- Audition de Bertrand PHESANS, expert psychologue.
- Audition de madame SIRONI-GUILBAUD, expert psychologue, maître de conférence.
- Audition de maître Eric GILLET, avocat de parties civiles en Belgique, membre de la Commission internationale d’enquêtes sur la violation des Droits de l’Homme au Rwanda.
- Audition de maître Catherine MABILLE, avocate au barreau de Paris
entendue en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.
Audition de monsieur PHESANS, expert psychologue.
Suite à l’expertise réalisée par madame SIRONI-GUILBAUD, que l’on entendra juste après, la défense avait demandé une contre-expertise. C’est monsieur PHESANS qui en avait été chargé.
Le témoin a examiné monsieur SIMBIKANGWA qui avait alors 51 ans. Il n’a décelé aucune pathologie mentale, aucune névrose constituée. L’accusé est de culture africaine dont la langue maternelle est le Kinyarwanda et la langue culturelle le Français. Il tient toutefois un discours évasif, peu clair, et est capable de donner plusieurs versions des mêmes faits. L’accusé a développé un fort imaginaire: on peut dire que c’est un affabulateur.
Il adopte une position défensive et il est des sujets dont il ne veut pas parler. Il a été formé par une éducation de modèle belge: on peut dire qu’il est occidentalisé. Lieutenant à 23 ans, il veut donner une image valorisante de lui-même: militaire gradé, il est fier de ce qu’il est devenu.
SIMBIKANGWA a été éduqué dans une famille chrétienne de paysans et a construit un « idéal paternel »: le patriarche/patron. Il aura la même attitude pour HABYARIMANA. Il arrête ses études à 23 ans et les conditions de cet arrêt ne sont pas claires. Le témoin ajoute: « Peut-être n’est-il pas aussi brillant qu’il veut bien l’affirmer? » Il est devenu militaire « par hasard », subjugué par la beauté des uniformes militaires qu’il aperçoit un jour. « Il gagne un bon salaire, c’est ce qu’il recherchait. » Il s’est occupé de sa mère (son père l’avait abandonnée et avait pris une seconde épouse). L’accusé met en valeur ses exploits sportifs, ses capacités physiques étant au-dessus de la moyenne. Devenu « instructeur« , il entraînera d’ailleurs les autres.
L’événement dramatique de juillet 1986. Les circonstances de l’accident de la circulation restent mystérieuses. SIMBIKANGWA tiendra toujours un discours évasif, défensif. Il est impossible de se faire une idée claire de ce qui s’est passé. Après une année passée à l’hôpital en Belgique, et de retour au Rwanda, il a compris qu’il ne pourrait plus marcher: il a recours à la médecine chinoise. L’accusé minimise les conséquences psychologiques de cet accident.
La période 1986-1992 sera une période « trouble dans son discours« . Sa femme le quitte, ce qui augmente l’état d’anxiété dans lequel il est plongé: sa nouvelle image le dévalorise, il « était déchu de ses capacités et s’il n’est pas mort, il le met sur le compte de la chance. Victime d’un attentat en 92 » (sa voiture saute sur une mine mais il n’est pas dans le véhicule), « il ne peut reconstruire cette période de sa vie de façon apaisée« . Ce n’est qu’en 1988 qu’il va reprendre sa vie sociale. Mais « installé dans son quant-à-soi », il ne pensait plus comme les autres: d’où un certain isolement.
Période 1990-1994. Il s’agit d’une période de reconstruction de l’image de soi. Isolé, « il redevient militaire mais ne l’est plus! » L’accusé prétend « ne s’être mêlé à rien, être resté dans son bureau« . Il se dit « directeur de renseignement mais sans fonction. » C’est peut-être vrai à partir de 1992, date à laquelle il sera » mis sur la touche », ce qui va accroître son sentiment de dévalorisation. » Le témoin ajoute que « toutefois il fait comme si cela n’avait pas eu d’emprise sur lui« . « Il est fort possible qu’il ait tout fait pour garder ses relations avec la Présidence, sa seule raison de vivre. »
Né avec l’indépendance de son pays, il éprouve un « rejet pour le groupe tutsi« . On note d’autre part « une faiblesse d’élaboration de sa propre histoire. HABYARIMANA est idéalisé. »
Le 6 avril 1994. Il s’agit pour l’accusé du « surgissement d’une nouvelle guerre. » SIMBIKANGWA se décrit comme « désemparé, abattu« : il a perdu son idéal. Il décrit une situation de « chaos« . Il reconnaît l’existence d’un génocide, « mais à minima« . Il évoque « un mouvement spontané des masses« . Au cours de cette période, il n’y a plus de commandement, chacun fait ce qu’il veut. On assiste à une « banalisation de la violence et de la haine« : il a « toujours détesté les Tutsi. » Il ajoute cependant que « les Tutsi ont commis aussi leur génocide. »
Monsieur DE JORNA, le président de la Cour, passe à la série des questions. « SIMBIKANGWA affabulateur: pour tromper l’autre ou pour reconstruire sa propre pensée? » Le témoin distingue le mensonge et l’affabulation: le mensonge consiste à « dire quelque chose pour tromper l’autre » alors que dans l’affabulation « c’est pour se tromper soi-même. » L’accusé est plutôt « un affabulateur« , il est convaincu de ce qu’il dit.
