- Audition de Jean-François DUPAQUIER, journaliste et expert auprès du TPIR
dans l’affaire des médias du génocide. - Audition de Gilbert BITTI, juriste en droit pénal international.
- Audition de Bertrand PHESANS, expert psychologue.
- Audition d’Adeline KAYISENGERWA, partie civile.
- Audition de Géraldine NYINAWUMUNTU, partie civile.
- Audition de Daniel ZAGURY, psychiatre.
- Audition de Gérard LOPEZ, a procédé à l’expertise psychologique de NGENZI.
- Audition de Jeanne MUREKATETE, ex épouse de BARAHIRA.
- Audition d’Augustin NTARINDWA, partie civile.
- Audition d’Alexandra STRANO.
Madame la présidente rend les décisions de la Cour à propos de deux conclusions d’incident déposées par la défense.
- La Cour rejette la demande de la défense qui exigeait que l’on fasse comparaître le témoin Méthode RUBAGUMAYA, OPJ rwandais ayant auditionné un certain nombre de témoins. La Cour décide de passer outre.
- Même décision concernant deux autres témoins cités par la défense et qui n’ont pu être entendus : Anaclet GAHAMANYI et Joas NSHIMINYIMANA.
Audition de Jean-François DUPAQUIER, journaliste et expert auprès du TPIR dans l’affaire des médias du génocide.
Le témoin de contexte commence par évoquer son parcours personnel en lien avec le génocide. Il décrit la situation du Rwanda telle qu’il avait pu l’appréhender lors de son séjour au Burundi comme coopérant au début des années 70 : le Burundi était « une dictature », le Rwanda « une république fasciste » à propos de laquelle il souligne le rôle capital de la carte d’identité ethnique. Lorsqu’il a voulu présenter un livre sur la région, il a eu le sentiment de prêcher dans le désert.
Le mot génocide n’est pas vraiment nouveau puisqu’il sera utilisé dès février 1961, mais surtout par un coopérant suisse en 1963 à propos des massacres de masse dans l’ancienne préfecture de Gikongoro (NDR. Il s’agit de Bertrand RUSSEL et d’un article du Monde). En février 1964, Radio Vatican parlera du « premier génocide après la Shoah ». Quant au président KAYIBANDA, dans un discours dans lequel il fustige les Tutsi, il emploiera le mot à 23 reprises pour en rendre ces derniers responsables. De citer aussi un responsable rwandais de l’époque : « Si nous n’exterminons pas les Tutsi, c’est eux qui nous extermineront. » Sans oublier le fameux numéro 6 de la Revue Kangura de décembre 1990 et son non moins célèbre Appel à la conscience des Bahutu ! Tout cela pour dire que la réalité du génocide est présente depuis longtemps au Rwanda.
Le témoin évoquera son rôle de témoin expert au TPIR et parlera de l’ouvrage qu’il a écrit avec deux collègues : Les médias du génocide [1]. Pour lui, le génocide est une option politique, comme il le fut en Allemagne. Il n’hésite d’ailleurs pas à comparer Kangura à Main Kampf. Au début des années 90, et plus encore en 1994, HABYARIMANA, qui rentre de Dar Es Salam pour ratifier enfin les accords d’Arusha, sera devenu un obstacle au génocide : il faudra l’assassiner. Impossible dans ces conditions de parler du génocide comme d’une colère populaire spontanée.
Sur questions de madame la présidente, le témoin parle des différentes radios du Rwanda en 1994 : Radio Rwanda, RTLM pour les extrémistes et Radio Muhabura, la radio du FPR dont l’audience est restreinte. Pendant le génocide, contrairement à ce que prétendent les accusés, l’administration a continué à fonctionner. Les faux témoins ? Ils sont plutôt du côté de la défense, comme au TPIR : « La peur n’est pas dans le camp qu’on vous a dit. »
Sur questions de maître PARUELLE, le témoin confirme que le Burundi et le Rwanda ne présentent pas d’enjeu stratégique. Son article « Rwanda : La France au chevet d’un fascisme africain » n’aura que peu d’échos. D’ailleurs, ce procès est boudé par les journalistes : il y a un besoin d’amnésie après le génocide. Ce qui laisse libre cours à la propagande négationniste, en particulier avec la thèse du double génocide. Quant à RTLM, ce fut le haut-parleur du génocide.
