- Audition de Moussa BUGINGO, en visioconférence.
- Audition de Géraldine UWAMAHORO, fille des KAREKEZI, en visioconférence.
- Audition de Radjabu SIBOMANA, en visioconférence.
- Audition de Viateur RUMASHANA, travaille à la Commission européenne.
- Audition de Ignace BAGILISHEMA, agent de sécurité.
Audition de Moussa BUGINGO, en visioconférence.
Le témoin commence par dire qu’il n’a jamais vu NGENZI mal se comporter. « J’entends dire que NGENZI est poursuivi pour génocide, mais je ne le vois pas ainsi ». Les 7 et 8 avril, le bourgmestre est parti dans les secteurs de Rundu et Cyinzovu pour stopper les massacres : s’il avait trempé dans les tueries, il n’aurait pas demandé d’y mettre fin. Il leur disait de ne pas s’entretuer car ils étaient frères et sœurs. Malheureusement, « les tueurs ne l’écoutaient comme bourgmestre. »
De retour à l’église, il a constaté que les gens étaient venus vers l’église. Il a vu que la situation le dépassait et a organisé une réunion pour savoir comment donner à manger aux réfugiés. Du 7 au 13, ils ont aidé les réfugiés de l’église : « Chacun donnait ce qu’il pouvait. »
En fait, les rescapés veulent lui causer du tort en le poursuivant en justice ; beaucoup de gens voulaient lui faire du mal. Si NGENZI avait été un assassin, il n’aurait pas permis que des gens soient accueillis au Centre de Santé et à l’IGA [1]. On a fait appel à CYASA qui a commencé par tuer les veilleurs de l’IGA. Ce dernier aurait : « Je veux voir le bourgmestre, je dois lui faire subir le même sort car c’est un complice » (des Inkotanyi [2]). Il serait intervenu pour l’empêcher de tuer le bourgmestre. CYASA a conduit ensuite les gens à Kibungo et les a tués.
« Je ne sais pas si les témoins qui sont en liberté ont témoigné comme moi. Si ce n’est pas le cas, cela veut dire qu’ils ont d’autres objectifs. Je saisis l’occasion si INCIMATATA a bien expliqué les choses. Tel que je vois les choses, NGENZI était méprisé jusqu’à son arrivée en Tanzanie : les gens avaient changé de visage. »
Sur questions de madame la présidente, le témoin précise qu’il est à la prison de Rwamagana. Il avait des relations de voisinage avec le bourgmestre. Lui-même ne faisait pas de politique, il était simple agriculteur. NGENZI était un bon bourgmestre, il ne pratiquait aucune discrimination entre Hutu et Tutsi. Ce qu’il connaît sur le comportement de NGENZI, il le sait par un codétenu avec qui il était à Benako, Manassé RUZATSINDA. NGENZI n’était bourgmestre que de nom. La réunion du 8 a eu lieu sur la place du marché. INCIMATATA était là aussi.
On évoque alors l’objet de la réunion, la décision de faire des rondes auxquelles il a lui-même participé, sans être armé. Les Simba Bataliani [3]? « C’est mon grand frère, Philippe NSANZABERA qui les a amenés. » Madame la présidente met le témoin en face de ses nombreuses contradictions. Le 13, il faisait paître ses vaches quand on est venu le chercher. Il est parti sous la menace. Les tueurs s’étaient organisés en trois groupes. Le témoin évoque ensuite l’arrivée des militaires alors qu’il arrivait à la maison communale. Un ancien militaire, TOTO [4], a lancé une grenade. Il y a eu 4 morts.