Le président comprend que l’accusé adopte une position défensive mais s’étonne qu’il puisse tenir le même discours défensif même sur ce qui ne lui est pas reproché, comme son accident!
Monsieur PHESANS précise que ce mécanisme d’affabulation marche pour lui-même. Il se passerait bien de parler de son accident: c’est anxiogène pour lui. « Il est de culture africaine et les Africains ne disent jamais les choses directement: il ont une façon de manier le dialogue! » SIMBIKANGWA a parlé de Patrick SEGAL et de son livre L’homme qui marchait dans sa tête. C’est pour lui un exemple. Mais son « amour, sa référence, c’est HABYARIMANA, Dieu le Père« , son père de substitution! » Selon le témoin, « l’accusé a idéalisé son père et a trouvé dans HABYARIMANA un père idéal! » Il a reporté sur HABYARIMANA l’idéalisation qu’il avait pour son père.
« L’accusé a-t-il des affects, des émotions, ou bien se forge-t-il une carapace? » interroge le président. Le témoin reste évasif car l’accusé n’a pas montré qu’il ressentait des affects. Une carapace, oui, de pas sa propre histoire, dont son accident. « Il met de côté ses affects et ses émotions. »
Le président évoque la mort de la petite sœur de l’accusé, dans ses bras. « En parle-t-il? » Monsieur PHESANS reconnaît qu’il n’en parle pas. Peut-être faut-il mettre cette position défensive sur le compte du fait que l’expert est un homme. « Devant un autre homme on montre qu’on est viril! »
« L’accusé nie les faits! Pour lui, les Tutsi sont des cancrelats: ce sont des propos qui engagent? » poursuit monsieur DE JORNA. Le témoin cite les propos de l’accusé: « Je les appelle comme cela car eux-même ce sont appelé ainsi en 1963. » On est dans la banalisation.
Au tour de l’avocat général, monsieur HERVELIN-SERRE de s’adresser au témoin. « La banalisation de la violence et de la haine serait-elle la conséquence d’un traumatisme? » Réponse de monsieur PHESANS: « Non, c’est inhérent à sa personne. Le génocide a été précédé d’autres massacres de Tutsi. SIMBIKANGWA a été éduqué dans cet été d’esprit (en 1959, la Toussaint rwandaise). La mort de HABYARIMANA n’a fait qu’exacerber cette vision des choses. » Et d’ajouter: « KAGAME aussi a fait son génocide« , selon l’accusé qui est dans la comparaison.
Monsieur HERVELIN-SERRE. « L’accusé a le sentiment d’être mis de côté en 1992 et il a souhaité continuer à son compte le recueil d’informations. Que révèle cette décision? » Réponse du témoin: « Cela relève de la position défensive adoptée par l’accusé. Il n’a plus de fonction et il veut continuer. Il ne veut pas dire la vérité! »
Questionné par maître EPSTEIN, le témoin reconnaît que l’accusé a très mal vécu les conditions de sa détention à Mayotte. Il dit avoir été « traité comme un animal! » « Son état dépressif a-t-il pu avoir une influence sur ses témoignages devant les juge? » interroge l’avocat. Le témoin infirme.
Comme toujours avec la défense, vont fuser des questions en rafale. Il est donc difficile d’en faire la relation. Quelques réponses du témoin attrapées au vol et dont on peut deviner la question:
– L’accusé conteste la légitimité de ce procès.
– SIMBIKANGWA a une admiration pour ce qui relève de la francophonie européenne, pour la Belgique.
Maître EPSTEIN: « Il ne parle pas de son accident par pudeur? Il ne veut pas se confier à un premier venu! » Réponse: « Un expert n’est jamais un premier venu! »
– Je ne parle pas de Patrick SEGAL pour la simple raison qu’il ne s’épanche pas sur le sujet.
– Sa mise sur la touche: position problématique? Il dit être supposé sans fonction et il continue à enquêter. N’était-il pas au service de réseaux quelconques?
– Pour idéaliser HABYARIMANA, je confirme qu’il a besoin d’avoir idéalisé son père. Même si le père meurt, l’image idéale reste toujours.
– Je confirme qu’à la mort de HABYARIMANA, l’accusé est complètement abattu, désemparé. C’est le chaos dans sa tête!
– Vous déclarez que ce que je dis n’est pas rationnel en ce qui concerne l’attentat: l’instruction est toujours en cours. Il n’y a rien de rationnel.
– Janvier AFRICA? C’est lui qui m’en a parlé.
– L’avocat. « Celui-ci » (NDR. C’est ainsi que l’avocat nomme souvent son client!) a engagé une procédure contre lui, il a gagné! Je ne suis pas sûr que ce qu’il dit corresponde au document que vous avez joint à votre expertise . »
– La méthode géopolitique clinique, je la connais mais ce n’est pas la mienne. (NDR. L’avocat fait allusion à la méthode de madame SIRONI que l’on entendra juste après.)
– Vous dites qu’il n’est pas facile d’expertiser victimes et accusés? Aucun problème pour moi. « C’est comme un avocat d’accusé qui deviendrait avocat de parties civiles! »
– Le sujet serait-il susceptible de se réadapter? Je n’en parle pas? Ce sont des questions qu’on pose dans toutes les expertises. Pour moi la question ne se pose pas. L’avenir ne se pose pas en terme de réadaptation: SIMBIKANGWA n’est pas un délinquant. Et le témoin d’ajouter: « Les experts s’en sont pris plein la tronche après le procès DUTROU. Si une question ne veut rien dire, mieux vaut ne pas y répondre ».
