- Audition de Johan SWINNEN, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 au 12 avril 1994.
- Audition de Linda MELVERN, journaliste d’investigation cité par les parties civiles.
- Audition de Esther MUJAWAYO, rescapée, psychothérapeute citée par les parties civiles.
Audition de monsieur Johan SWINNEN, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 au 12 avril 1994.
L’ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda commence par dire que lorsqu’il est nommé à ce poste, le Rwanda a une bonne réputation sur le plan internationale. Sa bonne gouvernance tranche avec la plupart des autres pays africains. Il avait toutefois constaté une certaine usure du pouvoir avant même son arrivée: corruption, assassinats politiques, problème des réfugiés tutsi qui aspirent à rentrer au pays… Le pays a deux défis à relever: l’attaque du FPR qui débouchera sur les accords d’Arusha[1] et celui de la réforme institutionnelle. HABYARIMANA n’avait pas attendu les recommandations de MITTERRAND dans son discours de La Baule pour engager des réformes. Ces réformes vont déboucher sur l’adoption d’une nouvelle constitution en juin 1991 qui prévoyait le multipartisme.
Des centaines de milliers de Hutu du nord qui ont fui l’avancée du FPR s’entassent aux portes de Kigali. On assiste à la formation d’une douzaine de partis politiques, d une quarantaine de journaux sont créés, des organisations des Droits de l’Homme vient le jour. « Un vent de liberté souffle sur le Rwanda, encouragé par la communauté internationale« . Mais il existe un envers du décor: massacres, assassinats politiques, reprise des incursions du FPR, naissance des médias de la haine avec des discours ethnicisés. Le Rwanda nouveau est loin d’être arrivé.
Les partis politiques vont pratiquement tous se radicaliser pour finir par se scinder en deux et donner naissance au Hutu Power[2]. Même au PL[3], on assiste à une scission entre les Hutu et les Tutsi, signale d’un profond mécontentement. Les raisons sont connues: les accords d’Arusha font la part trop belle au FPR, l’armée sera constituée de 60% de FAR et de 40% de soldats de l’armée du FPR,. Quant aux postes de commandement, c’est pire: c’est du 50/50.
Dans cette situation incertaine, le témoin fait part de ses efforts pour demander, en attendant des élections dans le 22 mois, que les autorités rwandaises tiennent des discours rassurants. Ces accords d’Arusha ne soulevaient pas un véritable engouement et monsieur SWINNEN rencontrait aussi le FPR qui ne voyait pas d’un bon œil la tenue des élections. A KAGAME, il fait remarquer qu’il ne peut pas demander qu’on tempère les propos de la RTLM si lui-même ne fait pas la même chose par rapport à Radio Muhabura, la radio du FPR.
Entretemps, les choses évoluent: apparition des milices, distribution des machettes et des armes fin 1993, les bourgmestres étant eux-mêmes les artisans de ces distributions. Ne pas oublier un événement capital pour la région: le 21 octobre 1993, le premier président hutu élu démocratiquement, « incarnation vivante de la réussite démocratique » est assassiné. HABYARIMANA appelle le témoin le jour même pour lui faire part de ses inquiétudes: « Vous me poussez tout le temps à faire des concessions. Vous voyez ce qui se passe dans le pays voisin! » L’ambassadeur insiste encore pour que le président continue à tenir des propos rassurants. Et monsieur SWINNEN d’avouer: « Nous critiquions le régime, mais toujours de façon constructive. Ce processus n’a pas réussi et a débouché sur une grande radicalisation. » Aujourd’hui, il reste profondément déçu par l’échec de la communauté internationale. Les premiers responsables du génocide sont les extrémistes rwandais. Le témoin espère que les procès puissent continuer à faire la vérité: « Ne restons pas emprisonnés dans une histoire à pensée unique. Nous n’avons pas trouvé toute la vérité sur cette époque. Le Rwanda et la communauté internationale ont intérêt à poursuivre ces efforts. »
Le président, monsieur DE JORNA cherche à savoir si HABYARIMANA jouait vraiment le jeu. « N’avait-il pas un double langage? Avait-il une véritable volonté de réformer? N’a-t-il pas parlé des accords d’Arusha comme d’un « chiffon de papier »? Quel était le rôle de l’entourage familial? Ne torpillait-il pas son action? »
