- Audition de monsieur Fidèle NKERAMUGABO, rescapé cité par le ministère public.
- Audition de monsieur Claude NDORIMANA, partie civile.
- Audition de monsieur François SHIKAMA, en visioconférence du Rwanda.
- Audition de monsieur Stanislas HIGIRO, rescapé cité par le ministère public.
Comme prévu, monsieur BUCYIBARUTA est invité à réagir aux témoignages entendus la veille.
« Ce que Désiré NGEZAHAYO disait, c’était pour échapper à la peine de mort. Dans son jugement de 1998, je n’ai rien lu qui puisse me concerner. Il n’a cessé de rejeter la responsabilité de ses actes sur moi.
Au CEPEP, SINDIKUBWABO[1] ne s’est entretenu ni avec les sous-préfets, ni avec les bourgmestres. Quant à la lettre que NGEZAHAYO prétend avoir adressée au préfet, elle n’existe pas. »
Monsieur BUCYIBARUTA conteste toutes les accusations de NGEZAHAYO. Par contre, il n’a pas de commentaire à faire concernant les deux autres témoins.
Maître PHILIPPART fait remarquer que Désiré NGEZAHAYO est constant dans ses auditions.
Maître LEVY insiste sur l’importance pour la défense de pouvoir interroger, voire contre-interroger les témoins. Or, la défense n’a pas pu le faire, ce témoin étant décédé. « Monsieur BUCYIBARUTA a très bien exposé ce qu’il pensait de ce témoin. Depuis qu’il est condamné à mort, NGEZAHAYO a été très sollicité. De plus, il a beaucoup menti. Il n’a plaidé coupable que pour son rôle aux barrières alors que s’était un meneur. »
Monsieur le président évoque le cas de MUNYANEZA, qui a refusé de venir témoigné au procès. Il est réfugié en Angleterre et a été lui-même mis en cause. Dans la procédure, en D 10912 et D 10911, il est des courriers qui l’accusent.
Audition de monsieur Fidèle NKERAMUGABO, rescapé cité par le ministère public.
Le témoin va commencer par une courte déclaration spontanée dans laquelle il dit avoir été pourchassé. Lorsque l’avion est tombé, « les objectifs des gens ont changé. » Laurent BUCYIBARUTA était préfet de GIKONGORO depuis 1993, originaire de la commune MUSANGE. Les bourgmestres de NYARUGURU, BUFUNDU et BUNYAMBILI ont changé de comportement. « On a installé des bourgmestres qui avaient de la force dans le cadre de la préparation du génocide après la chute de l’avion ».
Et le témoin de nommer les nouveaux bourgmestres mis en place: NTEKABANO à MUSANGE, Augustin GASHUGI à KARAMBO et HIGIRO à MUSEBEYA.
Monsieur le président souhaite reprendre la main et va poser des questions au témoin.
« Si on a mis en place de nouveaux bourgmestres, c’est pour qu’ils collaborent avec le préfet pour préparer le génocide. En 1994, j’exerçait une activité modeste, j’étais moniteur agricole dans la commune de KARAMBE et je dépendais du ministère de l’agriculture. Mon domaine, c’était de m’occuper du reboisement, je préparais les pépinières. J’étais marié et j’avais trois enfants. Tous ont été tués pendant le génocide à l’église de KADUHA. Je suis resté seul. »
Le président: que voyez-vous changer après l’attentat contre HABYARIMANA?
Le témoin: On a dit aux gens de rester chez eux et de ne pas organiser de rassemblement de plus de trois personnes. Les bourgmestres nous ont dit de nous regrouper à KARAMBO mais nous sommes allés à KADUHA. Parmi les réfugiés à la commune de MUKO, il y avait beaucoup de Tutsi. Albert KAYIHURA en était le bourgmestre. On avait commencé à tuer les Tutsi dans la nuit du 6 avril. Les membres du personnel ont été éliminés: le comptable, l’infirmier du Centre de santé et un juge du tribunal de canton de MUSHUBI.
A MUKO, le bourgmestre KAYIHURA avait tout fait pour que les gens viennent à MUSHUBI. Mais on a conduit les gens à KADUHA « pour les sauver ». Le 8, le bourgmestre a séparé les hommes des femmes et des enfants. IL a conduit les hommes à une barrière où ils ont été tués. Les 19 et 20 avril, les femmes et les enfants, restés au Bureau communal seront tués à leur tour.
