- Audition de Cyriaque HABYARABATUMA.
- Audition de Déogratias MAFENE.
- Lecture de la déposition de Laurent RUTAYISIRE.
- Audition d’Augustin NDINDILIYIMANA, ancien chef d’état-major de la gendarmerie.
- Interrogatoire de l’accusé.
Audition de monsieur Cyriaque HABYARABATUMA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda. Détenu.
Le témoin décline son identité. Il travaillait dans la police nationale et a donc travaillé avec M. MANIER au cours de sa carrière.
Il explique qu’il a été condamné en 2015 à la prison à perpétuité pour ne pas avoir exercé sa responsabilité en tant que chef de la gendarmerie dans la province du sud à CYAHINDA. Il n’a pas plaidé coupable car il n’a donné aucun ordre de tuer. Il a été chef de la gendarmerie à BUTARE et son supérieur hiérarchique était directement le CEMA[1] de la gendarmerie Augustin NDINDILIYAMANA. Le chef de la compagnie de NYABISINDU était François BIRIKUNZIRA et avait sa propre autonomie. Le témoin explique qu’il quitte NYANZA le 19 avril en direction de KIGALI pour être muté sur le front. Le préfet HABYARIMANA[2] était une autorité administrative, lui de la gendarmerie. Il confirme que c’est grâce a sa présence et celle du préfet que la préfecture de BUTARE a résisté pendant deux semaines au génocide. Il explique que les gendarmes lui obéissaient jusqu’à ce moment.
Le préfet pacifiste a été destitué et remplacé par Sylvain NSABIMANA qui tenait de mauvais discours selon le témoin. Il confirme que ce sont sûrement ces événements qui ont fait basculer la préfecture de BUTARE dans le génocide. Les deux bourgmestres GISAGARA et NYAGASAZA auraient été tués par les Interahamwe[3]. Même s’il n’était pas présent durant les agissements du capitaine BIRIKUNZIRA, il sait qu’il a joué un rôle prépondérant en appuyant les massacres qui étaient commis. Le témoin était à Kigali au moment des massacres. Avant son départ, le capitaine obéissait toujours à ses ordres. Le témoin confirme que BIRIKUNZIRA indiquait dans ses rapports que tout était calme à NYANZA. Il infirme cependant les supposés liens de celui-ci avec l’Akazu[4], il ne s’agirait que d’un soupçon.
Le témoin connaît l’accusé, son surnom BIGUMA, son rôle à la compagnie de gendarmerie de NYANZA, son origine de GIKONGORO et sa formation. Il retire son témoignage et affirme avoir menti quant à la réputation de M. MANIER d’être un Hutu extrémiste. Il dit avoir été influencé par des gens sans qu’il s’agisse du gouvernement rwandais. M. le président essaie d’en savoir plus sur cette influence mais le témoin dit qu’il n’ajoutera rien à cela.
Me DUQUE demande que M. le président donne acte de sa rétractation. (NDR cela montre que les détenus sont libres de parler).
Le témoin reprend sa déposition. La gendarmerie s’occupe du maintien de l’ordre public mais des mortiers étaient disponibles pour que les gendarmes puissent partir au front avec si besoin [5]. À titre d’exemple, le témoin lui-même dut emporter un mortier afin d’aller sur le front le 19 avril. Il confirme son retour en tant que chef en 1997, son rôle dans la supervision de la fusion entre la gendarmerie et les forces armées en 2000 ainsi que son arrestation en 2004.
Me FALGAS pose des questions sur le mortier. Le témoin répond que ces derniers ont été donnés à la gendarmerie à la suite de la création d’une compagnie territoriale mais il ne saurait pas la dater précisément entre 1983 et 1984. L’avocat note qu’à ce moment-là, le front n’existe pas encore. Le témoin explique qu’il n’y avait pas encore de guerre mais que la gendarmerie pouvait être appelée pour d’autres occasions.
Me PHILIPPART prend la parole et pose des questions sur son départ à KIGALI le 19 avril. Il dit être parti avec une centaine de gendarmes de Butare. Selon lui, les gendarmes n’ont jamais été appelés sur le front. Il n’a pas non plus vu M. MANIER à Kigali à ce moment-là. Si des gendarmes de NYANZA avaient été mutés à Kigali à ce jour-là, il déclare qu’il l’aurait certainement su. Les gendarmes avaient pour ordre de maintenir l’ordre au sein de la population et éviter qu’ils se retournent les uns contre les autres. Après le discours du président SINDIKUBWABO qui incitait aux massacres, seulement quelques indisciplinés se sont livrés à des tueries, ce qui a créé une scission entre les gendarmes. Le témoin explique n’avoir jamais fui en RDC et être resté au Rwanda. Il dit qu’en tant que gendarme, il suffisait d’avoir été de bon comportement pendant la génocide pour être réintégré dans la gendarmerie après 1994.
