- Audition d’Éric MUSONI.
- Audition de Télesphore NSHIMIYIMANA.
- Audition de Damascène BUKUBA.
- Dépôt de conclusions au sujet de l’inclusion des faits sur la colline de KARAMA.
- Audition d’Anne-Marie MUTUYIMANA, partie civile.
- Audition de Cyriaque NYAWAKIRA, partie civile.
Audition de monsieur Eric MUSONI, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin est détenu depuis 1994 à la prison de MPANGA (NYANZA). D’abord condamné à 15 ans de prison par la gacaca[1] de GATONDE, il a ensuite été condamné en appel en 2010 à perpétuité par la gacaca de NYAMURE. Il a plaidé coupable.
Il ne se plaint pas de ses conditions de détention même s’il dit que chaque détenu dispose d’1 m2 pour étendre son matelas. Il participe aux travaux des champs, s’occupe du petit bétail, porcs, chèvres, poules. Il reconnaît avoir mené des attaques à NYAMURE, en ajoutant que les réfugiés ont repoussé les assaillants à coups de pierres. Ce qui les a obligés de rentrer chez eux. C’est alors que certains de leurs chefs sont allés chercher des gendarmes à NYANZA. Il dit avoir été influencé par ses chefs dont un certain Zachée, Pascal, tous deux enseignants, et Jean NDAYAMBAJE, gérant de banque à Kigali.
Comme armes, les assaillants disposaient de machettes, de gourdins et de lances. Ils ont été repoussés à deux reprises. NYAMURE est une grande et haute colline dont le sommet est recouvert de pierres. Les réfugiés étaient très nombreux. C’est Samuel NSENGIYUMVA, un enseignant et le surnommé Compagnie, gérant d’une boutique, qui sont allés chercher les gendarmes de NYABISINDU. Dans la voiture, il y avait un mégaphone que leurs chefs utilisaient pour appeler les tueurs.
Les gendarmes et les militaires, au nombre d’une quinzaine environ, disposaient d’une Daihatsu. En arrivant, ils ont laissé les voitures près de l’acole primaire ou NSENGIYUMVA enseignait. Ils ont commencé ensuite à tirer et eux tuaient les réfugiés qui fuyaient. Le témoin n’a pas le souvenir qu’une réunion se soit tenue, les assaillants savaient ce qu’ils avaient à faire: l’ennemi, c’était les Tutsi qui avaient attaqué le pays. Ils devaient les tuer. La population devait encercler la colline et abattre les fuyards. C’est la consigne qu’ils avaient reçue. L’attaque a duré environ une heure. Les gendarmes disposaient de fusils R4, de petits mortiers qui lançaient des obus, et des grenades. Impossible de dénombrer les victimes, probablement entre 4000 et 5000.
Le témoin avoue avoir tué, comme les autres, il n’a jamais nié. Lui-même avait un gourdin. Après l’attaque, ils sont rentrés chez eux. Parmi les assaillants, il y avait Godefroid NGIRABATWARE qui a beaucoup tué: il avait volé un fusil à un gendarme. Des pillages ont été organisés après l’attaque. Monsieur MUSONI affirme que BIGUMA était avec eux pendant l’attaque. Les gendarmes marchaient devant, suivis des assaillants. Ce sont les gendarmes qui dirigeaient l’attaque. BIGUMA avait « un appareil » pour communiquer avec les autres. Le témoin connaissait l’accusé qu’il avait vu passer à NYANZA.
Entre NYAMURE et GATONDE, le témoin estime qu’il y avait environ 30 minutes de marche.
