Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mardi 29 mai 2018. J 14

 

L’organigramme administratif de la région de Kabarondo est proposé par la défense mais ne convient toujours pas à Monsieur l’avocat général. Il n’est pas au dossier et contient encore des erreurs.

Est versé au dossier le rejet du pourvoi en cassation de Pascal SIMBIKANGWA définitivement condamné pour génocide.

Une nouvelle fois la défense s’en prend au site internet du CPCR, « comptes-rendus déloyaux et infidèles », dégoûtant. Elle va jusqu’à dénoncer une caricature de NGENZI, agrandie et déformée pour en souligner « l’idéologie racialiste ». D’autant que la photo présentée fait partie d’un montage ignoble… Maître LAVAL dénonce à son tour « une vilaine cabale contre le CPCR ». Jusqu’où va-t-on aller dans ce procès pour lequel la défense appelait autrefois à la sérénité !

 

Audition de Silas MUTABARUKA.

Comme d’autres témoins, monsieur MUTABARUKA évoque la réunion sur le terrain de football de Cyinzovu et au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité ».  Le groupe auquel appartenait le témoin tue trois Tutsi à la forêt du Projet : ils se rendaient vers l’église en provenance de Shyanda.

Madame la Présidente va passer à la série de questions traditionnelle. Pour le témoin, la réunion a eu lieu le 11 avril. Il n’en connaissait pas l’objet. Pour faire comme tout le monde, il s’est armé d’un bâton, était présent lors du meurtre et lors de la destruction de maisons. Tout cela s’est passé vers 9/10 heures. Il signale aussi la présence de NGENZI, à l’écart, dans sa voiture blanche. Il précise aussi que l’expression « assurer la sécurité » voulait bien dire « tuer les Tutsi », et qu’il n’a pas entendu MUMVANO prendre la parole.

On projette une courte vidéo sur le terrain de foot. Occasion pour le témoin pour dire qu’il n’a rien fait, qu’il a eu très peur et qu’il a pris ses jambes à son cou. Il sera toutefois condamné à 7 ans de prison après avoir plaidé coupable devant les Gacaca [1]. En prison, il n’a pas eu la visite du ministre de la Justice. Si le 13 avril il ne s’est pas rendu à l’église, il a toutefois entendu des détonations et aperçu beaucoup de fumée. Il signale enfin la présence d’une barrière au pont : des troncs d’arbres abattus.

Madame l’avocate générale cherche à obtenir des précisions sur le nom des tueurs et sur la présence de NGENZI lors de la réunion qui a duré 20 minutes.

De son côté, la défense veut savoir combien de temps il faut pour aller de Rugazi au terrain de foot. Le témoin ne peut répondre. Quant aux détonations, le témoin les attribue aux tirs du FPR. On lui fait remarquer qu’il est le seul à avoir vu NGENZI, dans son véhicule blanc.

 

Audition de François HABIMANA en visioconférence, témoin cité par la défense.

Le témoin commence par s’étonner de devoir redire ce qu’il a déjà dit en première instance : « Tout se trouve dans la machine » ! Tout au long de l’audition il reviendra d’ailleurs sur cet élément, refusant parfois de répondre.

Il évoque les différents métiers de BARAHIRA pour dire ensuite que les Interahamwe [2] ont détruit la maison de son frère GACUMBITSI. Lors de l’attaque, les vaches avaient fui chez BARAHIRA qui lui signalera les faits.

Sur BARAHIRA : « Il aimait les Tutsi parce que sa femme était Tutsi ! » Il ne sait rien sur les circonstances de la démission de son poste de bourgmestre : tous les problèmes qu’ils ont pu avoir étaient relatifs à la guerre. Il reconnaît des attaques de Tutsi, des pillages après le 7 avril. Il partira très vite en Tanzanie pour suivre les autres. Il n’a revu ni BARAHIRA, ni NGENZI. Il n’a même pas entendu parler des massacres du 13 à l’église [3] : il a simplement vu des réfugiés qui venaient du MUTARA (NDR. Région du Parc de la Kagera).

