Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Vendredi 29 juin 2018. J35

La journée commence par le dépôt d’une nouvelle conclusion de la défense. Maître BOURGEOT, avocate de BARAHIRA, demande un supplément d’information. Pour elle, l’instruction de son client a été trop rapide. D’autre part, la demande qu’elle formule résulte des débats : il est des documents auxquels on n’a pas eu accès, des témoins qui n’ont pas été entendus. A son tour elle réclame un transport sur les lieux. Le dossier BARAHIRA ne repose que sur des témoignages et il est nécessaire de trouver des preuves matérielles, en consultant par exemple les archives d’Electrogaz ou la copie du procès de Moussa BUGINGO.

Monsieur l’avocat général met en garde la Cour qui doit bien comprendre que cette demande d’un supplément d’information implique un renvoi du procès. Contrairement à ce que prétend la défense, l’instruction de l’affaire BARAHIRA n’a pas été en 2013 mais en mai 2010 puisque le nom de l’accusé apparaît dans le dossier NGENZI : « Dire que BARAHIRA n’a pas été assez entendu, les bras m’en tombent ! Il avait toutes les possibilités de demander des actes, il ne l’a pas fait. La défense s’est contentée de demander la remise en liberté de son client. Une défense qui se faufile, à force de se faufiler on en devient transparent ! »

Entendre le témoin Olivier SOGOKURU ? Pourquoi ne pas avoir fait la demande lorsque Véronique MUKAKIBOGO en a parlé au début du procès ? Se transporter sur les lieux en vue d’une reconstitution ? Cela pose des problèmes de sécurité, mais pour les accusés. « On vous fait miroiter l’espoir d’une preuve absolue qui, en justice, n’existe pas ! »

Pour l’avocat général, cette demande est dilatoire et n’est déposée que pour que les accusés échappent à cette juridiction. Il conviendra donc de la rejeter.

 

Audition de Dafroza GAUTHIER, membre du CPCR, épouse du président de l’association.

Texte à venir.

 

Il est ensuite procédé à la lecture de l’audition de plusieurs témoins : Jean-Baptiste KARONGA, Jean Bosco GASHIRAMANGA et Marie-Claire MUTETERI qui a eu peur de venir témoigner devant la Cour.

L’après-midi devait être consacrée entièrement à l’audition de Octavien NGENZI, mais la défense de BARAHIRA avait demandé que l’on procède à la lecture de l’audition d’Alice UWIMPFURA, réfugiée chez NGENZI dont elle a quitté le domicile le même jour que la famille du bourgmestre.

Toujours à la demande de la défense, on parle du procès en Allemagne d’Onesphore RWABUKOMBE qui était dans un premier temps poursuivi aussi pour le massacre de l’église à Kabarondo. (NDR. Le 18 janvier 2011, s’ouvre en Allemagne le procès du bourgmestre de Muvumba pour des charges limitées aux massacres de l’église de Kiziguro et l’accusé est condamné à 14 ans de prison le 14 février 2014. Un nouveau procès sera organisé et le 29 décembre 2015, RWABUKOMBE sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. L’ex-bourgmestre de Muvumba est le neveu de Manassé BIGWENZARE poursuivi en France pour génocide suite à une plainte du CPCR).

 

Interrogatoire d’Octavien NGENZI.

Difficile de rendre compte des déclarations de l’accusé qui, pendant tout l’après-midi, va tenter d’expliquer pourquoi il est innocent. Ses propos sont très souvent confus, contradictoires, ses réponses loin des questions qui lui ont été posées. A tel point que je n’irai pas au bout de ma prise de notes. Comme beaucoup, je décrocherai vers la fin, d’où ce compte-rendu incomplet.

C’est madame la présidente qui mène l’interrogatoire.

NGENZI vu par Grumbl

« Chaque témoin essaie de m’impliquer. »

« Les Dix commandements des Bahutu [1], je crois en avoir entendu parler mais je n’avais pas le temps de lire. Je prends mes directives dans le Journal Officiel. KANGURA datait du multipartisme, les Hutu n’ont jamais eu de commandements ». Faux, le numéro 6 est de décembre 1990 [1] !

