Procès de Laurent BUCYIBARUTA du vendredi 17 juin 2022. J26


Audition de monsieur Jean de Dieu HABINSHUTI, ancien détenu de la prison de GIKONGORO.

  • Déclaration spontanée.

 Ce que je voudrais dire à la Cour, c’est qu’en 1994, quand le génocide a été commis, j’étais détenu à la prison de GIKONGORO. Après qu’ils aient tué à MURAMBI, nous, les prisonniers, on nous a sortis pour qu’on aille ramasser les corps qui se trouvaient aux alentours de la gendarmerie de GIKONGORO. Une fois à l’intérieur du camp de gendarmerie, on a fait le nettoyage. A ce moment-là, j’ai vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA arriver en voiture et s’arrêter dans le camp. Le Capitaine SEBUHURA[1] est sorti du bureau et s’est approché de lui. Nous avons continué de nettoyer les lieux, et plus tard, alors que nous allions rentrer, le gendarme qui nous faisait faire le nettoyage nous a demandé de prendre des gourdins, de retourner à la prison de GIKONGORO en disant que les prisonniers Tutsi n’allaient pas passer la nuit avec nous. Ils nous ont dit que le préfet Laurent BUCYIBARUTA et le capitaine SEBUHURA venaient de leur dire qu’il ne pouvait plus y avoir aucun Tutsi dans la prison à partir de cette nuit.

Une fois à la prison, on nous a ouvert et nous sommes entrés à l’intérieur avec les gourdins et d’autres morceaux de bois que l’on nous avait donnés et nous les avons utilisés pour tuer les Tutsi. Les gendarmes ont fait venir la direction de la prison et ils leur ont dit qu’ils devaient nous remettre les dossiers des Tutsi en prison et que le préfet venait de dire que les Tutsi ne devaient plus passer la nuit dans la prison. On nous a donné les dossiers en question, nous sommes allés dans le bloc des détenus, nous avons installé les Tutsi à l’intérieur de la prison, là où nous recevions la nourriture. Nous les avons tous fait sortir, ils étaient environ 60. Parmi eux, il y avait deux femmes. Nous avons commencé à frapper ces Tutsi en leur donnant des coups de gourdins et avec ces gourdins-là, nous les avons tués.

Il y avait là-bas un surveillant de prison qui s’appelait KABURUVAYO, il a sorti les deux femmes pour aller les tuer après s’être emparé de leurs affaires. Le lendemain, Laurent BUCYIBARUTA a envoyé un camion du MINITRAPE[2], habituellement garé à la préfecture. Nous avons sorti et déplacé dans le camion les cadavres des personnes que nous avions tuées la veille. Nous sommes allés les enterrer à MURAMBI, dans une fosse où ils avaient déjà mis les corps des gens qu’ils avaient tués. Après, nous sommes revenus à la prison. Trois jours plus tard, le préfet a ordonné au Procureur de la République de nous relâcher, disant que les Inkotanyi[3] étaient arrivés à NYANZA, qu’il ne fallait pas qu’ils nous trouvent dans la prison. Nous avons été relâchés et nous sommes donc retournés chez nous.

En ce qui me concerne, comme tout le monde fuyait, j’ai fui et je me suis réfugié au Congo, à cause de l’insécurité que j’aurais pu avoir si les Inkotanyi me trouvaient sur place car j’avais été militaire sous HABYARIMANA. Je suis allé au Congo et, à mon retour, j’ai été accusé de génocide. J’ai été jugé, j’ai été condamné et après la condamnation, il a été constaté que le nombre d’années de la condamnation était déjà couvert par le nombre d’années que j’avais passé à la prison et donc je suis rentré chez moi. Aujourd’hui, je suis un citoyen ordinaire.

QUESTIONS DU PRÉSIDENT :

Sur questions de monsieur le président, le témoin dit, qu’au moment du génocide, il avait 27 ans. « J’avais étudié jusqu’en huitième année primaire. Je sais lire, écrire et compter. Je suis Hutu et et été militaire de 1990 à 1994, à RUHENGERI, dans l’armée d’HABYARIMANA[4].)). J’ai combattu dans le 52ème Bataillon, un bataillon de combat. Un jour, je suis entré chez moi sans autorisation et j’ai déserté. J’ai été arrêté: c’est en prison que m’a trouvé le génocide. Je n’avais pas encore été jugé. »

Président : Vous avez dit tout à l’heure que vous connaissez le préfet Laurent BUCYIBARUTA. Où habitiez-vous avant de partir à l’armée ? Et, avant de partir, aviez-vous eu l’occasion de rencontrer le préfet ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : A l’époque, j’habitais dans la préfecture de GIKONGORO, dans la commune de NYAMAGABE. C’est à ce même endroit que j’étais détenu pendant le génocide, pour avoir déserté l’armée. À l’époque du génocide, c’est dans cette région que Laurent BUCYIBARUTA était préfet.

Président : L’aviez-vous rencontré ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je le voyais passer quand j’étais prisonnier et que j’allais effectuer des tâches à l’extérieur de la prison.

Président : Donc, vous l’avez vu pour la première fois quand vous étiez détenu ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Comment avez-vous su que c’était le préfet ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Quand j’étais prisonnier, lorsque nous étions allés faire mes soins, les gendarmes ont dit au capitaine SEBUHURA de venir auprès du préfet Laurent BUCYIBARUTA qui demandait à le voir.

Sur questions du président, le témoin poursuit.

« Laurent BUCYIBARUTA, je ne l’ai jamais vu à la prison, il n’est jamais venu. A l’intérieur, j’étais policier, chargé de faire respecter les consignes au sein de la prison. Nous étions environ 300 prisonniers, dont environ 60 Tutsi et un petit nombre de Twa. Il y avait une cinquantaine de femmes, nous en avons tué deux. Je ne connaissais pas vraiment le directeur, c’est un adjoint qui commandait. Pendant le génocide le directeur a fui, mais son adjoint a été tué. J’ai connu un certain Claude KALISA qui était surveillant. »

Président : Est-ce que le nom de NZIGIYIMANA vous dit quelque chose ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Il était surveillant.

Président : Est-ce que c’était le surveillant en chef ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne sais pas, mais il dirigeait les surveillants, mais je ne savais pas si c’était lui le surveillant en chef.

Président : J’ai compris quand vous étiez détenu, que vous sortiez de la prison pour aller faire des travaux ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Vous avez parlé de soins, quel type de travaux faisiez-vous ? Des travaux d’entretien ? De maçonnerie ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : C’était le nettoyage ordinaire ou alors l’entretien du potager de la gendarmerie.

Président : Vous sortiez régulièrement ? Tous les jours ? Uniquement quand on avait besoin de vous ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : On sortait uniquement quand les gendarmes venaient nous chercher, quand ils avaient besoin de nous. Mais ce n’était pas souvent. J’allais au camp de gendarmerie ou alors à la préfecture pour y faire du nettoyage.

