- Audition de Jean Bosco GATERA, beau-frère de BARAHIRA, cité par la défense.
- Audition de Jean-Damascène MATABARO, en visioconférence.
Audition de Jean Bosco GATERA, beau-frère de BARAHIRA, cité par la défense.
Le témoin commence par rendre hommage à « toutes les victimes touchées par la guerre. » Il faut tourner la page, connaître la vérité, rendre la justice pour aller vers le pardon et la réconciliation. « Je fais confiance en la justice française. »
Le témoin est venu dresser un portrait élogieux de son beau-frère. Il le connaît depuis 1977 : encore jeune il venait rendre visite à sa sœur, épouse de l’accusé. En 1986, il part aux études pour ne revenir que six ans et demi plus tard, en février 1992. « Je suis revenu pour tomber dans la guerre qui a fait des victimes des deux côtés » ajoute-t-il.
BARAHIRA, il l’a toujours connu gentil, serviable, sociable. C’est lui qui le conseillait pour trouver du travail. Respectueux de tous, il aimait les gens entre lesquels il ne faisait aucune distinction. Si bien que lorsqu’il a appris son arrestation, il n’a pas compris. Il ne comprend toujours pas comment il aurait pu changer : tout le monde le prenait pour quelqu’un d’exemplaire. Personnellement, il l’a toujours apprécié. Il ne reverra son beau-frère qu’après 2006. De préciser que lui-même n’était pas à Kabarondo pendant « la guerre ». Il a essayé de se renseigner auprès de sa femme et de leurs enfants : BARAHIRA ne s’occupait que de ses biens.
Ce n’est que sur question de madame la présidente que le témoin va commencer à utiliser le terme de « génocide ». Son beau-frère, il l’a vu pour la dernière fois à Kigali, une semaine avant le génocide. Le témoin reconnaît avoir rendu visite à BARAHIRA à Toulouse. Ce dernier viendra le voir à son tour en Belgique à l’occasion de la Confirmation de ses enfants. Par contre, il n’est jamais allé le voir à la maison d’arrêt où il est incarcéré.
Personne ne souhaitant interroger le témoin, c’est l’avocate de BARAHIRA qui va tenter d’obtenir des réponses. En vain, monsieur GATERA ne donnera à aucun moment la version des faits qu’elle attend. A la question de savoir pourquoi il a quitté le Rwanda, le témoin répond qu’il voulait « se reposer », que « c’était (son) choix. » Il envisage même de retourner dans son pays, ne craignant aucun problème de sécurité.
Maître BOURGEOT lit alors une lettre que le témoin a adressée à son beau-frère en 2001. Dans ce courrier, il évoque la situation d’une jeune femme qui a souhaité rentrer au Rwanda où elle avait trouvé un poste au Ministère de l’Éducation. Il aurait tenté de la dissuader, trouvant cette décision prématurée. « Elle le regrettera » confie-t-il à BARAHIRA.
Un second extrait de la lettre évoque des plaintes qui auraient visé le témoin. L’avocate cherche à en savoir plus : « C’est mon problème personnel » déclare GATERA. Manifestement, il ne souhaite pas en dire davantage. Serait-ce parce qu’il a encore sa mère et sa sœur au Rwanda qu’il ne serait pas libre de parler ? C’est apparemment ce que l’avocate aurait voulu entendre, mais le témoin n’en dira pas plus, tout en ajoutant qu’il se sent tout à fait libre de dire ce qu’il veut. Pas plus non plus sur les « fausses accusations » qui seraient monnaie courante au Rwanda depuis le génocide !
Connaîtrait-il un ouvrage sorti récemment, « Bad News » ? Non seulement il ne l’a pas lu mais il n’en a même pas entendu parler. L’avocate tente d’expliquer ce dont il s’agit mais madame la présidente lui fait gentiment remarquer que ce n’est peut-être pas la peine d’en dire plus. (NDR. L’auteur, Anjan SUNDARAM, fait un constat sans appel sur la situation des journalistes indépendants qui serait catastrophique au Rwanda. L’auteur était venu former des journalistes de 2009 à 2016.)
Revenant sur ces fameuses « plaintes » qui l’auraient visé, le témoin finit pas dire que c’est « de la méchanceté infondée liée à la jalousie. Les services chargés de ça ont conclu que je n’avais rien fait ». On se contentera de ces explications.
On peut dire que ce nouveau témoin n’aura pas répondu aux attentes de la défense.
Audition de Jean-Damascène MATABARO, en visioconférence.
Son témoignage concerne les meurtres au Centre de Santé et à l’IGA [1]. NGENZI les a trouvés à Rubira, à Cyaburindwa, où il est venu avec trois policiers communaux. Les quatre étaient armés et le bourgmestre leur a intimés l’ordre de monter dans la voiture. En cours de route, d’autres habitants ont été réquisitionnés : trois voitures supplémentaires étaient là : celle de RUHUMULIZA, celle de KABASHA, la dernière appartenant à David MUNYAKAZI.
Une fois dans le véhicule, ils ont demandé le lieu de leur destination. Arrivés à Cyinzovu, ils se sont arrêtés au CERAI où ils dû charger des houes et des pioches. Quand ils ont atteint l’église de Kabarondo, ils se sont trouvés en présence de gens morts depuis trois jours, un certain nombre de corps étant dans un état de décomposition avancé. Les morts ont été jetés dans la fosse qui se trouvait derrière l’église (cette fosse avait été préparée en vue de l’agrandissement de l’édifice religieux) [2]. Les voitures sont parties si bien que les fossoyeurs devront rentrer chez eux à pieds.