Maître LINDON évoque l’accusation en miroir qui, pour le témoin, sort directement des théories de Goebbels. Et de souligner les travaux d’Alison Des FORGES.
Maître GISAGARA questionne le témoin sur les Gacaca [2] qui ont permis de juger plus d’un million de personnes alors qu’en Allemagne seuls 6 500 personnes seulement ont été jugées. Dans ces Gacaca, il y avait autant de témoins à décharge que de témoins à charge. Par contre, pas de témoins d’alibi car tout le monde se connaissait.
Sur questions de monsieur l’avocat général, le témoin revient sur l’option politique qu’aura été le génocide. Est abordé aussi le rôle de BAGOSORA, à l’origine d’un putsch [3] : il fallait se débarrasser du président HABYARIMANA. « Je rentre au Rwanda pour préparer l’apocalypse ! » déclarera l’ancien chef d’État-Major de l’armée. L’attentat sera l’étincelle qui mettra le feu aux poudres. De préciser que sous les deux premières républiques, à l’école, les jeunes élèves tutsi devaient se manifester alors qu’à la maison on ne leur avait même pas dit qu’ils étaient Tutsi. Quant au rôle de la France dans ce génocide, il est évident : la France savait dès 1990 ce qui se fomentait. De revenir enfin sur la notion de « défense civile ».
Sur questions de maître CHOUAI, le témoin évoque le rôle de la MINUAR : environ 4 000 hommes sous le commandement du général DALLAIRE : l’intervention des forces onusiennes se fait sous le Chapitre 6, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent faire usage de leurs armes que si elles sont attaquées. À aucun moment elles ne seront autorisées à passer sous Chapitre 7. (NDR. Le témoin a omis de préciser que cette force internationale sera drastiquement réduite dès le début du génocide. Le message pouvait être clair pour les tueurs.)
Le témoin est interrogé ensuite sur ce qu’il pense de GUICHAOUA. Pour lui, l’expert du TPIR a dû être « victime d’un stress post-traumatique » : vu ses fonctions au Rwanda, il n’a pas vu arriver le génocide. « Pour lui, le génocide commence quand il monte dans son avion ! » Il a toutefois permis d’évacuer, avec d’autres qui le revendiquent, l’évacuation de la première ministre Agathe UWILINGIYIMANA. Les ouvrages de GUICHAOUA font-ils autorités ? Le témoin pense que non. REYNTJENS, LUGAN, STRISEK ? Pas davantage. Jean-Pierre CHRETIEN, par contre, est un bon expert. Et l’avocat de revenir sur le cas BAGOSORA et la notion d’entente à commettre le génocide pour laquelle il n’a pas été condamné. Monsieur DUPAQUIER souligne alors « l’incurie du TPIR », « la stupidité de certains enquêteurs » : Carla del Ponte limogera 9 procureurs adjoints à sa prise de fonction ! Maître CHOUAI fera alors remarquer que BAGOSORA [3] et GUICHAOUA sont d’accord pour fixer le début du génocide au 12 avril, date de la fuite du gouvernement intérimaire pour Gitarama ! Mais le témoin de rajouter que l’incurie dont il parle se trouvait aussi du côté de l’accusation : voir l’acquittement incompréhensible de Protais ZIGIRANYIRAZO, alias monsieur Z, frère d’Agathe HABYARIMANA [4].
Les questions de l’avocat de NGENZI se termineront par la situation politique au Rwanda concernant la liberté de la presse. Le témoin de préciser que s’il y a un régime autoritaire au Rwanda, « c’est qu’on n’avait pas le choix. » Bad News [5] ? Le témoin connaît mais en conteste les propos.
Reste maître BOURGEOT, l’avocate de BARAHIRA. Elle commence par contester le titre d’expert que se donnerait le témoin. Elle demande ensuite s’il est un proche d’Alain GAUTHIER ! « Je ne me suis pas mis d’accord avec lui, mais c’est un ami, même s’il y a longtemps qu’on ne s’est vus ». Inutile d’aller plus loin, même si l’avocate permet au témoin de redire que Bad News est « une authentique ineptie. »
Madame la présidente reprend la main pour parler du fameux Jean-Pierre, cet Interahamwe [6] qui avait alerté le général DALLAIRE sur la présence d’une cache d’armes. Il s’agit effectivement de Jean-Pierre TURATSINZE, un chef Interahamwe.
