Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 20 novembre 2024. J12


 

Audition de monsieur Lameck NIZEYIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.

Le témoin a été condamné par les Gacaca[1] à 8 ans de prison alors qu’il venait d’en faire 13 en préventive. Il avait plaidé coupable: condamné pour génocide, pour avoir tenu des barrières, tué, participé à des attaques… C’est parce qu’il a reconnu les faits et demandé pardon qu’il a été condamné à une peine aussi légère.

Il dénonce BIRIKUNZIRA et BIGUMA comme les principaux responsables du génocide à NYANZA. Son grand frère a été tué à la gendarmerie où il avait été emprisonné comme complice du FPR[2]. On l’avait attrapé en possession d’un tampon destiné à établir de fausses cartes d’identité pour les soldats du FPR, avec le bourgmestre GISAGARA. Il dit avoir témoigné contre une cinquantaine de personnes.

Concernant la réduction de peine qu’il a obtenue, monsieur le président précise que cette pratique existe aussi dans notre pays. « Ce qui n’autorise pas à mentir » intervient maître GUEDJ, avocat de l’accusé.

Le témoin a reconnu BIGUMA sur la planche photographique qui lui avait été présentée et « cru le reconnaître » en confrontation. Il le connaît bien comme un des responsables de la gendarmerie, avec BIRIKUNZIRA. « C’était un notable et il était méchant » avait ajouté le témoin.

Entendu par le TPIR[3], monsieur NZEYIMANA avait expliqué qu’avant le génocide il existait de bonnes relations entre Hutu et Tutsi. En 1991, une réunion avait été organisée pour appeler la population au calme. Deux partis haineux existaient alors: le MRND[4] et la CDR[5]. Les gendarmes patrouillaient. Lui-même avait été empêché d’y participer.

Le témoin rapporte ensuite l’attaque contre la maison du bourgmestre GISAGARA autour du 17 avril. C’étéit le président local du PSD[6] et s’opposait aux violences. Il sera tué. Lors d’une autre réunion en 1994, BIRIKUNZIRA s’était opposé au préfet HABYARIMANA[7].

Autour du 20 avril, les conseillers de secteur sont  invités à ériger des barrières. On retrouve lors de ce rassemblement autour du  sous-préfet Gaëtan KAYITANA tous les responsables de cellules également. On demande alors aux gens de se rendre à la barrière de RUKARI. Les Hutu s’y rendent avec leurs armes traditionnelles sous la responsabilité de MATABARO. BIGUMA passera le lendemain pour dire qu’il fallait tuer les Tutsi. Ce dernier demandera à ce qu’on aille chercher un Tutsi pour en faire un exemple. « Nous devons tuer tous ces serpents », dira BIGUMA une fois le Tutsi abattu. On leur a demandé ensuite d’aller chercher de l’essence.

C’est le 23 avril que le génocide commence véritablement à RUKARI, alors qu’il avait commencé la veille dans la commune. « Nous n’avions jamais tué, intervient le témoin, nous avons été encouragé à le faire en toute impunité dans la mesure où ceux qui étaient chargés de nous protéger avaient commencé à le faire. »

Le témoin avait expliqué ensuite comment fonctionnait la barrière de RUKARI. BIGUMA passait pour contrôler les barrières. Il y avait environ 80 hommes et jeunes gens sur cette barrière. Chacun s’éclipsait pendant une heure pour aller se restaurer mais tout le monde dormait là. A la mi-mai, BIRIKUNZIRA avait tenu une réunion pour dénoncer les Hutu qui cachaient des Tutsi: « Si un serpent s’enroule autour d’une baratte, il faut casser la baratte. » avait-il dit. Le témoin était présent à cette réunion qui s’est tenue en contre-bas du bureau communal. Les autorités avaient félicité les tueurs et avaient encouragé à continuer le ratissage des Tutsi. BIGUMA était bien bien présent à NYANZA à la mi-mai. On tuait aussi des gens à la gendarmerie, Tutsi et Hutu « modérés ».

Le témoin s’est rendu chez le conseiller de secteur pour obtenir une carte d’identité avec mention Hutu[8]. C’est là qu’il a vu des gendarmes tirer sur une trentaine de Tutsi (il avait dit une dizaine dans une précédente audition).

Témoigner contre BIGUMA et BIRIKUNZIRA, ça le soulage, dira-t-il. Ce sont eux les grands responsables du génocide à NYANZA. Le fait de les juger est le signe qu’on rend justice à tous ceux qui reposent dans les mémoriaux.

