Procès Sosthène MUNYEMANA, mardi 14 novembre 2023. J1


Le procès de monsieur Sosthène MUNYEMANA s’est ouvert ce mardi 14 novembre à la cour d’assises de Paris. Les faits qui lui sont reprochés auraient été commis dans la préfecture de Butare entre avril et juin 1994 et constitueraient les infractions suivantes: participation à une entente en vue de la préparation des crimes de génocide et autres crimes contre l’humanité, génocide, crimes contre l’humanité, complicité de génocide, complicité de crimes contre l’humanité.

Appel et serment des interprètes:
Le président monsieur Marc SOMMERER appelle les interprètes qui prêtent serment.

Appel et déclinaison d’identité de l’accusé:
Il est ensuite demandé à l’accusé -qui s’excuse de son retard- de décliner son identité, celle de ses parents, sa profession (médecin retraité), sa date de naissance (1955) et son domicile.

Le président rappelle alors son droit au silence à l’accusé et informe de l’enregistrement des audiences.

Appel, tirage au sort et serment des jurés:
Il est procédé à l’appel des jurés puis à leur tirage au sort. Le jury est composé de 3 hommes et de 3 femmes. Aucun n’est récusé par les parties. Six jurés supplémentaires sont tirés au sort à leur tour: 3 femmes et 3 hommes. Lors de cette sélection 1 juré sera récusé par l’avocate générale. Les jurés prêtent serment tour à tour.

Constitution de parties civiles:
Le président demande aux avocats la constitution ou le renouvellement de constitution de partie civile des personnes qu’ils représentent. Selon le décompte, 9 associations et 101 personnes physiques se sont constituées parties civiles. Le président explique aux jurés que dans le cas où l’accusé est déclaré coupable, une audience sera tenue par les juges professionnels pour examiner la recevabilité des constitution de parties civiles.

Vérification du planning pour l’appel des témoins et des experts:
Le président lit la lettre que lui a adressé un professeur belge spécialiste de l’histoire du Rwanda appelé comme témoin de contexte. Ce témoin informe le président de son absence en raison du climat délétère « franco-français » car il ne pourrait pas déposer « sans crainte ».


Rapport du président.

Le président expose rapidement la procédure dans cette affaire, puis le contexte historique général lié au génocide, avant de présenter succinctement l’accusé et les faits qui lui sont reprochés. Il conclut par une analyse juridique sur la qualification des faits retenus par l’acte d’accusation contre l’accusé.
En particulier, le président rappelle que la procédure a débuté le 18 octobre 1995 par une plainte sur le fondement de laquelle une investigation a été ouverte le 9 novembre 1995; que la justice française a rejeté la demande d’extradition déposée par les autorités rwandaises; que le procureur du TPIR[1] a décliné sa compétence dans cette affaire. Il déplore la lenteur des investigations due à plusieurs causes.
Sur l’accusé, le président mentionne son appartenance au groupe Hutu, sa situation de médecin gynécologue à Butare durant le génocide, son adhésion au parti politique MDR[2]. L’accusé quittera le Rwanda en juin 1994 pour l’actuelle RDC[3] avant de s’installer en France dans le Lot-et-Garonne.
En ce qui concerne les faits, le président observe que les investigations se fondent essentiellement sur des témoignages (environ 200) et reprend l’acte d’accusation en ce qu’il souligne le poids du temps sur ceux-ci.

Cet exposé permet de contextualiser l’affaire pour les jurés qui n’ont pas connaissance du dossier. Tous ces éléments seront abordés longuement au cours du procès.


Observations et demandes de la défense.

L’avocat de la défense, Me Jean-Yves DUPEUX, soulève 3 points dans cette affaire. Il fait part de « l’immense compassion » de la défense pour les victimes du génocide, puis déplore lui aussi la lenteur de la justice dans cette affaire ouverte 28 ans plus tôt. Il insiste sur la fragilité des témoignages, en particulier ceux des parties civiles qui ne se sont manifestées que 28 ans après les faits en ne se constituant qu’à l’ouverture des débats et qui n’ont jamais été entendues, dénonçant l’impossibilité pour la défense de se préparer équitablement.
L’avocat de monsieur MUNYEMANA se plaint du fait qu’il y aurait une « inégalité totale des charges » dans ce procès. Il demande un supplément d’information et le renvoi des audiences.