Monsieur l’avocat général lui fera remarquer que, concernant l’église, il a tenu des propos contradictoires. Très vite, d’ailleurs, il esquivera les questions, pressé d’en finir. (NDR. Encore un témoin qui n’aidera personne à y voir plus clair !)

 

Nouvelles conclusions déposées par la défense.

Conclusions déposées par la défense concernant un refus de passer outre : monsieur Méthode RUBAGUMYA, à l’époque OPJ du GFTU [4] qui a très souvent accompagné les enquêteurs français, ne s’est toujours pas présenté. La défense demande qu’on prenne toutes les mesures possibles pour le localiser et qu’il soit entendu au moins en visioconférence.

La défense souhaite vraiment l’entendre comme témoin. Maître LINDON lui fait remarquer que Méthode RUBAGUMYA n’est pas un témoin mais un enquêteur.

Ce sera autour de monsieur l’avocat général de faire remarquer que nous avons encore là « une demande particulière qui s’intègre mal dans notre procédure pénale. » Et d’ajouter : « On essaie de faire entrer par la fenêtre quelqu’un à qui on n’a pas ouvert la porte ! » De plus, il est faux de dire que Méthode a participé à l’enquête. Et en direction de la Cour : « Vous allez devoir passer outre ! »

 

Lecture de deux PV d’audition de monsieur Jean-Pierre RWASAMIRERA

Madame la Présidente va lire un long témoignage de monsieur Jean-Pierre RWASAMIRERA, décédé  conseiller de Kabarondo. Elle en lira un second. La première audition date du 24 mai 2011 et la seconde du 16 novembre 2012.

 

Audition de monsieur Noble MARARA. Transfuge du FPR qui travaille en Grande Bretagne auprès des malades mentaux. Témoin cité par la défense.

Le témoin annonce quatre sujets dont il va parler.

  • Le fonctionnement de la justice au Rwanda. « Calamité sans nom, réelle catastrophe au cours de laquelle la population s’est entre-tuée ». Tels sont les termes employés par le témoin qui signale avoir changé de nom pour des raisons de sécurité. Et d’évoquer la situation catastrophique de la justice au Rwanda qui serait gangrenée par une « corruption ineffable », dans un pays où des criminels ont été remis en liberté et où on a inventé des crimes pour poursuivre les intellectuels. Il se présente aussi comme ancien militaire de l’APR, proche du chef de l’Etat ! (NDR. Il semblerait qu’il ait été mécanicien dans un garage de l’armée).
  • La guerre de l’APR. Le témoin évoque l’existence de « militaires techniciens » qui auraient infiltré la population et commis des crimes attribués ensuite à l’État rwandais. Il parle de « jugements politiques » où la corruption est omniprésente.
  • La peur qui règne au Rwanda. Et de faire un tableau dramatique de l’organisation administrative du pays où l’État contrôle tout, jusqu’aux ministres qui « marchent la tête baissée ». Les élections y sont bien évidemment truquées. Parce qu’il vit en Angleterre, il serait le seul témoin à pouvoir venir témoigner (pour la défense) ! Tout cela a une influence négative sur la justice, même à l’étranger (TPIR)
  • Dans le pays, personne n’ose dire la vérité. Et de parler à nouveau de la corruption, de la famine qui régnerait dans le pays.

Le témoin termine sa déclaration spontanée en recommandant à la Cour de « faire usage de bon sens. »

 

Madame la Présidente remercie le témoin de rappeler ses devoirs à la Cour. Elle l’interroge ensuite sur son parcours au sein de l’APR. Militaire qui travaillait auprès de Kagame ? On peut en douter. Sur les raisons de son arrestation au Rwanda, on peut encore douter :

  • Il aurait parlé avec des inconnus !
  • Il aurait attenté à l’intégrité physique de Chef de l’État
  • Il possédait une radio qui avait une chaîne inconnue

Il restera 15 jours en détention avant de fuir en décembre 2000 en Ouganda puis en France (NDR. Personne ne l’interroge sur son séjour en France. Il se dit qu’il était un des informateurs du juge BRUGUIERE, dont le rapport sur l’attentat a été complètement remis en cause par celui de son successeur, le juge TREVIDIC !)