Audition de Gilbert BITTI, juriste en droit pénal international.
Le témoin travaille à la CPI depuis 15 ans et donne des précisons sur l’historique de cette institution. La CPI n’intervient que si les instances nationales ne se saisissent pas d’une affaire. D’évoquer ensuite la notion de compétence universelle. Selon lui, le TPIR aurait traité environ 60 dossiers de génocidaires. (NDR. En réalité : le TPIR a inculpé 93 personnes. 5 affaires ont été renvoyées devant des juridictions nationales dont deux en France, MUNYESHYAKA et BUCYIBARUTA, 14 personnes ont été acquittées, 2 actes d’accusation retirés.)
Le témoin revient sur la définition du génocide, selon la Convention de 1948, et selon la définition française qui y a ajouté l’existence d’un plan concerté, le génocide s’inscrivant dans une responsabilité collective. Le plan concerté dans le droit français suppose une attaque contre une population civile conformément à la politique d’un État ou d’une organisation. Ce programme peut se retrouver dans des écrits, mais dans les pays où priment les témoignages, on en déduit l’existence d’un programme dans la répétition d’actes dur le terrain. Ce qui est le cas pour le Rwanda.
On peut utiliser les discours d’hommes politiques pour définir un « plan concerté ». A la CPI, on s’en sert, précise le témoin, dans une affaire concernant les Philippines. Au Rwanda aussi. (NDR. Ce sera le cas dans l’affaire Léon MUGESERA, extradé du Canada vers le Rwanda pour le discours qu’il a prononcé à Kabaya en 1992).
Avec l’affaire KAREMERA au TPIR, en juin 2006, le génocide n’est plus à prouver : il s’agit du constat judiciaire de faits connus.
Maître LINDON revient sur la notion de plan concerté dans l’arrêt BAGOSORA, condamné pour génocide mais pas pour entente en vue de commettre le génocide. Monsieur BITTI précise que dans une affaire on évalue toujours les preuves dans leur ensemble. Certaines parties d’un témoignage peuvent être incohérentes, sans pour autant que tout le témoignage soit déprécié.
L’avocat général précise qu’au TPIR on fait appel à la notion de « au-delà de tout doute raisonnable » qui équivaudrait à « l’intime conviction » des jurés dans un procès d’assises en France. Le témoin confirme qu’il n’existe pas une grande différence, effectivement, mais la première expression est une notion de droit anglo-saxon et non de droit romain germanique.
Maître BOURGEOT rebondit sur cette dernière remarque et demande si l’expression de droit anglo-saxonne ne serait pas plus laxiste ! Monsieur BITTI de répondre : « La certitude absolue n’existe pas. Les deux notions ne sont pas fondamentalement différentes. Ceci dit, éliminer un certain nombre de preuves n’avantage pas forcément la défense. »
L’avocate demande au témoin si, en plus de deux mois de Cour d’assises, on a examiné les preuves avec assez de soins. Monsieur BITTI souligne que la procédure anglo-saxonne est beaucoup plus longue. Il ne confirme pas les propos de l’avocate. Ce sont deux procédés différents.
Maître BOJ évoque les moyens financiers du TPIR, ce qui donne l’occasion au témoin d’expliquer le budget du Tribunal Pénal International. On a dépensé une fortune en frais de traductions et d’interprétation, ainsi que pour la protection des témoins, leur logement, frais d’école pour leurs familles… Pour l’avocat de NGENZI, la Cour d’assises n’a pas assez de moyens pour fonctionner : la défense surtout ne bénéficie pas d’une aide suffisante. Monsieur BITTI que dire que nous ne sommes pas dans le même système : en France, l’enquête est à la charge des juges d’instruction. À l’avocat qui s’étonne que le Rwanda étant une administration paperassière, il est étonnant qu’on n’ait pas plus de documents ! Cela est dû à la destruction de la plupart des documents.