Le témoin reconnaît qu’il a été très déçu par cette déclaration faite dans un discours en Kinyarwanda. HABYARIMANA a bien tenté de se justifier: « Aussi longtemps que cet accord est sur le papier, ce n’est qu’un chiffon de papier, tant qu’il n’est pas traduit dans les faits! » Le témoin reconnaît que le président tenait un double langage et souligne le rôle de l’entourage de la belle-famille. « Le président était-il otage de sa famille et des extrémistes de son parti ou acteur? » Cette question à laquelle il ne peut répondre reviendra à plusieurs reprises. Et de poursuivre: « Je n’exclus pas que HABYARIMANA ait trempé dans l’extrémisme. J’ai passé des heures avec le président pour essayer de trouver des solutions. »
« Et le 6 avril, vous étiez sur place, que pouvez-vous en dire? » questionne le président. Le témoin parle d’une situation chaotique. Il ne pouvait pas se déplacer et est resté longtemps à sa résidence avec sa famille. Seul le téléphone lui permettait d’avoir des informations. RUSATIRA est venu lui dire de ne pas sortir car son nom était inscrit sur une liste des gens à éliminer: dix Casques Bleus avaient été tués, sans compter une dizaine de civils belges. Des personnalités avaient été assassinées, dont le président du Conseil Constitutionnel, monsieur KAVARUGANDA, le ministre tutsi Landouald NDASINGWA et toute sa famille, la Première Ministre qui devait se rendre à la radio pour appeler au calme ses concitoyens… Le témoin regrette l’inefficacité de la communauté internationale. De retour à l’ambassade, il s’occupe de l’évacuation de ses concitoyens, de celle de Enoch RUHIGIRA, directeur de cabinet du président. Par les fenêtres de son bureau, il voir les camions-bennes chargés de cadavres. La RTLM hurlait sa haine des Tutsi et des Belges qu’il fallait tuer. Lui-même quittera le Rwanda le 12 avril 1994. Une délégation du gouvernement constitué le 9 avril vient le rencontrer. » Une rencontre houleuse, dira le témoin, car on venait me demander ma compréhension et mon soutien! » C’était impossible.
Le président interroge ensuite le témoin sur un fax qu’il avait transmis le 27 mars 1992 à son ministre des Affaires Étrangères et dans lequel il signalait qu »un « état major secret était chargé d’éliminer les Tutsi et d’écraser l’opposition hutu intérieure. » A ce fax était joint une liste de responsables dont il fallait se méfier. Les noms de ZIGIRANYIRAZO, de SAGATWA, de SIMBIKANGWA et autres Anatole NSENGIYUMVA et Tharcisse RENZAHO apparaissent sur cette liste. Jean BIRARA, dans cette note, parle aussi des Escadrons de la mort, du Réseau Zéro, de l’Akazu[4]…
Monsieur SWINNEN évoque le rôle « pas clair » d’Elie SAGATWA. Il le croisait quand il se rendait à la présidence mais ne le connaissait pas plus que cela.. Quant à SIMBIKANGWA, il aurait souhaité le rencontrer mais pour diverses raisons, cela n’a pas pu se faire. Et le témoin d’évoquer la visite, le 6 décembre 1991, de l’abbé André SIBOMANA, président de l’association des journalistes indépendants. Il était accompagne de Boniface NTAWUYIRUSHINTEGE, de la Revue Umurava. Ce dernier était blessé suite à une rencontre avec SIMBIKANGWA. Les deux visiteurs signalent aussi que d’autres ont été torturés. Ce que le témoin signalera aux autorités.
Un autre souvenir. SIMBIKANGWA était soupçonné d’avoir voulu corrompre un certain BAKONDO pour compromettre des gens qui n’étaient pas en odeur de sainteté. Le major SABAKUNZI parlait de SIMBIKANGWA comme du « cerveau des Interahamwe ». Boniface sera de nouveau arrêté le soir-même puis remis en liberté après avoir promis de ne plus s’en prendre au président, à l’armée et aux gens du Nord. L’abbé SIBOMANA ira même jusqu’à réclamer la mise à l’écart de l’accusé (décembre 1991/début 1992). Jean-Baptiste MUGABE se réfugie à l’ambassade belge suite aux menaces d’agents de la présidence: le nom de SIMBIKANGWA est donné. Allusion aussi à l’arrestation d’un activiste des Droits de l’Homme, Fidèle KANYABUGOYI, arrêté par le SCR le 1 avril 1992. On demande à l’ambassadeur qui intervient pour sa libération de « ne pas toujours défendre les Tutsi« . (NDR. Monsieur KANYABUGOYI sera tué le 11 avril à Kigali avec de nombreux Tutsi, au lieu dit Nyanza, suite au départ des Casques Bleus belges basés à l’ETO, école technique du quartier de Kicukiro.)