Les militaires ont installé 8 mitrailleuses au bureau communal. Le témoin a du mal à reconnaître qu’il a lui-même participé aux tueries. Il n’a vu NGENZI que le soir quand il a conduit des rescapés au Centre de Santé et à l’IGA. « En tant que dirigeant, il ne pouvait pas rester les mains croisées. » Madame la présidente lui fait remarquer que cela ne correspond pas à ce que le bourgmestre a dit lui-même. S’il est en prison, c’est une erreur, car il n’a rien fait ! Il est pourtant condamné à perpétuité ! C’est Kassim HAVUGIMANA qui l’a chargé sur conseils de KAJANAGE avec qui il avait un conflit depuis longtemps. Quant à BARAHIRA, il le connaissait, mais il ne l’a jamais vu ces jours-là. Le 14, le témoin n’était pas à l’IGA [1], il participait à l’enterrement d’un de ses neveux.
Pourquoi il a fui à Benako ? Il est parti comme tout le monde. Dans le camp, aucun bourgmestre n’avait retrouvé son autorité. Les Interahamwe [5]? C’était des voyous : c’est eux qui avaient l’autorité. D’ailleurs, il n’y en avait pas à Kabarondo, ils étaient tous venus d’autres endroits.
Maître BOURGEOT évoque le statut du témoin, sa condamnation et les conditions dans lesquelles il a été condamné : c’est la faute de KANAJAGE. On apprendra qu’il avait eu un avocat français, maître Daniel WEBER ( ?) dont il n’a pas voulu suivre les conseils : il a refusé de plaider coupable car il se sentait innocent. Le témoin répète qu’il n’a pas vu BARAHIRA.
Maître BOJ. L’avocat de la défense souhaite faire confirmer au témoin que NGENZI a bien organisé une réunion le 8 pour ravitailler les réfugiés de l’église, qu’il avait conservé son titre mais pas son autorité. S’il s’était rebellé ou s’il avait fui, que lui serait-il arrivé ? « Ça allait mal se passer pour lui. » Il a dit que lorsqu’il a croisé NGENZI le 14, ce dernier était « effrayé ». L’avocat demande de préciser. « Si vous avez bien suivi, il n’était pas tranquille car il voyait ce qui se passait dans sa commune qui était devenue du sang ». Et le témoin d’accuser INCIMATATA.
Maître CHOUAI souligne le fait que KAJANAGE aurait menti. (NDR. L’avocat parle de ce dernier comme d’un professeur de français alors qu’il était commerçant. Maître ARZALIER rectifiera : il y a erreur sur la personne.)
L’avocat de NGENZI parle ensuite des courriers confidentiels qu’on fait parvenir aux détenus et qui, même en France, sont ouverts par l’administration pénitentiaire. D’ajouter, fidèle à ses idées : « Au Rwanda, qui n’est pas connu comme un modèle de démocratie, le courrier doit bien être ouvert ! »
Maître BOURGEOT tient à intervenir une dernière fois pour aborder le cas de Bonaventure MUTANGANA, frère de Pascal SIMBIKANGWA, qui était venu témoigner pour son frère : une instruction à été ouverte au pôle crimes contre l’humanité. (NDR. Rapport avec le procès en cours ?)
Audition de Géraldine UWAMAHORO, fille des KAREKEZI, en visioconférence.
Le témoin raconte les perquisitions que les Interahamwe [5] ont effectuées au domicile de ses parents. A l’arrivée des assaillants, elle est allée fermer le portail de la concession, mais elle n’a pas pu empêcher quelqu’un de l’ouvrir. On lui a demandé de mettre les mains en l’air et les « visiteurs » ont entouré la maison. NGENZI était avec eux, pistolet en main. Il a demandé où était sa grande sœur Claire. Les Interahamwe étaient aussi à la recherche de MACUMU, l’ami de Claire. A la fin de la perquisition, NGENZI aurait dit : « Partons, nous reviendrons plus tard ! » Il a repris sa voiture. Plus tard, le témoin rejoindra le camp du FPR qui avait repris la région. Les Interahamwe avaient fui vers la Tanzanie.