La besogne terminée, ils se rendront à la commune et y ont trouvé NGENZI qui leur aurait dit : « Vous êtes venus pour nous aider mais il reste des personnes au Centre de Santé. Pourquoi ne pas aller les prendre ? »
Pour les remercier, le bourgmestre remet 15 000 francs à Samuel MULIHANO pour qu’il aille boire une bière. RUHUMULIZA a pris cet argent à Samuel, et s’adressant au responsable de la commune : « NGENZI, tu es un idiot, tu continues à donner de l’argent alors que la guerre continue ! » RUHUMULIZA ne remettra que 5 000 francs aux fossoyeurs.
NGENZI aurait alors dit qu’il y a aussi d’autres personnes à l’IGA [1]. Certains y sont allés. C’est alors que CYASA, le chef des Interahamwe [3] de Kibungo, qui a tué deux personnes pour donner le signal des massacres. Une fois les victimes inhumées, les personnes qui avaient été réquisitionnées sont rentrées chez elles. Le témoin ajoute que d’autres meurtres seront commis à CYABATWA où il y a des ravins anti-érosion. C’est chez SENGIYUMVA qu’ils iront se désaltérer avec les 5 000 francs qu’on leur avait laissés.
Le témoin ne sait rien sur BARAHIRA.
Madame la présidente cherchera à obtenir des précisions sur la date de l’enfouissement des corps, le nombre de fossoyeurs, celui des victimes. A la question de savoir pourquoi NGENZI s’est rendu à Rubira pour réquisitionner les gens, c’est tout simplement parce qu’il était originaire de là. Il leur a dit qu’il fallait venir l’aider à enterrer les corps parce que les Inkotanyi [4] étaient proches. Avaient-ils le choix ? « Non, c’était un ordre ! » répond le témoin.
A plusieurs reprises le témoin va répondre à côté des questions. Il semble toutefois que tout le monde ait oublié que ce dernier avait signalé qu’il avait quelques problèmes d’audition. Il finira tout de même par donner quelques précisions, en particulier sur les événements du Centre de Santé où des blessés de l’église « se sont traînés à quatre pattes ! » Le groupe auquel il appartient se rendra au Centre où les blessés seront achevés, sur ordre de NGENZI : « Allez là-bas, débarrassez-moi de ces gens » aurait ordonné le bourgmestre. Le témoin dit n’avoir pas participé aux tueries : il a même sauvé trois Tutsi qu’il a cachés au magasin de son frère avant de revenir sur les lieux.
Quant à l’IGA, MATABARO dit n’y être pas allé mais il a pu voir ce qui s’y passait d’où il se trouvait. CYASA aurait donc tué deux personnes et aurait demandé aux policiers communaux d’exécuter les autres. Pendant ce temps, NGENZI serait resté au bureau communal.
Le témoin reconnaît avoir été condamné à 14 ans de prison puis avoir été innocenté lors des Gacaca [5]. Lui-même a témoigné à deux reprises dans des Gacaca concernant NGENZI.
RWAGAFILITA [6], il le connaît mais contrairement à ce qu’a prétendu l’épouse de ce dernier, il n’a hébergé aucun membre de sa famille : un colonel ne pouvait pas être caché chez un paysan.
Maître GISAGARA revient sur la réunion sur le terrain de foot [7]. Ce n’est qu’en prison que le témoin en a entendu parler. Quant à NGENZI, s’il a fait disparaître les corps, c’est bien pour que les Inkotanyi [4] ne les voient pas.
Monsieur l’avocat général revient sur le personnage de CYASA sans obtenir les précisions qu’il souhaiterait avoir sur le personnage. Il voudrait en particulier comprendre ce qu’a voulu dire le témoin lorsqu’il dit que « CYASA faisait les Gacaca en prison ». (NDR. Lors du procès en première instance, on avait appris que c’est à CYASA qu’on avait confié la collecte des témoignages à la prison de Nsinda en vue de l’organisation des Gacaca. Ce qui pouvait paraître étonnant).
Les dernières questions reviendront à maître CHOUAI. Devant les trous de mémoire du témoin, l’avocat s’étonne : « Il est hypermnésique quand il s’agit des autres, mais quand il s’agit de lui… » Ce qui est certain, c’est qu’il a témoigné contre NGENZI après sa libération (NDR. Il n’a donc pas été libéré pour avoir témoigné contre le bourgmestre). L’avocat de revenir sur l’armement de NGENZI et des policiers : madame la présidente lui fait remarquer que la question a déjà été posée. C’est bien NGENZI qui leur a demandé de prendre des armes traditionnelles avant de se rendre à l’église.
L’avocat s’étonne que le témoin n’ait pas dit tout cela aux gendarmes français : « Pourquoi aujourd’hui vous chargez la mule » demande-t-il ? Et MATABARO de redire qu’il a été malmené par les policiers, plusieurs personnes cherchant à quitter les lieux à cause de la puanteur : « J’ai été brutalisé. S’ils avaient pu, ils m’auraient même tué. »
Et l’avocat de conclure : « Vous n’êtes pas à l’IGA [1]. Donc vous n’êtes témoin de rien. » Et de s’étonner que CYASA ait pu participer à la collecte d’information à l’intérieur de la prison.
L’audience est suspendue jusqu’au lendemain 9h30.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
- IGA : Centre communal de formation permanente.
[Retour au texte] - Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
[Retour au texte] - nterahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
[Retour au texte] - Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. « Glossaire« .
[Retour au texte] - Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
[Retour au texte] - Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
[Retour au texte] - Réunion du terrain de foot de Cyinzovu : avec d’autres témoins, Silas MUTABARUKA évoque une réunion au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité », c’est-à-dire « tuer les Tutsi », mais l’accusé conteste l’existence de cette réunion ainsi que celle du terrain de foot lui-même.
[Retour au texte]