Sur question d’un avocat de la partie civile, le témoin déclare que M. MANIER n’était pas extrémiste du tout et qu’il s’excuse devant la cour pour son faux témoignage.
Me KARONGOZI interroge maintenant le témoin. Ce dernier affirme que sa mutation n’était pas inéluctablement liée à la destitution du préfet ou bien à la mutation de M. MANIER. Il précise qu’il purge sa peine de prison à NYARUGENGE à KIGALI. (NDR. L’ancienne prison 1930, installée au coeur de la capitale, a été transférée hors de la ville, à MAGERAGERE). Sur questions de Me GISAGARA, le témoin dit avoir été jugé par le tribunal militaire, la Haute cour militaire puis par la Cour suprême. Il a été jugé pour les faits qui ont eu lieu avant son départ à KIGALI, pour ne pas avoir sanctionné les gendarmes qui avaient participé aux massacres.
C’est au tour de l’avocat général JUY-BIRMANN de poser des questions. Le témoin ne se souvient pas exactement du nombre de gendarmes qui étaient restés sous son commandement à BUTARE et ne pourrait pas confirmer le nombre d’une centaine donné par l’avocat général. Ce dernier demande au témoin s’il est impossible que M. MANIER ait déjà assuré la sécurité des différents meetings politiques mais le témoin ne répond pas à la question. Enfin, l’avocat général demande au témoin s’il se souvient que les instructions données pour combattre les Tutsi avaient été données avant le 19 avril, ce à quoi il répond que oui.
L’avocate générale interroge le témoin sur l’assassinat du bourgmestre NIAGASAZA. Ce dernier affirme qu’il n’a pas vu l’accusé tuer le bourgmestre de ses propres yeux mais que ce sont des faits qui lui ont été rapportés, notamment par Israël, le conseiller de secteur.
Me DUQUE prend la parole. Le témoin décrit M. MANIER à l’époque comme plutôt petit et jeune. Il estime son âge a environ 33 ans. Le témoin explique que lui-même a déjà été emprisonné à la prison de BUTARE, puis à la prison militaire de MULINDI, enfin à la prison de NYARUGENGE. La défense lui demande donc s’il se base sur les accusations de meurtre du bourgmestre pour affirmer que M. MANIER était extrémiste: il répond par l’affirmative. Il explique notamment que le camp est grand mais qu’il aurait quand même dû savoir si M. MANIER avait été muté à Kigali à ce moment-là aussi.
Audition de monsieur Déogratias MAFENE, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin, gendarme sergent tutsi, infirmier au camp de NYANZA, commence par dire qu’il n’est jamais sorti du camp pendant tout le génocide, jusqu’en juillet 1994. Cinq gendarmes Tutsi vivaient au camp. C’est BIRIKUNZIRA qui lui avait demandé de ne pas sortir.
Dans la compagnie de NYANZA, il y avait des problèmes à cause des gendarmes extrémistes. L’un d’eux lui a tiré dessus sur ordre de BIGUMA et l’a blessé au bras. Il sera conduit à l’hôpital. Il tient cela de ses amis gendarmes. Monsieur HATEGEKIMANA aurait dit que lorsqu’ils auraient tué tous les Tutsi, il s’occuperait d’eux. BIRIKUNZIRA, qui l’avait soutenu, n’a pas pris de sanction contre l’auteur des tirs.
Pourquoi dire qu’il était lui aussi extrémiste, génocidaire? Tout simplement parce que des Interahamwe[3] entraient dans le camp et participaient à des réunions régulièrement. S’il a pu savoir ce qui se passait à l’extérieur, c’est parce que lorsque les gendarmes revenaient au camp, ils se vantaient et rapportaient les biens qu’ils avaient pillés. Les gendarmes partaient de leur côté, les Interahamwe de l’autre, mais les réunions se tenaient bien à la gendarmerie.
Sur questions du président, le témoin confirme que tous les gendarmes qui sortaient à l’extérieur du camp étaient des extrémistes et BIGUMA était leur chef. Lui-même sortait du camp pour aller tuer, à bord du véhicule de la gendarmerie. Il était vraiment « méchant ».