NDR.Ce dialogue « musclé » s’arrête là. On en retrouvera un autre avec l’audition du témoin suivant!
Audition de madame SIRONI-GUILBAUD, expert psychologue, maître de conférence.
C’est suite à la remise de son rapport que la défense a demandé une contre-expertise confiée à monsieur PHESANS.
L’expertise remise par le témoin est le résultat de quatre entretiens avec monsieur SIMBIKANGWA en avril/mai 2010. Il ne représente ni une justification de l’accusé, ni son accusation. Pour le témoin, il n’existe pas, comme inconscient, que « le papa/maman ». Il y a aussi « l’inconscient géopolitique » dont elle va expliquer la méthode. Cette démarche consiste à déterminer ce qui relève de l’histoire personnelle et ce qui relève de l’histoire collective, politique, géographique… Madame SIRONI n’a pas utilisé les tests « classiques » avec l’accusé car elle les a trouvés inadaptés dans le cas de l’accusé. SIMBIKANGWA, lors des rencontres, est resté réservé sur trois points: le service de renseignements, le génocide des Tutsi qu’il considère comme une guerre, sa fille qu’il dit vouloir protéger. A plusieurs reprises, il a été débordé par ses affects: il a fait part d’un sentiment d’injustice dont lui et les Hutu faisaient l’objet. SIMBIKANGWA souffrait aussi de sa détention qu’il juge difficile et qui crée une « angoisse de séparation« . Il existe aussi chez l’accusé « des émotions politiques« .
Madame SIRONI-GUILBAUD va alors énumérer les dix éléments de sa méthode et qui ont un impact majeur.
1. Le métissage culturel Hutu-Tutsi dans sa famille, et ses liens de parenté avec le président HABYARIMANA.
Pascal SIMBIKANGWA est né à la campagne, dans une famille « ni riche, ni pauvre » selon ses dires. Sa mère était Tutsi, de lignée royale!. Son père était moitié Hutu (de par son père), moitié Tutsi (de par sa mère)…. Exactement comme l’accusé, une génération après. Nous voilà plongés en plein dans la clinique du métissage qui n’était pas une exception au Rwanda. Le témoin fait part de considérations sur la façon dont le métissage peut-être vécu. SIMBIKANGWA se définit comme quelqu’un qui est Tutsi à 75% et Hutu à 25%. Tout comme son grand-père était très attaché à son monarque, lui-même aura le même attachement à HABYARIMANA. Ils ont des liens de sang et de sol. L’accusé décrit son père comme « un fainéant » ce qui est conforme avec les clichés: « Hutu fainéants » et « Tutsi travailleurs ». Ce père prend une concubine quand l’accusé a 15 ans. Se rapproche de sa mère, « courageuse et pleine d’entrain » et qui mourra de choléra à Goma. Colère de l’accusé contre le FPR en 1994.
2. La mort de sa petite sœur, UWERA.
Pascal SIMBIKANGWA est très marqué, même des années après les faits, par la mort tragique de sa petite soeur, UWERA. Il l’aimait énormément. Elle a succombé à la malaria. Il avait 9 ans, elle en avait 6. Il s’en veut, aujourd’hui encore, de ne pas avoir réalisé qu’elle était morte, alors qu’il la tenait dans ses bras. Il s’en veut de ne pas avoir pu l’empêcher de mourir. Ce jour-là il était seul au domicile familial. « Je la tenais dans mes bras et je ne savais pas qu’elle était morte » répétera-t-il. « Je ne l’ai pas crue quand elle me disait « Le rocher me prend ! Le rocher m’emporte ! » . « J’ai attendu le retour de ma mère. C’est ma mère, au retour, qui m’a dit qu’elle était morte !… Elle était tout pour moi… Je ne peux l’oublier. Jusqu’à ce jour, je pense à elle« . Monsieur SIMBIKANGWA était alors très ému. Il y avait de l’hébétude, de la stupeur, de l’incrédulité, du refus par rapport à l’implacable réalité de la mort, que son jeune esprit se refusait d’accepter. Sa soeur sera aussi idéalisée!
3. Sa scolarité.
Pascal SIMBIKANGWA a fait sa scolarité dans une institution religieuse. Il a toujours été un bon élève, surtout en français et en mathématiques. Il investissait beaucoup l’école, et avait une profonde admiration pour ses maîtres, en majorité français, et tous francophones. Il a voulu devenir enseignant par admiration mais il changera lorsqu’il verra un jour des militaires. Deux mécanismes psychologiques importants vont se déployer concernant sa construction identitaire:
a) un père biologique dévalorisé avec une idéalisation de la figure paternelle,
déplacée vers ses maîtres.
b) une rencontre avec une culture autre, le monde survalorisé des Blancs.