Réponse des avocats des parties civiles:
L’avocate d’Ibuka-France relève l’incohérence de la demande de la défense concernant un supplément d’information tout en dénigrant la fiabilité des témoignages pour des faits remontants à près de 30 ans. Elle rappellera également, tout comme ses confrères, le principe d’oralité des débats et le principe du contradictoire. Un autre avocat remarque que si la défense avait réellement de quoi se plaindre en matière de droits de la défense, elle aurait déjà saisi le bâtonnier; un autre encore déplore le manque de sérieux de la défense se plaignant de la constitution de parties civiles au début du procès alors que c’est la loi.

Réponse du ministère public:
La demande de supplément d’information doit être rejetée.
Reprenant des éléments évoqués par le président dans son rapport, l’avocat général explique la longueur de la procédure par la complexité du génocide et par l’absence de pôle judiciaire spécialisé jusqu’en 2012, ainsi que par la détérioration des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda -suspendues entre 2006 et 2009- puis leur reprise progressive. Cette lenteur est regrettée par toutes les parties et va à l’encontre des intérêts de chacune, des décès ou absences de témoins étant à déplorer de part et d’autre.
Malgré ces difficultés, les investigations ont été menées à charge et à décharge dans le respect des droits de la défense.
Pour le parquet, la défense a seulement fait usage de l’art oratoire pour émettre ces demandes et voulant donner l’impression d’un effet de masse alors qu’en réalité seules 10 personnes n’ont pas été entendues auparavant par le procureur sur les 101 personnes constituées parties civiles.
L’importance des droits de la défense ne fait certes pas de doute mais la Cour doit aussi veiller aux droits des victimes comme le dispose l’article préliminaire du Code de procédure pénale.

Décision de la Cour sur les demandes de la défense:
La Cour rejette les demandes de supplément d’informations et de renvoi formulées par la défense.


Audition de madame ATTONATY, enquêtrice de personnalité.

Tout l’après-midi sera consacrée à l’étude de la personnalité de l’accusé. Le témoin rend compte, dans le détail, de l’entretien qu’elle a eu avec monsieur Sosthène MUNYEMANA et des membres de sa famille. Elle rapporte dans le détail des éléments concernant l’enfance de l’accusé, sa famille, ses années collège au cours desquelles il a été pensionnaire. Seront évoquées ensuite ses études à l’Université de BUTARE, son mariage en 1979: une enfance et une vie de famille heureuses: son premier poste à RUHENGERI, la naissance de ses deux premiers enfants. Ce premier poste, il devra le quitter, sa femme étant soupçonnée d’avoir de mauvaises intentions envers le président HABYARIMANA, étant elle-même chargée de la préparation des repas de certaines autorités. Se sentant « espionnés », le couple décidera de changer de région.

Evoquant les événements de 1959, appelés La Révolution sociale ou la « Toussaint rwandaise », l’accusé, qui n’avait pas cinq ans, se souvient que la maison paternelle à MUSAMBIRA, préfecture de GITARAMA aujourd’hui MUHANGA, avait été incendiée par des « milices royales », organisation dont personne n’a jamais entendu parler. Interrogé par un avocat des parties civiles, Sosthène MUNYEMANA finira par dire que c’était en fait des soldats envoyés du Congo!

L’accusé entreprendra alors des études de gynécologie à Bordeaux. La famille s’installe en Gironde de 1985 à 1988. années au cours desquelles l’accusé fera une année de spécialisation en échographie. Le couple se dit bien intégré dans leur nouvelle affectation. C’est en 1989 qu’ils reviendront au Rwanda.

A TUMBA, près de BUTARE, ils achètent une maison. Au fil de la rencontre avec l’enquêtrice de personnalité, il évoque l’attaque du FPR[4] en octobre 1990, se présente comme un modéré et, à l’époque du multipartisme, il devient adhérent du MDR[2]. Avant le génocide des Tutsi, son épouse revient à Bordeaux pour y poursuivre des études, si bien que Sosthène MUNYEMANA, d’avril à juin 1994, s’occupera seul de ses enfants. Il décidera toutefois de les envoyer chez sa belle-famille, à KIGEMBE, à la frontière avec le Burundi, région d’origine de son épouse. Il quittera le Rwanda le 22 juin 1994, passera deux mois au Zaïre avant de rejoindre, avec ses enfants, son épouse à Bordeaux.