Maître PHILIPPART demande au témoin s’il connaît un certain FATIKARAMU. Il répond que son fils Olivier MUREKEZI est un rescapé de la famille. (NDR. FATIKARAMU était un joueur de foot célèbre. Il aurait été décapité au stade et les tueurs auraient joué au foot avec sa tête!) Toute la famille a été décimée. Mais il n’en sait pas plus. Toujours sur question de l’avocate, le témoin précise que la barrière des Burundais était aussi appelée la barrière des gendarmes.

Maître AUBLE demande où ont été jetés les corps tués sur la barrière RUKARI. Certains ont été enterrés tout près de la barrière, d’autres jetés dans des fosses sceptiques ou enterrés dans les caniveaux. Certains Tutsi ont été tués près de l’église ADEPR[9]. Tour les corps qui sont restés sur les collines seront enterrés à l’arrivée du FPR[10].

Maître EPOMA souhaiterait que le témoin raconte une journée sur la barrière. Difficile de raconter en peu de temps. Mais le témoin redit qu’ils s’absentait une heure dans la journée pour aller se restaurer. Il fallait tuer le maximum de Tutsi avant l’arrivée du FPR. D’autant qu’en échange, on les autorisait à piller les biens des victimes qui étaient équitablement partagés. Les biens de valeur étaient pris par les gendarmes.

Monsieur l’avocat général remercie le témoin pour la qualité de son témoignage. Comment se fait-il que c’est BIGUMA, qui n’était que sous-officier, qui dirigeait les tueries? s’étonne-t-il. « Les deux étaient très virulents » précise le témoin. Ce dernier confirme que des Interahamwe[11] ont bien été entraînés à la gendarmerie d’où ils revenaient avec une arme à feu. Ce qu’a toujours contesté BIGUMA. Lors de la remise en situation à la barrière du stade, il a été dit qu’il fallait empêcher les Blancs de venir voir ce qui se passait au stade pour s’opposer au plan qui avait été mis en place. Le témoin confirme que cette barrière avait été installée pour barrer la route aux Blancs et à tous ceux qui voulaient savoir ce qui se passait.

Maître GUEDJ veut poser des questions courtes pour obtenir des réponses courtes. « Vous êtes cité par l’accusation, dit-il au témoin, ce qui veut dire que ce que vous dites est considéré comme des preuves  »irréfutables »? »  Avant que le témoin ne réponde, monsieur l’avocat général précise que les jurés ont la liberté de croire ou ne pas croire les témoins.

Puis question concernant KAMONYO qui l’accuse d’avoir tué un pasteur pentecôtiste. Le témoin dit n’avoir jamais nié. Quant à NYAGASAZA, il n’a pas assisté à son arrestation ni à son exécution: c’est bien le conseiller Israël qui lui a raconté. l’avocat accuse le témoin d’avoir menti, qu’il y a des contradictions dans ce qu’il dit. Revenant sur KAMONYO, maître GUEDJ demande au témoin comment lui est venue cette idée de témoigner si souvent.

« J’ai été affligé par la manière dont on a tué les Tutsi. Je suis obligé de dire ce que j’ai vu et fait. Les Tutsi que nous avons tués étaient nos voisins, tout comme les tueurs. J’ai constaté que les responsables des tueries ne se repentaient pas. J’ai décidé de me désolidariser d’eux. »

À ce moment, il semblerait que l’avocat de la défense perde un peu les pédales. Il n’a pas dû bien suivre les déclarations du témoin. À aucun moment Lameck NIZEYIMANA n’a dit avoir été « approché » par des autorités pour préparer son audition. KAMONYO l’accuse d’être corrompu par le gouvernement pour témoigner contre lui et son frère? C’est vrai, s’insurge l’avocat.

« KAMONYO a nié et minimisé le génocide. J’ai témoigné à charge contre lui. Il s’en prend à moi parce que je connais beaucoup de choses. »

Réplique de l’avocat: « Pourquoi les jurés devaient vous croire plus que KAMONYO« ?

Le témoin: « J’ai plaidé coupable en 1994. »

L’audience se termine un peu dans la confusion. Les interventions de maître GUEDJ déclenchent toujours des réactions de la salle. Dès la suspension, souriant, il vient saluer ses collègues des parties civiles. On se croirait au théâtre. Le numéro n’était toutefois pas très probant.