« J’en ai entendu parler mais ne connais pas l’auteur. On en parlait de bouche à oreilles. C’était choquant ! »

« Dans la soirée du 13, j’arrive d’une visite au préfet de Kibungo où je m’étais rendu pour avoir de l’aide. J’étais détruit moralement, terrorisé. J’ai pensé à fuir. Je suis allé chez le garagiste pour y chercher ma voiture Toyota Hilux de couleur verte.  C’est alors qu’arrive une Suzuki de la Croix Rouge qui apporte des médicaments. Madame NYIRABATSINDA dit d’ailleurs qu’elle m’a aidé à les décharger au Centre de Santé. Il était aux environs de 18 heures, l’infirmière Marie Goretti était là et l’électricité fonctionnait. Il y avait une trentaine de blessés mais l’infirmière avait très peur. On soignait les gens qui étaient soignables. Il aurait fallu transférer les blessés les plus graves mais je n’avais aucun moyen. Ce n’était plus possible ».

NGENZI revient chez lui vers 20h/21h.

« Je n’ai pas vu BARAHIRA. Il s’est trompé. Ce n’est pas le seul témoin qui s’approprie le témoignage d’un autre. Je rentre chez moi et mon épouse me dit qu’Édith est arrivée avec deux enfants. Il y a aussi deux garçons de Byumba » (NDR. Deux jeunes qui travaillent à son service : le « zamu » ou gardien et peut-être un vacher ou un serviteur).

« Le 14 arrive l’abbé Papias qui a été chassé du presbytère par des assaillants. Je vais au bureau communal et constate que le presbytère a été pillé. Je vais ensuite au centre commercial pour y chercher deux chauffeurs. Je constate que les boutiques sont pillées par des voyous de Kabarondo ».

« Je ne passe pas à l’église car j’avais peur de quiconque aurait eu la mission de m’éliminer. Je vois des corps dans la cour, entre 80 et 100. Je ne rentre pas dans l’église, il n’y a aucune chance d’y trouver des survivants. La fraîcheur de la nuit avait redonné de la vigueur aux rescapés ».

Madame la présidente lui fait remarquer qu’il y avait deux policiers avec lui. Il aurait pu faire surveiller l’église par respect pour les morts ? L’accusé reconnaît qu’il ne fait rien.

NGENZI ne parle pas des corps avec Papias. « Il était plus abattu que moi. Nous avons chargé les bagages pour la fuite. J’entends alors la fusillade à l’IGA [2] où je me rends. Je vois les hommes armés et les corps mais ne rentre pas. C’était trop dangereux pour moi. Je remonte au bureau communal. »

Chronologie des faits qui ne correspond en rien avec ce qu’ont dit d’autres témoins : « Ils assurent leur défense. »

Averti par un informateur « de bonne volonté », il se rend chez KARAKEZI. Il a précisé auparavant qu’il ne voit CYASA qu’au garage où il est venu récupérer le camion dont ce dernier a parlé lors de son audition.

« Je rédige un rapport sur l’IGA, rapport destiné au préfet ou pour celui qui lui succèdera comme bourgmestre afin que les malfaiteurs soient poursuivis le moment venu ! » Cette déclaration étonne évidemment la présidente !

« Le 15 au matin, je sors de chez moi en direction de Kibungo. Je vois un chien et des chats qui mangent les corps. J’imagine mon propre corps dévoré par les chiens ! »

Lui vient alors l’idée d’aller chercher 50 à 60 personnes pour enterrer les corps de l’église. « Dans l’homme, il y a un animal. »

NGENZI n’a pas vu le massacre du Centre de Santé. Il en entendra parler à … Benako.

Le bourgmestre sera soumis ensuite aux questions des avocats des parties civiles.

Sur question de maître PARUELLE, l’accusé dit qu’il prend un chemin de terre pour se rendre au garage. Il ne sait que répondre quand on lui fait remarquer qu’il sécurise ses biens et pas l’église. La destruction des maisons, il l’apprendra en audience. Il tente de redonner les dimensions de la fosse.

