Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 11 décembre 2024. J26

La journée commence par l’annonce du versement, par l’accusation, d’une nouvelle pièce : une capture d’écran concernant le site The Rwandan dont nous avons déjà eu l’occasion de dire tout le mal qu’on en pensait.

Il s’agit du traitement de la condamnation récente de monsieur Charles ONANA selon qui « La France et le système judiciaire sont manipulés par KIGALI »[1](NDR. Monsieur ONANA avait été cité pour être entendu par la Cour d’assises de Paris lors du procès RWAMUCYO. Il a donné de « bonnes raisons » pour ne pas se présenter).  Madame l’avocate générale fait la synthèse de la condamnation:

« Charles ONANA est coupable des faits de complicité de contestation publique de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce, crime de génocide ayant donné lieu à une condamnation française ou international commis le 30 octobre 2019 à PARIS; » (Extrait de la condamnation)

Réaction de maître GUEDJ, pour la défense. « L’accusation, par sa présentation, foule aux pieds la présomption d’innocence. ONANA a fait appel, il est donc toujours innocent. L’article de The Rwandan cite les noms de témoins du procès MANIER qui sont présentés comme corrompus, dont Israël DUSINGIZIMANA »[2]. (NDR. On peut se demander qui a fourni ces noms issus des auditions de ce procès).

Il est fait remarquer à la défense que c’est elle qui a versé au dossier une pièce concernant ce site.

Réaction de monsieur MANIER. « Au cours de ce procès, des témoins disent que je suis un extrémiste. Or, le major Cyriaque HABYABARATUMA s’est excusé de l’avoir dit. Je ne suis pas un extrémiste: ma soeur a épousé un Tutsi et c’était avec mon accord. » ( NDR. Ma petite nièce de dix avait dit: « Je ne suis pas raciste, mon tonton va épouser une noire »).

Le président: « Imaginons que mon frère épouse une pro-nazi, je serais pro-nazi? » Il poursuit en s’étonnant que l’accusé soit seul dans ce procès: ni sa femme, ni ses enfants! Comment se fait-il que ses avocats n’aient pas demandé que l’un ou l’autre soit entendu?

Monsieur MANIER: « J’ai un fils en Angleterre, ma femme est malade, ma fille au Cameroun. Mon autre fils travaille dans le Morbihan. C’est moi qui suis poursuivi. »

Au président qui dit à l’accusé que beaucoup de témoins l’ont vu à NYANZA lors du génocide, monsieur MANIER répète qu’il n’a pas assisté aux scènes dont ils parlent. Tous ces témoins font leur travail, ce sont ses « détracteurs« . C’est bien un complot.

Le président SOMMERER: « Comment les autorités rwandaises peuvent-elles organiser un tel complot? »

Monsieur MANIER: « Je suis un opposant au gouvernement de KIGALI.  L’association AMIZERO que nous avons créée est détestée et ses membres aussi. »

Le président: « Tout cela fait de vous un opposant dangereux? »

Le dialogue va s’arrêter avec une question d’une assesseure qui dit qu’on parle aussi beaucoup de BIRIKUNZIRA. « Vous concernant, les témoins mentent?

Monsieur MANIER: « Oui, ils mentent. Ils accusent BIRIKUNZIRA? C’est normal, c’était le commandant. » Il ajoute qu’il a travaillé un an avec le commandant de la gendarmerie et qu’il n’a gardé aucun contact avec lui.

Suite de l’interrogatoire de l’accusé. Seront abordés les événements suivants:

– les massacres sur la colline de NYABUBARE
– les massacres sur la colline de NYAMURE
– les massacres à l’ISAR SONGA
– la tenue des réunions
– les témoignages concernant l’homonymie invoquée par la défense
– le sauvetage de Tutsi par l’accusé
– Philippe HATEGEKIMANA après le génocide

Interrogatoire de l’accusé sur les événements concernant la colline de NYABUBARE.