Le 21 seront perpétrés les massacres à KADUHA où les gens de MUSEBEYA avaient été amenés par HIGIRO dans un véhicule de la commune.
Le génocide à KADUHA a commencé tard dans la nuit du 20 au 21. Des instructions avaient été données par le préfet en personne venu à la sous-préfecture. On nous avait dit de nous occuper de l’hygiène. Pour cela, nous devions creuser des tranchées en guise de latrines. Ce sont ces tranchées qui serviront de fosses communes. Les gens de KADUHA viendront prêter main forte aux gendarmes, avec leurs armes traditionnelles, dans la commission du génocide. Les tueries ont continué jusqu’au lendemain. Ceux qui avaient réussi à courir ont pris la direction de NYANZA en passant par le BUFUNDI et en traversant les rivières MWOGO et RUKARARA. Des gendarmes, venus de CYANIKA avec leur commandant SEBUHURA, attendaient les fugitifs à la rivière MWOGO pour les sauver. En réalité, ils seront exterminés sur place.
Monsieur le président demande alors au témoin de bien distinguer ce qu’il a vu de ce qu’il a entendu dire. Ce dernier va alors raconter comment il s’est rendu à KADUHA où il sera accueilli par une religieuse « bienfaitrice » et un prêtre burundais du nom de NYANDWI « qui fut le premier à exterminer les gens de KADUHA. »
Le témoin parle du prêtre NYANDWI comme d’un militaire dont il a revêtu l’uniforme, qui avait « un comportement particulier avec les jeunes filles » et qui vendait le riz de la CARITAS. Entendu par des enquêteurs du TPIR, il avait déclaré: « J’ai vu NYANDWI avec les attaquants, il a quitté sa soutane pour prendre un fusil et tirer. Il a violé des filles qui sortaient en pleurs de sa chambre et qui disaient avoir été abusées sexuellement. »
« Vous confirmez ? » lui demande le président. Le témoin confirme en soulignant qu’il est confiant dans la justice d’un pays qui entretient de bonnes relations avec le Rwanda.
Monsieur le président lui fait remarquer qu’il est hors sujet, Si ce dernier lui dit qu’il existe de nombreuses contradictions entre les déclarations qu’il a faites devant les enquêteurs et ce qu’il dit aujourd’hui, c’est parce qu’on lui a attribué des propos qu’il n’a jamais tenus ou qu’on a oublié de noter ce qu’il avait réellement dit.
Lorsque la défense prend la parole à son tour, maître LEVY souligne les mêmes contradictions que monsieur le président. Devant le TPIR, le témoin dit ne s’être pas contredit: « Je n’étais pas à l’aise. Nous avions peur. »
Mêmes contradictions lorsqu’il parle de NYANDWI! Au témoin à qui maître LEVY fait remarquer qu’il parle pour la première fois de la présence de Laurent BUCYIBARUTA à KADUHA, monsieur NKERAMUGABO répond, imperturbable: « Je ne répondais qu’aux questions qu’on me posait. Je témoignais alors sur SIMBA ».
En conclusion, un témoin peu crédible qu’on aimerait pouvoir oublier.
Audition de monsieur Claude NDORIMANA, partie civile.
Je voudrais vous faire part du chemin que j’ai traversé pendant le génocide contre les Tutsi en 1994. Quand j’ai grandi, je n’ai vu que mon père, je ne voyais pas ma famille paternelle, pas mon oncle paternel, pas mon grand-père paternel. En réalité, la famille de mon père faisait partie des chefs à l’époque, toute cette famille a été tuée en 1963 et seul mon père a survécu.