 

Audition de monsieur Alfred HABIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda;

Le témoin décline son identité et prête serment. Il a déjà été entendu en 2017, 2019 et a participé à une remise en situation. La première fois, il disait que ses idées n’étaient pas très claires car il gardait des séquelles d’une blessure à la tête dans le camp de KIBEHO. Le témoin a été jugé pour le meurtre d’une femme sur la barrière de RUGARAMA (KUCYAPA). Il a été condamné à 9 ans de prison et 5 ans de travaux d’intérêt général.

Le témoin confirme ses propos quant à l’arrestation des Tutsi à cette barrière qui ont été enfermés dans une maison. Il ne se souvient pas de la date mais sait que quand les gendarmes sont arrivés, ils ont déclaré que les Tutsi s’étaient emparés du pays et qu’ils allaient tuer les Hutu.

Ce sont les militaires qui les ont obligés à rester sur la barrière et tous les jeunes Hutu qu’ils croisaient étaient emmenés sur la barrière pour la garder. Beaucoup de Tutsi habitaient dans cette zone. Une femme nommée Épiphanie a été emmenée à la barrière et tuée. Il y eu d’autres victimes qu’il ne connaissait pas. Il se souvient que BIGUMA et BARAHIRA étaient les chefs qui ordonnaient aux jeunes de rester sur la barrière.

Il se souvient aussi qu’il entendait parler de BIRIKUNZIRA avec un véhicule et d’autres militaires camouflés. Chaque fois que des militaires passaient, il se disait que c’était l’ordre de BIRIKUNZIRA. Le témoin pense avoir vu BIGUMA sur une barrière car il a vu des militaires passer mais ne peut pas être sûr car il ne le connaissait pas. Le témoin dit que RUDAHUNGA était le chef de l’Akazu k’Amazi, HABINIEZA le chef de NYABISINDU, KABERA, le chef de BUGABA.

Emplacement de la barrière Akazu k’amazi, ©AG.

Me GUEDJ, pour la défense interroge le témoin. Il aurait vu BIGUMA lorsqu’il était sur la barrière, puis annoncé le contraire en 2019. Il répond qu’il l’a vu arriver à bord d’un véhicule et que ce sont ses amis qui lui ont dit que c’était BIGUMA.

 

Audition de monsieur Hamza MINANI, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda

le témoin décline son identité et prête serment. Il est agriculteur/vendeur ambulant et habite dans le district de NYANZA.

Il connaissait BIGUMA en tant que gendarme à NYANZA, il était surnommé adjudant BIGUMA. Il se souvient de lui car BIGUMA allait boire des bières au bar sur le lieu où il était vendeur. Ce bar était tenu par BARIHUTA Apollinaire. Souvent, il y allait pour prendre un verre. Les deux premières semaines du génocide, une réunion a eu lieu là-bas pour préparer le génocide par la CDR[5] et BIGUMA y a assisté. Il dit même qu’il y a eu deux réunions.

Le 22 avril, le témoin explique qu’il entend des tirs qui venaient de chez le commerçant RUBANGURA. Il accourt sur place et constate que BIRIKUNZIRA et BIGUMA sont présents ainsi que CYISTO, un autre adjudant à la gendarmerie.

Il y avait aussi des militaires de l’ESO de Butare[12]. Il y avait des impacts de balle sur la porte de la maison. BIRIKUNZIRA et BIGUMA seraient entrés dans la maison et auraient fait sortir la sœur, sa fille et deux petits enfants d’Angelina. Les militaires les ont emmenés à la gendarmerie et on ne les a plus jamais revus.

Le témoin confirme aussi l’attaque de BASHUNGA et de sa fille. Il aurait vu BIRIKUNZIRA accompagné de BIGUMA dans une camionnette rouge. La victime avait deux femmes. Ils sont allés le chercher chez sa première femme, ne l’ont pas trouvé, ont enlevé sa fille pour leur indiquer la maison de la deuxième femme. Ils l’ont trouvé là et l’ont tué dans le jardin à 100 mètres de sa maison. Il est le témoin oculaire de cette action qui date du 22 avril. C’est BIGUMA qui aurait donné cet ordre, ils se connaissaient très bien car il travaillait dans une agence de télécommunications RWANDATEL.

