAYISIRE, qui pouvait témoigner en sa faveur, a refusé de se présenter au procès. BIGUMA éprouve une haine ancienne pour les Tutsi: « chiens de Tutsi ! Moi, afande, je voudrais que vous tuiez ces chiens de Tutsi », dira-t-il. Il se dit « bon de naissance », il a sauvé des Tutsi, il a eu une maîtresse tutsi... »
« BIGUMA, c’est un surnom péjoratif. Et il y a bien un seul BIGUMA. Il manifeste de la pudeur mais il y a chez lui une réelle volonté de dissimilation. À KASHUSHA, parce qu’il se prétend menacé, il prend une fausse identité qu’il gardera lors de sa demande d’asile. Il cache son passé de gendarme. Il reprend une vie sociale, a une personnalité « normale ». Il parle tellement de pardon qu’une de ses collègues le prenait pour un repenti. Il investit au CAMEROUN d’où il a oublié de rentrer lors d’une visite qu’il rend à sa fille. Il y a une réelle velléité de fuite qui signe sa culpabilité. Pourquoi MANIER a choisi de tuer? Il refuse de penser ses actes. »
« Il n’y a pas de refuge en France pour les génocidaires, assène l’avocate générale. Pas d’impunité! »
La peine. C’est monsieur l’avocat général qui se charge de conclure le réquisitoire.
Monsieur MANIER encourt la réclusion criminelle à perpétuité ( NDR. C’est la peine prononcée lors du procès en première instance).
Monsieur MANIER a été « le grand absent de ce procès… Un monstre? Une bête? Un fou? ». Et citant Jacques SEMELIN, « c’est l’énigme de notre barbarie ». « Pas des monstres, avait dit Primo LEVI, ils avaient notre visage. »**
« Vous condamnerez cette absence de contrition. Il n’y aura pas de déclic. Il ne changera pas. Et c’est le dossier dans lequel il y a le plus de victimes. Que fera Philippe MANIER si vous le remettez en liberté? Il n’a pas mis de point final à son récit inventé de toute pièce.
La peine de crime contre l’humanité a un caractère exemplaire. Elle pourra dissuader d’autres de la commettre. Vous prononcerez une peine qui tienne compte du comportement global de Philippe MANIER. Il a souillé l’uniforme qu’il portait. Il a basculé dans le crime. Vous sanctionnerez l’absence de remord: « Je suis père et grand-père… Je n’y suis pour rien » a-t-il déclaré ».
Et l’avocat général de rappeler les mots émouvants et naïfs à la fois, de ces femmes de NYABUBARE qui implorent une pitié dont elles ne bénéficieront pas: « Pardonnez-nous, nous ne serons plus Tutsi. »
« Dites au survivants que vous les avez crus. Dans le procès de NGENZI et BARAHIRA, la peine de perpétuité a été prononcée en 2018, pour les crimes commis dans la petite église de KABARONDO. Que ce précédent, vous serve de repère. Une peine de perpétuité peut être assortie d’une peine de sûreté de 18 ans, vous pourrez aller jusqu’à 22 ans ».
** Primo LEVI refuse le nom de bourreaux pour désigner les gardiens des camps car « ils font penser à des individus moralement marqués à la naissance d’une malformation morale, sadiques, affligés d’une tare originelle. Ils étaient au contraire de la même étoffe que nous, c’étaient des êtres humains moyens, moyennement intelligents, d’une méchanceté moyenne, sauf exception, ce n’étaient pas des monstres. Ils aveint notre visage mais ils avaient été mal éduqués. » Primo LEVI in Naufragés et rescapés.
« Nous requérons la peine de réclusion criminelle à perpétuité. »
PS. J’ai tenté de transcrire au mieux le réquisitoire implacable de l’accusation. J’espère avoir été fidèle au moins à l’esprit. J’ai toutefois essayé de retranscrire au plus près les propos de l’accusation que, en mon nom et au nom des victimes, je tiens à remercier.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page.
- TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
- Voir procès Pascal SIMBIKANGWA[↑]
- Voir procès Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA [↑]
- Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024.[↑]
- voir l’audition de Pierre LAURENT, expert en balistique.[↑]
- Voir l’audition de François HABIMANA, partie civile, 21 novembre 2024.[↑]
- ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
- Voir l’audition de Valens BAYINGANA, partie civile, 28 novembre 2024.[↑]
- Voir l’audition de Valens BAYINGANA, partie civile, 28 novembre 2024.[↑]
- Voir l’audition de Tharcisse SINZI, partie civile, 4 décembre 2024.[↑]
- Voir l’audition de Longine RWINKESHA, partie civile, 6 décembre 2024.[↑]
- Voir l’audition d’Alain VERHAAGEN, 6 novembre 2024.[↑]