Quelque mois avant 1994, durant l’été 1993, mon père est décédé. En 1994, j’étais en deuxième année du secondaire, j’étais élève à l’école agri-vétérinaire de KADUHA. C’était une école très voisine de la paroisse de KADUHA. A ce moment-là, nous étions en vacances et nous nous apprêtions à revenir à l’école. Au réveil du 7 avril, nous entendions fréquemment les communiqués radiodiffusés faisant état de l’attentat contre le président HABYARIMANA, qui était décédé. La situation a continué à évoluer, nous avions peur. Dans l’après-midi, nous avons été informés que celui qui était comptable de la commune de MUKO ainsi que sa famille venait d’être tué. La mort de cet homme et de sa famille nous a été communiquée le 8. Vers 15h, est arrivée en courant un femme qui habitait en contrebas de notre domicile. Elle a dit à ma mère que SEMANZI, qui était instituteur à l’école primaire, venait d’être tué en contrebas de chez nous. La femme a indiqué qu’elle avait de la compassion en nous désignant, nous les enfants garçons. Dans ma fratrie nous étions au nombre de 7, elle désignait donc mon grand-frère et moi. Quand nous avons appris l’assassinat de SEMANZI, nous avons eu peur, et j’ai demandé à ma mère si ce n’était pas mieux que nous allions dans les faux plafonds. Ma mère m’a dit que ce qu’ils font en premier lieu, c’est incendier la maison, je lui ai proposé d’aller à RUDEGO, une grande colline juste en face de chez nous. Elle m’a dit que les collines et les montagnes étaient aussi incendiées. Elle m’a dit que le seul moyen de survivre c’était d’aller à la paroisse de KADUHA.
Nous sommes immédiatement partis et je n’ai rien pris avec moi. J’avais fait ma valise pour retourner à l’internat, mais ma mère nous a dit que nous devions porter des pantalons, une chemise et une veste. Ainsi, nous sommes partis. De chez nous, des collines nous empêchent d’avoir une vue sur KADUHA. Mais, une fois au sommet, nous avons commencé à voir de la fumée du côté de KIBUYE, vers ce qui était alors la commune de MUKO. Donc, nous ne sommes pas arrivés à KADUHA le même jour, il venait d’être 18h. Les gendarmes étaient déjà arrivés à KADUHA, nous nous sommes dit que c’était un danger si nous nous y rendions. Nous étions à environ 2 km de KADUHA, et à cet endroit-là habitait un cousin de mon père et nous avons passé la nuit chez lui.
Le lendemain, nous avons poursuivi notre route, nous sommes allés à KADUHA. Les Tutsi y étaient très nombreux. Comme je vous l’ai dit, j’étudiais à une école non loin de là, tout près de la paroisse. Là, il y avait mes collègues, élèves originaires des régions où les batailles opposaient le FPR à l’armée gouvernementale. Ceux-là ne rentraient pas lorsque nous étions en vacances, ils restaient à l’école. Je les ai vu assis à la clôture de l’école. J’ai dit à mon grand-frère que j’allais dire bonjour à mes collègues de classe. Arrivés à leur hauteur, ils m’ont dit bonjour et m’ont demandé si moi aussi je fuyais et j’ai dit oui. Je n’ai pas voulu leur dire la vérité sur ce que je fuyais. Je leur ai dit qu’après avoir pris connaissance de la mort du Président, il y avait eu des troubles à la campagne. Je leur ai dit qu’on s’en prenait aux gens riches, et que comme ma famille était riche, que c’était pour cela que nous fuyions pour ne pas être pillés, voire même tués. Ils ont dit que le directeur avait dit que s’ils voyaient des élèves parmi les réfugiés il fallait les laisser entrer. Une fois à l’intérieur de l’école, j’y ai trouvé mes compagnons et en tout nous étions onze. Nous avons donc vécu là-bas. C’est dans cet établissement que nous avons trouvé des gendarmes, dont d’autres disaient qu’ils venaient assurer la sécurité des gens de la paroisse. Je n’ai pas eu le temps de dire au revoir à mon grand-frère, car après qu’il m’a autorisé à rentrer, ils m’ont dit qu’il était interdit de retourner à cette porte d’entrée. J’ai continué de suivre les informations quant à la vie que menait ma famille. Il y avait là-bas un des cuisiniers qui préparaient de la nourriture pour nous, une connaissance qui était notre voisin. Ce cuisinier me donnait des informations et me disait que toute ma famille était arrivée à la paroisse de KADUHA. Compte tenu du très grand nombre de personnes à la paroisse, l’église était pleine ainsi que tous les autres bâtiments environnants. La plupart d’entre eux avait fui sans rien prendre avec eux. Au fur et à mesure que le temps avançait, s’ajoutaient beaucoup d’autres, et à un certain moment ils ont eu très faim. Mon école était voisine d’un établissement d’une religieuse nommée MILGITHA[2]. Celui-là envoyait des gens du personnel qui venaient utiliser les grosses marmites de l’école pour préparer de la bouillie aux enfants et aux femmes faibles.