Président : Est-ce que vous vous souvenez si vous avez entendu des bruits d’une attaque ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Alors que nous étions à la prison, lorsqu’ils étaient en train de tirer à MURAMBI, nous avons entendu beaucoup de bruits de balles.

Président : Est-ce que vous avez vu ou compris qu’il y avait une attaque à MURAMBI ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ça concernait les réfugiés à MURAMBI, ceux qui avaient trouvé refuge, les réfugiés Tutsi.

Président : Et, est-ce que vous avez vu l’attaque ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, j’étais en prison. C’est le lendemain qu’on nous a demandé d’aller ramasser les cadavres.

Président : J’ai cru comprendre que vous n’allez pas aller directement à MURAMBI, mais que vous allez en premier au camp de gendarmerie pour nettoyer les bois autour de ce camp ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, quand nous sommes allés à MURAMBI, c’est au moment où nous transportions des corps que nous avions pris dans la prison.

Président : Donc, ce qu’on vous demande c’est de ramasser des cadavres qui se trouvent dans les bois autour du camp de la gendarmerie ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : C’est près ou c’est loin du camp de MURAMBI ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Quand on est à la gendarmerie, on voit MURAMBI devant soi à une distance de 5 km.

Président : Selon vous, les cadavres qu’on vous demande de ramasser, ce sont les cadavres de qui ? Des réfugiés Tutsi ? Des gendarmes ? Qui ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : C’étaient les corps des réfugiés Tutsi qui avaient survécu à MURAMBI, et qui ont été tués par les gendarmes, car ils étaient dans les bois des gendarmes.

Président : Donc, c’étaient les corps des réfugiés qui se sont échappés de MURAMBI et qui étaient autour du camp de gendarmerie ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Saviez-vous si parmi les gendarmes, il y en avait qui étaient Tutsi ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Il y en avait, mais quand nous avons fait du nettoyage à la gendarmerie, nous avions constaté qu’on avait retiré les autres gendarmes, les gendarmes Tutsi, et qu’on les avait emmenés quelque part à une destination qui nous est inconnue. Je ne les ai pas revus. Probablement qu’ils ont été tués car pour les gens, plus aucun Tutsi ne devait rester dans le pays.

Président : Est-ce que, parmi les gardiens de prison, certains étaient Tutsi ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ceux qui l’étaient étaient partis bien avant, bien avant que tout cela n’arrive.

Président : Quand est-ce qu’ils étaient partis ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils étaient partis avant que ne soit commis le génocide de MURAMBI.

Président : Donc, ils sont partis après la chute de l’avion de HABYARIMANA et avant l’attaque du camp de MURAMBI ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : A votre connaissance, il y avait combien de gardiens Tutsi ? Vous avez une idée du nombre de gardiens qui sont partis ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils étaient plus ou moins trois, car lorsque les trois sont partis, ils ont dit que les Tutsi en question étaient partis.

Président : Est-ce que vous avez su si des gardiens de prison ont participé à l’attaque contre le camp de MURAMBI ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne sais pas, je me suis enfermé car lorsqu’on est à l’intérieur de la prison, on ne peut pas savoir ce que quelqu’un de l’extérieur a fait.

Président : Est-ce qu’a l’intérieur de la prison on pouvait écouter la radio ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, il y avait une radio de prison.

Président : Quel type de radio ? Radio Rwanda ? RTLM[5] ? Radio du FPR [6]) ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Radio Rwanda.

Président : Est-ce que pendant cette période du génocide, les familles étaient autorisées à rendre visite aux détenus?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, ce n’était pas possible.

Président : Est-ce que vous connaissez un ancien détenu qui s’appelle Aloys MUSABYIMANA  ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne le connais pas.

Président : Un détenu qui s’appelait Célestin RUSANGANWA ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Comme nous étions nombreux, il n’était pas facile de connaitre le nom de quelqu’un.

Président : Le nom de Vénuste MUNYENTWALI, ça ne vous dit rien ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, je le connais.

Président : Est-ce qu’il venait avec vous faire des travaux à l’extérieur ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, lui il restait à l’intérieur de la prison, incarcéré.

Président : Comment s’effectuait le choix de qui pouvait aller à l’extérieur et qui restait à l’intérieur de la prison ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : On devait soit avoir été condamné à une peine légère, soit ne pas avoir encore été jugé.

Président : Donc, dans un premier temps, vous allez sortir et ramasser ces cadavres dans les bois autour du camp de gendarmerie, il y avait beaucoup de cadavres ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Pas beaucoup, environ 30.

Fosse commune de Cyanika, similaire à celles de Murambi.

Président : Qu’avez-vous fait de ces cadavres ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous les avons déposés à MURAMBI où on avait mis les autres.

Président : Est-ce qu’ensuite vous avez déplacé les cadavres à MURAMBI ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, nous les avons sortis des maisons pour les mettre dans une fosse qui avait été creusée.

Président : Il y avait beaucoup de cadavres ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Enormément.

Président : En dehors des prisonniers, est-ce qu’il y avait d’autres personnes qui venaient faire ce travail ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, que des prisonniers.

Président : Combien de prisonniers ont participé à cette tâche ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : A peu près 80 prisonniers.

Président :  Est-ce que certaines personnes trouvées sur place étaient encore vivantes ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non.

Président : Est-ce que certaines personnes avaient encore leurs vêtements ou est-ce qu’on leur avait pris leurs vêtements ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : On avait enlevé tous les habits.

Président : Et, tout ceux qui avaient été amenés avec les réfugiés, leurs affaires, l’argent qu’ils pouvaient avoir ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous n’avions rien trouvé sur place, hormis les corps.

Président : Est-ce qu’il restait du bétail ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, même pas une marmite, même pas une assiette, nous n’avions rien trouvé. Même pas de nourriture.

Président : Combien de fois êtes-vous venu à MURAMBI ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Pour aller nettoyer, ramasser les corps, uniquement trois.

Président : trois fois, donc trois jours de suite ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Après la gendarmerie, nous avons enchainé directement par MURAMBI. Après trois jours, nous étions déjà relâchés, nous avions déjà tout fait.

Président : Est-ce que quand vous faites ce travail, on vous dit que vous allez être récompensés ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, c’était tout simplement des tâches de prisonniers.

Président : Est-ce que vous avez vu des engins intervenir ? Des bulldozers ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Sauf alors un engin qui est venu tout au début creuser la fosse où on mettait ces corps.

Président : Pouvez vous décrire cet engin ? Vous savez d’où il venait ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Il provenait du service Ponts et Chaussées du MINITRAPE[7], à GIKONGORO.

Président : Et les camions, parce que j’ai cru comprendre qu’il y avait des camions, pouvez-vous les décrire ? Savez-vous d’où ils provenaient ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous nous sommes servis d’un seul camion, celui-là a servi au transport des corps, il venait du MINITRAPE à la préfecture.

