Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Lundi 4 juin 2018. J18

Madame la présidente fait part de la décision de la Cour : elle rejette la demande de la défense d’un transport sur les lieux.

Interrogatoire de Tito BARAHIRA.

On pourrait très bien résumer cette audience à un seul mot : COMPLOT.

Monsieur BARAHIRA est tout d’abord interrogé sur le meurtre qui aurait justifié sa démission de son poste de bourgmestre en 1986. Il évoque le cas d’un militaire renvoyé de l’armée et qui aurait commis des actes de banditisme. Cette personne aurait été arrêtée, serait tombée malade et serait décédée à l’hôpital. Mais le témoin parle d’une affaire qu’il aurait trouvée à son arrivée comme bourgmestre. Madame la présidente a beau lui redire qu’on parle d’un meurtre qui aurait eu lieu vers 1986, peu avant sa démission, BARAHIRA n’en démord pas. Pour lui, les témoins sont « manipulés ».

Sa démission en 1986 relève d’un choix personnel. Il a renoncé à ses fonctions « pour convenance personnelle ». « Je me suis assis chez moi pendant plus d’une année ! » Il a trouvé ensuite du travail à Electrogaz.

« Vous avez gardé une certaine autorité ? » demande la présidente. Pas du tout. Il est redevenu simple citoyen. Et s’il a pu garder quelques contacts avec le préfet, il n’y avait rien d’officiel. Quant à son successeur, Octavien NGENZI, il ne l’a jamais sollicité. Il n’a gardé aucune fonction officielle.

Le Club de Kibungo [1] ? Il en a simplement entendu parler.

Les Interahamwe [2] ? « Je n’ai pas connu. Il n’y en avait pas. J’en ai entendu parler sous le multipartisme, mais il n’y avait pas d’Interahamwe à Kabarondo. »

Les Simba Bataliani [3] ? Il en a aussi entendu parler. « C’était plutôt les combattants du FPR ! »

RWAGAFILITA [4], Il l’a connu en 1972 quand il était commandant de la place du Camp de Kibungo lors d’épreuves sportives. Il le verra ensuite chez ses parents. Lorsque ce dernier est devenu ministre, il lui a demandé de l’aider à trouver une école qui puisse lui permettre d’accéder à l’Université. Comme bourgmestre, il l’a rencontré, mais pas régulièrement. Il venait parfois avec un ministre ou un ambassadeur, mais pas à la commune. Il l’a aidé pour la construction du Centre de Santé et l’a même introduit auprès de l’ambassadeur de France au Rwanda qui lui a accordé une aide financière.

Il connaît Adrien MUVUNYI mais il ne l’a jamais rencontré chez RWAGAFILITA.

Et Ananie SIMUGANWA (qu’on retrouve dans une procédure belge) ? Il aurait participé à la création du Rassemblement Hutu auquel auraient participé BARAHIRA et NGENZI sous la responsabilité de l’homme fort de Kibungo. « C’est faux » se contente de dire l’accusé.

Après 1986, BARAHIRA vivait du produit de ses champs. Son épouse travaillait aussi. S’il s’est porté candidat à la Présidence du MRND local en janvier 1994, c’est parce qu’on le lui avait demandé. Par contre, il ne sait pas très bien par qui ni comment il a été élu. Il a battu les quatre autres candidats, sans faire campagne. Il devait prendre son poste en mai 1994, succédant à KARASIRA.

C’est par la radio qu’il va apprendre l’attentat contre le président HABYARIMANA. Comme le demandait le communiqué officiel signé de BAGOSORA, ministre de la Défense, il est resté chez lui après être allé avertir ses ouvriers de rentrer chez eux. Lecture faite de ce communiqué [5] par madame la présidente.

La mort de François NTIRASHUWAMABOKO, qu’il apprend par son voisin SEHENE, le choque : c’est Augustin KAYIBUMBA qui lui apprendra les circonstances de ce meurtre. Tout comme le choquera  la mort de la premier ministre Agathe UWINGILIYIMANA ou encore celle des 10 Casques Bleus belges : « C’était effrayant » se contente-t-il de dire.

Personne ne va le consulter pour savoir ce qu’il conviendrait de faire. Il ne sera même pas informé des premiers massacres à Bisenga, Rubira et Rundu. Entre le 7 et le 12, il s’occupe de sa ferme et de sa maison : il ira faire des courses à Kabarondo le 9.