Monsieur le président se dit surpris par les réponses du témoin. Il n’avait jamais dit tout ce qu’il vient de déclarer: « Toutes les questions que je vous ai posées ne vous ont jamais été posées. Vous avez dit aux gendarmes français que vous n’aviez jamais participé à l’attaque de NYAMURE. Il est vrai qu’ils ne vous avaient pas posé de questions. »
Monsieur le président dit au témoin qu’il a été accusé par Valens BAYINGANA, un rescapé entendu la semaine précédente[2]. « Il a menti, rétorque le témoin. J’ai plaidé coupable pour la mort d’un petit garçon, pourquoi je ne l’aurais pas fait pour ce qui s’est passé à NYAMURE si j’y avais participé. »
Quant à BIGUMA qui dit que les témoins mentent, qu’ils sont corrompus, achetés, qu’on fait pression sur eux, serait-ce son cas? » Ce sont des mensonges » répond monsieur MUSONI.
Concernant le mégaphone, le président dit que c’est la première fois qu’on en entend parler. Monsieur l’avocat général va dire le contraire. C’est pourtant bien dans dans un véhicule Stout marron clair ( peut-être se trompe-t-il de couleur) que BIGUMA est venu les sensibiliser le 20 avril. Dans la voiture, il y avait un mégaphone, insiste le témoin. MUSONI dit qu’il connaissait BIGUMA avant le génocide: il avait dit le contraire lors de son audition!
NDAHIMANA[3] et DUSINGIZIMANA[4], il les a connus en prison.
Maître PHILIPPART demande au témoin si le Compagnie dont il a parlé s’appelait Vincent SINDAYIGANA: il ne sait pas.
Maître ALTIT, pour la défense, interroge le témoin sur ses conditions de détention, et longuement sur les gendarmes et leur armement. Sur le positionnement des gendarmes et des réfugiés.
Monsieur le président prend la main en précisant bien que les réfugiés se trouvaient au sommet de la colline: « L’avocat veut conclure de vos déclarations que vous racontez n’importe quoi! » Toute cette partie de l’interrogatoire se déroule dans une grande confusion.
Audition de monsieur Télesphore NSHIMIYIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Monsieur Télesphore NSHIMIYIMANA, a été condamné pour l’attaque de NYAMURE, GISEIKE et SHARI en 2008. Il est en prison depuis 1997 et sera remis en liberté dans 3 ans.
Le témoin avait déclaré lors d’une précédente audition qu’il n’avait jamais vu BIGUMA avant les attaques de NYAMURE et GISEKE.
Il explique qu’au moment des faits en 1994, il était militaire à GITARAMA dans le bataillon RUTARE. Il a vu BIGUMA venir chercher du renfort à GITARAMA pour la colline de NYAMURE. Il raconte qu’entre 40 et 50 militaires sont partis en renfort. Ces militaires ont été accompagnés par leur responsable NDINDABAHIZI qui a supervisé leur action lors de l’attaque de la colline. Ils ont rencontré les civils assaillants de la colline vers 11h30, ont attaqué à leurs côtés, sont repartis à 18h et sont arrivés au camp le même jour vers 21h.
Le président fait remarquer que le témoin ne disait pas être militaire dans ses précédentes auditions, seulement qu’il avait reçu une formation militaire. Le témoin répond que la question ne lui a pas été posée.
Le sous-préfet NYARANDA Esdran a été nommé pendant le génocide en guise de récompense. Il était originellement le bourgmestre de la commune de RUSATIRA.
Il y avait trois véhicules, une Daihatsu jaune de la gendarmerie de NYANZA empruntée à la laiterie avec BIGUMA. Une autre Daihatsu blanche au bord de laquelle le témoin était arrivé de GITARAMA et qui avait servi à transporter les militaires. Un dernier véhicule d’ancien modèle Toyota pickup blanc avec des interahmwe[5] surnommés les combattants de NYANZA.
Ils étaient armés de différents fusils. Des R4, avec des cartouches de 30 balles et deux pieds sur lequel on peut les fixer, des MGL qui servent à lancer des grenades, des lances roquettes ainsi qu’un mortier 60. Il ajoute que les gendarmes utilisaient des fusils FAR et des G3.
