- Audition d’Etienne SAGAHUTU.
- Audition de Martin IYAMUREMYE.
- Audition de Samson MATAZA.
- Audition de Valens BAYINGANA, partie civile.
- Audition de Julienne NYIRAKURU, partie civile.
Audition de monsieur Etienne SAGAHUTU, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Cette audition avait été brutalement interrompue la veille par le président SOMMERER dans la mesure où le témoin disait un peu « n’importe quoi ».
Monsieur le président demande au témoin de reprendre son récit sur NYABUBARE interrompu la veille.
« Au commencement, je me tenais au sommet de la colline de NYABUBARE en compagnie des Tutsi, mes voisins avec lesquels nous gardions nos vaches. Nous y avons passé la nuit du vendredi: l’attaque a eu lieu le samedi.
Je connaissais Petero, mon voisin. Il était encore chez lui à l’arrivée des assaillants. Personnellement, j’étais retourné à la maison pour traire ma vache. J’ai vu des gendarmes et des assaillants sur l’autre colline. Les gendarmes ont installé leur arme. Le véhicule, une Toyota blanche, qui était venu le vendredi soir et qui avait fait demi-tour est revenu le samedi entre 10 et 11 heures. La voiture était garée à MUNYINYA, là où l’arme a été installée. »
On présente au témoin une photo de mortier. Ce dernier précise qu’il était trop loin pour la voir. De cette colline, les gendarmes ont tiré sur celle où il se trouvait. Les obus soulevaient la terre, on entendait des explosions. De leur côté, les gendarmes avaient encerclé la colline et lançaient des grenades.
« Nous avons pris la fuite, continue le témoin. Les gendarmes accompagnaient la population qui machettait les fuyards. Il y avait beaucoup de morts mais je me suis enfui, Petero nous ayant signalé que les assaillants avaient des armes puissantes. J’ai couru à travers les buissons et me suis rendu sur la colline en face, celle de NDUZI. J’ai entendu le message selon lequel nous devions nous séparer des Tutsi, mais j’en cachais à la maison. Si je suis resté avec les Tutsi sur la colline c’est parce que je ne savais pas que c’était les Tutsi qui étaient menacés. Après l’attaque, j’ai participé à l’enterrement des corps: cette opération a duré deux jours. Il y avait des centaines de cadavres, hommes, femmes, enfants. »
Quant à Israël DUSINGIZIMANA[1], je le connaissais. Il nous a demandé pourquoi nous n’allions pas aider les autres. C’est alors que je me suis rendu sur la barrière de KABUGA. Chez nous, il n’y avait pas de gendarmes. Je ne connaissais le nom d’aucun. C’est ce samedi-là que nous avons, appris que c’est BIGUMA qui avait mené l’attaque. C’est le conseiller de secteur et toute la population qui le disaient. »
Le témoin confirme qu’il n’a jamais vu BIGUMA, que c’est Israël qui a désigné l’emplacement du mortier lors de la remise en situation. Monsieur SAGAHUTU dit avoir effectué huit ans de prison et cinq ans de TIG, travaux d’intérêt général.
Madame l’avocate générale rapporte les propos de BIGUMA selon lequel les gendarmes avaient assuré la sécurité de la population. Le témoin n’est pas d’accord. Il précise que, entre la colline de NYABUBARE et l’endroit où avait été installé le mortier il y avait environ 500 mètres.
Maître ALTIT, pour la défense, met en lumière ce qu’il nomme des contradictions. Monsieur le président lui demande de poser des claires plus courtes pour permettre au témoin de répondre avec précision. Si les réponses du témoin sont parfois confuses, monsieur le président reconnaît que les questions des enquêteurs sont parfois aussi confuses. L’avocat de la défense s’étonne que le témoin soit remonté sur la colline alors qu’il savait qu’il devait y avoir une attaque.
Maître DUQUE s’étonne que le témoin affirme ne pas avoir participé à l’attaque de la colline de NYABUBARE alors qu’Obed BAYAVUGE a déclaré que « vous étiez bien là ». Pour monsieur SAGAHUTU, ce témoin ment.
Audition de monsieur Martin IYAMUREMYE, cité par la défense sur pouvoir discrétionnaire du président, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité.
Il déclare ne pas connaître BIGUMA/P. HATEGEKIMANA. Il est détenu car condamné à une peine de 30 ans de prison pour des faits pour lesquels il a plaidé non coupable: participation à des attaques à KAYANZA et surveillance de barrières. Il est en prison depuis 1995.