A la question de savoir si le témoin parle de SIMBIKANGWA avec le président, le témoin hésite mais finit par dire que c’est fort probable. En tout cas, il en a parlé souvent avec le ministre de la Justice, avec Mathieu NGIRUMPATSE, le président du MRND, avec le ministre des Affaires Étrangères. Et de se souvenir: « Avec le président, je suis formel. » Le témoin affirme que SIMBIKANGWA est bien connu de toutes ces autorités. « On va s’en occuper! » lui aurait dit un jour le président lors d’une visite du président kényan. L’a-t-il fait? C’est une autre question. Le témoin est intervenu aussi auprès du président pour lui demander de calmer la RTLM: il l’a fait. « Sans grand résultat » fait remarquer monsieur DE JORNA. Et le témoin de se demander si le président avait encore un pouvoir. En tout cas, il redit que HABYARIMANA avait un double langage.
Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR, veut avoir plus de précisions sur Jean BIRARA. C’était le gouverneur de la Banque Centrale du Rwanda qui venait lui glisser de temps en temps des mots sous sa porte ou le rencontrer. Il était très critique envers la belle- famille du président. C’était un homme bien connu en Belgique en qui le témoin avait toute confiance, même s’il était « énigmatique« . » Nous savions qu’il y aurait une multiplication de massacres généralisés. Des tracts circulaient mais on ne savait pas d’où ils venaient. » Nous étions très inquiets, très vigilants. On ne peut pas dire qu’il y avait une responsabilité pré-établie. On peut lire avec intérêt les ouvrages de LUGAN qui est intervenu au TPIR qui n’a pas reconnu l’entente à commettre le génocide dans l’affaire BAGOSORA! »
Monsieur HERVELIN-SERRE. « Vous confirmez qu’il existait un groupe d’influence autour de HABYARIMANA, Akazu ou pas »!
Le témoin. « Nous savions qu’il y avait des forces négatives autour du président qui luttait contre l’arrogance du FPR, et nous ne savions pas si HABYARIMANA était un acteur ou un otage de ces forces négatives. Avait-il assez de forces autour de lui pour s’opposer aux durs? A Dar-Es-Salam, le 6 avril, HABYARIMANA avait souhaité faire les dernières concessions pour que les accords se mettent en place la semaine suivante. Et ce sous la pression de la communauté internationale qui venait de prolonger de trois mois le mandat de la MINUAR. » Et d’ajouter qu’il aurait condamné le comportement de SIMBIKANGWA s’il avait pu le rencontrer. Le témoin avait une perception très négative sur les deux frères d’Agathe KANZIGA, ZIGIRANYIRAZO et RWABUKUMBA (NDR. Ce dernier est réfugié depuis longtemps en Belgique sans être inquiété!)
Monsieur HERVELIN-SERRE. » Vous exprimez vos inquiétudes à propos de la RTLM en novembre 1993? » Le témoin de reconnaître que « la radicalisation s’est accélérée après l’assassinat de Melchior NDADAYE. On entendait même un journaliste au fort accent belge et qui appelait à l’extermination des Tutsi, RUGGIU. »
Et les livraisons d’armes? » Question difficile. La Belgique a livré une partie des armes commandées en octobre 1990″. Mais ce n’est pas la question de l’avocat général qui veut évoquer la distribution des armes aux civils. Le témoin dit avoir reçu fin 1993 un appel d’un compatriote qui lui disait que les bourgmestres distribuaient des armes à la population.
