Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 7 novembre 2024. J4


Audition de monsieur Eric GILLET, témoin de l’accusation.

Le témoin décline son identité et ses fonctions d’avocat. Il explique qu’il a commencé son travail au Rwanda dans les années 1990 pour défendre (en sa qualité d’avocat) les personnes tutsi arrêtées après les offensives du FPR[1]. En effet des journalistes tutsi avaient été arrêtés sur le fondement de ces attaques. Le témoin mentionne plusieurs massacres qui ont eu lieu au Rwanda.

D’abord, des massacres ont lieu contre les Bagogwe, des Hutu pasteurs du Nord. Monsieur GILLET participe à une commission d’enquête sur des violations de droits humains composée de plusieurs organisations, afin de rendre visibles ces massacres pour la communauté internationale. Cette commission va donc enquêter sur ces massacres mais aussi plus généralement sur d’autres massacres. Il est rapporté que les Bagogwe ont été emportés par des camions militaires, leur corps n’a jamais été retrouvé. Ainsi cette commission d’enquête va trouver des fosses communes et les documenter avant 1993.

Ensuite, un massacre va avoir lieu suite au discours de Leon MUGESERA à Kabaya en 1992[2] « il faut renvoyer ces gens d’où ils viennent » fait référence à l’assassinat de Tutsi en les jetant dans la rivière. Cela provoquera les événements mentionnés le lendemain même et cette pratique sera retrouvée de manière massive plus tard pendant le génocide en 1994.

Un autre massacre est aussi documenté en 1992 dans le Bugesera dans lequel on trouvera pour la première fois une articulation avec les services d’État rwandais. Ainsi, les massacres semblent s’arrêter net aux frontières administratives de certaines communes.

Le commission d’enquête va trouver un document du CEMA[3] de l’armée rwandaise qui définit clairement un ennemi commun, le Tutsi, et ses complices, les personnes refusant le clivage ethnique au Rwanda.

Le travail de la commission est particulièrement alimenté d’observations faites pendant la nuit, au moment où les milices agissent le plus. Cette commission va intervenir à la commission des Droits de l’Homme des Nations Unies.

Après le génocide, à nouveau, une équipe est constituée afin d’enquêter sur le génocide, et notamment à BUTARE. Le témoin va publier un ouvrage de cette enquête, dans la continuité de ses premiers observations.

M. Le président questionne maintenant le témoin. Il l’interroge notamment sur la méthodologie de l’ouvrage. Ce dernier explique qu’il a réalisé une enquête sur le terrain pendant trois ans grâce à une équipe qu’il co-dirige avec Alison DES FORGES. Ils recueillent des témoignages qui sont corroborés par des documents écrits. Les témoignages étaient enregistrés afin de vérifier la traduction. Le témoin note que malgré le génocide en cours, les autorités rwandaises ont continué à faire preuve d’une grande rigueur administratives notamment par la consigne de nombreuses demandes écrites.

Le président demande au témoin s’il a observé le même mode opératoire sur tout le territoire.

Le témoin répond que sur tout le territoire, les communes et les bourgmestres ont été des éléments centrales au déroulement du génocide. BUTARE a remarquablement résisté deux semaines avant de sombrer dans les massacres. Le président demande s’il s’agissait d’un plan concerté selon lui. Le témoin répond à l’affirmative et que les milices étaient aussi impliquées dans un système d’auto-défense civile. Ce système est en réalité un paravent pour justifier les massacres de la population tutsi selon lui. Il précise que certains massacres ont été très rapides et ont pu même précéder de quelques minutes l’annonce de l’assassinat du président ce qui prouve une certaine préparation. Le témoin évoque aussi la préparation matérielle du génocide par le stock de machettes et de bière qui a été accumulé dans certaines régions. M. le président interroge maintenant le témoin sur le rôle de la gendarmerie. Le témoin répond qu’il est fondamental et qu’elle a souvent piégé la confiance des Tutsi pour mieux organiser leur assassinat en collaboration avec l’armée. Un des jurés demande le rôle des intellectuels dans le génocide et les massacres, ce à quoi le témoin répond qu’il était important dans la propagation de la propagande grâce à leur légitimité, face à une population majoritairement analphabète.