4. La relation filiale entre monsieur Pascal SIMBIKANGWA et le président HABYARIMANA.
Le président HABYARIMANA est une autre figure paternelle déplacée. Le président a d’ailleurs le même âge que son père. « Il était comme un père pour moi » dira Pascal SIMBIKANGWA. Il lui voue un amour filial inconditionnel, une admiration sans bornes. Il s’identifie au président, mais cependant en une position subalterne. Il veut lui ressembler, mais sans y arriver vraiment, car il se considère comme trop impulsif. Monsieur SIMBIKANGWA est aussi élogieux à l’égard de la femme du président, Agathe KANZIGA: « C’était une sainte femme, sa vie, c’était la religion ». L’accusé avoue n’avoir jamais rencontré son président seul à seul. Il ne voit qu’une faille chez HABYARIMANA: sa faiblesse. « Il aurait dû limoger son premier ministre. » A sa mort, il éprouve une véritable sidération, comme lors de la mort de sa soeur.
5. Sa carrière militaire au centre de son existence.
Le président HABYARIMANA au pouvoir, Pascal SIMBIKANGWA a été admis dans une école de formation de l’élite militaire rwandaise. Il est passionné par le maniement des armes, l’art de la guerre, la tactique, la stratégie. Il est infatigable. « Je m’étais marié avec l’armée » dira-t-il au témoin. Il s’investit donc très peu dans la vie sociale. Sa mère le poussera à se marier.
6. L’accident de voiture de 1986, temps zéro de sa vie.
Monsieur SIMBIKANGWA a vingt neuf ans au moment de l’accident. Il venait de se marier, sa femme était enceinte. Son chauffeur perd le contrôle du véhicule après avoir passablement bu. « J’ai vu la mort en face. Je me suis vu partir ». Après le coma, il se réveille, à sa grande stupeur, vivant, mais à des milliers de kilomètres : dans un hôpital, à Bruxelles. Vivant, mais paraplégique, « coupé en deux »! L’accident constituera un « temps zéro » dans son existence, un temps traumatique. Il y a un avant et un après. « J’étais physiquement brisé. J’ai eu deux ans de haine contre la chaise. » C’est le livre de Patrick SEGAL qui l’a aidé à remonter la pente. Il gardera espoir, pendant des années, de pouvoir marcher à nouveau. « Sans l’accident, je serais général » avoue-t-il cependant.
7. L’humiliation.
« J’ai été animalisé. J’ai été animalisé, à Mayotte, pendant huit mois ». L’animalisation est une référence prégnante dans le discours de monsieur SIMBIKANGWA. L’animalisation et l’humiliation sont vécues avec véhémence, parce que cela renvoie à quelque chose de plus archaïque qu’à l’époque de Mayotte. Cela le renvoie à la figure de l’infériorisation vécue et intériorisée, celle des Hutu.
8. Peur importante et permanente depuis 1990.
Cette peur s’installe après l’attaque du FPR et après que sa voiture ait sauté sur une mine: il n’était pas dans la voiture. Il n’a pas peur des Tutsi mais du FPR. Mais tous les Tutsi deviendront des ennemis, Tutsi dont il parle en utilisant un vocabulaire animalier, de chasse. La mémoire collective de l’humiliation et du rabaissement se réactualise indubitablement dans les propos de SIMBIKANGWA. Une peur, diffuse et ancestrale, envahit ses représentations mentales.
9. Son aversion proclamée pour le mensonge et les menteurs.
Le mensonge revient régulièrement, dans ses propos. Il accuse très facilement les autres d’être des menteurs. Il a falsifié lui-même ses papiers d’identité pour entrer au collège. (NDR. Il a fait du trafic de faux papiers sa profession à Mayotte!) Ça ne le trouble pas. Intervient ici la notion de « projection » qui, en psychologie, consiste à attribuer aux autres ce qu’on ne peut accepter en soi.
10. L’ambivalence dans sa lecture du génocide des Tutsi.
SIMBIKANGWA parle de « guerre », de « guérilla »: le responsable, le FPR. L’accusé est très ambivalent à l’égard de la question du génocide. « Ambivalent » est à entendre au sens psychologique du terme: une chose et son contraire peuvent coexister dans son esprit, sans que cela ne puisse être vécu dans une multiplicité assumée et sans que le sujet en perçoive la contradiction. L’accusé oscille entre le déni et la dénégation. il dit qu’il y a eu une catastrophe, « une manière détournée de s’approcher de ce que l’on ne peut accepter, de ce qui est compliqué pour soi. » Le mot « génocide » n’arrivera qu’au quatrième entretien avec le témoin. Mais d’ajouter aussitôt qu’il y a eu « des victimes des deux côtés » et que les « victimes hutu ont été plus nombreuses que les victimes tutsi. »
Diagnostic.
Madame SIRONI signale qu’elle n’a décelé aucune psychopathologie ni trouble mental tels que ceux répertoriés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
Notion de « désordre type » dont on peut donner les caractéristiques suivantes concernant SIMBIKANGWA:
1. Une construction difficile de son identité de métis culturel hutu-tutsi, et au double cadre culturel interne.
2. Deux deuils traumatiques.
3. Un traumatisme psychique lié à son accident de 1986 et surcompensé par des émotions politiques et par un zèle accru.
4. Une construction identitaire de type « subalterne », c’est-à-dire s’exprimant en catégories « dominant-dominé » chez l’accusé.