Sur les camions remplis de cadavres et les barrières? « Je n’ai pas fait le tour de la ville, mais dès la nouvelle de l’attentat, on parle de barrages, barrages qui existaient déjà. Très vite on entend des coups de feu et très tôt le matin on apprend que des assassinats ont eu lieu, d’abord des personnalités politiques ciblées, une violence bien organisée. »
Au tour de monsieur CROSSON DU CORMIER d’interroger le témoin. « SIMBIKANGWA était-il important dans cette société extrêmement hiérarchisée? »
Le témoin explique. « Je ne sais pas ce qu’il est devenu après le transfert du SCR à la primature, à partir d’avril 1992.. Avant 1992, il agissait avec le comportement dont j’ai parlé. Il avait une attitude néfaste qui nous inquiétait ».
Parole est donnée à la défense. Maître EPSTEIN fait remarquer au témoin qu’il a été prudent dans son intervention, « car avec le Rwanda il faut être prudent. De quelles preuves dispose-t-on aujourd’hui? » Monsieur SWINNEN souligne que dans cette période il n’y a pas eu que des éléments négatifs: retour des réfugiés, partage du pouvoir politique et militaire, mise en place d’une démocratie à la rwandaise, refus de l’insécurité… Beaucoup de gens étaient engagés dans ce processus. Nous avons été très durs avec HABYARIMANA, avec raison. Mais nous étions très constructifs.
Maître EPSTEIN rappelle qu’en Cour d’assises il faut des preuves. Et de parler de l’assassinat de GATABAZI en février 1994. Après avoir mis en cause HABYARIMANA, son épouse, 10 ans après, accusait le FPR de la mort de son mari! « Les attentats imputés aux Escadrons de la mort, en réalité c’était l’œuvre du FPR. »
» Je suis un diplomate, pas un juge, répond le témoin. Si la veuve de GATABAZI me donne une information, je la relaie. Je ne peux pas faire plus. »
Maître EPSTEIN. « Et les informations concernant les listes sur lesquelles figure le nom de SIMBIKANGWA, ce peut être la même chose »? « Je ne peux pas répondre, poursuit le témoin. Je ne suis pas juge. Je ne peux pas faire d’extrapolation sur ce qu’a fait SIMBIKANGWA. Si madame GATABAZI me dit le contraire de ce qu’elle m’a dit dix ans plus tôt, j’entends, c’est tout ».
Maître EPSTEIN fait remarquer au témoin que l’ambassadeur de France Jean-Michel MARLAUD n’a jamais fait mention du double langage du président HABYARIMANA. « Vous devinez ma réponse. Je suis plus nuancé. J’ai évoqué ma frustration de l’entendre parle de « chiffon de papier » en Kinyarwanda et pas en Français. Il devait tenir compte des durs de son entourage. »
Concernant LUGAN, le témoin en recommanderait-il la lecture? « Toute lecture qui permet d’éclairer le débat est la bienvenue. Le TPIR n’a pas prouvé l’entente en vue de commettre le génocide. »
L’avocat de la défense d’évoquer l’affaire de corruption à laquelle aurait été mêlé SIMBIKANGWA. « L’accusé était soupçonné d’avoir voulu corrompre un certain BAKONDO. Ce dernier devait porter plainte contre le major SABAKUNZI accusé d’avoir ourdi un complot contre HABYARIMANA en aidant au transport des armes pour le FPR. SABAKUNZI a été acquitté. »
A la question de savoir s’il rencontrait des gens importants, le témoin fait remarquer qu’il fréquentait toutes sortes de gens. Il rencontrait souvent Faustin TWAGIRAMUNGU. Il ne voyait pas que des gens importants. Il ajoute qu’il a refusé une interview à la RTLM pour ne pas cautionner sa politique de haine. Il n’a pas rencontré SIMBIKANGWA entre 1992 et 1994, c’est vrai, mais c’était un » obscur personnage à l’époque ». Il a toutefois tenté de le voir. Si on a peu entendu parler de lui à cette époque, « cela ne veut pas dire qu’il ne jouait aucun rôle. Se cachait-il mieux? »
SIMBIKANGWA fera remarquer, alors qu’on lui donne la parole en dernier déclare qu’il ne connaît pas SABAKUNZI dont maître FOREMAN vient de dire que l’histoire avait été rapportée par GUICHAOUA.
Visionnage du documentaire » Rwanda: an untold story » de Jane CORBIN et diffusé par la BBC en octobre 2014.