Maître LINDON souligne les mensonges qu’il a faits à la CNDA et lui fait confirmer que sa demande d’asile a précédé les poursuites. « C’est GAUTHIER qui m’a dénoncé » se contente-t-il de répondre. « Je n’ai jamais nié le génocide. Je devrais être libéré à la fin de ce procès. »

Maître LAVAL : « Vous êtes mis en examen le 6 juin 2010. Vous avez été interrogé 15 fois par des juges d’instruction, avez participé à 10 confrontations. Cela fait 8 ans et 25 jours que vous êtes pris dans les filets de la justice. Et aujourd’hui, ce convoi du CICR ! »

« Je me suis souvenu de ce fait aujourd’hui. Ce génocide est géant ! »

Maître LAVAL : « Pour moi, le 14 est une énigme. Comment expliquer que le 8 vous allez voir le préfet, le 9, le 10, le 11, deux fois le 13 pour remettre un rapport alors que les massacres sont finis ? Et pas le 14 ! » Réponse : ni le 11 ni le 14. Et concernant l’enfouissement des corps, NGENZi précise que la commune ne délivre pas de permis d’inhumer.

« Vous n’avez plus de moyens, plus d’autorité, et vous recrutez 70 personnes ! Et sujet le plus grave. Vous êtes bourgmestre de Kabarondo, avez été marié par l’abbé INCIMATATA, vous êtes chrétien ! Comment laisser jeter les corps comme de la viande sans même donner la moindre bénédiction ? Papias était là lors de l’enfouissement ? »

« C’est difficile d’expliquer ce qu’on a vu. L’homme qui fuit la mort ! » NGENZI n’en dira pas plus.

Maître MARTINE : « Vous êtes au bureau communal de 13 heures à 17 heures. BARAHIRA vous voit. Vous pas ! »

NGENZI : « C’est difficile d’être cru quand on est ici. »

L’avocat : « Pourquoi vous restez là à regarder les tirs ? BARAHIRA ment ? »

NGENZI : « Je ne sais pas. Il était là parce qu’il le dit. Je n’ai regardé ni les morts ni les vivants, j’étais mort moi-même. »

Maître PADONOU revient sur le témoignage de l’assistant bourgmestre, David TANAZIRABA, qui a déclaré qu’on n’était pas obligé de rester là. Sinon on démissionne ! Il a rajouté que le bourgmestre avait gardé son autorité, même à Benako. « Et vous ? »

NGENZI : « Qui devait me démettre. Je reste bourgmestre et c’est pourquoi je suis ici. Vous avez mal compris l’exposé de David. Il était impossible de se faire remplacer. Il se trompe et il ment ».

Maître GISAGARA questionne le témoin sur l’autorité qu’il aurait conservée dans son secteur d’origine, sur Alice !

NGENZI : « Je n’ai pas conservé mon autorité et Alice, vous l’avez traumatisée en 2016 ».

L’avocat général rappelle à l’accusé que la femme dont il a rappelé le témoignage ne dit pas la même chose que lui concernant la livraison des médicaments par le CICR. Pire, elle dit que NGENZI s’est opposé à ce que ces médicaments soient utilisés pour soigner les blessés du Centre de Santé. Puis, sur les autres questions de monsieur BERNARDO, il conteste le témoignage du policier qui dit avoir protégé NGENZI et non le Centre de Santé. Il redit qu’il n’a eu connaissance des massacres du Centre qu’une fois arrivé à Benako. « Les victimes ont intérêt à m’accuser. C’est une façon de satisfaire l’autorité en place, de mettre sur les dos des autorités tous les morts. Il y a une volonté de vengeance des rescapés ».

Toujours sur questions de l’avocat général, NGENZI répond qu’il avait peur, peur de la situation. Il était seul. On l’avait déclaré complice du FPR.

« Complice ? Mais les militaires vous auraient tué ! » assène l’avocat général.

NGENZI ne conteste pas le génocide, mais là encore, il l’a appris à Benako de la bouche d’un Américain.