Maître CHOUAI, quant à lui, revient sur le transport sur les lieux. Selon le témoin, la CPI s’est transportée sur les lieux dans deux affaires : une en RDC, l’autre en Ouganda. C’est effectivement utile pour vérifier certains témoignages. (NDR. Les juges d’instruction français, dans l’affaire SIMBIKANGWA, ont pu prononcer des non-lieux partiels en se rendant sur les lieux, à Kesho en particulier. Ce qui n’a pas forcément convaincu les parties civiles.)
La notion de complot ? « C’est un crime en lui-même pour les Anglais, une façon de poursuivre plus de personnes pour les Américains » précise le témoin. Et d’ajouter qu’à la CPI aucun dossier ne concerne le Rwanda dans la mesure où ce pays n’a pas ratifié les statuts de la CPI.
Le témoin, interrogé sur l’acquisition de la nationalité rwandaise, refusera de répondre.
Audition de Bertrand PHESANS, expert psychologue.
Le témoin a procédé à l’expertise psychologique de Tito BARAHIRA. Il n’a constaté aucune affection mentale particulière, aucune névrose constituée. Son discours est marqué par une attitude défensive, évasive. L’accusé ne se pose aucune question sur ce qui lui arrive : études, ascension sociale, nomination comme bourgmestre. Il était satisfait de travailler pour son pays. Il ne développe aucune pensée personnelle : il a travaillé pour le bien général.
Tito BARAHIRA ne parle pas de Hutu et de Tutsi, mais de « Rwandais de l’intérieur et de Rwandais de l’extérieur, les rebelles. » L’expert d’ajouter : « Il était loin du pouvoir, il ne pensait pas ! »
Sa démission en 1986 ? Il voulait se reposer dans une période où on critique le système HABYARIMANA. Le fait qu’il soit bien payé dans sa fonction de releveur de compteur à Electrogaz lui suffisait.
Quant au génocide, il ne reconnaît rien. Pour lui, ce n’est pas un génocide organisé ! Il a été accablé par la disparition d’HABYARIMANA et il n’a fait qu’attendre les consignes. Puis il a fui. Il n’a aucun traumatisme lié au génocide. Il ne donne aucune explication sur sa démission en 1986, pas plus que pour son élection comme président du MRND local en 1994. Un génocide ? Il ne reconnaît pas le terme : « Pour moi, je vois un massacre » dira-t-il. Il ne parle jamais des victimes. Ce qui l’accable, c’est la mort du père de la nation, le président HABYARIMANA. BARAHIRA a subi toute sa vie. Il ne savait même pas pourquoi il avait été nommé bourgmestre. Il était séduit par l’idéal de la deuxième république. Il conteste avoir vu quoi que ce soit à l’église. Il n’a pas participé : on est venu le chercher, il n’a rien vu !
Maître GISAGARA demande à l’expert si ce profil psychologique est répandu. « C’est sa personnalité, répond le témoin. Du déni ? pas vraiment. Il ne veut rien savoir. C’est plus une forme de fatalisme : il a accepté sa vie comme elle venait. Il était convaincu qu’il serait libéré après son procès.
Audition d’Adeline KAYISENGERWA, partie civile.
Le témoin explique pourquoi est s’est constituée partie civile : plusieurs personnes de sa famille sont décédées, soit à leur domicile, soit à l’église. Elle s’est réfugiée à l’église le 12 avril au soir avec sa mère et sa sœur. Le lendemain, elle a vu NGENZI vers 7/8 heures : il est arrivé avec des Interahamwe, a fait un tour et est reparti. Le témoin parle de la bagarre qui a suivi, les réfugiés lançant des pierres sur les assaillants. NGENZI est revenu avec des militaires : les gens ont cherché à entrer dans l’église. A 16 heures, les tirs ayant cessé, on les a fait sortir dans la cour. Certains rescapés ont donné de l’argent aux Interahamwe afin qu’ils aient pitié. BARAHIRA était présent et aurait rudoyé une vieille femme. Sa grande sœur avait été blessée au ventre par balle. Elle a pu quitter les lieux et a retrouvé le cadavre dénudé de la vieille femme, ainsi que celui de sa sœur.
Ce génocide a eu de graves conséquences pour sa vie personnelle : elle n’a pas pu poursuivre ses études, ses enfants lui demandent toujours où sont les autres membres de la famille.