5. Présence d’un sentiment de persécution chez l’intéressé.
6. Et enfin, la prégnance d’un mécanisme de défense organisateur de sa vie psychique depuis l’enfance : le déni.
Et madame SIRONI de conclure qu’il eût été intéressant de revoir monsieur SIMBIKANGWA avant le procès en appel pour évaluer son évolution psychologique. D’autre part, un suivi psychologique approprié, qui mêlerait histoire collective et histoire personnelle lui serait bénéfique. Cela lui permettrait de développer une vision plus consciente, claire et apaisée de tous les obstacles qu’il a rencontrés dans son existence.
Questions.
L’intervention de madame SIRONI-GUILBAUD va déclencher une série de questions qui ne présentent probablement pas un intérêt majeur dans la compréhension de la personnalité du témoin. Le président de la Cour revient sur un des événements importants qui ont marqué la vie de l’accusé: la mort de sa jeune sœur. S’il n’en avait pas parlé à monsieur PHESANS, c’est peut-être tout simplement parce qu’il en avait déjà parlé au témoin ou que le second expert était un homme! En tout cas, il n’est pas question d’affect: « SIMBIKANGWA parle de non-reconnaissance de la mort. Il n’est pas dans l’affect. Il met en place un mécanisme de défense, il refuse la mort (à rapprocher du déni de grossesse). » Seront ensuite évoquées les questions concernant un certain nombre de notions: l’idéalisation du père, l’angoisse de la séparation, le déni qui va de paire avec la projection: « ce qu’on ne veut pas voir en soi, on le projette sur autrui. » Il existe bien évidemment un problème de cohérence chez l’accusé. Il a horreur du mensonge et toute sa vie à Mayotte est construite sur le mensonge. Le témoin précise que SIMBIKANGWA « compartimente sa vie (notion de clivage). Le traiter de menteur? Il ne peut le supporter. » Il n’aime pas le mensonge, mais chez les autres. Si la question ne lui plait pas, il répond à côté!
Son aversion des Tutsi? « Pas aussi clair qu’avec monsieur PHESANS! » Et monsieur DE JORNA de revenir sur la notion de « tueur/sauveteur. » Madame SIRONI précise qu’il s’agit d’un « mécanisme complexe à comprendre. Une chose et son contraire existent. Ces gens-là doivent fonctionner de façon étanche pour éviter le risque de maladie ou d’effondrement. Le sujet se justifie pour survivre: il ne peut pas être complètement mauvais!«
Un juré fait remarquer quelque chose de « contradictoire« : l’accusé est affecté par le décès de sa sœur, celui de HABYARIMANA, et est totalement insensible aux massacres! Madame SIRONI précise que « ce n’est pas contradictoire. SIMBIKANGWA est en relation fusionnelle avec sa sœur: je suis l’autre et l’autre est moi. Ce qui affecte ma soeur m’affecte, l’altérité n’existe pas. C’est la même chose avec le Président de la République.«
Monsieur CROSSON DU CORMIER revient sur les déclarations de l’accusé dans le rapport de l’experte. Il prétend se réveiller à Bruxelles après son accident alors que dans un autre témoignage il se réveille dans l’avion! « C’est une mémoire normale? questionne l’avocat général. Madame SIRONI: « Non, c’est une mémoire nimbée par le déni!«
« Ce ne sont pas les Tutsi qui ont tué HABYARIMANA, ce sont les Hutu! J’étais bien placé au service de renseignements! (sic) Il vous a bien dit cela? » demande l’avocat général. Le témoin: « Il a bien dit cela. j’ai prêté serment. Cette déclaration m’avait étonné!«
Monsieur HERVELIN-SERRE: « SIMBIKANGWA se considère comme un Hutu alors qu’il y a 75% de Tutsi en lui. L’appartenance ethnique n’est pas arithmétique? »
Le témoin: » L’accusé se définit selon d’autres critères. Il dit aussi qu’il n’est ni Hutu ni Tutsi. Il se définit autrement. » Par contre, il est difficile de savoir si la double origine, difficile à gérer, peut déclencher une haine de soi, d’une partie de soi. SIMBIKANGWA n’est pas « dans la négation du génocide, mais dans la dénégation: reconnaissance partielle.«
La joute qui va ensuite s’engager entre maître EPSTEIN et le témoin restera relativement stérile. L’avocat de la défense reproche au témoin de considérer son client comme un accusé. Maître FOREMAN lui fera remarquer qu’il fait une mauvaise lecture des écrits de madame SIRONI. Maître EPSTEIN reproche encore le choix des lectures du témoin: vous avez lu PEAN, RUZIBIZA, LUGAN? Et si madame SIRONI parle peu de la période 1990/1994, c’est tout simplement parce que l’accusé en parle lui-même très peu, même si, selon l’avocat de la défense, « cette période est fondamentale pour celui-ci! » (NDR. Ce n’est pas la première fois que maître EPSTEIN parle ainsi de son client: « celui-ci »!) L’avocat s’étonne aussi qu’on puisse dire qu’il n’y a pas d’affect dans la mort de sa sœur. « Effectivement, répond le témoin, on pourrait parler d’affect froid. Il est soufflé! Fusionnel avec sa sœur, il va se sur-investir dans l’apprentissage du Français. » (NDR. En faisant remarquer au témoin qu’elle a commis un lapsus en employant le terme « Hutsi », maître EPSTEIN ignore que c’est une façon très courante de nommer ceux qui appartiennent aux deux groupes!) Toujours aussi élégant avec le témoin, l’avocat de la défense s’interroge sur les bases scientifiques de sa réflexion. « Vous m’accuseriez presque d’avoir une théorie? » demande madame SIRONI. L’avocat de répondre: « Je vous accuse d’avoir un parti pris. » (NDR. On peut s’étonner de voir avec quelle agressivité l’avocat de la défense s’adresse au témoin!) Pour conclure que « son expertise pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses: on veut faire de SIMBIKANGWA un idéologue avec un discours raciste. »
Audition de maître Eric GILLET, avocat de parties civiles en Belgique, membre de la Commission internationale d’enquêtes sur la violation des Droits de l’Homme au Rwanda.