Audition de madame Linda MELVERN, journaliste d’investigation cité par les parties civiles.
Madame MELVERN est une spécialiste des missions de maintien de la paix de l’ONU. En octobre 1993, elle s’intéresse au Rwanda pour « surveiller le traité de paix« . Elle travaille sur ce pays depuis 22 ans: enquêtes sur la préparation du génocide et sur son financement par la Banque Mondiale et le FMI. Et d’ajouter que « l’ONU arrive trop tard au Rwanda. Nous pouvons critiquer nos hommes politiques pour leurs manques et pour leur leadership. Aujourd’hui c’est la Syrie, en 1994 c’était le Rwanda« .
Dès les premières semaines, il était évident que nous étions sur la même échelle que lors de la Seconde Guerre Mondiale. En 1994, le CICR avait déjà lancé un cri d’alarme et le Conseil de sécurité, au lieu de répondre positivement à une demande de Roméo DALLAIRE, va décider le 21 avril une réduction drastique de son contingent: « Un signal fort est donné aux génocidaires et le génocide va se répandre dans le sud du pays. Il s’agit du grand scandale du XXe siècle que cette autorisation donnée pour que ce génocide ait lieu. ».
Il existe beaucoup de preuves de la planification du génocide. De nombreuses instances l’évoquent: Human Rights Watch, le Sénat belge, OXFAM, Amnesty international et toutes les cours européennes qui ont organisé des procès pour génocide. « La volonté des génocidaires était de créer un état hutu, idée qui est la clé de voûte de ce génocide. » Le témoin a rencontré beaucoup de témoins directs « qui ne guériront jamais. » Beaucoup de médecins et d’infirmiers de la Croix Rouge pourraient aussi témoigner. Et de citer le nom du docteur ZACHARIAS qui était venu témoigner au procès des « quatre de Butare » à Bruxelles en 2001. Kigali est décrit comme un charnier où règne une odeur de chair pourrie. On voit « des rats gros comme des chiens ». Impossible d’être à Kigali et de ne pas savoir. Les tueurs, sûrs de bénéficier de l’impunité, tuaient sans se cacher.
Le témoin fait une première enquête au Rwanda en 1997 et a accès aux archives et découvre des documents qui ont été remis au TPIR. Selon BAGOSORA, » les Tutsi sont les maîtres du déguisement, ils se comparent aux Juifs de l’Europe pour gagner la faveur d’un lobby puissant« . C’est lui qui a organisé le meurtre des dix Casques Bleus belges. « Ces meurtres ont créé un vide politique aussitôt rempli par un gouvernement hutu qui a mis en œuvre le génocide. Cette opération a été menée pas à pas et chaque étape du génocide est marqué par la cruauté qui le caractérise. » Et de rappeler toute ces étapes qui jalonnent un génocide: classification, symbolisation, déshumanisation, polarisation, préparation, extermination, négation (selon le président de Genocide Watch).
Et madame MELVERN de souligner que le génocide était dans l’air, raison pour laquelle un certain nombre de Tutsi ont quitté Kigali. Beaucoup d’autres sont restés, confiants dans l’ONU. Dans ses différents séjour au Rwanda, le témoin a eu accès à des informations sur SIMBIKANGWA. En mai 1994, un document américain dénonce les excès de certains hommes politiques rwandais, dont l’accusé. L’ambassadeur SWINNEN avait aussi signalé l’existence de » membres d’un commando secret chargés d’éliminer les éléments libéraux ». Et de citer aussi les témoignages de Janvier AFRICA. Le nom de SIMBIKANGWA apparaît dans de nombreux documents, à propos de la mort de GATABAZI par exemple. Il aurait menacé le Procureur NSANZUWERA s’il ne relâchait pas les suspects arrêtés. Le témoin évoque aussi les menaces que l’accusé aurait proférées contre le président du Conseil Constitutionnel, monsieur KAVARUGANDA, qui sera assassiné dès le 7 avril: » Les hommes qui doivent vous tuer sont déjà choisis » aurait dit l’accusé. » L’histoire nous apprend que les génocides tissent une toile de mensonges. Il n’y a rien de spontané dans un génocide. Et de conclure en évoquant le documentaire de la BBC qui a été visionné avant son audition, documentaire qui contient beaucoup d’erreurs et qui ignore des témoins et des années de recherche.