Le 22 avril au soir, l’adjudant BIGUMA a ordonné d’aller sur une barrière à BIGEGA. Le 23 avril, il vient à la barrière au volant de la Toyota et nomme un réserviste nommé Moïse, responsable de la barrière. Il lui remet un fusil. Il donne l’ordre que tout Hutu doit tenir cette barrière pour tuer les Tutsi qui s’y présentent. Au moment où la barrière est érigée, il remet aussi un registre avec une liste des Tutsi morts et des Tutsi encore vivants à éliminer. Le témoin est resté un mois et demi sur cette barrière. Le fusil a été utilisé seulement pour tuer trois personnes et les autres ont été tués à l’arme traditionnelle.

Enfin, le témoin affirme aussi que BIGUMA aurait donné l’ordre d’abattre la femme du gérant BASHUNGA lors de l’attaque dans sa maison.

Le témoin confirme qu’il rentrait chez lui le soir. Il confirme aussi qu’il avait ordre de tuer les Tutsi qui passaient à la barrière selon la mention sur la carte d’identité[8]. Le témoin dit qu’il n’a personnellement tué personne même s’il avait le droit. Il dit qu’il était aux barrières car il cachait des Tutsi chez lui et que cela lui permettait d’être proche de l’information et donc insoupçonnable. Il dit avoir caché 6 Tutsi chez lui. On ne lui a pas reproché d’avoir été à la barrière car il n’avait pas tué. Il confirme que les corps des Tutsi étaient jetés dans des caniveaux ou des fosses. Certains encore étaient enterrés à la barrière. Ils seront exhumés pour être enterrés dans des sites mémoriaux. Les ordres donnés par BIGUMA étaient d’intensifier la chasse aux Tutsi. Le témoin était mal vu car il était inactif sur la barrière.

Colline de Nyamure qui domine la vallée. BIRIKUNZIRA aurait dit à Moïse « Maintenant nous allons travailler à NYAMURE car il y a des Tutsi » – ©AG.

Lors de sa dernière audition, il a évoqué la colline de NYAMURE. Il dit avoir vu passer une Toyota rouge dans laquelle se trouvait BIGUMA, BIRIKUNZIRA et CIYSTO avec d’autres gendarmes. Ils avaient des machettes et des gourdins. En passant à la barrière BIRIKUNZIRA aurait dit à Moïse « Maintenant nous allons travailler à NYAMURE car il y a des Tutsi ». Au retour il a vu repasser une seule des deux voitures uniquement avec BIGUMA dedans. M. le président relève qu’il avait dit la même chose dans son témoignage au TPIR[3]. Il observe aussi que le témoin n’avait pas reconnu BIGUMA sur des photos qui lui avaient été présentées. Le témoin aurait vu BIGUMA en 1993 pour la première fois et en mai 1994 pour la dernière fois. Aujourd’hui, il dit le reconnaître même s’il a vieilli.

Me TAPI demande au témoin si la fille de BASHUNGA a aussi été abattue sur l’ordre de BIGUMA. Le témoin confirme.

Le témoin réexplique qu’il connaissait BIGUMA car il travaillait à RWANDATEL, en face de la gendarmerie.

L’avocate générale prend la parole pour demander si la gendarmerie française avait questionné le témoin sur le comportement de BIGUMA avant le génocide. Il répond qu’en 1993 il a tenu des propos racistes lors d’un meeting de la CDR.

L’avocat général interroge maintenant le témoin sur ses déclarations sur la colline de NYAMURE. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une date postérieure au 23 avril. Le témoin confirme cela. L’avocat général demande si la date du 28 apparaît comme acceptable pour le témoin car un autre témoin a évoqué cette date. Le témoin répond que le jour de l’attaque de la colline était le même jour où il a vu les voitures.

Me DUQUE prend la parole pour demander ce que le témoin a à dire sur le fait qu’un jugement déclare que BIGUMA et CIYSTO sont les même personnes. Il nie cette information. Elle lui demande ensuite qui habitait à BIGEGA dans la famille de BIGUMA qu’il aurait visitée. Le témoin répond que c’était une connaissance seulement et non sa famille. Me DUQUE relève cette contradiction avec la précédente audition.

Sur les meurtres de Angelina, Anastasie et ses deux enfants. Me DUQUE demande au témoin comment il peut attester de tels faits sans avoir été présent sur les scènes car il a attesté qu’il ne participait pas à la chasse. Le 22 avril, le témoin a entendu des tirs de balle mais les barrières n’étaient pas en place. Le témoin répète qu’il assiste à ce qu’il s’est passé car il a accouru après avoir entendu les bruits.