Le sous-préfet NYARANDA a fait une distribution d’armes aux jeunes interahamwe de la ville. Le témoin lui-même a reçu 3 chargeurs de 90 cartouches.
Il explique que la raison de la demande de renfort était que les réfugiés de l’école de NYAMURE auraient tenté de mener des attaques contre les civils Hutu. Les véhicules étaient garés à l’école de NYAMURE. Le président précise que cela correspond aux propos d’autres témoins.
Les militaires sont passés par le côté droit tandis que les gendarmes sont passés par la côté gauche. La population les suivait de derrière, pas à pas. Les militaires ont utilisé des bombes alors que la population derrière utilisait des machettes. Il pense qu’il y a eu environ 4000 victimes mais il ne les a pas comptées.
Après l’attaque, le témoin confirme que les assaillants se sont retrouvés dans un bar pour boire. Le sous-préfet les avait tous invités et se tenait avec BIGUMA. Après l’attaque le témoin est passé chez lui et ses voisins ont compris qu’il était présent lors de l’attaque.
Le président évoque rapidement le sujet de l’attaque de GISEKE.
Puis il demande au témoin quel était le rôle de BIGUMA dans l’attaque de NYAMURE. Le témoin dit qu’il était le dirigeant de cette attaque et que c’est lui qui a tiré en l’air pour donner le signal du début de l’attaque. Il savait que BIGUMA était gradé adjudant à la gendarmerie quand il l’a vu pour la première fois au moment où il est venu demander des renforts. C’est seulement le lendemain qu’il a appris son nom. Le président souligne une petite divergence avec sa précédente audition dans laquelle il disait avoir appris son nom au bar le soir même.
Sur la chronologie des événements, M. le président rappelle que le témoin avait situé l’attaque de GISEKE début avril lors d’une première audition. Puis il avait changé d’avis et désignait ensuite le 3 mai.
Le témoin dit au sujet de l’attaque de GISEKE que BIGUMA a seulement envoyé des gendarmes et c’est le sous-préfet qui a distribué des armes aux civils. M. Le président note des différences de témoignages entre son audition devant les autorités rwandaises, françaises et aujourd’hui. Le témoin confirme la version d’aujourd’hui, BIGUMA a seulement envoyé les gendarmes.
Le témoin ne se souvient pas de la date de l’attaque de NYAMURE.
Me JULIEN demande au témoin s’ils se rappelle la présence d’un groupe de femmes lors du premier tir. Le témoin répond qu’il ne se souvient pas particulièrement de cela.
Me EPOMA lui demande la signification de l’invitation au bar le soir suivant l’attaque. Le témoin répond qu’il s’agissait d’un remerciement.
L’avocat général intervient après une confusion pour résumer les faits:
Le jour où il participe à l’attaque de NYAMURE, le témoin se gare devant l’école et croise Esdras NYARANDA. Il a connu Mathieu NDAHIMANA seulement plus tard en prison. Il n’a pas vu ou entendu d’hélicoptère le jour de l’attaque. Il conclut que ce n’est pas le jour de l’attaque finale que le témoin aurait été présent mais sur une attaque précédente.
Me ALTIT prend maintenant la parole. Le témoin a connu Mathieu NDAHIMANA à la prison de MPANGA à NYANZA. Il confirme qu’il y avait trois groupes, les gendarmes, les militaires et les civils qui étaient venus de NYANZA.
Arrivés sur le lieu de l’attaque, ils ont aussi rencontré d’autres civils qui attendaient. Le mortier de 60 a été utilisé et installé à l’école qui se situe à 400m de la colline. Environ 15 bombes ont été lancées. Il était sous les ordres du sergent Emmanuel NDINDABAHIZI.
Il lui demande maintenant pourquoi il n’a pas raconté tout cela lors de l’audition devant les gendarmes français. Le témoin répond qu’il avait peur que cela se répercute sur lui. Me ALTIT insiste que le témoin avait dit être commerçant à un officier de police judiciaire rwandais.