Le président questionne le témoin sur les preuves de la planification. Elle donne des éléments qui ont été déjà donnés par d’autres témoins. Elle répond aussi qu’au TPIR elle a été « conseillère de l’accusation » à cause de son ouvrage « Conspiration pour un meurtre. » Le dernier chapitre de son livre rend compte du procès BAGOSORA. Le TPIR n’a pas pu prouver l’entente en vue de commettre le génocide, mais il ne l’écarte pas.
A propos du documentaire de la BBC, le témoin dit qu’elle « a décidé d’envoyer un courrier suite à de nombreux appels de Rwandais survivants choqués par ce film, et beaucoup d’autres personnes ». Totale incompréhension de voir la BBC produire un tel document. La minimisation du nombre des victimes est scandaleuse. L’enquête du juge TREVIDIC n’est même pas mentionnée: la BBC a reconnu que c’était une erreur! Si ce documentaire n’a pas été publié à l’étranger, de nombreuses copies ont circulé sur l’initiative des négationnistes.
Maître FOREMAN précise que BAGOSORA n’a pas été déclaré coupable « d’entente en vue de commettre le génocide« , crime qui n’existe pas dans le droit français. « Mais qui dit génocide dit planification« , précise le témoin.
Monsieur CROSSON DU CORMIER fait remarquer que l’entente avec d’autres est différent de la planification. On veut engager la responsabilité de KAGAME, mais « un crime peut-il en justifier un autre? » Madame MELVERN affirme qu’on a cherché l’angle sensationnaliste. Et de faire appel à la notion de « équivalence morale« . On pourrait dire « accusation en miroir« . On ne peut pas parler de double génocide car les faits ne le montrent pas.
Maître EPSTEIN, par des questions lapidaires interroge le témoin à son tour: les sources du témoin, documents bancaires (voir rapport de Pierre GALAND). Le témoin se considère-t-elle comme « expert » du Rwanda? Sa priorité est d’écrire des livres et le TPIR souhaitait entrer en possession des documents utilisés dans le livre. Madame MELVERN reconnaît ne pas s’intéresser vraiment à ce que disent les autres chercheurs, ce qui étonne l’avocat de la défense. « J’ai lu les autres mais je suis journaliste d’investigation et pas chercheur. » REYNTJENS? » C’est un scientifique, je suis journaliste« . A propos de l’assassinat de GATABAZI, le témoin dit que SIMBIKANGWA a exercé des pressions. Madame GATABAZI donne une autre version! « Je fais confiance aux officiers belges« . Elle n’est pas en position de commenter le revirement de madame GATABAZI. Les autres questions n’apporteront pas d’éléments nouveaux.
Audition de madame Esther MUJAWAYO, rescapée, psychothérapeute citée par les parties civiles.
» Je suis née au Rwanda en 1958. J’ai assisté à l’évolution de la situation. En 1959, sur le dos de ma mère, nous devons déjà fuir. En 1994, j’avais moi-même un bébé sur le dos. » Le décor est planté et c’est dans ce Rwanda de la peur qu’elle va vivre jusqu’au génocide.
Le verbe qui illustre sa jeunesse, c’est « recommencer ». A plusieurs reprises, la maison familiale sera brûlée, les troupeaux tués. D’évoquer ensuite les difficultés permanentes qu’elle va éprouver, en tant que Tutsi, à poursuivre des études. , que ce soit pour passer en secondaire, pour entrer au lycée Notre Dame de Citeaux « par la petite porte » grâce à l’intervention de son père, un instituteur. Ce sera un véritable parcours du combattant: plusieurs fois elle devra arrêter ses études et ira garder les vaches ou travailler dans un atelier de couture parce qu’elle parle bien Français. Elle aura les mêmes difficultés pour s’inscrire à l’Université. Par chance, son père qui est évangéliste lui obtient une bourse pour partir à Louvain la Neuve mais LIZINDE lui refuse le passeport. Elle reprend son emploi d’institutrice. A une de ses amies qui demande au ministre pourquoi il lui refuse un passeport, ce dernier répond: « Mais elle est Tutsi, non? ». Elle partira alors trois ans en Belgique. De retour au Rwanda, on l’envoie enseigner le Français alors qu’elle travailler dans le développement. Elle finira par travailler dans l’association OXFAM qui finançait des ONG locales. Et d’évoquer à ce stade la seule rencontre qu’elle a eue avec SIMBIKANGWA, chez lui, en compagnie du directeur d’OXFAM. En arrivant dans le salon, le capitaine dépose son pistolet sur la table. Le témoin précise que c’est par commodité, et non pour menacer les visiteurs.