Concernant la mort du bourgmestre de NTYAZO, Narcisse NYAGASAZA, le témoin n’a bien sûr pas été témoin de son exécution, mais les gendarmes qui étaient avec lui l’ont raconté. Il ne sait pas ce qui s’est passé sur la colline de NYABUBARE, mais il a entendu parler des massacres qui se sont déroulés sur la colline de NYAMURE. Des gendarmes ont témoigné de la présence de BIGUMA. Il a entendu parler aussi des tueries à l’ISAR Songa[6], mais le nom de MANIER n’a pas été prononcé devant lui. Il n’a pas vu non plus sortir l’accusé avec un mortier.
Le témoin confirme que les gendarmes hutu du Nord avaient pris l’ascendant sur ceux du Sud. BIGUMA, qui n’était pas menacé, était dans leur camp. L’accusé a bien été muté mais il ne se souvient pas de la date. Probablement pendant les attaques.
Toujours sur question du président, monsieur MAFENE dit n’avoir subi aucune pression pour témoigner contre BIGUMA.
Sur question d’un assesseur, le témoin déclare que l’accusé est devenu extrémiste lorsque les massacres ont commencé. On a remarqué que des gens « normaux » avaient subitement changé.
Maître Philippe HERBEAU, avocat du CPCR, revient sur la présence des Interahamwe dans le camp de gendarmerie. Mais ils n’étaient pas les seuls à entrer, en particulier ceux qui ravitaillaient les gendarmes. Quant aux réunions, elles étaient fréquentes, presque chaque jour. Une contradiction dans les propos du témoin: il dit voir été blessé sur ordre de BIGUMA en juin alors que ce dernier n’était plus là!
Sur question de maître Mathieu QUINQUIS, le témoin déclare qu’il soignait tous ceux qui étaient malades ou blessés, Des Tutsi venaient, les femmes de certains gendarmes.
Sur question de l’avocate générale, le témoin reconnaît qu’il ne connaissait pas très bien la famille de l’accusé. Il ne savait pas qu’il avait trois enfants. Mais il voyait parfois sa femme venir au camp.
Maître DUQUE, pour la défense demande à monsieur MAFENE quel âge pouvait bien avoir l’accusé en 1994. Il était encore jeune, « à peu près 33 ans« . Lors de son audition, il avait dit 55 ans! L’avocate lui fait remarquer qu’il n’avait jamais parlé des réunions avec les Interahamwe lors de ses auditions.
Ironiquement, monsieur l’avocat général demande à l’avocate si elle veut « donner acte« , comme elle a déjà fait la demande plusieurs fois.
Maître DUQUE fait aussi remarquer au témoin qu’il n’avait jamais dit que le bourgmestre NYAGASAZA avait été tué sur ordre de BIGUMA. En fait, il l’a appris par des gendarmes qui étaient revenus de leur mission à l’extérieur du camp.
Maître DUQUE, à ce moment de l’interrogatoire se prend les pieds dans le tapis. Elle lit des questions qui ont été posées au témoin lors de l’instruction mais elle donne des réponses qui ne correspondent pas aux questions. Maître HERBEAU le lui fait gentiment remarquer. Du coup, monsieur le président reprend la main et lit le compte-rendu de l’audition du témoin.
Lecture de la déposition de monsieur Laurent RUTAYISIRE, entendu par le juge belge. Il n’a pas daigné répondre à sa convocation. Comme il réside à l’étranger, le président de la cour d’assises ne pouvait pas délivrer un mandat d’amener.
Il a été entendu de multiples fois par le TPIR[7]. Avant 1992 il était directeur de la sécurité extérieure, relevé de ses fonctions le 10 avril 1994 par le colonel BAGOSORA. Il passe beaucoup de temps à Arusha au moment des négociations de paix. Il avait été désigné comme futur CEMA[1] adjoint de la gendarmerie et responsable de la fusion des forces armées et de la gendarmerie. Il quitte Kigali au moment où il est relevé de ses fonctions pour s’exiler avec sa famille, mais finalement il ne quitte pas le pays tout de suite et reste à GIKONGORO.