Maître GILLET évoque les trois missions auxquelles il a participé et qui justifie sa présence en qualité de témoin.
Avant le génocide, on assiste à des violations assez systématiques des Droits de l’Homme dans tout le pays. Ce processus s’est mis en place à l’instigation de l’État rwandais avec la participation de milices des parties politiques, surtout la nuit. Administration du haut en bas de l’échelle, entreprises publiques sont concernées, asservies à la réalisation du génocide. Les enquêtes porteront aussi, à un moindre degré, sur les exactions commises par le FPR. Une série de massacres ont été perpétrés dans la préfecture de Gisenyi: massacre des Bagogwe que la Commission avait qualifiée de « crime de génocide ». Le gouvernement prétendait que les gens qui avaient été tués avaient rejoint le FPR. Il était difficile de retrouver les corps. Plusieurs fosses communes seront découvertes, dont une dans le jardin même d’un bourgmestre. Un premier rapport mentionne le rôle des Escadrons de la mort.
Le président. « Au cours de cette mission, vous évoquez un crime de génocide. Pouviez-vous en envisager les événements de 1994? » Maître GILLET reconnaît qu’il n’est pas en mesure de le dire même s’il redoute à l’époque des massacres de plus en plus généralisés. La Belgique rappelle son ambassadeur et HABYARIMANA promet d’être plus vigilant. Mais la situation ne s’arrange pas. Les massacres du Bugesera, « un petit génocide » verra la participation de l’administration, de l’armée, des milices et des différents médias.
Les Escadrons de la mort? « On en parle dans le rapport en tant que bras armé de l’Akazu, lieu dans lequel on a envisagé la solution finale. » Le nom de Pascal SIMBIKANGWA apparaît, présenté comme lié à la famille HABYARIMANA.
Intervention de maître Safya AKORRI pour SURVIE. Elle interroge le témoin sur la méthodologie et la composition de la Commission. Maître GILLET apporte des compléments d’information. Quatre ONG composent le groupe: la FIDH, HRW, Union inter-africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (UIDH, Ouagadougou), le Centre International des Droits de la personne et du Développement (CIDPPD, Montréal). Quant aux membres, ils appartiennent à une dizaine de nations, dont madame Alison DES FORGES, monsieur REYNTJENS, Jean CARBONARE et le témoin. La méthodologie repose sur le recueil des témoignages des victimes. Ce qui pose quelques problèmes liés à leur fiabilité et à la traduction. Les témoignages seront enregistrés.
La rédaction du rapport. Certains ont prétendu qu’il s’agissait d’un « rapport biaisé » dans la mesure où il s’est peu intéressé aux exactions commises dans la zone FPR. Le témoin reconnaît qu’ils ont passé une journée dans cette zone et que les témoins avaient été regroupés. « Nous avons entendu ceux qui voulaient parler », mais ce sera toujours en présence de membres du FPR.
Ce rapport a-t-il été commandité par le gouvernement rwandais? Non, il découlait des négociations qui se déroulaient à Arusha.
SIMBIKANGWA aurait remis un document à la Commission. Effectivement, l’accusé a bien remis à la dernière minute, un document que la Commission n’a pu retenir car « il allait moins loin que le nôtre », dira Maître GILLET, et que « les informations n’avaient pu être vérifiées« .
On parle parfois du rapport CARBONARE! Un des membres de la Commission était monsieur Jean CARBONARE de Survie. A notre retour, il a fait une campagne d’information. Il a pleuré à la télévision française. Le pilier de la Commission était madame DES FORGES.
Au tour de maitre FOREMAN d’intervenir pour le CPCR. « Ce document a bien été remis à l’aéroport au nom de l’association LIDEL? Elle était connue? » Effectivement, on assiste, à l’époque, à la création de plusieurs ONG des Droits de l’Homme et dont le nom se rapprochait de celles déjà existantes, « créées pour brouiller les pistes » (cf. KANGUKA et KANGURA).
Maître Léa RABAUX (FID/LDH) veut savoir si des menaces ont été proférées pendant l’enquête. Maître GILLET évoque l’incident qui concerne Alison DES FORGES et qui a été arrêtée, avec son interprète tutsi, par des miliciens à un barrage. Des auto-stoppeurs hutu ont permis de clore l’incident. Et de mentionner aussi le cas d’un témoin qui avait accompagné les enquêteurs sur des fosses communes: son père a été retrouvé pendu dans sa maison le lendemain! Les faits ont bien été signalés au Président de la République, mais sans effet.