C’est aux parties civiles de poser des questions. Me SCIALOM questionne sur le mythe de la culture du mensonge au Rwanda qui jette un discrédit de principe sur les personnes qui viennent témoigner. Le témoin répond qu’il a été véhiculé assez tôt mais rapidement démenti. En effet, les témoignages recueillis par les témoins à chaud et à froid prouvent une certaine cohérence. Ce discours stéréotypé et raciste sur les cultures africaines discréditent le travail de la justice. Le témoin explique que le négationnisme sur le génocide rwandais a différentes déclinaisons. Me HERBAUT demande à son tour si l’uniforme a pu avoir du poids dans la légitimation des massacres et le témoin lui répond qu’effectivement l’uniforme rassure les auteurs, que la loi, c’est tuer.

L’avocat général JUY-BIRMANN demande confirmation sur l’absorption du commandement opérationnel de la gendarmerie par le militaire à compter de 1994. Le témoin répond par la positive et argumente qu’il y a eu une confusion des rôles et des armes entres les deux corps ainsi qu’avec les milices.

La défense maintenant questionne sur la méthodologie des enquêtes au Rwanda dans les années 1990. Le témoin répond qu’il s’est déplacé plusieurs fois sur le terrain avec plusieurs personnes internationales, et que les enquêtes portaient sur les massacres aussi perpétrés contre les Hutu. Il confirme les propos de Me DUQUE sur les conditions inhumaines dans les prisons rwandaises.

La défense essaie de déstabiliser le témoin en lui rappelant que certaines de ses conclusions n’ont pas été retenues au TPIR ce qu’il confirme tout en soulignant que la compétence de cette cour n’est pas la même. Aux questions sur les personnes déplacées à BUTARE, le témoin explique que ce sont des personnes extérieures qui ont commencé les massacres et qu’ils ont rapidement été suivis par le reste de la population. Selon lui, le pillage était une vraie motivation. Questionné maintenant sur les événements au Burundi, le témoin affirme qu’il ne sait pas le nombre de morts causés par les massacres. Il affirme rapidement que les événements au Burundi sont indépendants du Rwanda car ce n’est pas le même pays. Le discours consistant à utiliser la persécution des Hutu au Burundi par les tutsi, a été utilisée pour légitimer les discours du Hutu power contre les accords d’Arusha.

On pourra également  se reporter à l’audition de monsieur Eric GILLET lors du procès en première instance, le 19 juin 2023.

Audition de monsieur François GRANER, à la demande de l’association SURVIE.

Monsieur François GRANER souhaite centrer son audition sur le rôle de la gendarmerie dans le génocide des Tutsi. Il justifie sa présence à la barre sur le fait qu’il s’intéresse depuis longtemps au génocide des Tutsi mais surtout au fait que le Conseil d’État lui a accordé, en 2020, l’accès aux archives de François MITTERRAND.

1959: c’est la Révolution sociale qui voit les Hutu du Sud prendre le pouvoir.

Décembre 1962: accord de coopération civile et culturelle. On trouve déjà les noms de Laurent SERUBUGA (NDR. Futur chef d’état-major adjoint des FAR[4], visé par une plainte pour génocide), Pierre-Célestin RWAGAFILITA (NDR. futur chef d’état-major de la gendarmerie. Formé en France, il a même été décoré de la Légion d’Honneur bien avant le génocide. Il mourra en exil peu après la fin du génocide.) et BAGOSORA[5].

1973: Coup d’état de Juvénal HABYARIMANA. On assiste à un rapprochement entre la France et le Rwanda.

Juillet 1975: Accord militaire sur la gendarmerie. La France formera les cadres de la gendarmerie rwandaise sur le sol français.