Au sujet de l’enlèvement de la famille de RUBANGURA, le témoin réaffirme qu’il a vu la scène de ses propres yeux, notamment qu’ils ont été mis dans la voiture et sûrement emmenés à la gendarmerie.

Me GUEDJ questionne le témoin sur les types d’armes utilisées. Un fusil, des machettes, gourdins et bâtons. C’est un réserviste, Moïse NYANDWI, qui tenait le fusil. Me GUEDJ accuse le témoin de mentir car il n’a pas le même version sur la personne qui a donné l’arme à Moïse. Le témoin répond qu’il ne ment pas.

 

Audition de madame Marie-Claire KAYITESI, partie civile.

La partie civile décline son identité. Elle avait 20 ans au moment du génocide. Les familles d’origine de ses parents ont été persécutées car elles étaient de NYANZA. Elle a continué ses études en RDC car il était difficile de trouver une école en tant que Tutsi. Fin 1992, elle retourne au Rwanda et ne revient pas en RDC car ce n’était pas viable non plus. Elle reste à NYANZA en 1993 et sa sœur va à KIBEHO. Au mois de mars, le dirigeant de la CDR[5] est tué a BUTARE. Son père fait en sorte d’envoyer ses frères et sœurs vers NYANZA à Pâques. Vincent MUREKEZI les accueille dans un de ses locaux commerciaux en guise de maison. Ce local était en face du marché. Ils y ont vécu jusqu’au 7 avril.

Trois jours après le début du génocide, elle appelle à GIKONDO pour demander des nouvelles de son père. Elle apprend qu’il a été tué a KIGALI. On lui avait asséné des coups de couteau et on l’avait enterré vivant. Le petit frère de la victime est envoyé vers NYANZA dans la famille de son père à KINJA.

Quand il est arrivé là-bas, toute sa famille est assassinée et les maisons sont détruites. Un autre de ses petits frères est envoyé dans un orphelinat à NYANZA et survit.

La maison dans laquelle la victime se cachait appartenait à des gendarmes ( C’est eux qui le prétendaient) donc les Interahamwe[11] n’y allaient pas comme ils voulaient. Un jour, ils ont voulu piller les boissons et les gendarmes leur ont tiré dessus. Ces derniers remarquent donc leur présence et leur dit qu’ils viendraient s’occuper d’eux le lendemain. À la tombée de la nuit, les Hutu voisins viennent pour les emmener dans une autre maison. Ils les ont cachés dans le four à pain pendant environ 2 semaines. Ils étaient 6 à l’intérieur: sa mère et ses 4 frères et sœurs. Ils y ont appris la mort de sa petite sœur a KIBEHO.

La famille de sa mère était à BIGEGA (a côté de KAVUMU). A un moment, il est dit que les Hutu dénichés en train de cacher des Tutsi seraient tués. Ils sont donc obligés de partir du four à pain mais ne pouvaient pas se déplacer à cause des barrières. Ils décident donc de retourner dans la première maison de MUREKEZI. Ils ont trouvé les lieux saccagés par les gendarmes qui les avaient cherchés. Ils y sont restés jusqu’à que les Inkotanyi[13] les trouvent.

La famille de sa mère est assassinée a KIVUMU (30 personnes) alors qu’ils croient au piège de la pacification.

À KIBINJA, son petite frère est assassiné dans une maison où il y a 17 personnes.

L’avocate générale demande pourquoi sa mère avait choisi NYANZA pour la protéger alors qu’ils habitaient à KIGALI. La témoin répond qu’elle était originaire de NYANZA mais aussi que le préfet était Tutsi ce qui inspirait confiance. Elle est restée 2 à 3 semaines dans le four à pain et a pu sentir une intensification du génocide. Elle dit aussi que la traque était organisée.

 

Audition de madame Immaculée KAYITESI, partie civile

Le témoin se présente comme la présidente nationale de l’association AVEGA, association des veuves du génocide. Sa famille est originaire de GIKONGORO mais la plupart des membres ont été déportés dans le BUGESERA (NDR. Sud de KIGALI, région de NYAMATA) et vers KIBUNGO (NDR. À l’extrême sud-est du pays, à la frontière de la Tanzanie).