Le témoin a bénéficié d’une protection de quelques gendarmes après l’assassinat de GATABAZI. Sa sécurité est passé de 6 à 10 gendarmes à partir de la mi-août. Originaire du Sud, il est catégorisé comme peu fiable. Sur ses relations avec l’accusé, il se souvient avoir déjà joué au basket avec lui mais c’est tout. M. MANIER lui est recommandé comme membre de son escorte. À partir de la mi-mai 1994, l’accusé a été dépêché à sa protection dans la deuxième quinzaine du mois de mai. Le témoin ne sait rien de l’accusé quant à sa potentielle position dans des massacres. Le témoin écrit que l’accusé aurait pu se joindre à NYANZA entre mai et juillet au moment où lui-même se rendait à BUTARE et GIKONGORO.
Me GUEDJ, avocat de la défense, observe que le témoin ne sait pas dater précisément l’événement: « RUTAYISIRE donne des dates à un mois près! » Ce à quoi les avocats généraux et les parties civiles répondent qu’au contraire, le témoin est plutôt cohérent et précis sur le mois de mai. Il n’a jamais été question que BIGUMA ait été muté vers le 12 avril, date du départ du gouvernement intérimaire à MURAMBI/GITARAMA.
Le président reprend la lecture de la déposition. Il explique que le témoin envoie BIGUMA récupérer des Tutsi à KICUKIRO (NDR. Un quartier de KIGALI où résidaient beaucoup de dignitaires de l’ancien régime). De même, le témoin va aider une famille de Tutsi dont François MVUYEKURE, à se cacher à l’Hôtel des Mille Collines. Le convoi rencontre des difficultés sur la route, notamment à la barrière de GITIKINYONI supervisée par Joseph SETIBA, le chef redouté des Interahamwe, qui les identifie comme des traitres mais qui les laisse passer quand même.
L’accusé, qui était invité à réagir, avait repris le récit « romancé » qu’il avait commencé à raconter les jours précédents. Il semble bien le seul à croire à ce qu’il raconte.
Audition de monsieur Augustin NDINDILIYIMANA, ancien chef d’état-major de la gendarmerie, en visioconférence de Belgique, cité par l’accusation.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Il explique qu’il pense bien connaître le dossier rwandais et qu’il trouve que l’analyse de certains reste figée. Il affirme que le FPR[8] s’est fait patronner par des Français, des Américains etc… Il déclare qu’il existe des propagandistes du FPR dans la communauté internationale. Le témoin affirme que le génocide des Tutsi était en préparation suite à la guerre avec le FPR qui envoyait des armes contre le gouvernement de KIGALI. Il parle d’une fausse information qui a été véhiculée jusqu’à aujourd’hui.
Depuis 1982, le témoin occupe de hautes fonctions au Rwanda (état major de la gendarmerie), puis il se réfugie en Belgique, est condamné en première instance au TPIR puis acquitté en appel. Il réagit au livre d’Alison DES FORGES[9] en disant que c’est incorrect, qu’il n’y a pas de planification du génocide. M. le président le questionne sur le rôle des gendarmes dans le génocide. Le témoin répond que l’infiltration du FPR s’est faite au niveau des forces armées notamment de la gendarmerie et au niveau de la population. Ces infiltrés auraient incité les populations à commettre un génocide contre les Tutsi. Il ne nie pas que les gendarmes qui ont été réquisitionnés auraient pu tuer aussi. Au sujet de la destitution du préfet du BUTARE le 17-18 avril, il déclare que ce sont des « histoires ». Le préfet aurait été lui-même un infiltré, un membre du FPR. Le témoin déclare que la justice internationale se serait trompée de coupable et interroge: « Qui a descendu l’avion du président, qui a déclaré le guerre? ». Le témoin estime le nombre de victimes à environ 400 000 (contre 1 million d’après les sources du président). Il estime que plus de Hutu auraient été assassinés. Il refuse de parler de génocide, il parle de massacres au Rwanda. Le président demande si en tant que chef de la gendarmerie, il peut expliquer qu’il n’y ait pas de rapport sur la protection de la population civile par les gendarmes. Il répond que les gendarmes se sont organisés pour défendre eux-mêmes les réfugiés avec des armes. Le témoin explique que le discours du président de la République incitant au génocide n’est pas explicite car la terminologie « travailler » ne signifie pas tuer selon certains experts. Il évoque une planification du génocide qui impliquait faussement les forces armées rwandaises. Le témoin déclare qu’il ne connaît pas M. MANIER mais qu’il connaît M. RUTAYSIRE qui a embauché le prévenu en 1994. Le témoin n’aurait pas été informé des massacres par le commandant local au moment de son déplacement.