Combien de victimes ? Il ne peut répondre.

Maître CHARRIER, avocat du CPCR, lui fait remarquer que des témoins sont venus librement du Rwanda en France, certains refusant d’accabler les accusés. « Nous n’avons pas eu le sentiment qu’ils n’étaient pas libres ! » Toute personne qui refuserait d’accabler des présumés génocidaires risque sa vie et sa sécurité ? » interroge l’avocat. Réponse laconique du témoin : « Possible ».

Monsieur l’avocat général va dénoncer le « discours globalisant » du témoin alors qu’on est dans un dossier précis. A une dernière question que tente l’avocat général, le témoin répond : « Je suis venu parler des choses telles qu’elles sont. Je ne fais pas outrage à la justice. »

La défense fait remarquer que les déclarations du témoin déclenchent des rires chez les parties civiles, oubliant de reconnaître que, sur leur banc, on rit aussi souvent !

Sur question de la défense concernant son « ethnie », le témoin, une nouvelle fois, esquive. « Vous êtes Hutu ou Tutsi ? » « Mes parents ont dit que j’étais Tutsi ! » D’évoquer ensuite la période de la guerre : ils ont perdu beaucoup de leurs commandants, leurs chefs se sont soulevés les uns contre les autres. Lui, il a rejoint l’APR en 1991. D’ajouter : « Nos militaires se suicidaient en se jetant dans la rivière Akagera… »

La radio MUHABURA ? C’était la radio de propagande du FPR qui incitait les Rwandais à se désolidariser de l’Etat. (NDR. la RTLM incitait la population à tuer les Tutsi !)

Le CND ? C’était le Parlement en 1994 où, selon les accords d’Arusha, 600 soldats du FPR stationnaient.

Il serait menacé en Angleterre ? C’est ce que les policiers chargés de sa sécurité lui auraient dit, menaces en provenance du Rwanda. (NDR. Quelqu’un a-t-il vu des policiers l’accompagner au Palais de justice lors de sa venue en France ?)

 

Auditions de la famille d’Octavien NGENZI

La journée s’est terminée par les auditions de Lambert GAHAMA, fils aîné de Octavien NGENZI, de l’épouse et de la plus jeune fille de l’accusé, Justine. Ces trois personnes sont venues déclarer leur amour à leur père ou mari, ce qui est respectable. Tous refusent de croire à sa culpabilité : NGENZI est innocent. On comprend que la vie familiale puisse être perturbée par l’absence d’un père. Lors de son audition, madame NGENZI lit un bref passage d’un livre « N’épargnez pas les enfants » : le bourgmestre de Kabarondo aurait tué femme et enfants. Madame la présidente, qui connaît bien le dossier, fait remarquer qu’il y a eu une erreur de la part de l’auteur. Il s’agirait du maire de Kibungo et pas de Kabarondo !

Les témoins seront interrogés sur ce qu’ils savent des événements qui ses ont déroulés entre le 7 avril et leur fuite le 15/16. On notera beaucoup d’hésitations, d’approximations que seuls les interrogatoires des accusés et des autres témoins pourront dissiper.

En conclusion, on peut rependre les termes de Justine, la fille de NGENZI, qui résument l’état d’esprit de la famille : « Mon père est un héros. Nous savons plus que quiconque qu’il est innocent. » Et s’adressant à la Cour : « On compte sur vous pour qu’il puisse y avoir une vraie justice ! »

Alain GAUTHIER, président du CPCR

 

  1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.
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  2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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  3. Massacres du 13 avril à l’église de Kabarondo : l’abbé INCIMATATA y reviendra longuement lors de son audition.
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  4. GFTU : « Genocide Fugitive Tracking Unit », section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
    Lire également les auditions de Mme Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie et du lieutenant Olivier GRIFFOUL qui a commandé une unité de recherches au Rwanda.
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