L’avocat général énumère les grands massacres de la préfecture de Kibungo :

  • Le 10 avril : 700 morts à Zaza
  • Le 11 avril : 800 morts à Kibungo
  • Le 12 avril : 1500 morts à Rukara
  • Le 12 avril : 500 morts au Petit Séminaire de Zaza
  • Le 12 avril : 2000 morts à Mukarange
  • Le 12 avril : 300 morts à Rukara
  • Le 12 avril : 500 morts à Zaza
  • Le 14 avril : 1000 morts à l’IGA de Birengo
  • Le 15 avril : 1500 morts à Kigarama
  • Le 15 avril : 1200 morts au Centre Saint-Joseph de Kibungo.
  • Le 16 avril, 1000 morts à Mbare et plusieurs milliers à Nyarubuye.

« Et vous, vous n’êtes pas attentif à la situation ? Or vous savez qu’il y a des massacres. Qui est derrière tout ça ? Le préfet ? RWAGAFILITA [3] ? » insiste l’avocat général.

« C’est moi ? » balbutie l’accusé.

A madame la présidente qui lui fait remarquer qu’il a été entendu 7 fois, qu’il dit avoir des témoins à décharge dont il n’a jamais communiqué les noms, NGENZI répond que c’est « par oubli » !

Pour la défense, maître EPSTEIN tente de voler au secours de son client. « Je vais vous faire un reproche. Pourquoi vous on veut vous enlever les gens que vous avez sauvés ? »

NGENZI : « Il est injuste de comparer les bourgmestres. Allusion à BAGILISHEMA ; Celui qui a sauvé plus a peut-être eu plus de moyens. Papias était Hutu. L’enterrement ? Mon cœur ne pouvait pas accepter. J’aurais voulu cacher les morts ? Mais les cacher de qui ? Démissionner ? J’aurais exposé mon corps à la mort. » Et de regretter d’avoir perdu la population. Il ne pouvait pas faire plus.

Maître BOJ, autre avocat de l’accusé, le questionne à son tour. NGENZI rappelle qu’il a été contraint par les militaires : « C’était la mort, la mort, le sang qui coule… »

L’avocat revient sur les perquisitions. Maître BOJ s’étonne que, étant en danger, il se rend tout de même à la rencontre des assaillants !

NGENZI redit ce qu’il a déjà déclaré. Concernant Médiatrice, « une Tutsi bien prononcée, avec des traits de Tutsi, le nez, la taille ! » il n’a pas pu faire autrement que de se rendre chez elle.

Il sauve HIGIRO, le comptable, mais pas Dative et ses enfants ! Étonnant ? « Je n’ai pas fait de choix. J’ai conduit Papias sous la contrainte, j’étais pris en otage. Je n’ai pas fait de tri, comme le dit Innocent GATERA. J’ai appris que ceux qui étaient chez Médiatrice seront tués par CYASA et les Interahamwe.

Maître CHARRIER, avocat du CPCR : « Médiatrice UMUTESI a un discours nuancé sur vous avant 1994. Comment expliquez-vous que les dates ne concordent pas. Le 15 pour vous et le 17 pour elle. Quel intérêt a-t-elle à mentir ? »

NGENZI : « Elle a sa vérité, j’ai ma vérité. »

A l’avocate générale qui fait allusion à la déclaration de l’ancien évêque de Kibungo, Frédéric RUBWEJANGA, qui parle aussi du 17, NGENZI rétorque : « La vérité se trouve dans ce que je dis. » Il dit une nouvelle fois qu’il n’est jamais allé à Birenga, contrairement à ce que dit Jacqueline et un policier municipal.

NGENZI : « C’est un criminel qui me charge. J’ai sauvé Papias. »

 

Comme je l’avais dit au début de ce compte-rendu de l’interrogatoire de NGENZI, à ce stade, je n’ai plus pu prendre de notes, les propos du bourgmestre devenant très confus.

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

 

  1. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un « Appel à la conscience des Bahutu », dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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  2. IGA : Centre communal de formation permanente.
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  3. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
    Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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