Sur questions de la présidente, le témoin évalue le nombre des Interahamwe à 200, armés de machettes, de lances et de petites houes. Elle précise qu’elle a vu NGENZI deux fois, sans arme. Elle ne l’a plus revu après l’arrivée des militaires. BARAHIRA, elle ne l’a vu que le soir, vers 16/17 heures. Elle avait précisé qu’elle était bien la fille de Constance MUKABAZAYIRE et la nièce de François tué en présence de BARAHIRA. Elle n’a jamais participé aux Gacaca et ne sait pas si quelqu’un a été condamné pour ce meurtre.
Sur questions de maître GISAGARA, le témoin précise qu’elle ne connaissait pas NGENZI mais que c’est sa mère qui lui a dit que c’était lui. INCIMATATA n’a pas vu NGENZI ce jour-là ? « Tout le monde ne voit pas les mêmes choses. Certains réfugiés se trouvaient sur la cour, d’autres dans l’église : ils ne peuvent pas avoir vu la même chose. Elle reconnaît qu’elle est allée une fois aux Gacaca mais qu’elle n’a pas supporté : « C’était très difficile pour moi de voir qu’il ne me restait plus que ma mère. Ça me rappelait trop ce que j’avais vu. » Aujourd’hui, elle se sent capable de parler de cette période. Après lui avoir fait raconter la mort de sa grande sœur, l’avocat lui demande si elle a un message pour les accusés. « Ce qu’ils ont fait a eu des conséquences pour moi. Ce qui fait mal aux victimes, c’est qu’ils ne reconnaissent pas leurs actes. S’ils avouaient, cela pourrait alléger nos cœurs. »
Maître BOURGEOT semble lui reprocher de donner les mêmes informations que sa mère : elle aurait bien assimilé cette histoire ! Le témoin ne confirme pas les suppositions de l’avocate.
Avant d’entendre le nouveau témoin, madame la présidente prononce un « passer outre » pour le témoin Jean Bosco NGENDAHIMANA.
Audition de Géraldine NYINAWUMUNTU, partie civile.
Le témoin énumère les victimes de sa famille, tuées ailleurs qu’à l’église. Après les massacres de l’église, elle signale que tous se sont dispersés à partir de 17 heures, quand les tirs ont cessé. Les tueries continuaient toutefois à l’aide de gourdins. Certains sont allés au Centre de Santé, d’autres chez Médiatrice UMUTESI. Sa mère adoptive, Dative, était au bureau communal avec deux enfants. Elle- même est allée au Centre de Santé car sa sœur était blessée.
Le témoin raconte son séjour au Centre de Santé, l’attaque par les gens de Rubira amenés par NGENZI. Ce dernier aurait demandé de trouver d’abord l’infirmière Goretti avant de tuer quiconque. On les a fait sortir du Centre et elle doit la vie à un Interahamwe qui a demandé d’épargner les enfants de KAJANAGE. C’est NGENZI qui donnait des ordres. Les victimes ont été enterrées dans une fosse derrière le Centre de Santé. Le témoin rapporte alors que NGENZI serait venu à l’église vers le 10 et qu’il aurait demandé à quelqu’un de Rubira ce qu’il avait fui.
Maître ARZALIER demande au témoin de redire les conditions de sa survie. L’Interahamwe qui l’a sauvée l’a conduite ne Tanzanie. Elle serait partie avec un petit frère de NGENZI, MUSONI, qui aurait révélé sa présence à son frère. Elle sera ensuite conduite au camp de Kayonza.
Maître CHOUAI souhaite connaître le nom de sa mère biologique. Elle s’appelait Immaculée NDAMURANGE. Selon l’avocat, le frère de NGENZI n’a jamais rejoint la Tanzanie. Il serait mort tué par le FPR. On n’en saura pas davantage.
Audition de Daniel ZAGURY, psychiatre.
L’expert a rencontré l’accusé BARAHIRA le 15 juin 2013 à Fresnes. Il s’est présenté comme un homme abattu, usé, las, malade. Interrogé sur les faits, l’accusé déclare que les vainqueurs du conflit armé voulaient lui nuire. Pour lui, pas de génocide, mais guerre, massacres. Pour lui, les accusations sont fabriquées. Après un périple en Tanzanie et au Kenya, où il rencontre un bienfaiteur américain, il arrive en France en 2004, à Toulouse où sa femme est déjà installée.