Il a entendu beaucoup de choses sur BIGUMA notamment qu’il est l’auteur du meurtre du bourgmestre NYAGASAZA. C’est Israel DUNSINGIZIMANA[1] qui lui en aurait parlé. Ce dernier disait que BIGUMA avait emmené en voiture le bourgmestre et qu’on l’avait tué à MUSHIRARUNGU.
Me ALTIT à la défense prend la parole. Le témoin est Tutsi. Il n’a pas été témoin direct de la mort du bourgmestre. Il se trouvait à l’hôpital lorsqu’il a entendu le récit de ce meurtre par Israël DUNSINGIZIMANA et Mathieu NDAHIMANA.
Me DUQUE interroge ensuite le témoin. Elle soulève qu’il aurait été arrêté et mis au cachot pendant 5 jours puis il aurait assisté à une réunion le 3 mai. Il précise qu’il était encore libre le 30 avril. Pendant son séjour au cachot, il a seulement entendu le récit du meurtre par Israël qui était à la tête des causeries des Gacaca[2]. Le chef de ces causeries, Mathieu NDAHIMANA, sensibilisait les détenus à passer aux aveux, à plaider coupable et à demander pardon. Ce dernier était le président du groupe Gacaca à la prison. Le rôle d’Israel dans ces groupes en prison était de seconder Mathieu NDAHIMANA. Il était une autorité officielle dans la prison, capita, responsable des prisonniers. Il avait été désigné par les autres pour remplir ce rôle mais n’obtenait aucun avantage matériel à faire cela. Il était gratifié par la discipline qu’il apprenait aux détenus et transmettait les doléances des prisonniers à la direction. Dans le système Gacaca, il y avait un système à charge et à décharge, donc tous les témoins étaient entendus à la même enseigne. Même si plaider coupable était avantageux sur la peine prononcée, le témoin ne l’a pas fait car il trouvait qu’il n’avait rien fait de répréhensible.
Audition de monsieur Samson MATAZA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Le témoin a été condamné à 15 ans de prison et a plaidé non coupable pour des faits de meurtre. Il a purgé toute sa peine et a été libéré en juin dernier.
Il a délivré un témoignage sur la mort du bourgmestre NYAGASAZA qui a eu lieu un samedi matin à la fin du mois d’avril. Il habitait à cette époque dans le village de KARAMBI à côté de la rivière Akanyaru et à la frontière du Burundi. À ce moment-là il était au cabaret, assis à l’extérieur avec son conseiller de secteur, avec une vue sur la rivière. Il voit le bourgmestre NYAGASAZA essayer de fuir vers le Burundi. Les gendarmes sont arrivés dans un gros pickup blanc, une Daihatsu et ils étaient armés. Il dit aujourd’hui que les militaires étaient deux et le président lui rappelle qu’il avait dit quatre précédemment. Il ne les connaissait pas mais ils étaient coiffés de bérets rouges. Le bourgmestre a salué le conseiller, est passé entre deux cabarets en allant vers les gendarmes qui étaient assis. Ils les a salués mais ces derniers l’ont saisi sans particulière violence et mis dans la cabine du véhicule.
Le président précise qu’à la remise en situation, le témoin avait parlé de deux hommes en uniforme et une personne en civil. Le bourgmestre aurait été poussé pour entrer dans le véhicule, cela ressemblait à une arrestation. NAKARASHI est apparu devant le véhicule, il a aussi été arrêté par les gendarmes et installé derrière le chauffeur dans la double cabine. Ce dernier était un habitant ordinaire qui avait exercé comme policier sous la présidence de KAYIBANDA[3]. Il ne pourrait pas reconnaître les gendarmes aujourd’hui. Il a entendu dire que BIGUMA était présent par le conseiller qui l’accompagnait au cabaret. Il explique aussi qu’en prison, il avait entendu Israel DUNSINGIZIMANA en parler pendant la commémoration du génocide et dire qu’il avait été tué à MUSHIRARUNGU. Le président lui demande si son témoignage a été influencé par celui d’Israel. Le témoin répond que non et qu’il témoigne uniquement de ce qu’il a vu.