Audition de monsieur Damascène BUKUBA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
M. le président lui rappelle les faits pour lesquels il est auditionné.
Le témoin n’a pas fait de prison avant d’être jugé et a été innocenté. En 1994, il habitait déjà à RWESERO et il explique qu’après l’attentat, une barrière y est érigée. Il avait déclaré que la barrière avait été érigée le 8 avril et le président lui rappelle que les Tutsi n’étaient pas encore massacrés dans la préfecture de BUTARE à ce moment-là. Le témoin explique qu’il ne se souvenait pas des dates quand il a été auditionné. La barrière était appelée RUGARAMA et était sous la direction du conseiller de secteur à proximité de l’AKAZU K’AMAZI. Il ne connaît pas son initiateur et n’a jamais assisté à des réunions.
Lors de son audition, il avait cité les noms des personnes avec lesquelles il gardait cette barrière. Elles avaient été érigées pour arrêter les Tutsi. À la tombée de la nuit, les populations venaient chercher les Tutsi arrêtés pour les tuer plus loin. Lui-même ne tenait la barrière que la journée donc il ne voyait pas ce qu’il se passait de ses propres yeux. Il dit n’avoir jamais arrêté de Tutsi et que beaucoup de personnes ont été arrêtées mais il n’était pas présent. Il explique aussi que les gens parlaient de BIGUMA et disaient que ce n’était pas quelqu’un de bon. Ce dernier est passé une seule fois à la barrière, s’est arrêté pour déposer deux gendarmes, mais le témoin ne se souvient plus s’il a dit quelque chose. Il le connaissait de vue.
Le président rappelle que lors de cette audition, le témoin avait affirmé ne pas être en mesure d’être auditionné car il était trop perturbé par le décès de sa mère, la veille.
Il n’était pas présent au moment du meurtre des 28 Tutsi de l’AKAZU K’AMAZI mais il sait que cela a eu lieu. Les deux gendarmes qui avaient commis les meurtres avaient été déposés par BIGUMA la veille sur le lieu.
Me GISAGARA demande au témoin s’il peut confirmer le fait que BIGUMA supervisait les barrières. Ce dernier confirme.
Me GUEDJ prend la parole. Le témoin dit avoir fui avec sa famille le 15 avril devant les gendarmes français. Il s’est réfugié sur la colline de RURANGAZI. Le témoin rappelle qu’il ne se souvient plus exactement des dates. Me GUEDJ observe qu’il y a une différence de témoignage entre son audition et aujourd’hui sur le fait que BIGUMA se soit arrêté à une barrière ou non. Il demande de donner acte de cette divergence.
Me GUEDJ finalement lui demande s’il a peur de quelque chose car il ne regarde pas la caméra en face. Le témoin répond simplement qu’il a mal voyagé et qu’il ne se tient pas droit.
M. le président demande au témoin s’il reconnaît l’accusé. Me GUEDJ fait observer que cela n’a aucune valeur car son visage est partout dans la presse rwandaise. Me GISAGARA note qu’il attend les pièces justificatives de tels propos.
Le témoin affirme reconnaître l’accusé et ne l’avoir jamais vu dans la presse.
Dépôt de conclusions au sujet de l’inclusion des faits sur la colline de KARAMA
Me PHILIPPART prend la parole pour présenter ses conclusions quant à l’inclusion des massacres de KARAMA dans les faits saisis devant la Cour.
Elle souligne que KARAMA n’a jamais été totalement exclu de l’ordonnance de mise en accusation car les faits étaient traités de manière enchevêtrée avec d’autres événements.
Elle souligne aussi que si la Cour devait juger de l’inadmissibilité des faits qui se sont passés à KARAMA, les témoins devraient quand même être entendus car ils peuvent participer aux chefs d’accusation d’entente en vue de commettre un génocide.