Président : Est ce qu’en dehors de MURAMBI, vous êtes allés à d’autres endroits où il y avait des cadavres à ramasser ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Sauf alors dans les alentours de l’évêché à la paroisse de GIKONGORO.

Président : Qu’est ce qu’il y avait aux alentours de l’évêché ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : On y avait tué les Tutsi. Mais, d’autres prisonniers sont allés également ramasser les corps à la paroisse de CYANIKA, mais moi je n’y suis pas allé.

Président : Pourquoi n’y êtes vous pas allé ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : J’étais allé ramasser ceux de la paroisse.

Président : Est-ce que vous pouvez nous dire à quel moment exactement vous avez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Quand je l’ai vu, j’étais à la gendarmerie, j’étais avec le capitaine SEBUHURA.

Président : Avez-vous entendu ce qu’ils se sont dit ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je n’entendais pas, j’étais loin d’eux.

Président : Vous connaissiez le capitaine SEBUHURA ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne le connaissais pas, mais les gendarmes ont dit que c’était lui le capitaine et je l’ai vu ainsi.

Président : Est ce que vous avez entendu parler d’un officier qui s’appelait le major Christophe BIZIMUNGU ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, je ne le connais pas.

Président : Savez-vous faire la différence entre un major et un capitaine ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Celui que vous avez vu, il était capitaine ou major ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, il était capitaine.

Président : Vous avez vu le préfet avec le capitaine SEBUHURA une fois ou plusieurs fois ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je l’ai vu cette seule fois, mais lorsque sa voiture passait sur la route, on disait que c’était le préfet.

Président : La voiture passait souvent sur la route ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Vous savez où il allait ? Simplement à la préfecture ou allait-il ailleurs ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Il quittait la préfecture pour aller à sa résidence.

Président : Alors, est-ce que j’ai bien compris, vous aviez bien indiqué avoir reçu des armes, en particulier des gourdins, le premier soir lorsque vous avez récupéré les cadavres ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Donc, chronologiquement, il y a l’attaque, le jour de l’attaque vous ne sortez pas et le lendemain on vous appelle, vous êtes 80 prisonniers pour ramasser les cadavres ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Et, le soir, à ces 80 prisonniers, les gendarmes vont vous donner les armes ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous étions environ 50 à recevoir les armes, un autre groupe était rentré avant nous.

Président : Donc, c’était après avoir ramassé les cadavres, le premier soir ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : C’est exceptionnel de pouvoir rentrer en prison avec des armes ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Le préfet avait donné l’autorisation, nous étions rentrés avec ces armes car nous allions les utiliser le soir.

Président : Souvenez-vous du nom du gendarme qui vous dit qu’il y a eu des ordres donnés par le préfet?

Jean de Dieu HABINSHUTI : C’est un  des gendarmes qui nous supervisaient, ils se relayaient en entre eux, donc nous ne pouvions pas connaitre leurs noms.

Président : Ce n’est pas le capitaine SEBUHURA qui est venu vous parler ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, il a confié le message aux gendarmes qui nous ramenaient.

Président : Connaissiez-vous le procureur de GIKONGORO ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, je ne le connaissais pas, car ça ne faisait pas longtemps que j’étais détenu là-bas, je n’avais pas encore comparu au tribunal.

Président : Lorsque vous avez vu le capitaine SEBUHURA parler avec le préfet dans le camp de gendarmerie, est-ce qu’il y avait d’autres personnes avec eux ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, ils étaient uniquement eux deux.

Président : Est-ce que vous avez déjà vu le préfet au camp de gendarmerie ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je venais à la gendarmerie, mais le préfet n’y arrivait pas.

Président : Comment se passent exactement les meurtres des prisonniers ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : À la prison, on nous a remis le dossier des prisonniers et nous les avons appelés. Nous les avons fait sortir des blocs où ils logeaient, nous les avons mis à l’endroit où ils recevaient de la nourriture.

Président : Pouvez-vous être plus précis, qui a remis les dossiers ? On les a remis à qui ? À vous par exemple ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Dès notre entrée, un gendarme a dit à un surveillant qu’on devait nous laisser entrer avec ces bâtons, car ce soir-là on devait les utiliser pour tuer les Tutsi. Immédiatement, le surveillant est allé au secrétariat. Il a demandé au secrétaire de lui remettre le dossier des Tutsi, ce qu’il a fait. Le surveillant les a remis au chef des prisonniers, le Kapita.

Président : Vous, vous étiez Kapita ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : J’étais policier chargé de la sécurité.

Président : Je veux essayer de comprendre. Parmi les prisonniers, il y avait le Kapita et  en dessous de lui, il y avait d’autres prisonniers chargés de la sécurité ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, exactement,  il y avait des Kapita, des sous-Kapita et aussi des policiers.

Président : Souvenez-vous du nom de ce Kapita ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne peux pas me souvenir de son nom, ça fait trop longtemps.

Président :  Donc, quand le Kapita avait reçu ces dossiers, il y avait une liste avec ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, on lui a donné le dossier et après qu’il l’ai reçu, il appelait chaque prisonnier concerné par son nom. Le prisonnier sortait et nous, nous l’amenions à l’endroit où nous recevions la nourriture.

Président : Vous dites « nous l’amenions à l’endroit où nous recevions la nourriture ». Est-ce que c’était un réfectoire, une grande pièce ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : C’était un endroit précis à l’intérieur de la prison de GIKONGORO.

Président : C’était l’endroit où on mangeait ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Est-ce que ces prisonniers étaient attachés ? Est-ce qu’ils se laissaient faire ? Est-ce qu’ils ont réagi ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous les avions ligotés, quand nous sortions ces Tutsi. Quand on les sortait, nous leur mettions des liens. Nous désignons chacun un endroit où ils devaient se rendre. Une fois là-bas, on le frappait avec un gourdin et il mourait immédiatement.

 Président : Est ce que vous saviez s’ils se débattaient, est ce qu’ils comprenaient ce qui se passait ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, ils n’ont jamais réagi. Quand ils nous ont vu rentrer avec ces armes, alors que d’habitude nous ne venions pas avec ces armes, ils ont constaté qu’ils allaient mourir. Lorsqu’ils ont commencé à les appeler, quand ils ont compris que c’était fini pour eux, ils n’ont jamais réagi.

Président : Vous avez dit qu’il y avait 60 prisonniers qui ont été tués ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Combien de temps ça a duré ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous l’avons fait pendant environ deux heures.

Président : Donc, le lendemain, un camion est venu pour chercher les cadavres et les amener à MURAMBI?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : Et ces prisonniers, ils avaient des effets avec eux ? Des livres, des radios, des choses comme ça ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Quelques détenus se sont emparés de ces effets.