Si j’essaie d’aller rapidement, entre le 18 et le 20, ces gendarmes en question sont entrés dans l’établissement avec toutes sortes d’armes traditionnelles. Les élèves réfugiés qui vivaient dans les mêmes dortoirs que nous, nous ont dit qu’il s’agissait là de toutes les armes des réfugiés Tutsi avec lesquelles ils avaient fui et dont on venait de les dépouiller. Dans la nuit du 20, vers 20h, un prêtre du nom de Albert NYANDWI, qui était en même temps mon professeur de religion, a quitté son presbytère pour venir vivre avec nous, et est entré avec des jeunes filles. Je ne souviens qu’il a dit: « Vous, mes élèves, venez m’aider à déposer mes effets », et nous l’avons donc aidé à transporter ses effets, ses valises dans la chambre près de la sortie. Nous étions à quatre et il nous a donné cent francs chacun. A l’aube du 21, nous avons été réveillés par l’explosion de deux grenades. Directement après ces explosions, ont suivi sans tarder directement des balles. Ce que je ne vous ai pas dit encore c’était qu’entre le 15 et le 21 venaient des attaques contre les Tutsi et les gendarmes tiraient en l’air et les repoussaient. Donc, après l’explosion de grenades, ils ont commencé à tirer, nos collègues élèves avaient chacun reçu une machette. Parmi eux, un qui savait manier les armes, KAZUNGU, a reçu des gendarmes un fusil ainsi que des grenades. Il était en première année et moi en deuxième. Il était plus âgé que nous, il avait un retard dans sa scolarité. On tirait de partout, certains utilisaient des machettes. En ce qui me concerne, lorsque j’ai entendu le bruit des balles, je me suis appuyé contre un mur de l’école, j’avais une vue juste devant moi sur le muret de l’église. Je voyais les gens qui tombaient atteint par les balles au moment où d’autres étaient découpés. Mais, avant que je n’aille me cacher contre le mur, nous étions tous sortis (les élèves) car nous pensions que nous allions mourir. En fait, lorsque je me suis rendue près du mur, ce n’était pas pour me protéger, mais c’était pour mieux voir ce qui s’était passé de l’autre côté. Avant d’aller à ce mur-là, lorsque nous sortions du dortoir, nous voyions ce qui se passait de l’autre côté, à l’hôpital de KADUHA où l’on taillait les gens. Le responsable de ces gendarmes, qu’on disait adjudant mais dont je ne me souviens pas du nom, a dit: « Courage, courage, courage ». Comme il était tout près de nous, nous l’avions dit par crainte de lui, pas pour autre chose car ce « courage » dont il était question incitait à tuer nos proches.
Ceci s’est poursuivi ainsi et c’est quand l’adjudant est passé que je me suis enfui. J’ai observé comment ils fusillaient et découpaient les gens tout en leur lançant des grenades. Je voyais bien la route qui venait de l’église et qui entre dans l’établissement médical, je voyais que tout cet endroit était jonché de corps, sur la route allant dans l’établissement. Ils ont continué ainsi à tuer les gens, et à 13h, ils ont eu comme une petite pause et les élèves sont venus et ils nous ont dit que nous pouvions venir prendre une petite pause déjeuner, et que les balles étaient en train de s’épuiser. Ces propos étaient tenus par KAZUNGU, l’élève au fusil. Il a dit qu’il avait pris un fusil, qu’il avait tiré encore jusqu’à ce qu’il ait rempli la cour de l’école primaire avec les corps des Tutsi. Nous sommes allés manger mais nous n’avions pas d’appétit pour ça, pas le coeur à manger. Alors qu’ils prenaient cette pause, les gendarmes sont revenus à l’école, ainsi que les élèves qui étaient partis avec eux dans les attaques, et sont entrés également d’autres gens dirigeant les attaques. Ils sont donc entrés dans l’établissement scolaire pour partager le repas avec eux. Mais, au chef cuisinier du nom de Gérard GAKUBA, ils lui ont réclamé sa