1979: RWAGAFILITA devient chef d’état-major adjoint de la gendarmerie qui reste sous la responsabilité du président de la république. Même promotion pour Laurent SERUBUGA qui devient chef d’état-major adjoint de l’armée. A cette époque, tous les pouvoirs, politique et économique, sont aux mains de l’Akazu[6] qui regroupe les proches de madame Agathe HABYARIMANA (NDR. Elle aussi visée par une plainte déposée par le CPCR en février 2007. Elle continue à couler des jours heureux dans sa villa de Courcouronnes, sans avoir obtenu le statut de réfugiée et sans titre de séjour!) ).

Année 80: Le président HABYARIMANA est réélu mais l’ambassadeur de France au Rwanda parle du pays comme d’une « poudrière« . Les cadres formés en France sont initiés à la doctrine insurrectionnelle ce qui entraîne un « quadrillage » du pays. Des armes vont être distribuées aux civils.

Le témoin veut parler alors de la hiérarchie militaire.

1988/1989: HABYARIMANA est affaibli au sein de son propre clan. L’ambassadeur de France prévient: si un coup d’état se produit, le pouvoir sera pris par SERUBUGA et RWAFILITA.

1er octobre 1990. L’attaque du FPR à partir de l’Ouganda, permet aux Hutu de resserrer les liens entre eux. Les gendarmes sont envoyés au front et reçoivent l’ordre de rafler les Tutsi (NDR. Cette période correspond à l’arrestation des Ibyitso, les « complices » du FPR. Plus de 8 000 personnes seront arrêtées.) La gendarmerie refusera toutefois de les exécuter.

Décembre 1990. La ligne dure contre le FPR s’impose. L’attaché militaire à l’ambassade de France, René GALINIER, fait venir le général Jean VARRET, responsable de la coopération militaire. À l’issue d’une réunion avec, entre autres, SERUBUGA et RWAFILITA, ce dernier lui demande des armes lourdes pour liquider le « problème » tutsi: « J’ai besoin de ces équipements pour les gendarmes parce qu’on va participer à la lutte contre les Tutsi. Ils ne sont pas très nombreux. On va les liquider. » Le général Jean VARRET refuse et en avertit le président HABYARIMANA qui promet des sanctions. Elles n’arriveront jamais.

Mars 1992: Ce sont les massacres du BUGESERA (300 morts) dans lesquels les autorités sont impliquées. Il s’agissait d’habituer la population à tuer en toute impunité (NDR. Des arrestations seront pratiquées mais les tueurs seront rapidement libérés.) Lors de ces massacres, on déplorera la mort d’une religieuse italienne, madame LOCATELLI, le 9 mars. Le gendarme français Michel ROBARDEY était venu la rencontrer la veille de son assassinat. Son corps sera emmené dans un camion de la gendarmerie.

7 avril 1992. Dismas NSENGIYAREMYE devient premier ministre. c’estla période de la mise en place du multipartisme.

14 mai 1992. Volonté de réorganiser la gendarmerie. Le président HABYARIMANA s’y oppose. RWAGAFILITA et SERUBUGA sont mis à la retraite. Il reprendront du service, non officiellement, juste après l’attentat contre Juvénal HABYARIMANA. Rôle important du service de renseignements.

Octobre 1992. Un nouvel attaché militaire est nommé à l’ambassade de France à Kigali, le colonel CUSSAC.

6 avril 1994. Lors de l’attentat contre le président HABYARIMANA, les extrémistes prennent le pouvoir. SERUBUGA et RWAGAFILITA sont rappelés, même si ce n’est pas une décision officielle. Des gendarmes rassemblent des Tutsi et mènent l’assaut: 15% des victimes le seront par armes à feu.

Fin juin à août 1994. C’est l’Opération TURQUOISE. Les soldats français, à partir du Zaïre, installent une Zone Humanitaire Sûre au Rwanda, sur toute la frontière avec le lac Kivu.