Madame KAYITESI commence par évoquer quelques événements de l’histoire du Rwanda mais monsieur le président lui demande d’aller plus droit au but. Elle raconte alors l’histoire de sa famille avant le génocide, déjà visée par les extrémistes. Son mari a été tué en octobre 1993, par des gendarmes de NYANZA. Ces persécutions ont continué après l’attentat.

De citer ensuite toutes les barrières érigées à RWESERO, autant d’éléments qui ont déjà été abordés depuis le début du procès. Lors de la « pacification », beaucoup de Tutsi sont sortis de leurs cachettes.

Monsieur le président reprend la parole pour signifier au témoin qu’elle aborde des faits dont la cour d’assises n’est pas saisie. Il demande à son avocat d’intervenir pour recadrer sa cliente mais il repose des questions sur les barrières. Il lui demande alors, pour conclure, de dire comment elle a survécu. De parler aussi de l’association AVEGA.

Monsieur le président: « BIGUMA se dit innocent. Il n’était pas là. Ceux qui témoignent sont des menteurs, ils sont préparés par les autorités pour l’accuser car il est un opposant à KAGAME. Le gouvernement manipule les témoins pour qu’ils fassent de fausses accusations. » Que pense-t-elle de tout cela?

Le témoin: « Aujourd’hui, la justice du Rwanda est droite, il y a la sécurité dans le pays, on ne complote contre personne, on dit ce qu’on a vécu. »

Maître BERNADINI pose une question au témoin concernant le viol comme arme du génocide. Monsieur le président ne comprend pas qu’on puisse aborder cette question, il n’en a jamais été question dans le dossier.

Madame l’avocate générale tente une question sur BIGUMA avant le génocide. Le témoin ne répond pas à la question. Elle dit simplement qu’on parlait de lui comme l’adjudant-chef. Elle évoque à nouveau la mort de son mari en octobre 1993. Les responsables n’ont jamais été identifiés ni punis. Et pourtant BIGUMA était là.

 

Interrogatoire de l’accusé sur les dépositions des témoins de la journée.

Lameck NZEYIMANA. « Que des incohérences dans son témoignage. C’est comme ça que je serai jugé?  Je conteste tout, je n’ai pas assisté aux scènes qu’il décrit. Je n’étais pas à NYANZA. »

Alfred HABIMANA. « Je conteste tout ce qu’il dit concernant la barrière de KUCYAPA. »

Hamza MINANI. « Je conteste ». Le témoin le met en cause dans l’attaque de chez RUBANGURA, sur la barrière de BIGEGA et sur les massacres sur la colline de NYAMURE.

« Tous ces gens-là sont des menteurs. On leur met la pression. Je suis un opposant de l’extérieur. Le régime rwandais sème la terreur sur les opposants. Vous ne voulez pas me croire. J’ai participé à une manifestation à RENNES. Je suis allé à PARIS lors de la venue de KAGAME« . Monsieur le président lui fait remarquer que c’est FAUX, qu’il n’a jamais dit cela. L’accusé ne se démonte pas: « Mes enfants y sont allés. Quand mes enfants y vont, c’est moi qui y vais. » (NDR. Rires dans la salle).

Concernant la mort du mari de madame Immaculée KAYITESI, en octobre 1993, par les gendarmes de NYANZA, il n’en a pas entendu parler. Il était pourtant adjudant-chef de cette même gendarmerie.

Maître GUEDJ souhaite faire une observation. Concernant Lameck, « il a menti, c’est un témoin professionnel« . Au président: « BIGUMA est partout mais on ne sait pas ce qu’il a fait. Vous donnez aux témoignages une valeur qu’ils n’ont pas. »

Puis, théâtral, comme il sait bien le faire, il adresse une mise en garde aux jurés. Entendront-ils le message? C’est moins sûr.

 

Coline BERTRAND, stagiaire

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

 

  1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[]
  2. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais), cf. Glossaire.[]
  3. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[][]
  4. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[]
  5. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[][][]
  6. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[]
  7. Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA) : le préfet de BUTARE qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné (à na pas confondre avec Juvenal HABYARIMANA).[]
  8. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[][]
  9. ADEPR : Association des Églises de Pentecôte au Rwanda[]
  10. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  11. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[][]
  12. ESO : École des Sous-Officiers de BUTARE[]
  13. Inkotanyi : combattants du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[]

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Auditions de Jacques MUSABYIMANA, Olivier KAYITENKORE (partie civile), Straton RUDAHUNGA et Jean-Baptiste HABINEZA (partie civile).