Du 9 au 12, il va tailler sa haie de cyprès, travail qu’il terminera le 13 avant d’aller chercher du foin pour ses vaches. Sur la route, il rencontre des « fuyards » originaires de Byumba qui lui signalent une épaisse fumée dans le lointain.

Ne lui parlez pas de la réunion du terrain de foot de Cyinzovu. Non seulement il n’y a pas participé, mais elle n’a même pas existé. Tous les témoins qui sont venus en parler sont des « menteurs », c’est un « complot » qu’on a monté contre lui. Madame la présidente évoquera  les nombreux témoins qui sont venus en parler [6] : COMPLOT. Il dément aussi les propos qu’on lui prête concernant les femmes tutsi marées à des Hutu. Il les désapprouve même.

« Je déclare devant la Cour que depuis que j’ai quitté l’administration je n’ai jamais organisé de réunions sur Kabarondo. Ceux qui m’accusent l’ont fait pour obtenir des réductions de peine dans les Gacaca [7]. Ce sont des gens manipulés par les autorités en place et corrompus qui ont accusé des innocents comme moi ! »

S’il a fui, c’est à cause de la guerre entre le FPR et l’armée rwandaise.

Madame la présidente d’évoquer ensuite les conditions dans lesquelles il a été arrêté à Toulouse. N’ayant pas répondu aux sommations des policiers qui venaient l’arrêter, ces derniers ont défoncé la porte de son appartement dans lequel il s’était barricadé. « On vous a retrouvé sous votre lit ! » souligne madame la présidente. BARAHIRA conteste cette version des faits.

Plusieurs avocats des parties civiles vont l’interroger à leur tour concernant son élection comme président du MRND, l’existence ou non d’Interahamwe à Kabarondo, l’autorité qu’il aurait gardée après sa démission, le rôle des bourgmestres à Benako : rien ne pouvait se faire sans leur accord. En tout cas c’est à eux que les ONG confieront des responsabilités. Et de redire que la réunion au terrain de foot n’a pas eu lieu. On lui fait remarquer qu’il aurait pu se rendre chez son ami François quand il a appris sa mort (NDR. C’est une mort que plusieurs témoins lui attribuent !), qu’il a changé de versions quant à l’existence même du terrain, que se disant « modéré », il a choisi le MRND pour en devenir président, un parti qui ne comptait pas parmi les plus modérés.

Maître CHARRIER s’étonne qu’en tant que président élu du MRND il ne se préoccupe pas de ce qui se passe à Kabarondo, même s’il n’a pas encore pris ses fonctions ! « On était en deuil et je suis resté chez moi ! » se contente-t-il de dire. Preuve qu’il n’y a pas eu de réunion sur le terrain de foot, c’est que les gens de Rugazi devaient passer devant chez lui pour s’y rendre : il n’a vu personne.

Monsieur l’avocat général reviendra en quelques questions sur les « comploteurs ». On parle de la réunion à Rugazi II et à Cyinzovu on aurait peur d’en parler ? Et de dire que les témoins dont parle l’avocat général ou bien il ne les connaît pas, ou bien ce sont des menteurs.

« Tous des menteurs ! C’est un complot monté contre BARAHIRA ! » On pourrait résumer ainsi l’interrogatoire de l’accusé.

PS. La défense n’a pas eu le temps d’interroger à son tour son client, l’interrogatoire reprendra mardi matin. Nous en transcrivons la synthèse ci-dessous pour garder l’unité du témoignage.

Interrogatoire de Tito BARAHIRA (suite et fin).

Information donnée par madame la présidente. Il est décidé de passer outre à l’audition de maître Éric GILLET.

La défense pose enfin des questions à Tito BARAHIRA en la personne de maître BOURGEOT. Elle revient sur les rumeurs qui font état du meurtre que l’accusé aurait commis et qui aurait été à l’origine de sa « démission ». Ce n’est qu’en première instance qu’il a eu connaissance de ces faits, dans la bouche de Véronique MUKAKIBOGO. D’autres témoins auraient alors repris l’accusation. Tout  cela n’est que mensonge.