La parole est donnée aux parties civiles.
Me SCIALOM questionne le témoin. Ce dernier explique que le général VARRET aurait donné de fausses informations, notamment sur l’implication de la France[10]. Me SCIALOM mentionne le rapport DUCLERT[11] sur la « responsabilité accablante » de la France dans le génocide des Tutsi et demande au témoin s’il n’imputerait pas des collaborations avec le FPR, à toute personne soutenant la thèse de la planification du génocide. Le témoin explique les barrières comme un moyen de contrôler l’entrée des infiltrés du FPR qui étaient identifiables par leur physionomie, selon lui. Me SCIALOM lui fait observer qu’il nie l’existence d’une extermination systématique des Tutsi aux barrières.
Me EPOMA pose à son tour des questions. Le témoin nie la corroboration des propos du général VARRET par certains documents qui mentionnent précisément la gendarmerie.
Me TAPI demande au témoin s’il confirme le massacre d’enfants, de femmes et de vieillards. « N’êtes vous pas gêné que votre institution n’ait pas été capable de protéger la population civile? ». Le témoin répond que cette théorie empêche que l’on regarde toutes les faces de l’histoire.
Me GISAGARA pose à son tour trois questions: L’accusé n’a pas parlé d’infiltrés mais plutôt de gendarmes extrémistes qui ont poussé à tuer. Le témoin répond que ce n’est pas ce qu’il a notifié. Comment expliquez vous les morts de NYANZA? Le témoin explique que les personnes qui ont été massacrées à NYANZA sont venues protéger des infiltrés.
Les avocats généraux ne posent pas de questions.
La défense est toute heureuse de faire observer que ce témoin a été cité par le Parquet.
Un témoin dont on finit par se demander pourquoi il a été acquitté par le TPIR vu ce qu’il ose affirmer. Il est vrai qu’il a été acquitté en appel pour des raisons de procédure. Il tient des propos choquants d’une extrême gravité.
Interrogatoire de l’accusé (suite et fin?)
« C’est un beau roman, c’est une belle histoire… »
Monsieur le président voudrait en finir avec l’interrgatoire sur le CV de l’accusé. Il revient sur son départ pour le Cameroun le 13 novembre 2014.
L’accusé: « Je voulais aider ma fille à installer son commerce à la fin de ses études (master en psychologie sociale et chef de projet en santé communautaire (sic). En 2012, elle avait choisi de faire un stage dans ce pays, elle décide donc d’y revenir en 2014. Elle souhaitait que je vienne l’aider à mieux s’installer. D’où mon départ en novembre 2017. J’avais obtenu un visa de trois mois, grâce à l’intervention du maître de stage de ma fille. J’ai fini par le faire prolonger car ma femme voulait venir nous voir. Elle arrivera le 30 mars 2018. Elle soufrait d’arthrose et voulait profiter du climat. Nous devions repartir ensemble. C’est à ce moment que j’ai été arrêté à l’aéroport. Je serai extradé vers la France le 15 février 2019. »
S’il a résilié son abonnement téléphonique, c’est parce qu’il était trop cher. Pendant son séjour, sa fille Anita va revenir en France (du 20 novembre au 18 décembre) pour faire renouveler son passeport, laissant son père seul au Cameroun. Si son père la rejoint, c’est pour l’aider à étendre son petit commerce.
Monsieur le président fait remarquer à l’accusé que sa femme, dans un entretien téléphonique avec une amie (NDR. On sait qu’il s’agit d’une certaine Catherine, femme de Aloys NTIWIRAGABO, réfugié depuis longtemps dans la région d’Orléans. Une enquête a été ouverte contre lui depuis[12]) a menti en disant que son mari était en voyage à NANTES! Par un SMS du 8 mars 2018, on saura qu’il est en fait bien parti en Afrique où elle compte le rejoindre. L’accusé, à ce stade de l’interrogatoire, dit ne pas se souvenir qu’il avait recherché un bien immobilier au Cameroun dès 2014.
« Ne serait-ce pas pour fuir la justice que vous êtes parti? » demande le président. (NDR. Tout le monde le pense, probablement, le récit de l’accusé ne tient pas la route). « Je n’ai jamais fui. Si j’avais voulu fuir, je l’aurais fait bien avant. La lettre anonyme qui m’a dénoncé date de 2015. » S’il a envoyé deux grosses sommes d’argent au Cameroun (10 800 euros au total) , c’était pour aider sa fille et pouvoir subvenir à ses besoins lors de leur séjour.