carte d’identité, ils ont constaté qu’il était Tutsi et il lui ont demandé ce qu’il faisait ici car les Tutsi étaient partis depuis longtemps. Son fils, qui était à la paroisse, avait escaladé la clôture pour rejoindre son père à l’école et ainsi avoir la vie sauve. Alors qu’ils lui demandaient cela, ils ont demandé sa carte d’identité, et lui ont demandé de les suivre, lui et son fils sont ainsi partis et les élèves ont aussi dû présenter leur carte d’identité. Nous étions encore petits, un âge où nous n’avions pas encore fait de cartes d’identité et parmi nous un élève effectuait son stage sanctionnant les études secondaires, lui avait une carte d’identité. Quand il l’a présentée, ils ont vu qu’il était Tutsi et ils lui ont demandé de suivre les deux hommes, à savoir le chef cuisinier et son fils. Ils sont ainsi partis et tout de suite nous avons entendu le bruit d’une balle. Comme nous n’avions pas de cartes d’identité, ils nous ont dit de retourner dans les dortoirs et nous avons entendu un tir. Un laps de temps d’environ trente minutes s’est écoulé et nous avons vu revenir l’élève Philippe HATEGEKIMANA. Il nous a dit que Gérard venait de le fusiller de derrière et qu’une balle avait atteint de la nuque son cerveau et que son fils avait été tué à coups de gourdin. Quand ce fut le tour de Philippe, le directeur est intervenu, et il avait dit que c’était son petit inyenzi[3] et qu’il allait le tuer lui-même. Ainsi nous avons regagné les dortoirs. Vers 14h/15h, les bruits de balles ont repris. Ils ont tiré beaucoup, et cette fois ils ont dit qu’ils avaient su qu’il y avait un Inkotanyi[4] avec comme arme un mortier caché dans le dortoir des prêtres. Ils faisaient allusion à notre professeur de biologie, Denis KANYARUSHOKORO. Ils le craignaient car non seulement il était jeune, mais il pratiquait le karaté. Ils ont tiré en disant qu’il était recherché, ils l’ont sorti et l’ont abattu sur le coup et c’est les élèves qui à leur arrivée me le disaient. La nuit est ainsi tombée et le 21 nous avons regagné les dortoirs pour dormir.
Le lendemain, le 22, les élèves sont repartis porter main forte aux attaquants, en achevant les personnes pas complètement mortes. C’était donc le 22, et le 23: ce fut pour moi un jour qui sort de l’ordinaire, on avait tué le 21 et le 22 on a tué ceux qui respiraient encore. Le 23, c’était le jour de l’enterrement des personnes mortes dans l’église et dans l’établissement. Nous autres, les élèves, nous avions comme obligation d’enterrer les personnes mortes dans l’école. Il n’y avait pas de mur de séparation entre la forêt de l’école et le bois de l’église. Quand beaucoup de gens sortaient de l’église, ils couraient vers l’école en pensant avoir la vie sauve, ce qui avait fait que beaucoup de gens avaient été tués dans l’école. Très tôt le matin, nous avons procédé à l’ensevelissement. Nous autres, les onze élèves Tutsi ainsi que les autres élèves qui ne rentraient pas chez eux durant les vacances, ainsi que les personnels de l’école dont les cuisiniers et vachers, avons enterrés tous les Tutsi tués au sein de l’école. Pour certains, nous les enterrions alors qu’ils respiraient encore. Parmi ces derniers, j’ai trouvé le cadet de ma famille, qui n’avait que six ans. Cette cadette de ma famille s’appelait Angélique. Je l’avais trouvée dans le bois et quand je l’ai trouvée elle respirait encore et n’était pas complètement morte. J’ai tenté de lui parler, mais elle ne pouvait pas répondre. J’ai tourné ma tête, mes collègues l’ont enterrée mais je n’ai rien dit. Ce qui m’afflige et quand j’y pense aujourd’hui, c’est comme si ça s’était produit hier. Quand on y jetait quelqu’un, avant qu’on y jette le suivant, on y mettait de la terre, on pouvait voir la terre bouger par le rythme de la respiration.