Me BERNADINI soutient les conclusions de Me PHILIPPART et rajoute que les différents lieux devraient être considérés par la Cour comme un seul lieu de crime.
Monsieur l’avocat général prend maintenant la parole. Il demande de rejeter ces demandes au motif que les droits de la défense ne seraient pas respectés car l’ordonnance de mise en accusation n’explicitent pas clairement ce chef d’accusation.
Me GUEDJ rejoint les demandes de M. l’avocat général arguant de nouveau que cela ne respecte pas les droits de la défense notamment celui d’être informé des charges portées à son encontre.
(NDR. Monsieur le président a déjà clairement dit qu’elle était sa position. Il n’inclurapas les faits de KARAMA dans l’accusation dans la mesure où l’accusé n’est pas poursuivi pour ces faits. Il ne prendra pas le risque de donner à la défense un moyen de cassation.)
Audition de madame Anne-Marie MUTUYIMANA, partie civile.
Long témoignage au cours duquel monsieur le président dit qu’on s’est perdus. Son avocat dit qu’il rencontre son client aujourd’hui pour la première fois. Jusque-là, ils avaient échangé par téléphone. On peut reprendre l’audition du témoin du 12 juin 2023:
Anne-Marie MUTUYIMANA, qui s’est constituée partie civile, habitait dans le secteur de NYAMURE, à côté de l’établissement scolaire de NYAMURE. Elle faisait partie d’une famille composée de ses parents et de cinq enfants, un garçon et quatre filles dont la plus jeune âgée de 2 ans. Son père était secrétaire de la paroisse de NYANZA, il travaillait aussi pour la Caritas et dirigeait la succursale paroissiale de NYAMURE.
Quelques jours après le début du génocide, son père a vu que des barrières avaient été érigées. Dans les jours qui ont suivi, Anne-Marie a vu la situation se dégrader. Elle et sa famille se sont réfugiées sur la colline de NYAMURE pendant plusieurs jours. Son père a eu des informations sur une éventuelle attaque des gendarmes de NYANZA. Il a donc éloigné sa famille de la colline, et l’a emmenée au domicile d’une connaissance à lui. Une fois réfugiés dans cette maison, Anne-Marie et le reste de sa famille ont entendu des tirs et des gros bruits qu’elle décrit en disant : « C’est comme si la colline allait s’effondrer ». Ils entendaient des bruits de pas et des cris. Durant cette attaque, la témoin a perdu ses grands-parents paternels, plusieurs de ses oncles et de ses cousins.
L’homme qui les a hébergés leur a demandé de partir pour ne pas se mettre lui-même en danger. Au moment de la tombée de la nuit, la famille a été séparée et Anne-Marie s’est retrouvée avec seulement deux de ses sœurs et son frère. Ils ont ensuite essayé de rentrer chez eux, mais ont vu en arrivant que leur maison avait été détruite. Ils se sont ensuite cachés dans un champ voisin et ont pleuré ensemble. Un groupe d’attaquants les a trouvés et Anne-Marie et le reste de sa fratrie se sont dispersés.
La témoin explique qu’elle a passé ensuite plusieurs jours cachée dans des buissons et dans des champs avant de tenter de finalement retourner à l’endroit où elle avait vu son père en dernier. Elle l’a ainsi retrouvé, puis a aussi retrouvé l’une de ses sœurs. Ils se sont dirigés vers la maison d’un ami de son père, mais ce dernier en tant que secrétaire de la paroisse faisait partie des Tutsi qui étaient activement recherchés.
Ne pouvant rester chez leur ami plus longtemps, Anne-Marie et sa famille se sont rendus dans la région d’origine de sa mère à KIRUNDO. Arrivés sur place, ils ont été saisis par un groupe de Hutu qui ont reconnu le père de la témoin et qui les ont conduits à une barrière près du centre de KIRUNDO. À cette barrière, les Hutu ont torturé le père d’Anne-Marie avant de le tuer avec son oncle. Ils ont dit à la grand-mère d’Anne-Marie, qu’ils avaient retrouvée quelques jours plus tôt, de marcher jusqu’à NYAMURE afin qu’elle soit tuée là-bas.