Après l’arrestation du bourgmestre, des Tutsi ont tenté de traverser la rivière et de fuir. Quand le véhicule a démarré, un des gendarmes a ordonné à la population: « Ne permettez pas que ces Tutsi s’échappent, il faut manger leurs vaches ». Il n’a pas vu ces gendarmes ni personne tirer sur les Tutsi qui essayaient de traverser. Il n’a pas vu non plus des personnes les empêcher de traverser. Il explique qu’avant cette journée, beaucoup de Tutsi avaient déjà traversé, mais il n’a rien vu le jour-même de l’arrestation du bourgmestre. Il dit avoir quitté le lieu vers 11h. Le témoin explique que l’attaque contre les Tutsi qui tentaient de traverser a eu lieu plus tard après l’arrestation du bourgmestre. Il a notamment vu CYIMVUZO et GISASA tenter de fuir. Il atteste que les militaires burundais tiraient pour protéger les Tutsi qui tentaient de traverser. Ils les ont aidé en lançant des cordes tandis que d’autres Tutsi nageaient. Cependant il affirme que personne ne tirait sur la population du côté rwandais.
Me Philippart questionne le témoin sur l’attaque. Elle lui soumet les propos de Primitive[4], la fille de NYAKARASHI qui dit que les gendarmes tiraient sur les civils qui tentaient de traverser. Elle a même été blessée. Il insiste en disant que personne ne tirait, que tout était calme et que personne n’a tenté de traverser.
Me TAPI lui demande des précisions sur les horaires de chaque événement. La réponse est confuse.
Me GISAGARA prend la parole pour rappeler au témoin que ce n’est pas lui qui est jugé aujourd’hui et qu’il doit parler librement. Ce dernier répond que NYAKARASHI et NYAGASAZA ont été emmenés vers 9h et qu’il a croisé les réfugiés descendre vers la rivière vers midi en partant du lieu. Un peu plus tard il entend des bruits de tir mais n’a pas assisté directement à la scène.
Madame l’avocate générale interroge le témoin sur la propagande génocidaire sur les radios. Le témoin raconte qu’il entendait des phrases de type « l’ennemi du pays est le Tutsi » passer sur des radios. Ils se souvient que l’arrestation et le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA a causé de la tristesse dans la population mais a aussi incité le début du génocide.
Me ALTIT, pour la défense. Le témoin affirme qu’il n’avait pas de radio en 1994. En première audition, le témoin déclarait que des attaquants de MUHIRA sont arrivés à NTYAZO pour chasser les réfugiés sur la colline et manger leurs vaches. Il ne s’agissait pas des personnes de la commune. Face à ce danger, les Hutu et les Tutsi ont lutté ensemble contre ces groupes. A ce moment il n’y avait pas de scission ethnique.
Me ALTIT invoque un télégramme envoyé par le sous-préfet Gaetan KAYITANA dans lequel ce dernier dit que le bourgmestre est mort noyé par la population dans la rivière en tentant de traverser la rivière. Le témoin répond que ce télégramme est un mensonge.
Il réexplique aussi que la première fois qu’il a vu et entendu le nom de BIGUMA était le jour de l’enlèvement du bourgmestre. Puis il en a de nouveau entendu parler en prison par Israël DUNSINGIZIMANA. Il a déjà témoigné devant le tribunal d’instance de KIMURURA. Il rappelle qu’en prison il a déjà pu témoigner des mêmes faits.
Me GISAGARA demande de donner acte de la déclaration du témoin: « Si le bourgmestre n’avait pas été tué, aucun Tutsi de chez nous n’aurait été tué ».
Me DUQUE pose maintenant une question sur la différence de témoignage entre le témoin et Augustin NZAMWITA[5]. Ce dernier dit que le bourgmestre aurait été mis à terre avec une balayette, se serait fait cracher dessus et giflé. Me DUQUE relève donc une différence avec la déclaration de ce témoin.
M. le président interroge Philippe HATEGEKIMANA sur ce qu’il a à dire à propos de ces témoignages.
L’accusé répond que les témoins ne sont pas libres, qu’ils sous pression ou cherchent à réduire leur peine.
Audition de monsieur Valens BAYINGANA, partie civile.
Il va témoigner sur les faits de génocide sur la colline de NYAMURE. À cette époque, les Hutu et les Tutsi vivaient ensemble sur la colline.