Il n’a aucun antécédent judiciaire ni psychiatrique. Il se définit comme un être ordinaire qui n’a jamais été mêlé aux massacres. Il y a chez l’accusé une forme de fatalisme, il se présente comme une victime de la guerre, victime d’un véritable acharnement. Il ne présente aucune altération du discernement.
Sur questions de madame la présidente, BARAHIRA ne parle pas de génocide, mais de massacres. Aucun mot pour les victimes ! Monsieur ZAGURY a procédé à l’expertise d’autres Rwandais. Chez l’accusé, il n’a noté aucun signe de dépression. Il a trouvé un homme écrasé par le destin qui ne s’est pas plaint de sa détention.
Maître BOURGEOT fait remarquer à l’expert qu’on ne parle pas de « présumé génocidaire » mais de « présumé innocent » ! Elle s’étonne qu’en 2014, le Monde publie un de ses articles « Les génocidaires, des hommes ordinaires » illustré par une photo de SIMBIKANGWA (NDR. C’est elle-même qui assurait la défense du condamné. Condamnation définitive depuis le rejet du pourvoi en cassation). Le témoin répond que ce n’est pas lui qui a choisi la photo. Il se doit de préciser aussi qu’à aucun moment, dans son rapport, il ne dit si la personne est coupable ou non.
Audition de Gérard LOPEZ, a procédé à l’expertise psychologique de NGENZI.
Le témoin commence par dire que l’accusé prétendait avoir fait tout son possible pour éviter ce qui s’est passé. Il se dit « victime d’un complot ». Il ne présente toutefois pas de trouble psychologique. Il dit avoir sauvé des Tutsi massacrés par les militaires. La plainte déposée contre lui ne visait qu’à le disqualifier. Pour lui, c’est un règlement de compte politique basé sur de faux témoignages. La théorie du complot est fréquente quand on veut se disculper. C’est sa ligne de défense : il a des remords mais pas des regrets. En détention, il s’inquiétait pour sa famille.
L’expert s’est intéressé à la biographie de l’accusé : il n’a été ni maltraité ni frappé physiquement. Et monsieur LOPEZ de mentionner l’ouvrage de Pierre LASSUS, La violence en héritage, qui développe l’idée que tous les grands criminels ont été maltraités dans leur enfance. Par contre, l’accusé n’a jamais fait allusion à l’attaque dont il aurait été victimes lors de sa fuite en Tanzanie.
A maître GISAGARA qui fait remarquer au témoin que NGENZI s’était inventé une identité pour demander l’asile, l’expert précise qu’il s’agit d’une stratégie pour obtenir des papiers. C’était pour lui une façon d’échapper à son passé. Et de faire un parallèle avec les nazis qui se sont réfugiés en Amérique latine.
Maître CHOUAI veut savoir combien de temps il a passé avec NGENZI. « Le temps qu’il faut pour se faire une idée. J’essaie de détecter un trouble psychologique qui pose la question de la responsabilité. L’entretien s’est déroulé dans le parloir de la prison, dans de bonnes conditions, en toute confidentialité. L’avocat s’étonne que son rapport ne fasse que 4 pages alors que celui de monsieur ZAGURY en fait 11 ! Avant de rencontrer l’accusé, il n’a rien lu si ce n’est la plainte qui le visait.
Maître CHOUAI s’étonne aussi que l’expert ait parle du rapport de MILGRAM qui n’a pas de rapport avec notre affaire. Monsieur LOPEZ signale simplement qu’il veut montrer qu’une personne ordinaire peut se soumettre à l’autorité.
Et l’avocat de déclarer : « Dans votre travail, il n’y a rien d’objectif ! »
Audition de Jeanne MUREKATETE, ex épouse de BARAHIRA.
Le témoin commence par parler de sa décision de divorcer de son mari quand ce dernier l’a rejointe à Toulouse. Ils avaient vécu séparés depuis longtemps. C’était pourtant un homme exemplaire, un bon père. Ce n’est que lors de son audition avec les gendarmes français qu’elle a appris les accusations contre son mari. Elle rappelle les conditions de leur fuite en avril 1994. Séparée de son mari, elle se retrouvera dans un camp de Kibungo. Et de refaire l’éloge de son mari. Elle arrive en France le 27 juillet 1997 : une de ses sœurs était déjà là.