Plusieurs questions seront posées au témoin par les parties civiles. Maître Jean SIMON veut connaître le type d’armes utilisée par la gendarmerie: grenades, armes à feu (fusils), mortiers. Dans les archives françaises ont voit, à cette époque, que le mot génocide est remplacé par le mot « massacres ».

Maître BERNARDINI permet au témoin de préciser que le colonel CUSSAC remplace le colonel GALINIER qui s’oppose au génocide. Dès qu’une autorité devient trop faible s’installe une hiérarchie parallèle. À la gendarmerie de NYANZA, par exemple, on voit BIGUMA prendre le pas sur le commandant du camp de gendarmerie. La gendarmerie utilisait des hélicoptères pour certaines de ses missions.

Maître PHILIPPART aimerait revenir sur la notion d’ennemi. Depuis 1991, l’ennemi c’est le FPR, c’est le Tutsi.

Définition de l’ennemi : extrait du rapport de la commission BAGOSORA téléchargeable ici (version intégrale provenant du site justice info.net)

 

Sur question de madame l’avocate générale, le témoin déclare que nous n’avons pas de preuves que la réorganisation des fichiers de la gendarmerie ont pu servir à établir des listes de Tutsi. Par contre, il y a bien eu des actions communes entre l’armée et la gendarmerie. La doctrine contre-insurrectionnelle a bien servi à rallier les populations civiles dans des massacres.

Paroles à la défense. Maître DUKE demande au témoin, qui a parlé du témoignage du général VARRET, s’il était présent avec le général pour pouvoir rapporter l’événement. (NDR. Sourires dans la salle. On s’attendrait, de la part de la défense à des questions plus pertinentes!) Elle demande ensuite à monsieur GRANER, qui est un physicien, d’où lui vient son intérêt pour le génocide des Tutsi. Le témoin se présente comme un citoyen  qui s’est interrogé sur le rôle de la France au Rwanda. D’où sa demande d’avoir accès aux archives de François MITTERRAND. Il ne se revendique pas « expert ». Il est membre d’une communauté de chercheurs. Pas besoin de mettre une étiquette.

Occasion est alors donnée au président de donner une définition juridique du mot « expert ».

Maître DUKE poursuit. « Êtes-vous un témoin neutre? » Réponse du témoin: « Je suis membre de SURVIE et du CPCR. C’est à la cour de juger de la qualité de mon témoignage. La neutralité absolue, je ne sais pas ce que c’est!« .

Maître DUKE de revenir sur le CPCR. « J’ai des documents que je mets au service de tout le monde. Ma documentation est utile au CPCR. »

On pourra également  se reporter à l’audition de monsieur François GRANER lors du procès en première instance, le 12 mai 2023.

 

Audition de madame Régine WAINTRATER, à la demande de l’association IBUKA France.

La témoin indique qu’elle est enseignante et psychologue. Elle explique les points communs que l’on peut retrouver dans la prise de parole traumatique. Ainsi, le moment où les témoins survivants témoignent est attendu ET redouté. Tant que justice n’a pas été faite, les victimes se sentent encore au ban de la société. La symbolique est très importante notamment à cause des traumatismes transgénérationnel. La justice permet la réintégration des victimes dans la société. Les victimes de viol ont souvent des épisodes de dissociation au moment du crime. Il en est de même pour les souvenirs, certaines victimes essaient de maintenir les souvenirs traumatiques à distance. Ces souvenirs leur reviennent sous coup de flash traumatiques dans à moments aléatoires. La chronologie est souvent difficile à rétablir pour ce type de souvenir traumatique. La temporalité est dictée par les événements génocidaires, elle est floue et difficile à restituer dans le temps. La chronologie et les détails peuvent être en quantité importante ou nulle en fonction des différentes victimes. Il y a la crainte de ne pas être cru. Le témoignage est perçu comme un mandat par le survivant.