Le 22 avril 1994, la population a entendu dire que sur la colline voisine de KAYANZA, les maisons étaient incendiées. Ils sont donc allés à NYABUGOGO pour voir ce qu’il se passait. Ils ont vu des gens aller de maisons en maisons et trier les habitants. Un voisin, NGEZAMAGURU, leur dit que ce sont les Tutsi qui sont recherchés et que ces derniers doivent être tués coûte que coûte. Les Hutu sont donc rentrés chez eux, les Tutsi ont compris que quelque chose se tramait, donc sa famille n’est pas rentrée chez elle la nuit et s’est réfugiée sur la colline de NYAMURE. La famille se composait du témoin, ses 4 frères et ses 2 sœurs. Le témoin pense qu’il y avait environ 15 000 Tutsi réfugiés sur la colline le jour de l’attaque. Il y avait une source d’eau en contrebas de la colline dont les Hutu ont rapidement coupé l’accès. Lui et ses frères sont arrivés le 22 avril et l’attaque a eu lieu le 27.
Le jour de l’attaque, des habitants Hutu ont été aidés par des miliciens interahamwe[6] en provenance du BUGESERA. Ils étaient là pour aider les habitants Hutu à tuer et étaient pris en charge par le centre de santé dont le directeur était Mathieu NDAHIMANA. Avant l’attaque finale, entre le 22 et le 27 avril, les habitants ont lancé plusieurs attaques auxquelles les Tutsi ont résisté. Les femmes et les enfants faisaient des stocks de pierre et les hommes les jetaient sur les assaillants. Les attaques avaient lieu tous les jours à des moments différents et tout autour de la colline. Ils portaient des armes traditionnelles, et certains du centre de santé avaient des grenades.
Le jour de l’attaque, le 27 avril, la victime a vu un véhicule avec des policiers de MUYIRA venir. Ils avaient un uniforme camouflage et un béret jaune. BINENYANDE, responsable du comité de cellule de GASAVE, s’adressait aux populations et leur disait que des hommes allaient arriver avec des fusils. Un véhicule de la police stationné à l’école primaire a été rejoint par un autre véhicule rempli de militaires. Le véhicule des policiers était une Toyota Hilux rouge. Le véhicule des gendarmes était caché par des arbres et la forêt empêchait de reconnaître le type de véhicule des gendarmes. Il voit des policiers et des gendarmes monter à pied la colline et se séparer pour l’encercler. Personne ne pouvait descendre et passer par là où ils étaient.
Les gendarmes ont commencé à avancer en tirant. Un groupe de femmes entourait une femme qui était en train d’accoucher pour leur assurer un peu d’intimité. Le gendarme qui avait tiré le premier, a tout de suite visé ce groupe de femmes et les a toutes tuées. C’est à partir de ce moment-là que les fusillades ont commencé. Ceux qui n’étaient pas tués par balle, étaient découpés à la machette. Le témoin arrive à descendre un peu la colline vers des broussailles et tombe sur un homme en train de découper un garçon et une fille. Il a donc sorti sa machette pour lui faire peur et a réussi à passer entre les meurtriers. Il s’est caché dans une bananeraie. Il s’est mis dans un trou et a mis des feuilles de bananiers au dessus de lui. Il a compris que tout le monde avait été exterminé quand le silence s’est fait. Il pense être resté trois jours dans ce trou. Il est ensuite parti se cacher dans la brousse où il est resté jusqu’à l’arrivée du FPR.
Toute sa famille a été exterminée dans cette attaque du 27 avril. Il pense qu’environ une trentaine de jours se sont écoulés avant d’avoir été retrouvé par le FPR[7].
M. le président demande des informations sur son retour sur la colline deux mois après l’attaque. Il déclare que deux mois plus tard, les corps gisaient encore sur la colline. Ils étaient très abîmés et mangés par les chiens. Le bourgmestre les a aidés à enterrer ces corps. Il pense que sa mère a été tuée a KARAMA et non à NYAMURE. Il est le seul survivant de sa famille dans cette attaque et a reconnu les corps des siens grâce à la couleur de leurs vêtements.
M. le président revient sur la question des voitures: dans un précédente audition devant les gendarmes français, il disait que les gendarmes montaient sur la colline dans une voiture rouge ce qui diffère de ce qu’il dit aujourd’hui.
Le témoin estime le nombre d’assaillants à environ 5000 et le nombre de victimes entre 10 000 et 15 000. En retournant sur la colline quelques mois après le massacre, ils ont compté 14 700 têtes sur la colline et 3000 dans les alentours.
Sur questions du président, il répond que les policiers étaient dirigés par GATERA et les gendarmes par BIGUMA. La victime connaissait bien BIGUMA, sous le nom de P. HATEGEKIMANA car il venait souvent dans sa région avant le génocide. Il s’était présenté une fois à NTYAZO alors qu’un homme avait été tué par des malfaiteurs, pour récupérer son corps. Il confirme que pendant l’attaque, il portait un uniforme marron, un béret rouge, un fusil, et il a tiré, et donné des ordres. Il confirme aussi que BIGUMA était le gendarme qui a tiré le premier sur le groupe de femmes.