Quelques jours après, les Inkotanyi[6] sont arrivés dans la localité dans laquelle ils se trouvaient et des combats entre eux et des Interahamwe[5] ont commencé. Anne-Marie et sa famille ont fui. Enfin, le FPR[7] a pris le contrôle de la région et a offert des soins et de la nourriture aux rescapés dont Anne-Marie faisait partie. Elle a pu retrouver sa mère et le reste de sa fratrie intacte.
Audition de monsieur Cyriaque NYAWAKIRA, partie civile.
Le témoin n’a jamais été entendu mais il y a son témoignage dans le dossier. Après avoir demandé à monsieur NYAWAKIRA les raisons pour lesquelles il avait accepté de venir devant la Cour d’assises, le président va lire le témoignage remis lors de sa constitution de partie civile et qu’il soumet au témoin.
Avant le génocide, avait dit le témoin, il régnait un climat de de tension, tension qui s’est aggravée avec l’attentat: d’où une grande inquiétude chez les Tutsi. Certains Hutu menaçaient les Tutsi. À l’école qu’il fréquentait, de jeunes extrémistes du Nord menaçaient les Tutsi.
Après l’attentat, Hutu et Tutsi ont participé à des rondes communes, mais lui était jeune et il n’a pas participé. La maison familiale avait été incendiée. Comme beaucoup de Tutsi qui fuyaient vers le Burundi, la famille du témoin décide de se diriger vers NYAMURE. Un voisin, Daniel SEMAKWERE, avait averti sa mère: « Vous savez ce qui s’est passé en 1959, votre sort est scellé. Votre mère s’est levée et vous l’avez suivie. La famille se sépare et vous vous retrouvez seul avec votre petite sœur Charlotte, âgée de treize ans.
Vous avez fui dans la brousse pour vous retrouver chez votre oncle Straton KABERA et vous êtes partis vers NYAMURE, malgré les barrières et les rondes qu’il fallait affronter ».
Monsieur le président pose une question au témoin: « Pourquoi ne pas fuir vers le Burundi? »
Monsieur NYAWAKIRA: « La frontière du Burundi était proche, c’est vrai mais il y avait beaucoup de militaires. Le seul passage sûr, c’atait de se diriger vers NYAMURE où il y avait un bourgmestre Tutsi à NTYAZO, monsieur NYAGASAZA[8]. Là-bas, les tueries n’avaient pas encore commencé. »
Sur question de maître HERBEAUX, le témoin reconnaît avoir rejoint des membres de sa famille paternelle et des oncles maternels en grand nombre. Après cette rencontre, ils se sont rendus compte que tout le monde était parti au centre de GATI, au carrefour de trois routes. À NYAMURE, ils vont retrouver une trentaine de membres de leur famille. Arrivés près de la rivière Nyarugongo, ils ont rencontré Mathieu NDAHIMANA[3] qui les accueille avec un lance-grenades. Les réfugiés se sont alors dispersés. Certains ont été tués. De là, ils ont réussi à rejoindre NYAMURE. C’était dans la nuit du 14 au 15 avril. ( NDR. Le témoin déclare ne pas être très sûr des dates).
Les réfugiés se sont défendus à coups de pierres mais beaucoup souffraient de faim et de soif. Les pierres se trouvaient au sommet: près de l’école, c’était la forêt. C’est le 20 avril que les assaillants auraient reçu le renfort des gendarmes. Le témoin évoque la présence de NDAHIMANA et celle d’un hélicoptère qui a survolé la colline. C’est deux jours après que la grande attaque aurait eu lieu. Le témoin, qui se trouvait en contre-haut de l’école, a vu arriver les gendarmes qui se sont garés près de l’école primaire. Il n’a pas vu de militaires. Ces derniers viendront à KARAMA et à SHARI.