Sur questions de madame la présidente, elle reconnaît que son mari a mal accepté sa décision de divorcer. Ce sera pourtant effectif en juin 2006. Le témoin va toutefois surprendre la présidente : madame MUREKATETE ne sait absolument rien de son mari, de ses engagements politiques, de son emploi du temps le 13 avril ! Ce qu’elle sait, c’est que ce jour-là il est resté à la maison : il ne s’est absenté que pour aller chercher de quoi manger. Employée du Centre de Santé, elle n’est plus retournée travailler à partir du 7 avril. Elle n’a entendu aucun bruit de tirs le jour de l’attaque de l’église. Il a bien fait un petit déplacement à Kabarondo le soir du 13 mais à son retour, il n’a rien dit. Elle n’avait pas le temps de parler avec son mari ! Ils n’ont même pas parlé de l’attentat !
Elle reconnaît qu’elle est Hutu : père Hutu et mère Tutsi. Son mari le savait-il ? « Il connaissait mes parents. Il savait ce que j’étais. » Lors de leur fuite, elle n’a vu aucune barrière sur la route.
Depuis 1994, le témoin se rend de temps en temps au Rwanda, à Kabarondo : aucun problème. Ils possèdent encore quelques propriétés. Les Interahamwe ? C’était des jeunes du MRND mais elle ne sait pas s’il y en avait à Kabarondo. Elle a perdu plusieurs personnes de sa famille. Les informations les concernant, elle les a glanées au camp de Kibungo. Le frère de son mari, veilleur au Centre de Santé aurait été tué mais elle ne sait pas dans quelles conditions.
Madame la présidente lui demande si elle désire s’adresser à son ex-mari. « Qu’il garde courage ! » se contente-t-elle de conclure.
Maître GISAGARA lui demande pourquoi elle ne s’est pas exprimée en Français. « Dans la salle il y a beaucoup de Rwandais » ose-t-elle dire. (NDR. En fait, à l’heure où elle témoigne, il n’y a presque plus personne dans la salle, ni Rwandais, ni personne d’autre.) Elle a pourtant la nationalité française et donc elle parle français.
Sur question de l’avocate générale, le témoin revient sur les étapes de sa fuite. De son mari, elle ne dira rien de plus
Maître BOURGEOT fait remarquer au témoin que son ex-mari avait fait libérer le comptable de la commune en 1990. Madame MUREKATETE confirme les liens amicaux qui existaient entre leur famille et Médiatrice UMUTESI. Les accusations contre son mari ? Elle se dit très étonnée. Il ne pouvait pas faire de telles choses.
Audition d’Augustin NTARINDWA, partie civile.
Le témoin commence par décrire l’ambiance qui régnait en famille peu après l’attentat. Ses parents étaient angoissés, lui-même avait peur. Après avoir passé une première nuit dans les bananeraies, ils ont fini par se réfugier à l’église.
Le 13 avril, le témoin jouait dans la cour de l’église avec d’autres enfants. Les Interahamwe sont alors arrivés en chantant. Alors que les femmes et les enfants s’étaient réfugiés dans l’église, son père et les autres hommes et jeunes gens se sont défendus en lançant des pierres sur les assaillants. Les militaires sont alors arrivés en compagnie du bourgmestre. Le père d’Augustin sera tué dans les premiers. L’enfant s’est alors réfugié dans l’église : sa mère l’a caché près de l’autel. Le sang ruisselait partout, la fumée remplissait l’église dont le toit était endommagé. Ses sœurs s’étaient réfugiées dans la sacristie : une d’elle était morte, l’autre avait eu les jambes coupées. C’est alors qu’on a fait sortir les survivants de l’église. Augustin voit sa mère qui ne bougeait plus. Ils se sont rassemblés dans la cour et les tueurs ont commencé à achever les survivants.
Le témoin a couru se cacher derrière l’église sur le chemin qui mène à sa maison. Il dormira ce soir-là chez un voisin. Après quelques jours, il est parti avec sa sœur en direction d’une église protestante en construction, à Shyanda. Ils sont restés là jusqu’à l’arrivée du FPR. Les enfants seront confiés à une femme venue d’Ouganda, puis à une de leur tante.