Monsieur HERVELIN-SERRE, avocat général. L’ennemi? « C’est une de mes trouvailles, enchaîne le témoin. On est tombé sur un document qui définissait l’ennemi (document de décembre 1991). La définition en était large: le FPR, les amis du FPR, leurs complices (Tutsi de l’intérieur, organisations défendant les droits de l’Homme, tous ceux qui prétendent appréhender la société rwandaise en dehors de l’ethnisme.) Il y avait une obsession de maintenir l’unité des Hutu.
Et l’auto-défense civile, achat et distribution des armes? « En 1993 nait le concept d’auto-défense civiles. Jean-Pierre TURATSINZE avait dénoncé ce système aux autorités internationales et onusiennes. Il révèlera des caches d’armes. Mais il disparaîtra dans la nature car aucun pays n’a accepté de lui accorder protection. Des machettes seront distribuées dans des caisses d’une ONG. »
Le rôle des barrières? « C’est une vieille histoire. Mais avant 1994, on ne tuait pas sur les barrières. Elle avaient pour but d’empêcher les gens de fuir, de bloquer l’information, surtout la nuit. » Ces barrières étaient tenues surtout par des miliciens formés au maniement des armes, des militaires rwandais, et parfois en présence de soldats français et belges.
Maître BOURGEOT, pour la défense, fait remarquer qu’il est difficile, pour la Commission, de savoir la vérité. La confusion n’était-elle pas entretenue par les deux camps pour attribuer les assassinats à l’autre camp? Maître GILLET précise qu’ils s’assurent que les témoignages sont vrais. Il dénonce par exemple une première mystification par le pouvoir le 4 octobre 1990: on veut faire croire que les rafales entendues ce soir-là sont l’œuvre du FPR. C’est une mise en scène qui va entraîner de nombreuses arrestations.
L’avocate de la défense revient une nouvelle fois sur la notion d’Akazu dont elle conteste l’existence. Elle précise aussi que le TPIR n’a pas reconnu ce terme, pas plus que l’entente en vue de commettre le génocide. Le témoin déclare qu’il y a bien eu génocide, et donc planification. La vérité historique s’impose. Maître BOURGEOT veut enfin connaître le rôle du témoin dans les affaires rwandaises. Il a été avocat des parties civiles dans les quatre procès qui se sont déroulés en Belgique.
Audition de maître Catherine MABILLE, avocate au barreau de Paris entendue en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.
Madame MABILLE a été sollicitée en 2002 pour assister un bourgmestre accusé de génocide et jugé au TPIR. Pour les jurés, elle va bien expliquer les différences qui existent entre le système judiciaire anglo-saxon et le système français. Au TPIR, pas de juge d’instruction, les victimes ne sont pas représentées. « La vérité judiciaire se jour entre le Procureur et la Défense. Le Procureur fait entendre ses témoins que la Défense contre-interroge et compare avec ses propres témoins. Procureur et défense sont à armes égales. »
La défense se rend en enquête sur le terrain pour rencontrer des témoins. Les difficultés ont été de trois ordres.
- D’ordre politique. Le TPIR a été créé par le Conseil de sécurité et le Rwanda a été le seul pays à s’opposer à cette création: la peine de mort existait au Rwanda, peine que le TPIR ne pouvait appliquer. (NDR. La peine de mort a été supprimée au Rwanda en 2007). Ce refus a rendu le travail difficile: la collaboration entre le Rwanda et le TPIR était indispensable. l’acquittement de BAGILISHEMA a déclenché la colère du Rwanda qui n’envoyait plus de témoins. Difficultés aussi pour la défense de se rendre sur place.
- La Procureur générale du TPIR, Carla DEL PONTE a décidé d’ouvrir des enquêtes sur les agissements du FPR. Même si madame DEL PONTE ne mettait pas les crimes sur le même plan que le génocide, cela a déclenché de violentes réactions à Kigali. Les avocats de la défense étaient considérés comme des génocidaires, ou presque! Ils étaient soumis à des intimidations, devaient être accompagnés de gardes du corps. Difficultés aussi d’assurer la confidentialité pour les témoins qui avaient peur.
- Nombre importants des faux témoins. Le Procureur avait dans sa manche des « témoins professionnels ». Le témoin réfute la notion de« culture du mensonge« . En accusant son voisin, on avait l’espoir de récupérer ses terres, son bétail; ce qui n’est pas propre au Rwanda. « On a vu la même chose en France en 1945! »Mais surtout, la responsabilité individuelle n’est pas vécue de la même manière: elle est vécue « de manière plus communautaire ». « Les gens ont tellement souffert que tous les Hutu sont forcément coupables, même si ce n’est pas la bonne personne! » Et d’ajouter: « C’est peut-être une spéculation de ma part!
En réponse aux questions, le témoin précise le rôle du Procureur. Maître FOREMAN fait remarquer qu’il n’y a pas de juge d’instruction. Il s’agit d’une « procédure accusatoire et non inquisitoire« . L’avocat du CPCR précise que nous avons en France une équipe qui se rend au Rwanda en commission rogatoire pour enquêter à charge et à décharge. Il est vrai que la défense est relativement démunie mais rien ne l’empêche de se rendre sur place. l’avocat du CPCR signale que les parties civiles y sont allées à leurs frais, pas pour enquêter mais pur se familiariser avec les lieux. La Cour d’assises n’ira jamais (problème juridique). Le témoin fait remarquer que les juges du TPIR se sont déplacés au Rwanda, ce qui a changé leur perception des dossiers.