En avril 1994, elle est en congé maternité. Ses collègues sont parties en formation à Gisenyi: ils seront tous exécutés. Elle va se réfugier à l’internat du Lycée Notre Dame de Citeaux où enseigne son mari. Ils seront trahis par une de leurs connaissances. Les hommes seront séparés des femmes et des enfants et exécutés dans le quartier, à la barrière de Gitega. Les tueurs leur couperont les tendons avant de les exécuter le lendemain. Ses parents seront aussi tués ainsi que les 45 personnes qui étaient venues se réfugier chez eux. La quasi totalité de sa belle-famille périra également. Avec l’aide d’un soldat qui garde le Lycée, elle réussira à rejoindre l’Hôtel des Mille Collines puis se rendra dans la partie occupée par le FPR. Évacuée ver s l’Ouganda elle reviendra à Kigali dès la fin du génocide.
Avec d’autres rescapées, elle s’efforce de reformer des familles, de façon informelle. Un enfant hutu venu du Nord, fils du gardien que son mari avait aidé, lui révéla où étaient les corps. Le gamin avait vu son mari mort: » Ce n’était pas un Tutsi, il était gentil! » confiera l’enfant.
Les rescapées se sont donc regroupées: « Nous avons su que nous n’étions pas folles mais que c’était la situation qui était folle! J’ai perdu mon mari, mais j’ai aussi perdu mes voisins en perdant leur confiance! » Et d’avouer: » Mon mari a été tué par un de ses élèves! » Au sein de leur groupe de femmes, on opère un travail de reconstruction. Les femmes avaient survécu mais elles mouraient pour avoir été violées et infectées par le SIDA. Elles créent alors l’association des veuves du génocide: AVEGA (1995). Il fallait inverser l’image qu’on avait de soi. Il n’y avait pas de honte à avoir été violée. La honte devait être pour le violeur. Le viol sera reconnu comme arme du génocide. Il fallait aussi reconstruire les maisons: les femmes se battent pour obtenir l’aide du gouvernement. Un fond d’aide aux rescapés sera créé: le FARG (1998). Et comme il fallait soigner les rescapés, les suivre psychologiquement les jeunes rescapés: l’AERG est créée.
Questionnée par le président, Esther confie qu’elle s’est remariée après le génocide et qu’elle a suivi son mari en Allemagne où ils vont rester à cause de leurs enfants. Au Rwanda, on forme des mamans à « l’écoute active » par manque de psychothérapeutes. Elle même travaille dans un Centre de psychothérapie.
Concernant SIMBIKANGWA, elle avoue que tout le monde avait peur de lui. On parlait d’interrogatoires musclés à la criminologie. Le capitaine était devenu président d’une association d’handicapés: raison pour laquelle elle s’était un jour rendue chez lui. Le pistolet posé sur la table lui aura fait moins peur que celui brandi par l’abbé MUNYESHYAKA à l’Hôtel des Mille Collines!
Les tueurs/sauveteurs? Cela a existé, mais c’était souvent en échange de faveurs sexuelles!
Ce qu’elle attend de la justice? C’est un élément qui contribue à la réparation. Être condamné pour avoir tué un Tutsi, c’est important! La culture de l’impunité s’était installée, terreau du génocide. « La justice ne nous rendra pas les nôtres! Le pire c’est quand on dit que le génocide n’a pas eu lieu! »
« IBUKA, école du mensonge? » demande le président. Il y a eu des faux témoignages, mais cette association n’est pas une école du mensonge, pas plus que AVEGA. « J’ai beaucoup de respect pour les rescapés » poursuit le témoin. Ils ont besoin des tueurs pour les aider: travailler dans les champs, aller à l’hôpital… « Ce qui n’est pas tolérable, c’est que des ONG ou des Églises forcent les gens à se réconcilier en échange d’une aide! »
Maître PHILIPPART. »Vous n’êtes pas sortie jusqu’à votre transfert aux Mille Collines (18 juin). Comment étiez-vous informée de la situation? » « On ne pouvait pas sortir mais les Hutu sortaient et circulaient. On entendait des bruits sur les deux barrières voisines… Lors de notre évacuation des Mille Collines, le soldat qui m’avait conduit là m’a insultée: il croyait que j’étais Hutu. Sur la route, les miliciens criaient, nous injuriaient, les barrières avaient été enlevées pour nous laisser passer ».