Madame la présidente va demander au témoin de préciser un certain nombre d’éléments dont elle avait parlé devant les gendarmes français et qu’elle n’a pas abordés dans sa déposition spontanée. Si on recherchait sa sœur Claire, c’est parce qu’elle on la considérait comme une complice : institutrice, elle apprenait les chansons de Cécile KAYIREBWA à ses élèves : péché mortel ! NGENZI était bien le meneur, il était énervé. Comme elle l’avait dit aux gendarmes français, il avait « les cheveux en bataille, avait l’air d’un fou, les yeux grand ouverts. » Elle confirme qu’il n’était pas soigné comme avant. Si Claire avait été là, ils l’auraient tuée, c’est une évidence. D’ailleurs, ils étaient venus pour tuer mais l’argent leur a suffi. Elle n’a revu ni NGENZI ni BARAHIRA depuis.
Maître BOJ, avocat de NGENZI, va longuement interroger le témoin sur son identité. Il pense qu’il n’est pas en présence du bon témoin ! Géraldine UWAMAHORO évoque sa maladie : l’avocat veut en savoir davantage : « C’est le secret médical. » Comme il insiste, madame la présidente le rappelle à l’ordre : « C’est un secret médical ».
Maître BOJ finit par conclure : « Vous avez prêté serment. Mentir est un délit en France ! » Le témoin de rétorquer : « Je ne suis pas venue pour mentir ».
Audition de Radjabu SIBOMANA, en visioconférence.
Le témoin commence sa déposition spontanée en accusant NGENZI d’avoir organisé une réunion pour inciter les gens à tuer les Tutsi. Ils ont attaqué alors les réfugiés de l’église qui les ont repoussés. Le bourgmestre serait alors allé chercher les Simba Bataliani [3]. Les jours précédents, des fusils avaient été distribués à la population. SIBOMANA affirme qu’ils ont exécuté le plan qui avait été préparé. Après l’enfouissement des corps, ordre leur a été donné d’aller fouilles des habitations où se cachaient des Tutsi. Le témoin évoque les fouilles chez Jérôme. Ce dernier ayant eu peur de tuer sa belle-sœur c’est NGENZI qui l’aurait fait. Puis ils seraient allés chez KAREKEZI. On lui fera remarquer plus tard qu’il est le seul à donner cette chronologie !
Pour lui, NGENZI a trahi les Tutsi qu’il avait cachés. « S’il n’avait pas donné d’ordre, aucun Tutsi ne serait mort. Les policiers communaux étaient de connivence avec lui ». Les meneurs, TOTO, BIENFAITEUR, MUNYANEZA étaient des intimes du bourgmestre. C’est eux qui leur répercutaient les consignes, à nous qui faisions les rondes. Seul le bourgmestre circulait la nuit à la recherche des Tutsi. Le témoin aurait même reçu l’ordre d’aller chez MUNYANGAJU pour le tuer. Mais ils ne l’ont pas trouvé.
Sur questions de madame la présidente, le témoin va être amené à préciser quel a été son propre rôle le 13 à l’église [6]. Les faits qu’il rapporte sont confus. Il avait précisé avant que RWAGAFILITA [7] avait fait livrer des armes à NGENZI, à TOTO et à d’anciens militaires. Il était présent lors des massacres de l’IGA [1], le bourgmestre les ayant rassemblés pour une « réunion » : ce dernier les avait menacés d’un pistolet s’ils n’obéissaient pas. Le 14, il vendait des objets qu’il avait pillés dans les maisons des Tutsi. C’est bien après les tueries à l’IGA qu’il participera aux fouilles des maisons. C’est NGENZI qui donnait des ordres. CYASA leur aurait dit qu’on ne peut pas discuter les ordres du bourgmestre : il fallait lui obéir.