Président : Les deux femmes Tutsi qui ont été tuées, elles ont été tuées en premier, elles ont été tuées par les surveillants ou par les prisonniers ? Je n’ai pas bien compris.

Jean de Dieu HABINSHUTI : Les femme ont été tuées les premières. Après qu’on les ait fait sortir, un surveillant a pris leurs effets et les a tuées. Nous, nous avons tué les prisonniers pendant la nuit, lui avait tué les femmes quand il faisait encore jour.

Président : Est-ce que vous savez s’il y a eu d’autres moments où on a tué les prisonniers ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, nous avons tué uniquement ceux-là, pour qui on nous avait donné des listes, il n’y a a eu d’autres tués.

Jean de Dieu HABINSHUTI :

Président : Vous aviez été combien à être libérés ?

Nous tous, sauf les Tutsi que nous avions tués. Nous tous, nous sommes rentrés chez nous.

Président : C’est-à-dire, tous les prisonniers ou ceux qui avaient tué les Tutsi ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Tous les prisonniers sont partis.

Président : Donc, on vous a dit de partir car le FPR[8] arrivait?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Président : On vous a dit qui avait décidé de votre libération ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Le préfet aurait donné l’ordre au Procureur qui lui aussi nous a relâchés.

Président : Avez-vous entendu parler de détenus Tutsi de NYANZA, BUTARE, KIGALI ou d’autres régions, qui auraient été amenés de GIKONGORO ? Ça vous dit quelque chose ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ceux qui étaient venus de la prison de NYANZA étaient arrivés avant le génocide et leurs collègues détenus les ont dénoncés, ils avaient dit qu’ils étaient Tutsi, et nous les avons tués en même temps que les autres.

Président : Est-ce que vous avez su s’il y avait eu trois prêtres qui ont été tués à la prison de GIKONGORO ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, on les a amenés.

Président : Quand est-ce qu’ils ont été tués ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils ont été tués après que nous ayons tué les prisonniers Tutsi. Puis, on les a amenés, on a dit qu’ils provenaient de BUTARE, on a dit que eux aussi c’était des Tutsi et qu’il fallait les tuer et donc on les a tués.

Président : Vous n’aviez pas eu peur de tuer les prêtres ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous avons eu peur, mais comme il s’agissait d’un ordre, on ne pouvait pas faire autrement.

Président : Qui a donné l’ordre ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : On disait que ces prêtres étaient de BUTARE et qu’ils étaient passés par la préfecture.

Président : On disait que ces prêtres venaient de BUTARE et étaient passés par la préfecture ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils étaient allés à la préfecture et on les a livrés à la prison.

Président : Est-ce que lorsque vous avez exécuté ces prisonniers, il y a eu des récompenses ? À boire par exemple ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non.

Président : Souhaitez-vous ajouter autre chose ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Rien.

Président : Comment voyez-vous les choses aujourd’hui ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Au Rwanda, nous vivons dans l’unité et la réconciliation, assassins et rescapés, nous vivons en harmonie.

Président : On vous a dit qu’il fallait les tuer car ils étaient Tutsi. Comment concevez-vous la responsabilité de ceux qui ont donné l’ordre de les tuer car ils étaient Tutsi ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Aujourd’hui, je me dis que ce sont des gens très mauvais, ils nous ont poussés à nous monter les uns contre les autres, à nous entre-déchirer.

 QUESTIONS de la COUR.

Juge Assesseur 1 : J’ai des questions sur la chronologie. Quand vous aviez été entendu par les gendarmes, comme M. le Président vous avez interrogé sur d’autres personnes tuées en dehors des jours où la majorité des prisonniers sont tués, il me semble que vous aviez dit que c’était au mois de mai. Et, vous avez alors évoqué les gens qui venaient de la prison de NYANZA et les prêtres qui venaient de la prison de BUTARE. Vous avez reconnu avoir participé aux meurtres des prêtres, on est d’accord ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Juge Assesseur 1 : La cour est saisie du meurtre de ces prêtres et, sauf erreur de ma part, la date c’est fin mai 1994 ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, ils sont morts après ces autres prisonniers car ils sont arrivés après.

Juge Assesseur 1 : Donc, fin mai 1994 ? Vous êtes toujours détenus à la prison de GIKONGORO ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Juge Assesseur 1 : Moi, je ne comprends pas car vous dites que quand la majorité des détenus sont tués c’est le 22 avril, après il y a 4/5 jours d’enterrement à MURAMBI et vous dites que 3 jours après vous êtes libéré. Donc, ça nous fait fin avril/début mai ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Alors, moi je ne me rappelle plus vraiment des dates, des mois, mais juste de ce que nous avons fait.

Juge Assesseur 1 : Vous, vous ne souvenez pas de la date à laquelle vous êtes libéré ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non.

Juge Assesseur 1 : À la prison, il y a eu des meurtres commis à l’initiative des prisonniers, sans ordre donné ?

Jean de Dieu HABINSHUTI :: Non, ça n’est pas arrivé.

Juge Assesseur 1 : Sur les meurtres des gens de la prison de NYANZA, là vous avez dit que vous n’y aviez pas participé car vous dormiez, c’est vrai ?

Jean de Dieu HABINSHUTI :: Ils ont été tués en même temps que les autres.

Juge Assesseur 1 : Je ne vous demande pas ça. Je vous demande si vous n’y avez pas participé car vous dormiez ? Ou peut-être vous y avez participé, je ne sais pas.

Jean de Dieu HABINSHUTI : J’ai participé aux meurtres qui se sont passés à la prison.

Juge Assesseur 1 : Y compris ceux de NYANZA ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils étaient avec les autres.

Juge Assesseur 1 : Donc, quand les gendarmes vous demandent qui vous a donné l’ordre de tuer ces nouveaux prisonniers en faisant référence à ceux de NYANZA, vous répondez : « Il me semble que personne n’a donné d’ordre, cela s’est fait, je crois à l’initiative des prisonniers qui voulaient éliminer les Tutsi restants et piller leurs biens. Ce sont encore des prisonniers chargés de la sécurité, qui se sont chargés des meurtres ». Moi, j’avais compris que vous étiez quelqu’un chargé de la sécurité intérieure de la prison.

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je n’étais pas le seul, il y en a d’autres également.

Président : S’agissant des prêtres, est-ce qu’on vous a donné un ordre pour tuer les prêtres ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, nous avons reçu un ordre.

Président : De qui ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : C’est la direction de la prison qui nous a dit « Ces prêtres doivent sortir comme cadavres ».

Pas de questions des parties civiles.

 Questions du ministère public :

Ministère public  : Avant de poser les questions, j’aimerais diffuser des documents au dossier afin qu’on visualise un peu plus – D10518/6. Est-ce que vous pouvez expliquer à la Cour les distances entre la prison, la préfecture, le camp de gendarmerie, le camp de MURAMBI ?