Monsieur HERVELIN-SERRE. Et l’enlèvement des corps? La Croix Rouge avait ramassé les cadavres, mais la ville aussi qui utilisait des camions-bennes. Le domicile de SIMBIKANGWA? Il habitait en face de l’église presbytérienne. (NDR. Au bord de la route qui descend des Mille Collines vers l’école française.)
« Vous avez connu des tueurs »? continue l’avocat général. « C’est compliqué, on peut devenir bourreau quand les conditions s’y prêtent. Des gens ont choisi de ne pas tuer, ce qui me réconcilie avec le genre humain. On ne nait pas monstre. 40 ans d’impunité, qu’est-ce que cela crée comme type d’homme? Et tous ces génocidaires qui vivent en France, ça nous fait mal! Rendre justice, c’est dire Stop! »
Maître EPSTEIN remercie le témoin pour son témoignage avant de lui poser des questions. Les tueurs/sauveteurs? » Surtout avec les filles: question de sexe« . Écoles du mensonge? « Le spécialiste, c’est Joseph MATATA qui martèle cette thèse. » (NDR. Voir son audition lors du procès NGENZI/BARAHIRA sur le site. Ca vaut son pesant d’or!) L’ethnopsychiatrie? « Un mot à la mode pour les Blancs. Je pourrais m’improviser ethno-psychiatre! » Procès de la France? » On n’est pas là pour cela! » Et si SIMBIKANGWA est acquitté? « Vous aurez fait votre travail. Vous serez content, vous aurez gagné! S’il n’y a pas de preuves, la Cour décide. »
SIMBIKANGWA a la parole en dernier. Il s’énerve et dit que le témoin a menti. Il ne la connaît pas, elle n’est jamais venue chez lui. Il y a une Cabale contre lui. Et de se relancer dans ses explications habituelles. Le président aimerait l’arrêter mais l’accusé insiste. « Toujours des mensonges! » Le président a beau dire que le témoin ne l’accuse pas de l’avoir menacée, il ne veut rien entendre. « Est-ce que vous êtes d’accord pour dire que dans ce procès il y a beaucoup de mensonges? Les Rwandais sont menteurs. IBUKA, c’est comme les Interahamwe, c’est comme le PARMEHUTU! » Et de pousuivre: » Tout n’est pas faux mais il y a beaucoup de fabrications et nous démontrerons qu’ils mentent. Nous sommes des rationnels, nous sommes de DESCARTES. »
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
- Accords de paix, signés en août 1993, à Arusha (Tanzanie), entre le gouvernement du Rwanda et le FPR (Front patriotique Rwandais). Ils prévoient notamment la diminution des pouvoirs du Président HABYARIMANA au profit d’un gouvernement « à base élargie » (cinq portefeuilles sont attribués au FPR), l’intégration des militaires du FPR dans la nouvelle armée gouvernementale, la nomination de Faustin TWAGIRAMUNGU au poste de Premier ministre et l’envoi d’un contingent de 2 500 hommes de l’ONU, la MINUAR, pour faciliter la mise en place des nouvelles institutions. Le président HABYARIMANA fit tout pour différer la mise en place de ces accords. L’attentat contre lui survint le soir du jour où il s’y résigna.Cf. glossaire.
[Retour au texte] - Terme qui traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.
[Retour au texte] - Parti Libéral. Le Parti Libéral va se scinder en deux fin 1993 : la tendance de son président, Justin MUGENZI, rejoint le Hutu Power, l’autre tendance, sera anéantie le 7 avril 1994. Cf. « Glossaire« .
[Retour au texte] - Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État.Cf. « Glossaire« .
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