Sur François HABIMANA, partie civile, entendu le 21/11[3]:

Le président rappelle qu’il avait fait une crise pendant la remise en situation et qu’il a montré beaucoup d’émotions pendant son témoignage devant la Cour. Il demande à l’accusé s’il pense qu’il a menti. M. MANIER dit qu’il est un « comédien » puis s’excuse d’avoir utilisé ce terme. Il maintient en revanche qu’il a été « préparé à l’avance. »

Me HERBEAUX intervient pour notifier à l’accusé qu’en contestant son récit, il conteste sa souffrance.

MANIER confirme que tout le monde ment.

Me BERNADINI insiste:  « 50 témoins de fait ont été « coachés« ? »

M. le président demande à Me GUEDJ d’arrêter de répondre à la place de son client.

Me LHOTE fait observer que son client a du mal à s’exprimer.

Sur Eugénie MUREBWAYIRE, partie civile entendue le 15/11[4], Vestine MUKANGOGA (audition lue), Morodokaï NTIBWIRIZWA audition lue, Odette MUKANYARWAYA, PC entendue le 21/11, Faustin MANIRAGUHA audition lue :

Au rappel de ces témoins et de leurs dires, M. MANIER n’a rien à répondre.

Israël DUNSINGIZIMANA, témoin entendu le 25/11.

M. MANIER répond que ce monsieur fait un grand travail en prison contre lui et  influence tous les autres témoins.

Madame l’avocate générale demande pourquoi des enfants qui avaient 10 à 12 ans au jour de l’attaque entendent déjà son nom.

Pas de réponse.

Emmanuel UWITIJE, frère du suivant, témoin entendu le 22/11.

Obed BAYAVUGE, témoin entendu le 22/11.

KAYIRANGA, témoin décédé.

M. MANIER ne fait pas de commentaire.

« Je dirais qu’au Rwanda, il y a une école pour préparer les témoins »

Madame l’avocate générale rappelle les dires de M. MANIER « Les témoins récitent leur témoignage comme le Norte Père ».

Me GUEDJ parle de « leçon mal apprise ».

Me LHOTE précise la ligne de la défense: parmi les témoignages stéréotypés, il y a des menteurs professionnels et des ouï dires.

Me PHILIPPART intervient pour dire que la défense sous-entend que tous les témoins et parties civiles entendues ont été préparés, ce qui diffère de leur position maintenant. Ils n’ont pas souligné des contradictions éventuelles mais ont dénoncé des mensonges.

Célestin NIGIRENTE, témoin entendu le 25/11.

Pas de commentaire pour BIGUMA.

Esdras SINDAYIGAYA, témoin entendu le 27/11.

Charles NKOMEJE, audition lue.

Callixte GASIMBA, témoin entendu le 27/11.

Festus MUNYENGABE, témoin entendu le 27/11.

Etienne SAGAHUTU, témoin entendu le 27/11.

Assiel BAKUNDUKIZE, audition lue.

Expert balistique Pierre LAURENT, entendu le 5/12

MANIER répond qu’il n’était pas formé pour utiliser un mortier.

M. le président observe que lors de son interrogatoire de personnalité, l’accusé avait dit avoir été formé au mortier pendant sa formation militaire.

La défense réfute la validité de cette expertise qu’il qualifie « d’expertise de salon« . Me AUBLE fait remarquer que la défense aurait pu demander une contre-expertise beaucoup plus tôt.

Interrogatoire de l’accusé sur les événements concernant la colline de NYAMURE.

Valens BAYINGANA, PC entendue le 28/11/24.

Julienne NYIRAKURU, PC entendue le 28/11/24.

Grâce BYUKUNSEGE, PC entendue le 3/12/24.

Madeleine MUKESHIMANA, audition lue.

Rév2rien NGENDAYIMANA, audition lue.

Mathieu NDAHIMANA, entendu le 29/11/2024

M. MANIER n’a pas de commentaire à faire.

Interrogatoire de l’accusé sur les événements concernant l’ISAR SONGA.

Dix-sept témoins sont cités. A noter que ces faits ont fait l’objet d’un non-lieu mais le CPCR ayant fait appel, ils ont été réintégrés dans l’accusation.