Donc, la gendarmerie et la prison sont très près. La préfecture est aussi à proximité.

Greffière : Donc, entre la prison et la gendarmerie, il y a environ 400 mètres.

Ministère public : Vous avez vu la carte, vous nous confirmez que tous ces lieux sont extrêmement proches ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Ministère public : Depuis la prison de GIKONGORO, vous aviez une vue sur l’ETO de MURAMBI ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Ministère public : Vous pourriez décrire rapidement comment la prison de GIKONGORO était organisée ? Lorsqu’on entre, on arrive dans une cour, il y a des bâtiments ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : À l’intérieur de la prison, il y a des bâtiments dans lesquels dorment les prisonniers et au milieu il y a un espace.

Ministère public : Cet espace, c’est une cour ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : C’est comme entre les chambres, c’est un long couloir.

Ministère public : Ça c’est au niveau du bâtiment où les détenus dormaient, c’est ça ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, mais à l’intérieur, je parle de l’extérieur et entre les bâtiments, il y avait un espace où nous prenions nos repas.

Ministère public : D’accord. Il y avait aussi un bâtiment de la direction ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Le bureau est à l’intérieur dans la prison.

Ministère public : Où sont situés les cuisines par rapport aux autres bâtiments ? Les cuisines étaient où ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Les cuisines étaient à l’extérieur de la prison, et la nourriture arrivait dans des tonneaux.

Ministère public : Quand vous dites à l’extérieur, c’est parce que ce n’est pas dans les bâtiments ? Vous dites dehors car c’est distinct ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : C’est quand vous n’étiez pas de la prison.

Ministère public : Les cuisines c’est quelque chose d’ouvert ? Car en pensant « prison », on pense quelque chose de clos ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Elles étaient dehors, et c’est comme si vous preniez un hangar et vous y mettiez un réchaud.

Ministère public : Je voudrais revenir sur la date de l’assassinat des trois prêtres, et je vais donc donner lecture d’extraits du journal de Madeleine RAFFIN – D77 :

mercredi 4 mai 1994: interrogatoire des prêtres.

samedi 7 mai: les prêtres sont emmenés à BUTARE.

14 mai – assassinat des trois prêtres à la prison de GIKONGORO.

Président : Ce n’est pas forcément le jour de la mort, c’est le jour où Madeleine RAFFIN l’apprend.

Ministère public : C’est ce que j’allais préciser M. le Président. Est-ce que cette date du 14 mai pourrait correspondre à vos souvenirs ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Le problème c’est que je ne peux pas savoir les dates et les mois car, à cette époque, ça s’est mélangé dans nos têtes. Je suivais les choses qu’on faisait jour après jour.

Ministère public : Après les massacres, auxquels vous reconnaissez avoir participé en prison, est-ce qu’il y a eu une enquête par le Procureur ? Les attaquants ont été inquiétés ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous avons été poursuivis, seulement après que le FPR soit au pouvoir.

Ministère public : Donc, aucune poursuite pendant le génocide, vous êtes libéré en juin et c’est sur ordre du préfet que cette libération est intervenue ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Ministère public : Dans votre audition, vous avez – D10431 « Question : « Comment saviez-vous que les gendarmes vous ont libérés sur les ordres du préfet? »  Réponse : « C’est ce que nous ont dit les gendarmes. »

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Ministère public : Vous vous rappelez d’un communiqué, Monsieur ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Le communiqué pour nous relâcher ?

Ministère public : Oui.

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Questions de la défense : 

Me LÉVY : J’aimerais revenir sur un point, vous avez indiqué lors de votre audition devant les enquêteurs français D10431/2 : « j’ai été militaire… à RUHENGERI ». C’est dans une autre préfecture que GIKONGORO ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Me LÉVY : « J’ai déserté et été arrêté… », vous n’avez pas été à GIKONGORO avant 1990 ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne sais pas quel jour j’ai été arrêté, mais j’ai été arrêté trois jours après ma désertion.

Me LÉVY : Donc, vous n’aviez jamais vécu à GIKONGORO avant cela, vous étiez au camp de RUHENGERI ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Me LÉVY : Est-ce que vous avez déjà vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ou sa voiture avant le génocide ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non.

Me LÉVY : Vous dites l’avoir vu au camp de gendarmerie, que vous ne saviez pas que c’était le préfet mais ce sont les gendarmes qui vous l’ont dit, et de même pour le capitaine SEBUHURA ? Vous n’en connaissiez aucun des deux ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Me LÉVY : Vous dites que vous étiez assez éloigné et n’entendiez pas ce qui se passait, n’est-ce pas ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Me LÉVY : Vous avez dit que les gendarmes vous avaient dit de tuer les gens dans la prison et que c’était un ordre du préfet ? C’est ce que vous avez dit.

Jean de Dieu HABINSHUTI : : Oui.

Me LÉVY : Quand vous avez été entendu par les enquêteurs du TPIR[9] en 2002, vous aviez indiqué à ce sujet – D362 « après l’enterrement des corps, les gendarmes nous ont dit … ». Et quand on a demandé pourquoi, ils nous ont dit que le capitaine SEBUHURA a dit qu’il fallait tuer tous les Tutsi avec nous ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

Me LÉVY : On vous dit que c’est un ordre de SEBUHURA ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils m’ont interrogé à MURAMBI et sur ce qui se passait à MURAMBI.

Me LÉVY : Et donc, à la prison, vous dites que c’est un ordre du capitaine SEBUHURA et pas le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, j’ai dit les deux.

Me LÉVY : Non, quand vous êtes entendu par les enquêteurs français, on vous demande qui a donné l’ordre et vous dites – D10431/4 « ce sont les gendarmes de MURAMBI … ordre relayé par BIZIMANA, exécuté par … ». Et on vous repose la question plus loin, et vous répondez affirmativement. Donc, dans aucune de ces deux auditions, vous êtes interrogé à plusieurs reprises sur l’identité du donneur d’ordre, et vous ne parlez jamais de Laurent BUCYIBARUTA ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Alors, je l’ai dit avant,  je l’ai dit lors de mon procès et je l’ai dit aujourd’hui.

Me LÉVY : Est-ce que c’est un hasard que ce soit seulement le jour du procès, après deux auditions, que vous modifiez vos déclarations pour orienter des accusations contre Laurent BUCYIBARUTA ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, je l’ai mentionné depuis le début, je ne sais pas pourquoi ça n’a pas été mentionné.

Me LÉVY : Donc, ce sont les enquêteurs du TPIR et les enquêteurs français qui ne l’ont pas noté ?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, moi je leur ai dit cela, je ne sais pas pourquoi ils ne l’ont pas noté.

Président : Nous vous souhaitons un bon retour au Rwanda.

 

Monsieur le président propose que l’on reprenne l’interrogatoire de personnalité de monsieur Laurent BUCYIBARUTA.