BARAHIRA ? Il ne l’a jamais vu dans le centre de Kabarondo. Moussa BUGINGO ? C’est son oncle maternel. Sa condamnation à 30 ans de prison pour les faits de l’église ? « Oui. J’ai d’ailleurs écrit aux membres de la famille RWIYEMULIRA pour demander pardon. C’est la seule personne que j’ai tuée. »
Sur questions de l’avocat général, le témoin confirme qu’il était un Interahamwe actif [5]. (NDR. A ce moment-là, le témoin se lève, fait des exercices d’assouplissement qui déclenchent des rires dans la salle. L’audition peut reprendre !)
Il a participé à des entraînements. Dans les meetings, on leur enseignait la division. On leur disait que les Tutsi venaient d’Abyssinie ! L’avocat général lui fait remarquer que cela ne suffit pas pour tuer les Tutsi ! En fait, comme ses amis avaient des armes et allaient tuer les Tutsi, il a suivi pour piller les biens. On reprochait aux Tutsi d’avoir abattu l’avion du président. Il est devenu Interahamwe car c’était les instructions du MRND, le parti des Hutu. A Kabarondo, les Interahamwe s’appelaient les « Abaticumugambi », à Rundu et Rubira, les « Abalinda » et à Bisenga, les « Simba Bataliani ».
Le témoin confirme les propos de l’avocat général quand il lui dit : « Vous êtes un Interahamwe. Quand on vous dit d’aider les Tutsi, vous le faites, quand on vous dit de les tuer, vous le faites aussi ! » A Cyinzovu, il y avait des Interahamwe, mais ils ont travaillé chez eux. Il ne sait pas qui était leur chef. Si c’est BARAHIRA, il ne l’a pas vu. NGENZI n’a pas suivi des ordres, c’est lui qui les donnait.
Questions de maître BOURGEOT. Le témoin était bien à l’église quand les tirs ont cessé. Il y avait encore des survivants. Il a même failli être tué lui-même mais la balle ne l’a pas atteint. Il confirme qu’il n’a pas Vu BARAHIRA
Questions de maître CHOUAI. L’avocat demande au témoin comment se passent les détentions au Rwanda. « On est bien, au Rwanda, le détenu a sa liberté ! » S’il a fait des exercices tout à l’heure, c’est tout simplement qu’il était resté assis longtemps. (NDR. Ce n’est pas le résultat de sévices qu’il aurait pu subir, si c’est ce que l’avocat voulait sous-entendre !)
Maître CHOUAI fait remarquer au témoin que ce qu’il a dit devant la Cour n’a rien à voir avec ce qu’il avait dit il y a cinq ans devant les gendarmes français : « J’ai l’impression que vous faisiez un Best off de ce que NGENZI a fait ! Pourquoi tant de discordances ? »
Le témoin : « Laissez-moi vous répondre. Pensez-vous que vous pouvez vous souvenir mot à mot de ce que vous avez dit ? Pour moi, il n’y a aucune différence. » Il confirme que NGENZI était bien le chef des Interahamwe [5]. Il avait pourtant dit voici 5 ans que les chefs étaient TOTO et BIENFAITEUR ! La plupart des questions portent sur les contradictions du témoin. L’avocat demande pourquoi le témoin a changé de discours. Il trouve toujours le moyen de se justifier, sans désarmer.
« Vous avez prononcé trois fois l’expression « exécution d’un plan » alors que vous n’en dites pas un mot devant les gendarmes. Pourquoi ? » demande l’avocat. Le témoin n’a pas de commentaire à faire : il sait ce qu’il a dit et le répète.
« Je vous soumets une hypothèse, continue l’avocat. Vous mettez des pièces du puzzle bout à bout et je pense que quelqu’un vous a briffé et vous n’avez rien retenu : vous mentez ! » conclut maître CHOUAI.
Réponse du témoin : « Je dis ce que je sais et ce que j’ai vu. Est-ce que vous étiez avec lui pour raconter ce qu’il a fait ? »
A ce stade, madame la présidente souhaite avoir la réaction de NGENZI après ces dernières auditions. L’accusé se contente d’affirmer que ce dernier témoin fait partie de ceux qui ont pillé et qu’il ne dit rien de vrai.