Monsieur MANIER:  » Je n’étais pas là. Je ne sais pas ce qu’on me reproche. C’est la même stratégie que pour les autres scènes: on fait appel à la gendarmerie, aux militaires ou aux policiers communaux pour soutenir les assaillants qui ont été repoussés par les réfugiés. »

– Tharcisse SINZI, partie civile, entendu le 4/12/2024
– Philippe NAYISABA, partie civile, entendu le 4/12/2024
– Albert MUGABO, partie civile, entendu le 4/12/2024

Aucun de ces témoins ne désigne BIGUMA. Ils ont traversé l’AKANYARU pour atteindre le BURUNDI, laissant derrière eux plus de 3500 morts.

– Léonard PFUKAMUSENGE, entendu le 5/12/2024
– Jean-Marie Vianney KANDAGAYE, bourgmestre de RUSATIRA du 22 au 30 juin 1994, entendu le 5/12/2024
– Michel NKURUNZIZA, lecture de son audition
– Justin BUTARE, lecture de son audition
– Sapienta RUGEMANA, partie civile, entendue le 5/12/2024
– Longine RWINKESHA, partie civile, entendue le 6/12/2024. Pas crédible pour BIGUMA
– Chantal MUKAYIRANGA, partie civile, entendue le 6/12/2024
_ Gloriose MUSENGAYIRE, partie civile entendue le 3/12/2024
– Eugène HABAKUBAHO, partie civile, entendu le 6/12/2024
– Innocent MUNYANKINDI, partie civile, entendu le 6/12/2024
– Julienne NYIRAKURU, partie civile, entendue le 28/11/2024
– Angélique TESIRE, gendarme, entendue le 14/11/2024
– Pélagie UWIZEYIMANA, gendarme, entendue le 14/11/2024
– Didace KAYIGEMERA, gendarme, entendu le 15/11/2024

Pour l’accusé, ces trois gendarmes se sont certainement concertés.

L’expertise balistique de monsieur Pierre LAURENT sur l’ISAR SONGA.

Monsieur Pierre LAURENT a été entendu le 5/12/2024.

Maître BERBARDINI pose une questions auxquelles l’accusé a décidé de ne pas répondre concernant l’intervention de la gendarmerie à l’ISAR SONGA. Monsieur BIGUMA ne conteste finalement pas que la gendarmerie de NYANZA ait pu intervenir sur ce site.

Réunions sur l’entente (6 témoins).

– Lameck NIZEYIMANA: réunion à l’école ESPANYA. L’accusé déclare n’avoir pas participé à cette réunion. Il n’a jamais vu le préfet HABYARIMANA à NYANZA.
– Israël DUSINGIZIMANA, entendu le 25/11/2024
– Hamza MINANI, entendu le 20/11/2024
– Mathieu NDAHIMANA, entendu le 29/11/2024

Monsieur le président évoque un extrait de la deuxième audition devant le juge d’instruction. L’accusé avait dit:  » Quand les tueries ont commencé, c’était ingérable (…) » « Vous étiez donc là?  continue le président. Vous avez dit qu’il fallait faire les massacres sur ordre du sous/préfet de soutenir les miliciens! »

A plusieurs reprises, l’accusé s’est contredit concernant sa présence à NYANZA. Il aurait reçu sa mutation le 19 avril et serait parti pour KIGALI le 25. Il précise que quand il est arrivé au camp KACYIRU, c’était la paye. Or la paye était effectué le 30 du mois!

Existence d’un second BIGUMA? Il n’y a jamais eu un autre BIGUMA adjudant-chef. Le seul BIGUMA connu par le témoin Léonard PFUKAMUSENGE est un paysan de ses voisins. Depuis le début du procès, la défense veut que le BIGUMA qui est derrière le box des accusés n’est pas le bon.

La question des faux témoignages.

Là aussi, c’est une obsession de la défense et de leur client. Tous les témoins, témoins ou parties civiles, seraient des « menteurs ». Madame Laetitia HUSSON, juriste au TPIR, avait noté que les menteurs ont été extrêmement rares devant le tribunal international. Un témoin a été démasqué et condamné, et c’était un témoin de la défense.

Madame Régine WAINTRATER, entendue le 7 novembre, avait bien apporté son éclairage concernant ce sujet. Quant au responsable de l’OCLCH, Jean-Philippe REILAND, entendu le 12 novembre, il a dit que le Rwanda était le seul pays où les enquêtes se faisaient en l’absence des autorités locales.