Maître QUINQUIS veut savoir à qui revenait la responsabilité de protéger les populations.

Monsieur BUCYIBARUTA: c’est la communauté internationale qui pouvait secourir les gens à la fin du génocide. Les organisations ont préféré plier bagage.

Maître GISAGARA interroge l’accusé sur sa « longue et brillante carrière », soulignant le fait qu’il a servi plusieurs régimes.

Monsieur BUCYIBARUTA: J’étais fonctionnaire d’un gouvernement. Je ne servais pas un régime.

A la question de savoir si, selon l’expression de monsieur GUICHAOUA, il avait un « léopard » (NDR: un protecteur qui permet d’accéder à des postes officiels), l’accusé répond qu’il ne connaissait même pas l’expression.

Maître BIJU-DUVAL intervient pour faire remarquer qu’on n’est plus dans l’interrogatoire de personnalité.

L’avocat des parties civiles veut savoir si l’accusé a quitté BANGUI avec un visa.

Monsieur BUCYIBARUTA de répondre: « Ca concerne l’administration française. J’ai été accueilli à Charles de Gaulle. Quand un étranger se présente comme réfugié, il n’a pas besoin de visa. A l’aéroport, j’ai rencontré quelqu’un des Affaires étrangères qui m’a expliqué la procédure. »

Et comme l’avocat insiste, l’accusé finit par lui dire: « Ca ne vous regarde pas. »

A ce propos, maître GISAGARA va exiger de monsieur le président de lui donner acte concernant cette réponse. Monsieur le président conteste sa demande qu’il va finir par accepter. Mais, « s’il vous plait, ne multipliez pas ce genre de procédure » conclura-il.

Maître TAPI interroge l’accusé sur le fait qu’il s’est toujours déclaré « neutre », neutralité qu’il a exigée de ses subordonnés. « Demander la neutralité en période grave, n’est-ce pas cautionner l’oppresseur? »

Monsieur BUCYIBARUTA se contente de répondre: « J’ai demandé la neutralité à mes collaborateurs. Certains ne m’ont pas écouté. J’étais fonctionnaire. J’ai fait ce que je pouvais faire, avec mes moyens. »

Maître PHILIPPART, avocate du CPCR, évoque le fait que la femme de l’accusé est Tutsi, ce qui est assez répandu à GIKONGORO. De rappeler aussi que, quand le père est Hutu, les enfants le sont aussi. Monsieur BUCYIBARUTA précise que c’est une loi édictée par la colonisation belge maintenue sous les différentes républiques. Il ne sait pas de quelle « ethnie » était la femme de SIMBA.

 

Audition de monsieur Didace HATEGEKIMANA, ancien bourgmestre de RUKONDO, détenu à la prison de HUYE, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le témoin n’a pas de déclaration spontanée à faire. Il préfère répondre aux questions qu’on voudra bien lui poser. Sur questions de monsieur le président, le témoin apportera les précisions suivantes:

« En 1994, j’étais bourgmestre de RUKONDO, dans la sous-préfecture de KARABA. Avec le débauchage et les changements de partis, les problèmes n’on pas manqués. Avec le multipartisme sont apparus beaucoup de voyous. Dans ma commune, beaucoup avaient adhéré au PSD[10] dont le président national, NZAMURAMBAHO, était originaire. Il avait été tué après l’attentat.  C’était quelqu’un de droit qui voulait la démocratie.

En 1994, il y avait entre 14 et 25% de Tutsi, les victimes du génocide. Avant d’être désigné bourgmestre en 1990,, j’étais enseignant, directeur d’un CERAI[11], une école pour ceux qui n’avaient pas pu continuer leurs études. A cette époque, Laurent BUCYIBARUTA nous a demandé de ne pas porter les insignes de notre parti. »

Avant 1994, le préfet pouvait-il contrôler les bourgmestres, les suspendre en cas de mauvais comportement?

« C’est une question difficile. Nous ne lui reprochions rien, il trouvait des solutions aux problèmes que nous lui soumettions. Je ne suis pas bien au courant des responsabilités qui étaient les siennes. »

Le préfet avait-il un pouvoir disciplinaire sur les fonctionnaires?

« Je ne sais pas. Je ne peux répondre qu’en ce qui me concerner. Ma population tutsi a été attaquée et a trouvé refuge à un mauvais endroit. Je suis allé demander de l’aide à Laurent BUCYIBARUTA. Il m’a demandé de m’adresser au commandant de gendarmerie qui m’a donné des gendarmes qui sont allés calmer les troubles. Beaucoup de Tutsi s’étaient rapprochés de la famille de Juvénal KAMONDO, frère de NZAMURAMBAHO. C’est lui qui m’avait appelé à l’aide. Quand j’arrive à NGARA avec les gendarmes, vingt-deux Tutsi ont déjà été tués. Mais les tueurs s’étaient enfuis. Il y avait aussi des problèmes à MAHERESHO où des Tutsi s’étaient réfugiés au Centre de l’église pentecôtiste. J’ai été averti par un messager envoyé par un député, que ce Centre avait aussi été attaqué. Les gendarmes sont intervenus mais les tueurs avaient fui. Les blessés ont été transportés à l’hôpital de KIGEME. Le lendemain, je suis allé voir les pasteurs de la paroisse: il y avait soixante personnes à enterrer. »

Y a-t-il eu des réactions des autorités après l’annonce de ces tueries?

Le témoin n’en a pas eu connaissance. Mais les Tutsi ont bien été tués, leurs maisons incendiées, leur biens et leur bétail pillés, reconnaît le témoin. Il n’avait pas de relations avec les autres bourgmestres, ne sait pas comment NGEZAHAYO a réagi après les massacres de KARAMA, ne sais pas non plus ce qui s’est à CYANIKA. Il a pourtant été condamné pour les tueries de CYANIKA, ce qu’il conteste.

A-t-il rencontré BUCYIBARUTA le 26 avril lors d’une réunion?  Le témoin confirme mais ne se souviens pas si le représentant de la CDR[12] était là.

L’objet de cette réunion?

« Il s’agissait des questions liées à la sécurité et à la punition des responsables des tueries. Le préfet a parlé. Nous devions nous liguer pour livrer le même message à la population. Ce message a été lu par le sous-préfet le 29 avril. Je ne sais pas si des bourgmestres, qui devaient délivrer un message de pacification, ont participé au génocide. Le procureur de GIKONGORO était présent en tant que membre du Conseil préfectoral de sécurité. Il s’est adressé aux inspecteurs de police judiciaire des communes en leur demandant de réprimander les fauteurs de troubles afin de ramener la sécurité. »

A-t-on sanctionné les auteurs des massacres?