La liste des génocidaires publiée par la Parquet, qui « fluctue d’année en année », serait à la base des mensonges proférés dans les Gacaca [7]. L’accusé parle à nouveau de « complot » : « Je dis la vérité, c’est ce qui compte ! Ce sont des accusations arbitraires, mais le génocide a eu lieu. » BARAHIRA de dire ensuite que le MRND n’était pas un parti ségrégationniste.

Pour en revenir au « terrain de foot de Cyinzovu », il était à environ trois kilomètres de chez lui et n’était pas vraiment aménagé. Par exemple, il n’y avait pas de but : ce qu’ont contesté certains témoins [8].  D’ailleurs, les réunions ne se tenaient pas là mais à l’école primaire de Kabarondo, chez HABIMANA. Quant au CERAI, il était à environ 1 kilomètre du terrain, ce qui contredit les approximations de l’avocate.

Enfin des témoins qui disent la vérité : ceux qui disent que BARAHIRA n’était pas à l’endroit où a été tué François NTIRUSHWAMABOKO. L’accusé considère le compte-rendu de Méthode RUBAGUMYA comme un faux et déclare n’avoir jamais eu connaissance du fait que les Tutsi étaient exclus des postes importants. « Les Tutsi exclus des écoles ? J’en doute. » Il évoque toutefois un ex-employé d’Electrogaz, Jérôme, dont le père, Tutsi Mugogwe aurait été tué parce que Tutsi. (NDR. Les Bagogwe étaient des éleveurs tutsi du Nord qui avaient été victimes de massacres en 1991, sorte de galop d’essai du génocide.) L’accusé déclare être intervenu en faveur de Augustin RUHIGIRO, arrêté lors de l’attaque du FPR en octobre 1990. L’accusé aurait supplié le Procureur de le libérer.

Lors de l’audition de François HABIMANA, en visioconférence, on a senti ce témoin très réticent pour répondre aux questions qui semblaient le gêner, et pressé d’en finir. Serait-ce par peur, son fils ayant aidé BARAHIRA à transporter ses effets personnels jusqu’à BENAKO ?

Quant à Marie MUKAMUNANA qui l’aurait vu jeter des corps dans la fosse, c’est faux. Ce jour-là, il n’a fait que passer à l’église. Et d’ajouter : « J’ai eu très peur ! » (NDR. On ne saura pas de quoi !)

TOTO et BIENFAITEUR ? « Leur maman est ma cousine. J’ai eu BIENFAITEUR comme agent de recensement de la commune. Je l’ai écarté pour avoir détourné des fonds. TOTO avait été gendarme et il s’est mal comporté. Je l’ai chassé. »

« Votre femme était Tutsi ? » demande l’avocate. « Dans notre région, on n’en parlait plus. Le MRND était au service de tous. Les Tutsi de Kabarondo n’avaient pas de problème. Elle avait un père Hutu et une mère Tutsi ».

Enfin, s’il est resté chez lui les premiers jours qui ont suivi l’attentat, c’est parce qu’un communiqué l’avait demandé. On devait rester chez soi pour le deuil mais on se déplaçait chez nos voisins. « Je n’ai pas su ce qui se passait à Kabarondo, j’étais fatigué ». Le 11, il avait accueilli sa belle-mère qui était malade. Il y avait beaucoup de « fuyards » sur la route.

C’est ainsi que se termine l’interrogatoire de BARAHIRA sur la période du 7 au 12 avril.

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

 

  1. Club de Kibungo : au départ un groupe d’entrepreneurs qui avait vocation à dynamiser le commerce, il aurait peu à peu dérivé vers des motivations ethnistes « pro-Hutu de l’Est ».
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  2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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  3. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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  4. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
    Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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  5. Communiqué officiel annonçant la mort du Président HABYARIMANA diffusé sur Radio Rwanda dans la nuit du 6 au 7 avril (archivé sur « francegenocidetutsi.org« )
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  6. Voir entre autres l’audition de Silas MUTABARUKA.
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  7. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.
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  8. Réunion du terrain de foot de Cyinzovu : comme d’autres témoins, Silas MUTABARUKA évoque une réunion au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité », c’est-à-dire « tuer les Tutsi », mais l’accusé conteste l’existence de cette réunion ainsi que celle du terrain de foot lui-même.
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