L’avocat général revient sur la plainte qui le vise. C’est par un article de la presse locale qu’il l’apprend. Il avait quand même bien l’intention de fuir, en utilisant sa fausse identité et en cachant le fait qu’il ait été gendarme. S’il a menti, c’est sur le conseil des assistantes sociales qui le suivent.
Monsieur le président révèle que, dans le dossier, à côté de l’article qui évoque la plainte, on trouve un document manuscrit dont on n’arrivera pas à savoir qui l’a écrit. Son titre: « Alibi« . Ce n’est ni l’écriture de sa femme, ni la sienne. Ce document se trouve près du communiqué du CPCR. Probablement pour préparer sa défense? L’accusé déclare que c’est monsieur GAUTHIER qui a déposé la plainte, « pour faire entrer de l’argent dans sa poche« .
L’avocate générale fera remarquer qu’à partir de l’été 2015, beaucoup de recherches avec le nom HATEGEKIMANA seront effectuées sur son ordinateur. Maître DUQUE tentera de voler à son secours en lui faisant dire qu’il n’est pas le seul à utiliser l’ordinateur familial.
L’interrogatoire, arrêté pour entendre monsieur NDINDILIYIMANA en visioconférence(voir ci-dessus), va reprendre un peu plus tard.
Monsieur le président interroge l’accusé sur sa détention, à partir de deux rapports. Il est souligné que monsieur MANIER est un prisonnier modèle, aucun problème de comportement. S’il a choisi d’être au quartier d’isolement, c’est parce que « c’est plus tranquille« . Il fait des promenades, du vélo de rééducation trois fois par semaines. Sa famille lui rend de rares visites car elle habite en Bretagne. Mais ils se téléphonent les week-end « Ca coûte moins cher! » Il n’a aucun contact avec les autres détenus, à la prison de la Santé. Sa rééducation, il la fait à la prison de Fresnes. Il dit être fier de ses enfants, est heureux d’avoir des petits-enfants. Il prend des cours d’anglais, reçoit la visite d’un aumônier et d’un visiteur de prison. Il finit par dire qu’il a un suivi psychologique une fois par semaine.
Monsieur le président évoque deux décisions judiciaires rendues au Rwanda. Dans une d’entre elles, il a été jugé en son absence avec 16 autres personnes. Il sera condamné à des peines lourdes mais ne veut pas faire de commentaire. Son avocat, maître GUEDJ, tentera bien de voler à son secours en disant que s’il a déjà été condamné pour les mêmes faits, on ne peut pas le rejuger, selon le principe « non bis ibidem« . En réalité, ce principe ne peut s’appliquer car il n’a jamais accompli la peine pour laquelle il avait été condamné. Le deuxième procès est un procès gacaca[13] dans lequel il a été jugé avec 5 autres personnes. Monsieur l’avocat général précise que si aucune motivation ne le concerne, c’est parce qu’il a été jugé en son absence.
Maître GUEDJ n’en démord pas malgré l’explication de l’avocat général: « On est en train de juger un homme deux fois pour les mêmes faits. » Maître PHILIPPART intervient pour expliquer de nouveau pourquoi la principe « non bis ibidem » ne peut s’appliquer. « Une démonstration brillante » fait remarquer malicieusement l’avocat général.
À la question de monsieur le président de savoir si l’accusé préfère être jugé au Rwanda ou en France, monsieur MANIER répond: « J’ai déjà été jugé! »
Un dernier sujet est abordé: la question du mandat d’arrêt émis par les autorités rwandaise en date du 25 juillet 2019. Un mandat d’arrêt qui n’a jamais été notifié à l’accusé.
Il est 19 heures 15. Monsieur le président suspend l’audience. Rendez-vous est donné au lendemain 9 heures.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
- CEMA: Chef d’état major des armées[↑][↑]
- Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA) : le préfet de BUTARE qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné (à na pas confondre avec Juvenal HABYARIMANA).[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
- Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État, cf. Glossaire.[↑]
- Voir l’audition du général Jean-Philippe REILAND, commandant de l’OCLCH, entendu la veille.[↑]
- ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
- TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
- FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
- Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[↑]
- Voir l’audition du général Jean VARRET, le 8 novembre 2024.[↑]
- La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994 – Rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021.[↑]
- Voir notre article du 26 juillet 2020 : Aloys NTIWIRAGABO dans l’oeil du cyclone.[↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]