« Je n’ai pas cessé de parler contre les tueurs et les pillards. nous avons essayé de les arrêter mais en juin, les autorités ont ouvert les portes de la prison. J’ai su que Aloys KATABARWA se serait caché chez Laurent BUCYIBARUTA. Il a survécu et mort de maladie plus tard. »

Monsieur le président fait remarquer au témoin que ce monsieur était le chauffeur du préfet.

« Je ne me souviens pas si c’était son chauffeur. Je n’ai plus revu Laurent BUCYIBARUTA après cette période, jusqu’au moment où nous avons fui. Je l’ai revu au camp de KASHUSHA, au Zaïre. Nous nous sommes salués, il m’a demandé si j’avais fui. Nous ne nous sommes plus revus. »

Le témoin ajoute qu’il n’a pas voulu témoigner lors du procès de SIMBA au TPIR[13]. Il craignait des mesures de rétorsion de la part des autorités rwandaises. Même pour témoigner dans dans le procès de BUCYIBARUTA, il avait des craintes. Et de revenir sur le cas SIMBA.

« Si quelqu’un m’a posé une question sur SIMBA et que j’ai évoqué des craintes, je me disais que si j’étais conduit à ARUSHA, on aurait pu penser que j’allais témoigner à sa décharge. Je vous remercie d’avoir accepté de recevoir mon témoignage. C’est terminé pour moi. »

Le témoin semble pressé de pouvoir retourner dans sa prison de HUYE, comme ont pu le faire les trois autres prisonniers avec lesquels il est venu dans la capitale.

Une dernière question concernant la réunion du 26 avril. Le Premier Ministre Jean KAMBANDA n’était pas présent. La réunion qui avait été prévue pour le 29 avril a été reportée en raison de la venue du Premier Ministre ce jour-là.

Sur question de maître GISAGARA, le témoin se dit avoir été surpris par les attaques perpétrées dans sa commune. L’avocat lui fait remarquer que ce n’est pas la première fois que des crimes avaient été commis. Le témoin reconnaît avoir entendu parler de problèmes dans les années 60. Des Tutsi ont bien été arrêtés aussi en 1990 comme complices, comme Emmanuel TWAHIRWA. Mais ils ne sont pas restés longtemps en prison. C’est le même procureur qui avait procédé à ces arrestations!

Maître TAPI s’étonne que le témoin ait parlé de « voyous »: « Le Premier Ministre qui a convoqué la réunion du 29 avril a été condamné, SIMBA a été condamné, les sous-préfets et vous-même avez été condamnés à de lourdes peines. Vous êtes tous des victimes de la justice? »

Le témoin: « Nous ne sommes pas victimes de la justice, internationale ou autre. Des gens ont été tués alors que nous avions la charge de leur vie. Il faut tenir compte du peu de moyens dont nous disposions pour endiguer les problèmes. Nous avons été condamnés à de lourdes peines! Ils auraient dû prendre en compte notre bonne volonté. J’ai parlé de « voyous » à l’occasion du multipartisme. Ils chantaient beaucoup en se moquant de HABYARIMANA. »

Au ministère public de s’adresser au témoin. L’avocate générale s’étonne que ce dernier ait pu dire qu’il ne savait pas quelles étaient les attributions du préfet, lui qui était bourgmestre et donc officier de police judiciaire.

Le témoin reconnaît qu’il était officier de police judiciaire mais il demande à l’avocate générale de ne pas oublier qu’il avait été surpris d’avoir été nommé bourgmestre alors qu’il n’était qu’enseignant. Il ne connaît pas les critères qui ont pu motiver ce choix. Le préfet pouvait bien lui demander d’arrêter des gens de son secteur, mais il ne l’a jamais fait.

« Le préfet était-il votre autorité? » insiste l’avocate générale.

Le témoin: Si le préfet avait vu un bourgmestre dysfonctionner, il n’aurait pas manqué de la blâmer ou de lui adresser une remarque. Je pense qu’il été habilité à mettre en place une commission d’enquête.

Le ministère public: Des témoins de contexte sont venus dire que la notion de pacification était une formule euphémisée, que c’était en réalité un appel à l’auto-défense civile. Des Tutsi sont sortis de leurs cachettes et ont été tués. Pour vous, la pacification, c’était quelque chose de faux?

Le témoin: la défense civile avec SIMBA consistait à apprendre le maniement des armes à feu, pas forcément pour tuer les Tutsi mais pour combattre les Inkotanyi[14]. Mais beaucoup de Tutsi sont morts.

Le ministère public:  D 10949/11. Jean KAMBANDA reconnaît avoir incité, encouragé les préfets, les bourgmestres à commettre des massacres de Tutsi et de Hutu modérés[15]. Il reconnaît avoir sillonné les préfectures en félicitant les tueurs. Vous avez une réaction?

Le témoin: Je suis étonné que KAMBANDA ait plaidé coupable. Il pensait peut-être être condamné moins lourdement.

Le ministère public: Jean KAMBANDA s’est dit fier de GIKONGORO qui a mis en pratique les directives du gouvernement. C’était un double langage?

La remarque précédente n’obtient pas de réponse du témoin. L’avocate générale voudrait avoir une précision concernant le rôle de sous-préfet de CYANIKA. D 10468/5. « J’ai appris par le brigadier que le sous-préfet avait pris en charge des villageois pour les conduire à CYANIKA où ils auraient participé aux massacres. » Combien y avait-il de policiers communaux?

Le témoin: Il y en avait quatre quand je suis arrivé. La commune avait peu de moyens. On a gardé cet effectif jusqu’en 1994.

Maître BIJU-DUVAL veut savoir, concernant la lutte contre la délinquance, combien il fallait de policiers, en temps normal, pour arrêter un criminel.

Le témoin répond que ça dépendait de l’armement du tueur.

Maître BIJU-DUVAL: A partir du 7 avril, les massacres sont commis par des individus ou par des groupes?

Le témoin: J’ai parlé de voyous.

Maître BIJU -DUVAL se demande comment deux ou quatre policiers pouvaient bien pouvoir arrêter des bandes de tueurs. Et de conclure: « L’avocate générale vous a beaucoup parlé des déclarations de KAMBANDA. Ce qui m’intéresse, ce sont les propos de Laurent BUCYIBARUTA et de son message. »

Fin de l’audience.

 

Audition de monsieur Pascal HABUFITE, témoin cité par la défense.

« Je connais Laurent BUCYIBARUTA depuis 1980. Pendant le génocide, je ne l’ai l’ai vu que les 12 et 13 avril. Je l’ai revu en France, où je suis depuis 2009, en 2011 et plusieurs autres fois. Je l’ai connu comme un député très sage, réfléchi. On se demandait même parfois s’il n’avait pas été prêtre.

Pendant le génocide, j’habitais KIGALI et dans la nuit du 6 avril ont commencé des massacres et des pillages. C’était un chaos indescriptible. Je suis parti avec un groupe qui fuyait. Je suis arrivé à GIKONGORO dans la soirée du 12 avril, après avoir été emprisonné quelques heures à BUTARE. Je voulais voir Laurent BUCYIBARUTA à son domicile pour lui demander des conseils.