Monsieur le président décide de projeter l’organigramme de la gendarmerie de NYANZA établi par les gendarmes français.

Sauvetage de Tutsi.

L’accusé donne la liste des Tutsi qu’il dit avoir sauvés.

– monsieur François MVUYEKURE et sa famille sur ordre du colonel RUTAYISIRE. Il les a conduit de GITARAMA à l’Hôtel des Mille Collines sur la colline de Kiyovu, à Kigali.
– monsieur Charles MPORANYI, « un Hutu modéré« , pris à KICUKIRO, toujours sur ordre du colonel RUTAYISIRE.
– quatre enfants tutsi réfugiés chez lui, deux remis à leur maman et deux conduits à KIGALI.
– monsieur Emmanuel HABIMANA, un Hutu dont il n’a jamais parlé, petit frère du secrétaire du MRND, Bonaventure HABIMANA.
– les quatre enfants de sa soeur mariée à un Tutsi, tué au début du génocide.
– des oncles de son épouse.

Monsieur le président fait remarquer à l’accusé que les gens qu’il avait sauvés auraient pu signer des attestations!  » C’est grâce à ma famille que je suis là aujourd’hui » déclare monsieur HATEGEKIMANA, laissant entendre qu’il est soutenu par les siens. On se demande pourquoi le colonel RUTAYISIRE, qui devait être entendu le 13 novembre, a refusé de se présenter.

Il est fait remarquer à l’accusé qu’un témoin, Silas MUNYANPUNDU, entendu le 3 décembre, avait évoqué le rôle de BIGUMA lors des troubles de 1973, rôle confirmé par monsieur Jean de Dieu BUCYIBARUTA ( l’accusé aurait été renvoyé de son établissement lors de ces « troubles ». ( NDR.A cette époque, tous les intellectuels, les fonctionnaires, les étudiants, les lycéens tutsi avaient été chassés des établissements où ils se trouvaient).

Pourquoi a-t-il menti, en cachant son passé de militaire, pour faire sa demande de réfugié? lui demande-t-on. Le colonel NZAPFAKUMUNSI, entendu le 14 novembre, n’a pas usé de ce stratagème pour faire sa demande? C’est sur le conseil de deux amis de Rennes, le colonel Alphonse et Epiphane, lui auraient conseillé d’agir ainsi. Il est fait remarqué à monsieur MANIER qu’il a usé d’une fausse identité pour se déclarer, Philippe HAKIZIMANA, nom qu’il avait déjà choisi lors de son arrivée au camp de KASHUSHA au ZAÎRE, en 1994.

Monsieur le président demande à l’accusé pourquoi il n’était jamais retourné au Rwanda depuis son arrivée en France.

Monsieur MANIER:  » Le monsieur du CPCR avait commencé des enquêtes! » Il lui est fait remarqué que les enquêtes du CPCR le concernant n’ont commencé qu’en 2013.

Monsieur MANIER:  » J’avais créé une association ( association culturelle!) et j’étais un opposant. Je ne voulais pas me jeter dans la gueule du loup. » Quant à son départ pour le CAMEROUN, madame l’avocate générale lui fait remarquer qu’il s’y est rendue sur attestation d’une association qui lui avait permis d’obtenir son visa. Ce qu’il n’avait jamais dit. ( NDR. Monsieur MANIER était parti au CAMEROUN mais il avait  » oublié » de revenir. Il sera arrêté lorsque sa femme viendra le rejoindre.)

Coline BERTRAND, stagiaire

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

 

 

 

 

 

 

 

 

  1. Voir la rubrique « À travers les médias » et notamment sur le site de Survie : Charles Onana et son éditeur condamnés pour contestation du génocide des Tutsis au Rwanda : le tribunal de Paris condamne un « déploiement sans frein de l’idéologie négationniste »[]
  2. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024.[]
  3. Voir l’audition de François HABIMANAN, 21 novembre 2024) témoin cité par le CPCR, partie civile.[]
  4. Voir l’audition d’Eugénie MUREBWAYIRE, 15 novembre 2024[]

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