Le président rappelle que la victime avait annoncé qu’il lui semblait reconnaître BIGUMA sur planche photos, ainsi qu’en confrontation. Aujourd’hui, il le reconnaît encore.
Au sujet de Mathieu NDAHIMANA, il l’a vu s’avancer et donner le signal pour tirer mais il ne l’a pas entendu donner des ordres directement.
M. le président revient sur son audition par les autorités rwandaises. Quand le témoin a fait sa première rencontre avec BIGUMA, ce dernier s’était présenté comme Philippe HATEGEKIMANA. C’est pour cela qu’il ne savait pas qui était BIGUMA avant l’audition.
Le chiffre de 23 000 corps représente tous les corps qui ont été trouvés à NYAMURE et autour sur les secteurs environnants, trouvés dans les buissons.
M. Le président rappelle qu’après la confrontation, le témoin a participé à une remise en situation et a aussi été entendu par la justice suédoise.
M. le président rappelle à la victime la gravité des charges qu’il porte contre l’accusé – avoir commis le crime des crimes – et lui demande s’il maintient son témoignage et s’il reconnaît cet homme. Le témoin répond qu’il n’aurait aucune raison d’accuser BIGUMA et qu’il veut seulement dire la vérité. Il veut servir la justice pour que plus jamais les uns ne se retournent contre les autres.
Madame la juge assesseur demande au témoin s’il a perçu des choses lorsqu’il est resté trois jours dans le trou. Le témoin explique qu’il est sorti du trou car il avait peur que les propriétaires reviennent et qu’il avait faim.
Me JULIEN le questionne sur la présence d’un hélicoptère. La victime se souvient l’avoir vu survoler la colline de NYAMURE. Il ne sait pas quel type d’arme utilisait BIGUMA.
Au sujet des auditions en Suède, l’avocate de la partie civile note que plusieurs fois il a annoncé qu’il pouvait donner le nom de plusieurs assaillants mais qu’on ne le lui a pas demandé.
La victime rajoute que si les militaires et les policiers n’avaient pas participé à l’attaque, les Interahamwe seuls n’auraient pas pu les vaincre.
Me GISAGARA et AUBLÉ prennent la parole pour établir la présence de partie civiles sur la colline.
Monsieur l’avocat général demande à la victime si l’arme que tenait BIGUMA était plutôt grande ou petite. Le témoin explicite que l’arme était imposante et faisait des bruits sourds et rapprochés. Il a aussi vu des grenades être jetées.
La victime garde de profonds traumatismes de ce massacre.
Me DUQUE à la défense interroge maintenant la partie civile. Les gendarmes sont d’abord montés par les bois puis se sont répandus autour de la colline aux côtés des Interahamwe. Il a notamment interprété son tir comme étant le signal de départ pour les autres. Le témoin est formel sur la date et l’heure de l’attaque ainsi que sur le détail du premier coup de feu. Au sujet des auditions en Suède, il dit ne pas avoir mentionné BIGUMA car ce n’était pas le sujet. Me DUQUE insiste sur certains noms qui ont été donnés lors de ces auditions qui ont fait l’objet d’un PV de 50 pages. Me JULIEN intervient pour remettre en contexte les propos de la partie civile.
Une nouvelle fois, le témoin explique qu’il connaissait Philippe HATEGEKIMANA mais pas BIGUMA.
Audition de madame Julienne NYIRAKURU, partie civile.
Madame NYIRAKURU va faire le récit de ses errances pendant le génocide. Comme beaucoup de témoins, elle affirme que c’est à l’école qu’elle a appris qu’elle était Tutsi. Ses parents n’avaient jamais abordé cette question.
« Après l’attentat, nos familles vivaient dans l’insécurité. Nos voisins hutu se sont sentis obligés de tuer les Tutsi. Un voisin est venu dire à mon père qu’on lui avait donné une machette pour le tuer. Il lui conseille de fuir. Nous passions les nuits dans la brousse, des voisins lançaient des pierres sur nos maisons. Nous avons pris la décision de fuir au moment où les attaques commençaient. Avec des membres de ma famille, nous avons pris la direction du BURUNDI. Nous avons marché jusqu’au centre commercial de KAZARUSENYA, à la frontière avec le BURUNDI.