C’est là qu’en 1994 il sera visé par une plainte d’un Collectif girondin, début d’une période qu’il vivra difficilement, allant jusqu’à perdre son travail pendant toute une année. Il précise que ses enfants en seront psychologiquement perturbés.


Interrogatoire de l’accusé.

A la fin de la déposition du témoin, monsieur le président reprend la parole pour résumer les propos de l’enquêtrice. Dans un interrogatoire serré et minutieux, monsieur Marc SOMMERER va soumettre l’accusé à un flot que questions. L’interrogatoire portera surtout sur ses relations avec le premier ministre du gouvernement intérimaire[5] Jean KAMBANDA et avec le ministre de l’agriculture et de l’élevage, Straton NSABUMUKUNZI, avec lesquels, même s’il ne veut pas le reconnaître, il entretient des relations étroites. C’est ce dernier qui l’aidera à quitter le Rwanda fin juin 1994.

Monsieur MUNYEMANA affirme s’être peu intéressé à la politique pendant cette période, ce qui étonne le président: comment un intellectuel, membre du même parti que le premier ministre, signataire d’une « motion de soutien » au gouvernement génocidaire, peut-il prétendre n’avoir jamais parlé politique avec Jean KAMBANDA, n’avoir que rarement écouté Radio Rwanda pendant le génocide, n’avoir jamais écouté la RTLM, la Radio Télévision Mille Collines, une radio qui appelait au meurtre des Tutsi à longueur d’antenne.

Les avocats des parties civiles tenteront de pousser l’accusé dans ses derniers retranchements, revenant sans cesse sur les justifications qu’il tente de donner. Monsieur MUNYEMANA sera en particulier mis en difficulté lorsqu’il affirme avoir suivi une troisième voie au sein du MDR après la scission de son parti entre « modérés » et MDR Pawa[6]. Même monsieur André GUICHAOUA, un connaisseur de cette période de l’histoire du Rwanda, n’a jamais fait allusion à une « troisième voie »!

Monsieur le président cherche à savoir quelles étaient les occupations de l’accusé lors des congés qu’il avait pris jusqu’au 9 mai 1994. Il s’occupait de sa maisonnée, rédigeait un manuel…. Et le président de s’étonner à nouveau: « Comment un intellectuel comme vous a-t-il pu à ce point se désintéresser de la situation politique de votre pays » dans une période aussi trouble. Nous n’obtiendrons pas de véritable réponse.

L’accusé sera aussi longuement interrogé sur la mort de son « ami » François KARANGANWA, dont il ne savait pas s’il était Hutu ou Tutsi. Difficile à croire!

Quant au positionnement de Dismas NSENGIYAREMYE, premier ministre entre le 2 avril 1992 et le 18 juillet 1993, il sera remplacé par Agathe UWULINGIYIMANA, assassinée des le 7 avril au matin. Difficile de savoir si le premier cité était dans la ligne du parti MDR ou s’il avait basculé du côté du Hutu Power.

Monsieur MUNYEMANA finira par dire que, s’il a fui au Zaïre, ce n’était pas par peur du FPR, mais par peur des miliciens et des militaires. Ce qui lui permet de se faire passer pour une victime.

L’interrogatoire de l’accusé s’étant prolongé jusque tard dans la soirée, monsieur le président renonce à entendre Fébronie MUHONGAYIRE, l’épouse de l’accusé. Son audition sera reportée à une date qui sera fixée ultérieurement.

La séance est suspendue à 20h45. Rendez-vous est donné au lendemain à 9 heures pour la poursuite de l’affaire.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Margaux MALAPEL, bénévole pour le CPCR

Jacques BIGOT pour la présentation et les notes

  1. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[]
  2. MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[][]
  3. RDC : République démocratique du Congo, précédemment nommée «Zaïre». []
  4. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  5. GIR : Gouvernement Intérimaire Rwandais pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide[]
  6. Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.[]

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