À NYAMURE, le témoin dit que les gendarmes tiraient des roquettes. Précision qui surprend le président. Mais monsieur NYAWAKIRA avoue ne pas bien connaître les armes. Peut-être des grenades qui explosaient. Quant à NDAHIMANA, le témoin redit qu’il le connaissait bien, que c’est lui qui l’avait soigné: il était bien présent. BIGUMA, il en a simplement entendu parler. Raison pour laquelle il n’en parle pas dans sa plainte. Ce n’est qu’après l’attaque qu’il a su qui il était.
C’est la pluie qui a fait cesser l’attaque. Dans l’attaque, le témoin a perdu beaucoup de membres de sa famille proche : sa mère, trois frères, des oncles maternels. Peut-être une soixantaine de sa famille éloignée.
Sur question de monsieur l’avocat général, le témoin confirme les dates des deux attaques: le 25 et le 27 avril.
Maître DUQUE va à son tour tour poser toute une série de questions: la présence de NDAHIMANA, la couleur des voitures, le nombre de gendarmes…
L’attaque de KARAMA.
Avant d’aborder les faits, maître DUQUE, une nouvelle fois, s’oppose à ce que le témoin évoque ces faits qui ne sont pas reprochés à son client. Monsieur le président répond qu’une partie civile a le droit de donner le témoigner qu’elle veut.
C’est monsieur le président qui va résumer les propos du témoin. En se rendant sur cette colline, le témoin retrouve sa sœur Charlotte. Entre les deux collines, beaucoup de membres de sa famille vont périr. De nombreux réfugiés sont rassemblés là. C’est le même scénario qu’à NYAMURE, mais les réfugiés sont mieux organisés: ils vont manifester une grande résistance, en particulier grâce à la présence des ABAJIJI[9]. Pendant trois jours, les attaques seront repoussées avant que les gendarmes, les militaires et les policiers municipaux ne soient appelés en renfort. Le fils du bourgmestre NZARAMBA sera tué et une voiture incendiée. « Quand je pense à KARAMA, précise le témoin, ça me rend fou. »
Et il y a de quoi. Il va raconter la grave blessure qu’il va avoir au ventre, après laquelle il se cache sous les cadavres. La pluie va le sauver mais c’est surtout grâce à son cousin, Jean de Dieu, qu’il va survivre. Ce dernier va tenter de le soigner, va s’occuper de lui jusqu’à ce que Cyriaque lui demande de l’abandonner car il risquait lui aussi sa vie. Grâce à son courage, le témoin va réussir à se traîner jusqu’à son village où les Inkotanyi[10] le trouveront.
Quant à sa sœur Charlotte, il va la retrouver mais elle va rapidement tomber malade (le témoin pleure à l’évocation de son souvenir) et finir par mourir quelques années après, victime de viols et du SIDA.
Madame l’avocate générale remercie le témoin qui remercie la Cour à son tour. Il souhaite poser une question aux avocats de l’accusé. Il ne comprend pas pourquoi ces derniers ne veulent pas qu’on évoque l’attaque de KARAMA. Maître DUQUE explique calmement à Cyriaque qu’elle comprend sa souffrance, mais que c’est une question de procédure pénale: son client n’est pas poursuivi pour ces faits.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑] - Voir l’audition de Valens BAYINGANA, partie civile, 28 novembre 2024.[↑]
- Voir l’audition de Mathieu NDAHIMANA, 29 novembre 2024[↑][↑]
- Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[↑]
- FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
- Narcisse NYAGASAZA : bourgmestre de NTYAZO, arrêté et emmené par BIGUMA. Voir les comptes-rendus du 25 novembre 2024. J15 et jours suivants. [↑]
- Voir l’audition d’Appolonia CYIMUSHARA, partie civile, 29 novembre 2024.[↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]