« Pourquoi ment-il ? » demande la présidente.
L’accusé : « Je n’étais pas à l’IGA au moment des massacres. Il m’accuse parce que je suis bourgmestre. Aujourd’hui je suis en conflit avec lui. Il exagère, il va trop loin dans ses accusations. S’il me charge, c’est qu’il a peut-être eu une promesse de réduction de peine ! »
Madame la présidente demande à l’accusé comment les autorités judiciaires peuvent savoir ce qui se passe dans cette Cour. Elle lui tend une perche qu’il hésite à saisir : « Il y aurait un espion dans la salle ? »
Octavien NGENZI hésite. Un nom lui brûle les lèvres, nom qu’il finit par prononcer d’une manière quasiment inaudible : celui du président du CPCR. Son avocat l’encourage à parler. Il n’aura pas la force de le faire. Et NGENZI d’oser poursuivre : « Ils reçoivent des rapports régulièrement. Il y a une partie civile qui prend des notes qu’elle publie sur leur site. Le rapport de ce jour sera transmis dès ce soir. Au procès de première instance, le verdict a été transmis au Rwanda avant qu’il ne soit prononcé officiellement par la Cour. Pareil à l’occasion du procès de SIMBIKANGWA ! » Vives réactions dans la salle !
C’en est trop. Madame la présidente élève la voix : « Je ne peux pas laisser dire cela ! c’est IMPOSSIBLE » martèle-t-elle. Et elle suspend aussitôt l’audience.
Audition de Viateur RUMASHANA, travaille à la Commission européenne.
Monsieur RUMASHANA se présente comme « un témoin de contexte de BARAHIRA ». Il l’a connu alors qu’il fréquentait l’école primaire. C’était un jeune homme proche de ses élèves, intègre, et qui animait des activités théâtrales. Devenu bourgmestre, il a fait beaucoup de choses pour sa commune : écoles, bureau communal… Il avait de bonnes relations avec la population. Par contre, il ne connaît rien sur lui sur la période des « événements » ! En 1990, le témoin est parti 7 ans en Union Soviétique. Il ne restera que quelques mois au Rwanda qu’il quitte pour la Belgique en mai 1998. Lorsqu’il apprendra que BARAHIRA est à Toulouse, il lui rendra visite. En 2007, c’est l’ancien bourgmestre qui viendra assister au mariage de son beau-frère. Le témoin n’était pas au Rwanda pendant « les événements » de 1994. Et de redire que BARAHIRA était « quelqu’un de bien ».
Sur questions de madame la présidente, le témoin déclare qu’il ne connaît pas les raisons de la démission de l’accusé en 1986. Probablement pour raisons personnelles. Il n’a jamais entendu de rumeurs sur son compte. Dans la commune, l’autorité était détenue par le bourgmestre mais c’est le conseil de secteur qui prenait les décisions. NGENZI a bien fait libérer son comptable qui avait été arrêté en 1991. Il n’appartient à aucun parti politique, « ça ne sert à rien ».
Quand la présidente souhaite évoquer le frère du témoin, ce dernier hésite : il ne souhaite pas en parler. C’est « trop fort émotionnellement ». Il était en Union Soviétique quand son frère est mort. Il avait été nommé préfet à la place de Godefroid RUZINDANA après sa destitution, mais il ne connaît pas les conditions de sa nomination. Son frère aurait fui en Tanzanie, aurait été arrêté à son retour, libéré puis tué en avril 1998. Il n’était resté préfet qu’une semaine.