On a échangé sur la situation à KIGALI et GITARAMA. Il nous a conseillé de ne pas continuer notre route ce soir-là. Une réunion devait avoir lieu le lendemain, nous pourrions nous insérer dans le convoi qui nous reconduirait le soir.

il nous a hébergés dans un Centre d’accueil. J’ai vu un homme préoccupé par la situation, un homme conscient de son incapacité à exercer ses fonctions. Il nous a dit qu’il n’avait plus de moyens et qu’il ne pouvait rien faire pour nous.

C’était aussi un homme inquiet pour sa femme bloquée à l’Est du pays d’où elle était originaire. J’ai trouvé bizarre qu’il soit seul à son domicile. 

Le lendemain, 13 avril, nous sommes retournés à son domicile. On a aperçu des gens qui s’agitaient sur une colline d’en face, « probablement des pillards » nous dira-t-il. Le préfet ajoutera: « A GIKONGORO, j’ai un problème. Il y a un adjoint qui encourage les pilleurs et qui s’oppose aux directives du commandant. » A mon retour à KIGALI  en août, j’apprendrai qu’il s’agissait de SEBUHURA[16]

Après le génocide, j’ai revu BUCYIBARUTA en FRANCE où je suis arrivé en 2009. En 2011, je revois l’homme que j’ai connu. Beaucoup de Rwandais ont changé dans le mauvais sens mais pas lui. Il n’avait de haine pour personne, aucune haine à l’égard des Tutsi. Ce n’est pas le monstre qu’on veut présenter. Je ne dirais pas la même chose sur BINIGA. 

Quand je suis arrivé dans mon village natal, les gens avaient déjà été tués. Il régnait un sentiment de méfiance. Des rumeurs circulaient selon lesquelles des Tutsi voulaient tuer les Hutu, qu’ils auraient creusé des fosses, qu’on était même allé jusqu’à empoisonné les hosties. Il y avait une foi aveugle dans les médias, surtout dans la RTLM[17] qui était écoutée du matin au soir. Ce sera l’origine de cette barbarie.

Le pouvoir était dans la rue. Il n’y avait plus aucune autorité. Ce sont les voyous qui faisaient la loi. Laurent BUCYIBARUTA n’a organisé aucune réunion. Aucune autorité n’a organisé de réunion de la mi-avril à la mi-août.

Il serait faux de dire qu’aucune autorité n’a participé aux tueries. Mais ce serait injuste de mettre tout le monde dans le même panier. Il faudrait vraiment chercher à connaître la vérité. »

Monsieur le président va chercher à en savoir un peu plus sur ce témoin quelque peu étonnant. Il était directeur général au ministère de l’Éducation, travail qu’il retrouvera en 1997, puis jusqu’à son départ. il est originaire de MUSEBEYA où, il le reconnaît, les tueries commencent très tôt.

Concernant les « rumeurs » dont a parlé le témoin, monsieur le président évoque la notion des « accusations en miroir ». Monsieur HABUFITE regrette qu’il n’y ait pas eu d’enquêtes, ce qu’il redira à plusieurs reprises. La pacification? Il n’en a pas entendu parler.

Assesseur 1 : Vous avez visité le Mémorial de MURAMBI? (NDR. Laurent BUCYIBARUTA y est présenté comme un génocidaire.)

Le témoin: plaidant pour l’accusé, il utilise une expression peu adaptée à la situation: « Je peux donner ma tête à couper. »

Le témoin aura beaucoup de mal à dire qu’il est Hutu (NDR. Tout le monde l’avait toutefois compris.) Lors de son déplacement vers GIKONGORO le 12 avril, il ne rencontrera qu’une seule barrière, près de BUTARE. (NDR. Il y en avait une célèbre à la sortie de KIGALI, à GITIKINYONI, où de nombreux Tutsi seront tués.) Aucune barrière non plus entre GIKONGORO et MUSEBEYA.

La planification? « Même à ARUSHA, la planification n’a pas été reconnue. Mais le génocide n’est pas tombé du ciel, même si ce n’est pas une preuve de planification. J’ai été un des premiers à apprendre l’attentat contre HABYARIMANA. C’était la fin du monde. J’attendais la mort. »

Maître GISAGARA veut savoir si, le 12, le préfet lui a dit que les gendarmes tuaient.

Le témoin: Il m’a parlé d’un gendarme adjoint.

Maître TAPI: Vous avez dit que, dans le génocide, tout le monde avait changé.

Monsieur le président intervient en rectifiant: « Il n’a pas dit tout le monde. »

Maître TAPI accepte de modifier sa question: Comment savez-vous que Laurent BUCYIBARUTA n’a pas changé?

Le témoin: Le génocide nous rattrape. J’ai la conviction que Laurent BUCYIBARUTA est resté le même.

Le ministère public: Le 12 avril, Laurent BUCYIBARUTA vous parle des premiers massacres?

Le témoin: Oui, mais il ne me dit pas où ils se produisent.

Le ministère public: Vos relations avec monsieur BUCYIBARUTA sont-elles des relations privilégiées?

Le témoin: Je l’ai vu en 2011, puis à plusieurs reprises. Je l’ai revu à un mariage à ORLÉANS. Je ne dirai pas que c’est un ami. C’est une connaissance.

Maître BIJU-DUVAL remercie le témoin pour son témoignage.

Monsieur le président clôture l’audience et donne rendez-vous au lundi 21 à 9h30.

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Mathilde LAMBERT

Jacque BIGOT

  1. Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.[]
  2. MINITRAPE : Ministère des Travaux Publics et de l’Équipement[]
  3. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[]
  4. Juvenal HABYARIMANA : Président de la République rwandaise de 1973 jusqu’à son assassinat le 6 avril 1994. Juvénal HABYARIMANA a instauré un régime à parti unique, le MRND, discriminatoire à l’encontre des Tutsi et marqué par un favoritisme à l’égard des Hutu originaires de la préfecture de Gisenyi (Nord), région dont il était originaire. Il a introduit des quotas ethniques dans l’administration et l’enseignement pour limiter le poids des Tutsi et laissa la propagande et la haine anti-Tutsi se développer massivement sous son pouvoir, cf. glossaire[]
  5. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[]
  6. Radio Muhabura :  la radio du FPR(Front Patriotique Rwandais[]
  7. Ibid.[]
  8. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  9. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[]
  10. PSD : Parti Social Démocrate[]
  11. CERAI : Centre d’Apprentissage Rural et Artisanal Intégré[]
  12. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  13. Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide et extermination, crimes contre l’humanité »[]
  14. Ibid. []
  15. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide[]
  16. Ibid.  []
  17. Ibid.   []

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