Maître FOREMAN précise que leur séjour au Rwanda leur a permis de rapporter des éléments qu’ils ont livrés à la Cour. La défense aurait pu en faire autant. Et d’ajouter « qu’aucune Cour d’assises ne se rend sur les lieux du crime. Madame MABILLE fait toutefois remarquer que le génocide est un crime spécial, que ce n’est pas un dossier classique: « Il y a des spécificité de la justice internationale. » Maître FOREMAN d’ajouter: « On a un accusé, il faut bien le juger! » « La défense voulait annuler le procès! »
La défense s’agite. Maître AKORRI interroge le témoin pour savoir s’il est difficile pour un juge international de trouver des témoins à décharge dans le Rwanda actuel. Madame MABILLE confirme. L’avocate de Survie fait pourtant remarquer que l’abbé MUNYESHYAKA a bénéficié d’un non-lieu, que des non-lieux partiels ont été prononcés dans le dossier SIMBIKANGWA, au stade de l’instruction. Le témoin ne se prononce pas. Elle rappelle simplement qu’il est difficile d’enquête à décharge au Rwanda. « Peut-être que je me trompe! » ajoute-t-elle.
Monsieur CROSSON DU CORMIER reconnaît que le témoin a fait « un exposé fort clair sur la juridiction accusatoire« . Notre système serait-il moins équitable? Le témoin répond que les deux systèmes ne sont pas contradictoires. « Il faudrait prendre les avantages des deux systèmes« . « Le TPIR est trop chronophage« . Le témoin est inquiet de voir les avocats de la défense payés à l’aide judiciaire pour de tels dossiers. La défense devrait accompagner le procureur dans le pays.
L’avocat général fait remarquer à son tour au témoin que dans l’affaire qui nous occupe, l’accusation a requis des non-lieux en faveur de l’accusé. « La poursuite s’est beaucoup rétrécie depuis l’instruction ». Quant au transport sur les lieux, c’est exceptionnel pour une Cour d’assises (exemple de l’affaire Yvan COLONNA). Et de faire remarquer que les témoins du Rwanda ne paient pas leur voyage.
Maître BOURGEOT, une fois encore, se permet d’interpeller l’avocat général. « Vous avez une question monsieur l’avocat général? » Et de claironner pour se plaindre: « L’avocat général est en train de plaider!« . Le président d’intervenir, ironique: « Non, il ne plaide pas. Il va mettre un point d’interrogation à la fin de son intervention. Le témoin est un témoin de contexte entendu en vertu de mon pouvoir discrétionnaire! » L’avocat général de poursuivre: « Je ne développe pas de choses à charge pour votre client. Je suis en train d’expliquer qu’une Cour d’assises ne peut pas se transporter sur les lieux. C’est vrai que c’est mieux quand on peut, mais dans cette affaire, ce n’est pas possible. »
Le témoin signale que l’avocate de NGENZI lui a fait savoir que la défense ne pouvait faire venir que 5 témoins! « C’est la loi!« , répond l’avocat général, « la partie civile est au même régime. »
Maître BOURGEOT regrette qu’il y ait tant d’impossibilités procédurales. Le président lui fait remarquer que la loi est ce qu’elle est. « Si on ne la respecte pas, il y a des risques de cassation et donc d’un troisième procès. » Pour laisser entendre que les témoins ne sont pas libres, l’avocate de SIMBIKANGWA précise que c’est le GFTU (NDR. Section du parquet en charge des personnes exilés à l’étranger) qui rassemble les témoins. Elle aborde la peur des témoins de la défense, les faux témoignages, les pressions exercées par IBUKA, les relations tendues entre la France et le Rwanda…
Le président propose de lire l’acte d’accusation rwandais. Il se contentera d’en donner les chefs d’accusation, ce qui irrite maître BOURGEOT. Maître FOREMAN fait remarquer que ce document visait l’extradition et qu’il était joint à la plainte du CPCR. L’avocate de SIMBIKANGWA ne peut s’empêcher de redire que ce dossier « repose sur du vent ».
Maître FOREMAN regrette l’absence de maître EPSTEIN. En effet, il a manqué de respect à madame SIRONI en lui reprochant d’avoir considéré son client comme un accusé. C’est faux. Il n’est qu’à relire les termes du rapport de la psychologue, « la défense n’a pas à déformer la lettre du texte.« .
Dernière intervention de monsieur CROSSON DU CORMIER. Dans le jugement ZIGIRANYIRAZO il est dit qu’il existait avant et après le génocide un réseau d’influence, et ce « au-delà de tout doute raisonnable ». L’Akazu n’a pas d’existence officielle mais il i y a bel et bien un réseau d’influence. Maître BOURGEOT conteste, ce qui entraîne la réponse cinglante de l’avocat général: « Il s’agit d’un attendu factuel. Révisez votre droit. »
Réponse de l’avocate: « On prend les jurés pour des imbéciles! » L’avocat général insiste: « Il y a les faits et le droit ». Et lorsque maître BOURGEOT qui dit qu’elle « ne veut pas lâcher« , maître FOREMAN éclate: « On marche sur la tête. Le TPIR a acquitté ZIGIRANYIRAZO. Il n’est pas revenu sur l’existence de l’Akazu. La défense ment dans ce procès ».
Ce seront les derniers mots de la journée. Il était temps.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.