Sur questions de madame la présidente, le témoin dit bien n’avoir pas vu NGENZI et BARAHIRA, mais il était jeune et ne les connaissait pas. On lui a simplement dit que le bourgmestre était là avec les militaires. Il y a bien eu un tri sur la cour de l’église mais n’a pas vu l’abbé INCIMATATA le 13. Quant au nombre des Interahamwe, il lui est difficile de les évaluer.
Maître CHARRIER lui demande si des gens armés se trouvaient dans l’église. Augustin répond par la négative. Les réfugiés avaient seulement des cailloux. Il n’y avait pas de rebelles du FPR à l’intérieur. Les réfugiés ne pouvaient pas résister. Il n’a pas vu non plus d’officiel de la commune apporter du secours. Il était impossible d’ignorer ce qui se passait à l’église. Ce qui a choqué le plus le témoin, c’est de voir des cadavres dénudés.
En l’accueillant, les Hutu se sont mis en danger mais ils ne pouvaient pas les garder plus longtemps. Augustin en profite pour les remercier.
Comment on se reconstruit après un génocide ? « On ne se reconstruit pas. Plus le temps passe, plus tu te poses des questions sans réponse. »
Monsieur l’avocat général demande au témoin si les enfants réalisaient ce qui allait arriver alors qu’ils jouaient sur la cour ! « On savait qu’on était réfugiés. Nos parents nous avaient expliqué. »
Maître CHOUAI fait dire au témoin qu’il est le frère de Francine UWERA qui a témoigné en visioconférence. Il s’étonne que sa sœur n’ait pas vu les mêmes choses que lui. Elle ne parle ni de NGENZI, ni des véhicules ! Augustin réplique que ses sœurs se trouvaient dans la sacristie. A l’avocat qui s’étonne aussi qu’il ait pu reconnaître les véhicules, le témoin rétorque qu’au Rwanda, 90% des voitures étaient des Toyota. Même un enfant pouvait les reconnaître.
Audition d’Alexandra STRANO.
Avec beaucoup d’émotion, le témoin commence par dire que 1994 a été pour elle un tournant. Beaucoup de gens de sa famille sont morts dans le génocide : sa grand-mère, sa ante Marie, sa cousine Yvonne, son cousin Ignace, son oncle Bernard. Elle-même vivait à Kigali.
En 1991, elle se souvient que, voisins de BAGARAGAZA, elle avait perçu des tensions. Sa maman était nerveuse, elle sentait des présences dans la nuit. Une femme, un soir, s’était présentée chez elle, la gorge tailladée. IL y avait eu des tueries chez leur voisin. Sa mère avait eu beau appeler la police : en vain. Elle reconnaît qu’elle doit la vie à son passeport italien.
Vingt-quatre ans après, elle dit être toujours à la recherche de la vérité. Elle a été choquée d’entendre la famille NGENZI regretter l’absence du père qu’elle ne voit que quelques minutes au parloir : « Nous tous aimerions avoir une minute au parloir ! »
Ce qu’elle attend de ce procès ? « Une vérité. J’ai pu apprendre quelques éléments. Cela m’aide à recoller certains morceaux. C’est important que le coupable soit nommé. »
Il est 21h20. L’audience est suspendue.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
- “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
[Retour au texte] - Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
[Retour au texte] - Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.
[Retour au texte] - Frère d’Agathe KANZIGA, également appelé « Monsieur Z », Protais ZIGIRANYIRAZO est considéré comme le véritable patron du réseau Zéro. Désigné comme membre de l’Akazu, il aurait également été en charge de recruter des Interahamwe. En 1992, lors des massacres du Bugeresa, il est désigné par l’ambassadeur SWINNEN comme le dirigeant de l’état-major secret chargé d’exterminer tous les Tutsi. Condamné initialement à 20 ans de prison par le TPIR, la cour d’appel l’a libéré mettant en cause la gestion des preuves de la Chambre de première instance.
Voir aussi : FOCUS – Les réseaux d’influence
[Retour au texte] - Anjan Sundaram, Bad news, Paris, Marchialy, 2018 (Traduit de l’anglais (Inde) par Charles Bonnot).
[Retour au texte] - Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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