NGENZI ? Il était bon. Le seul terrain de foot qu’il connaisse à Kabarondo, c’est celui de la place du marché. Maître GISAGARA rappelle que le témoin a quitté le pays le 13 octobre 1990, 13 jours après l’attaque du FPR. Il ne sait donc rien sur NGENZI et BARAHIRA entre 1990 et 1994. NGENZI, il l’a revu lors de vacances de deux semaines qu’il a passées au Rwanda.
RWAGAFILITA [7] ? Il le connaît de nom et il n’avait aucune autorité sur le bourgmestre. On lui fait remarquer qu’il avait dit le contraire lors d’une audition en visioconférence.
Monsieur l’avocat général aimerait savoir comment on fait pour devenir préfet, voire sous-préfet. C’est le président de la République qui procède aux nominations. C’est comme cela que ça s’est passé pour son frère lorsqu’il a été nommé sous-préfet de Birambo, dans la préfecture de Kibuye.
Sur questions de maître BOJ, un des avocats de NGENZI, le témoin jure qu’il n’a jamais dit qu’il avait vu le bourgmestre avec une arme, que ce dernier n’a jamais eu un comportement ségrégationniste : « La mention ethnique ? On s’en foutait ! » (sic). NGENZI ne faisait pas de militantisme : « On naissait dans le parti MRND. Toute l’Afrique était dirigée ainsi. C’était le temps des coups d’État. Le militantisme commencera avec la Conférence de La Baule. » Les membres de sa famille ont bien été tués après l’arrivée du FPR.
Maître BOURGEOT cherche à savoir pourquoi le témoin a quitté le Rwanda en mai 1999. Il est parti clandestinement par l’Ouganda, à cause de la mort de son frère. Il a cherché à savoir mais on lui a conseillé de ne pas apparaître dans le dossier. « C’était sauve qui peut ! »
Il voulait obtenir la justice ? Le témoin se contente d’éclater de rire. « Au Rwanda, tout le monde se taisait. Il ne fallait pas poser de questions. » Quant à savoir si les témoins qui viennent du Rwanda peuvent facilement dire la vérité, il préfère ne pas répondre.
Audition de Ignace BAGILISHEMA, agent de sécurité.
Le témoin se présente comme le premier acquitté du TPIR. Il avait été arrêté en 1999 et sera libéré en 2001. Le bourgmestre de la commune de Mubanza, à l’Ouest du Rwanda, dans l’ancienne préfecture de Kibuye, raconte comment il a passé la période des « événements ». « Pendant la « guerre », le pouvoir était dans la rue. Ce sont les bandits qui avaient le pouvoir ».
Madame la présidente lit des extraits de son jugement au TPIR à propos du rôle des bourgmestres. Elle cite l’expert du Procureur, André GUICHAOUA. Le témoin réagit : « En 1994, on a perdu le pouvoir. J’ai personnellement pensé démissionner mais les autorités religieuses m’en ont dissuadé. La population s’est réfugiée au bureau communal, la paroisse m’a procuré de la nourriture. Par contre, le Préfet ne m’a pas aidé. » Le témoin précise que les bourgmestres n’avaient aucune autorité sur les gendarmes.
Dans le jugement AKAYESU, bourgmestre de Taba, il était pourtant dit que les gendarmes étaient placés sous l’autorité des bourgmestres. Ce n’était pas le cas dans sa commune. D’ailleurs, ceux qu’on avait affecté à sa commune étaient partis au front. Si on lui avait demandé de tuer, il aurait évidemment refusé.
A ce stade, maître ALIMI fait remarquer qu’il a versé au dossier l’intégralité du jugement BAGILISHEMA. Pour lui, la défense n’a fourni que des extraits, des extraits « tronqués ». Et l’avocat de la LDH de demander au témoin d’expliquer à la Cour les actes qu’il a posés pour sauver des Tutsi. Monsieur BAGILMISHEMA s’exécute en précisant qu’il était lui-même menacé. S’il avait assisté à des massacres, il n’aurait jamais été acquitté. L’avocat le remercie d’avoir des personnes.