Le président demande quels symptômes sont communs aux survivants des massacres de masse. La témoin répond que le syndrome post-traumatique est très commun et peut se déclencher jusqu’à des années plus tard. D’autres symptômes peuvent être de la prosternation, hyper vigilance, cauchemars, crises de rage, irritabilité, crainte, méfiance, et parfois de la dépendance émotionnelle. Elle explique aussi que les victimes ont peur de ne pas être crues, d’oublier ou de ne pas restituer correctement. Parfois un gel psychique ne leur fait ressentir aucune émotion pendant le témoignage. elle souligne que les victimes ont souvent peur qu’on les suspecte mais qu’ils s’y attendent car ils connaissent le processus. Elle précise que parfois, les victimes ont même du mal à se croire elles-mêmes. Le président demande au témoin s’il y a des risques pour les personnes qui écoutent des récits de massacre. Le témoin invoque le traumatisme vicariant qu’elle appelle aussi la fatigue de compassion et la nécessité pour ces personnes de « détoxiquer leur psychisme »

Me FALGAS interroge la témoin sur ses liens avec Ibuka France. Elle déclare avoir faire du bénévolat pour eux et fait des donations mais qu’elle n’a jamais jamais travaillé contre salaire pour l’association. Elle exprime un affect évident dans ses choix professionnels, une empathie certaine pour les victimes. Elle répond à une autre question en disant qu’un auteur peut effectivement ressentir un traumatisme majeur même s’il sera différent de celui des victimes. La notion de collectivisation du souvenir est mentionné par l’avocat auquel elle répond que les souvenirs peuvent être biaisés mais qu’un ancrage personnel peut être vérifié dans les récits. Elle affirme aussi que les témoins peuvent se tromper ou mentir mais que cela arrive rarement dans les faits.
Me LINDON lui demande la situation actuelle des suivis psychologiques au Rwanda. Elle répond que Naasson MUNYANDAMUTSA fut le seul psychiatre au Rwanda qui a cherché à faire ce travail.

Me SCIALOM demande s’il existe un tabou dans le récit du viol. La témoin explique que les victimes qui viennent témoigner généralement savent qu’elles vont parler du viol qu’elles ont subi. Cependant il existe un tabou évident sur les viols, notamment pour les viols commis sur des hommes. Parfois les familles exercent aussi des pressions pour ne pas divulguer ces crimes subis. Un autre avocat de la partie civile demande si on trouve des témoignages cohérents et véridiques chez les survivants de traumatismes, ce à quoi elle répond par l’affirmative.

Me PHILIPPART prend la parole pour demander si des détails et des flous peuvent coexister chez une même personne concernant la chronologie et les lieux. La témoin répond que c’est très courant. Quant au témoignage des enfants, la témoin explique que ces derniers sont particulièrement sensibles à l’état d’esprit des personnes qui prennent soin d’eux.

Un autre avocat de la partie civile la questionne sur la nécessité de connaître la culture dans la psychologique des survivants. La témoin déclare qu’il est effectivement important de se renseigner.

L’avocat général interroge ensuite la témoin sur le besoin de certaines victimes de désigner un coupable afin de se soigner. Mme la témoin explique que cela peut soulager mais qu’il est difficile de s’inventer un coupable.

Enfin Me DUQUE à la défense questionne la témoin sur la notion de la contamination des souvenirs de bonne foi. Cette dernière répond que cette contamination peut exister chez tout le monde mais qu’elle est surtout possible sur des détails du récit du survivant et que tout un récit ne peut pas en naître. Enfin, la témoin exprime de nouveau sa neutralité dans ce témoignage vis-à-vis d’Ibuka face aux questions de la défense.

 

Question à l’accusé.

Monsieur HATEGEKIMANA, invité à réagir aux propos des témoins, accepte de se prononcer sur l’audition de monsieur François GRANER. Si la gendarmerie n’a pas accompli son devoir de protéger la population, c’est tout simplement parce qu’elle n’en avait pas les moyens. Selon l’accusé, tout ce qu’a dit le témoin sur le rôle de la gendarmerie pendant le génocide ne correspond pas à la réalité.

 

Interrogatoire de l’accusé.