Nous avons rencontré une barrière où se trouvaient beaucoup d’Interahamwe[6]. Ils ont tués beaucoup de personnes dont mon père. et deux de mes frères. Nous avons eu peur et nous avons rebroussé chemin. »
Madame Julienne NYIRAKURU va alors raconter le long chemin de croix qui va la conduire d’abord à SHARI, dans la famille de sa mère avant de rejoindre NYAMURE avec sa tante. C’est là, alors qu’elle n’est qu’un enfant, qu’elle va faire la connaissance de BIGUMA. Elle s’était rendue auprès des véhicules des policiers et des gendarmes, près de l’école. Un chef Interahamwe, SEMAHE, a distribué des machettes aux habitants, sous la direction de BIGUMA qui s’était présenté ainsi: « Moi, afande (chef) alias BIGUMA, je voudrais vous dire que vous devez tuer ces chiens de Tutsi » Elle raconte ensuite l’attaque que les Tutsi ont subi, la mort de sa tante et des siens. Elle dit s’être allongée contre le corps de sa tante qui était morte et avoir attendu la fin des massacres.
Lorsqu’elle n’a plus entendu de bruits, elle s’est levée, a bu de l’eau mélangé au sang des victimes et est partie en direction de SHARI où habitait sa tante. Après avoir passé la nuit dans un champ de sorgho, elle a retrouvé un oncle maternel qui lui a dit de le suivre jusqu’à KARAMA. Une nouvelle attaque se déclenche sur cette colline, un « avion » survole les réfugiés. Des gendarmes sont arrivés en Daihatsu: elle reconnaît BIGUMA. Elle échappera miraculeusement à la mort et sa fuite la conduira jusqu’à SONGA où elle va devoir se cacher après la mort de sa cousine. Elle-même va être précipitée dans une fosse commune d’où elle réussira à sortir.
Après avoir obtenu de quoi manger auprès d’une famille, elle va continuer sa fuite pour rencontrer un chef Interahamwe qui va la protéger chez lui: Ce dernier menace ses congénères: « Que personne ne tue cette enfant. » Tout en disant cela, alors qu’il me tenait par le bras, il a tuée un autre enfant qui était là. Son « sauveur » l’a conduite chez lui où elle est restée jusqu’à l’arivée du FPR[7].
Monsieur le président a laissé le témoin raconter son histoire sans trop l’interrompre. Maître PHILIPPART, son avocate, lui posera quelques questions pour obtenir des précisions. Elle aura l’occasion de nommer les membres de sa famille proche qui sont morts à NYAMURE: Dominique BAYINGANA, son grand frère, ses sœurs Françoise et Gaudence, un autre frère, Fiacre, ainsi que sa tante Concessa. Elle précise qu’à KARAMA s’est déroulé le même scénario qu’à NYAMURE. Elle retrouvera sa mère qui avait réussi à fuir au BURUNDI. Elle a eu la chance de refaire sa vie, se marier et avoir des enfants.
Maître GUEDJ, pour la défense, va tenter de mettre en doute le témoignage de madame NYIRAKURU, d’ironiser sur le fait qu’elle puisse connaître les marques des voitures alors qu’elle n’avait que dix ans. Il s’étonne aussi, qu’à son âge, elle ait pu estimer l’âge de son client. Il va passer beaucoup de temps sur un personnage tout à fait secondaire, le milicien SEMAHE. Il questionnera ensuite le témoin sur un combattant tutsi célèbre, habile à manier l’arc et les flèches: monsieur MBIRINGI. Il va souligner les contradictions qu’il relève dans les déclarations du témoin. Autant de questions qui ne permettent pas de lever le doute sur la responsabilité de son client dans les massacres de NYAMURE et KARAMA.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
- Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024[↑][↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha ») Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnels à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
- Grégoire KAYIBANDA : premier président du Rwanda indépendant, le 1er juillet 1962. En 1957, il avait déjà publié le « Manifeste des Bahutu » qui désigne le Tutsi comme étant d’une race étrangère avant de créer en 1959 le parti Parmehutu qui proclame que la masse Hutu est constituée des seuls «vrais Rwandais». voir Repères – les origines coloniales du génocide.[↑]
- Voir l’audition de Primitive MUJAWAYEZU, partie civile.[↑]
- Voir l’audition d’Augustin NZAMWITA, 26 novembre 2024[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
- FPR : Front Patriotique Rwandais[↑][↑]