Madame la présidente reprend la main. Il ne recevait pas vraiment d’informations des autres communes, il avait assez à faire chez lui. Il précise qu’il n’est plus jamais retourné au Rwanda depuis son exil : « C’est impossible. Des acquittés du TPIR croupissent encore à Arusha ». (NDR. Plusieurs acquittés du TPIR n’arrivent pas à trouver de pays d’accueil. On peut se demander pourquoi ! C’est le cas de Protais ZIGIRANYIRAZO, alias Monsieur Z, frère d’Agathe HABYARIMANA, qui souhaitait rejoindre les siens en France).
Sur question de maître GISAGARA, le témoin déclare que le génocide n’a pas été planifié ! C’est l’attentat qui a mis le feu aux poudres.
Sur question de maître LINDON, le témoin précise que d’autres bourgmestres ont été jugés et acquittés au TPIR « pour ce qu’ils avaient fait ».
Sur questions de monsieur l’avocat général, si les gens sont venus se réfugier au bureau communal, c’est parce qu’ils avaient confiance en lui. La population voulait se venger de la mort d’HABYARIMANA et il a organisé des rondes. Il a collaboré avec le curé de la paroisse mais il n’a pas pu établir des listes des réfugiés de la commune. Ils étaient venus avec leurs vaches ! La commune avait accueilli assez tôt des réfugiés de Gisenyi où les massacres avaient commencé plus tôt. Il a participé à une réunion de sécurité à la préfecture : « Impossible pour un bourgmestre de ne pas y participer ». Et d’aborder ensuite des questions concernant l’hygiène et la fourniture d’alimentation aux réfugiés., le rôle du préfet KAYISHEMA, condamné et mort en détention.
Monsieur l’avocat général aborde enfin une question annexe : l’utilisation du tampon de la commune qui aurait pu servir à fabriquer de fausses cartes d’identité. En fait, ce tampon pouvait servir à sauver des Tutsi. Le remettre, comme l’a fait l’assistant bourgmestre de Kabarondo, ce pouvait être aussi pour empêcher que quelqu’un s’en serve.
Monsieur l’avocat général fait remarquer au témoin que des Tutsi sont venus témoigner pour lui à Arusha : aucun n’est venu témoigner en faveur de NGENZI ! « Ça dépend des moyens dont disposent les avocats. C’est le problème de l’égalité des armes ! »
Sur question de madame la présidente, le témoin reconnaît qu’en temps de paix un bourgmestre pouvait démissionner s’il ne se sentait plus capable d’assurer sa fonction !
Maître BOJ intervient à son tour. Il lit le §723 page 15 du jugement du témoin pour souligner qu’il faut tenir compte du contexte pour accuser un bourgmestre. Il cherche à savoir ce qu’il aurait fait si les militaires l’avaient contraint : « N’était-ce pas dangereux ? » La réponse est dans la question.
Maître CHOUAI fait remarquer que ce qui a sauvé le témoin, c’est la décision d’un transport sur les lieux. Il y avait plus de 80 témoins à charge. « Après le transport sur les lieux, le Procureur a eu honte : il a dû retirer beaucoup de témoins. »
Pourquoi inventer des histoires ? « Il y avait des délateurs payés, ou qui voulaient se venger. Tout cela pour asseoir l’autorité du FPR. Il fallait éliminer les opposants. Toutes les anciennes autorités du Rwanda doivent être accusées, même tuées » ajoute le témoin qui évoque ensuite toutes les étapes de sa fuite. Et de parler ensuite des raisons pour lesquelles il était accusé. « J’étais devenu un démon, Satan, quelqu’un qui éventrait les femmes ! J’étais un bon bourgmestre. Comment serais-je devenu mauvais en quelques jours ? »
Le témoin suit-il le procès de NGENZI ? Il dit que non tout en ajoutant que chacun a la possibilité de lire les comptes-rendus de quelqu’un dans la salle. C’est par la radio qu’il a appris le verdit du procès en première instance.