Comment rendre compte de l’interrogatoire par lequel monsieur le président a voulu clôturer la journée? L’accusé n’a qu’un objectif: démontrer qu’il est innocent et qu’il n’était pas à NYANZA lorsque le génocide a commencé. À partir de là, il se doit de fixer sa mutation pour KIGALI au 19 avril et donc de se lancer dans une réécriture de son emploi du temps. Une posture peu crédible à laquelle personne ne peut croire.

Il quitte donc NYANZA le 19 avril, le jour où le président SINDIKUBWABO prononce son fameux discours à BUTARE[7]. Sa mutation dont nous ne possédons aucun document officiel pouvant en attester, il l’attribue au fait que le colonel Laurent RUTAYISIRE a besoin de lui pour assurer sa garde personnelle. Il est donc muté au camp KAKYIRU, au cœur de la capitale où il rejoint le bataillon du major KANIMBA. Il profite de ce déplacement pour ramener à leur mère les deux enfants tutsi qu’il cachait (NDR. Son épouse ne donne pas la même version!)

Avant de se mettre au service du colonel RUTAYISIRE, il va être envoyé au front pour repousser le FPR. C’est à partir du 12 mai qu’il aurait rejoint son affectation auprès du colonel, directeur de la sécurité extérieure.

Une autre version qu’il a donnée aux enquêteurs: il était menacé par les gendarmes extrémistes hutu du Nord. Aux côtés de son colonel, il va se déplacer à GITARAMA, RUHANGO, GIKONGORO, BUTARE. Jamais il n’est revenu à NYANZA qui est pourtant sur la route qui mène à BUTARE. Sa famille reste à NYANZA.

Envoyé pour chercher la solde des gendarmes, il se rend à KIGALI, rencontre le FPR avant d’arriver à KACYIRU. Dans l’impossibilité de revenir à GIKONGORO, il se rend au camp MUHIMA. Le 4 juillet, ordre est donné d’évacuer la capitale. À pied, à la tête de son peloton il passe par GITIKINYONI (NDR. lieu dit à la sortie de KIGALI, à l’embranchement de la route qui part vers RUHENGERI, où se trouvait une célèbre barrière tenue par un Interahamwe[8] de triste mémoire, Joseph SETIBA. Aucun Tutsi ne pouvait passer.) Il rejoindra la sous-préfecture de NDIZA, mêlé à une foule en débandade, puis, après avoir récupéré sa camionnette, il rejoint GISENYI, via KIBUYE, pour atteindre enfin GIKONGORO où il retrouve sa famille. Et tout cela en une journée! Il pourra enfin remettre la solde des gendarmes.

Tout ce « discours romanesque » est en totale contradiction avec les propos qu’il avait tenus lors de ses auditions devant les juges. Qu’à cela ne tienne. Il maintient ses déclarations, probablement au grand désespoir de ses conseils qui n’osent le regarder. En fixant son départ de NYANZA au 19 avril, il échappe aux témoignages accablants de tous ceux qui le verrons pourchasser les Tutsi à NYABUBARE, NYAMURE, l’ISAR-SONGA[9] et peut-être KARAMA!

Nous verrons comment l’accusé se comportera en présence des rescapés qui l’accusent.

 

Coline BERTRAND, stagiaire au CPCR

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

 

  1. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  2. Léon MUGESERA a été condamné à la prison à perpétuité pour son discours prononcé à Kabaya le 22 novembre 1992 – archivé sur le site francegenocidetutsi.org[]
  3. CEMA: Chef d’état major des armées[]
  4. FAR : Forces Armées Rwandaises[]
  5. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
    Voir le glossaire pour plus de détails.[]
  6. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État, cf. Glossaire.[]
  7. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir  résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  8. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  9. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[]

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Auditions du général Jean-Philippe REILAND (commandant de l’OCLCH), Émilie CAPEILLE (directrice d’enquête) et Christophe GONCELIN (enquêteur). Interrogatoire de l’accusé.