La défense dépose de nouvelles conclusions concernant la non comparution de messieurs KABAREBE et NZIZA, « témoins essentiels » dans cette affaire. Et pour étayer sa démonstration, maître BOJ ne trouve pas mieux que de s’appuyer sur le dossier espagnol dans lequel « on apprend des choses intéressantes sur James KABAREBE, un proche relais du président KAGAME ». Et d’énumérer les griefs : organisation de l’attentat contre HABYARIMANA, massacres de 2000 Tutsi à Byumba et autres tueries, bombardement de Kigali, attaques de camps de réfugiés… À la présidente qui fait remarquer qu’il n’y a pas eu de jugement dans cette affaire, l’avocat rétorque qu’elle a le pouvoir d’exiger leur comparution en usant de son pouvoir discrétionnaire. La défense refuse de passer outre pour ces deux témoins dont l’audition est indispensable à la vérité.
Maître LAVAL intervient. « La défense s’organise comme elle veut, mais c’est un faux procès dans le procès. Je le dirai en temps voulu. Personne ne sait qui a commis l’attentat et l’information judiciaire n’est pas terminée. Il est anormal d’aller chercher des arguments au-delà des Pyrénées. C’est une mauvaise distraction aux questions qui nous concernent. »
S’adressant à la Cour, monsieur l’avocat général déclare : « Dans ces conclusions de procédure on essaie de vous impressionner. Les témoins seraient essentiels ? On remet en cause un génocide. Ce n’est pas le débat. On dresse devant vous un rideau de fumée en prenant un dossier sans vérité judiciaire. Aller chercher un dossier en Espagne ! Prétendre que ce sont des témoins essentiels, c’est déplacé. La défense n’a fait aucune démarche jusqu’à ce jour et se manifeste à 15 jours de la fin du procès. On cherche à enrayer ce procès. Un lapin sorti du chapeau du magicien ! C’est dilatoire. Les choses sont simples : les témoins ont été cités par voie diplomatique, le Rwanda a refusé ! Est-ce que la France accepterait d’envoyer ses ministres dans une procédure étrangère ? (NDR. La cour d’appel de Paris a confirmé, le 31 octobre 2017, le refus du juge d’instruction d’auditionner l’ex-amiral LANXADE et son adjoint de l’époque, l’ex-général GERMANOS dans l’enquête sur les possibles responsabilités de l’armée française lors du génocide de 1994 au Rwanda ! En novembre 2016, Kigali a lancé une procédure contre 22 officiers français. La France acceptera-t-elle de les envoyer au Rwanda ?) Je vais faire citer le président des États-Unis, le Secrétaire général de l’ONU ? Ce n’est pas sérieux. Les témoins étaient acquis aux débats. Et il faudrait décerner un mandat d’amener ? Ce n’est pas possible, ils sont à l’étranger. Je vous demande de passer outre et de rejeter ces conclusions. »
Maître BOURGEOT intervient à son tour et fustige l’accusation pour qui aucun témoin de la défense ne serait essentiel, pour qui les conclusions déposées par la défense sont toujours dilatoires : « Il n’y a pas de rideau de fumée dans mes demandes de conclusions. Le Parquet général a le devoir de faire venir les témoins cités par la défense ».
La journée se termine par l’annonce d’un nouvel aménagement du planning : il sera communiqué mardi matin, à la reprise des audiences. Il est 21 heures.
Alain GAUTHIER président du CPCR
- IGA : Centre communal de formation permanente.
[Retour au texte] - Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. « Glossaire« .
[Retour au texte] - Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
[Retour au texte] - célèbre Interahamwe de Kabarondo, souvent cité au fil des audiences (voir également note 5 ci-dessous).
[Retour au texte] - Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
[Retour au texte] - Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
[Retour au texte] - Le colonel RWAGAFILITA était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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