J’ai gardé courage, vous me voyez pleurer aujourd’hui, mais je ne pleurais pas. À midi, nous arrêtions pour manger, A mes compagnons d’infortune, parmi les onze, je leur ai dit:« C’est comme si aujourd’hui j’étais moi-même mort » et je leur ai dit ce qui s’était passé. Les enterrements se sont ainsi clôturés et nous sommes restés comme des réfugiés jusqu’au mois de juin. Vers la fin de ce mois-là, il y avait une autre école à KADUHA enseignant les sciences, et dans cette école il y avait beaucoup d’élèves Tutsi car eux n’étaient pas encore partis en vacances et étaient tous encore à l’école. Ils disaient qu’ils allaient nous tuer après avoir tués les élèves de l’école de sciences. Alors que notre directeur nous tenait des propos blessants, le leur leur parlait gentiment. Le notre disait que lorsque les Inkotanyi allaient prendre le pouvoir, ceux qui avaient fait de beaucoup d’études allaient immédiatement être promus députés. Ils nous donnaient des sobriquets, on ne nous qualifiait plus de Tutsi, on nous affublait de surnoms. Nous entendions parler d’un certain Tito, qui dirigeait les délégations du FPR, lors des négociations du FPR lors des accords d’ARUSHA[5]. On m’a surnommé aussitôt Tito RUTAREMARA, et même aujourd’hui, quand je rencontre des gens que je n’ai pas vus depuis longtemps, certains pensent que c’est mon nom.
En juin, vers 11h, à l’intérieur de l’école sont arrivés en uniformes onze Interahamwe[6], ils avaient aussi des fusils et des uniformes militaires. Ils m’ont aperçu, et à ce moment-là j’étais maigre et je faisais la même taille que maintenant. Je dis aux gens que ma croissance à cessé, et je n’avais que 16 ans. Quand ils m’ont vu maigre et de taille élancée, comme ils disaient que les Tutsi étaient maigres et de taille élancée, ils disaient que s’ils passaient par là où nous étions, ils vont découvrir à l’intérieur au moins une vingtaine de Tutsis. Ils s’adressaient à nous. Au retour, nous nous sommes retrouvés en face de camions qui transportaient des militaires français. Le directeur de l’école des sciences qui avait chez lui beaucoup de Tutsi, avait su que nous avions été livrés et que c’était les onze Interahamwe qui allaient nous tuer. Lui n’était pas parti avec le véhicule de l’école. Nous ne savions pas comment il avait procédé pour se déplacer. Toujours est-il que les militaires français avaient leur campement à MURAMBI. Ils sont donc arrivés rapidement et ont surpris les Interahamwe avant qu’ils ne nous tuent. Quand ils sont arrivés sans pouvoir retourner dans les dortoirs, ils nous ont dit de venir directement dans la cour intérieure. Ils nous ont demandé si on préférait rester sur place ou aller ailleurs. Nous avons dit d’aller ailleurs et nous sommes montés dans les camions des militaires et nous étions bien gardés. Ils nous ont fait rentrer dans l’école des sciences, une fois à l’intérieur nous nous sommes retrouvés avec d’autres blessés soignés au centre de santé et à l’hôpital de KADUHA. En tout, nous étions 101 personnes, si ma mémoire est bonne. A part les onze, ainsi que la quarantaine des écoles, nous étions les seuls à ne pas avoir de blessures sur notre corps. Parmi les personnes que nous avions retrouvées là-bas, comme c’était en période pluvieuse, et que ceux qui n’étaient pas complètement morts étaient emportés par cette eau, ce sont ceux-là qui ont été soignés et qui ont retrouvé la vie et que nous avons retrouvés là-bas. Vous pouvez vous demander comment nous pouvions dormir avec les élèves avec des machettes et grenades sans qu’ils nous tuent.
Au fur et à mesure que les combats s’approchaient et que l’armée gouvernementale perdait, ils nous disaient qu’avant de fuir, ils allaient nous tuer. Ils ont été pris de court par l’arrivée des militaires qui nous ont pris avec eux et ils avaient prévu de nous tuer ce jour dans le courant de l’après-midi. Vous pouvez comprendre quel genre de dirigeants nous avions: si un directeur autorisait les élèves à dormir avec des machettes à la vue et au su de tout le monde. En ce qui concerne les personnes qui entraient dans l’école, il y avait un maçon, ils lui ont demandé de creuser sa propre tombe et de vérifier s’il rentrait bien dedans. Il a creusé toute l’après-midi, les gendarmes qui étaient là ont supervisé les élèves et sont allés le tuer et ont mis sur lui la terre qu’il avait creusée. Je rajoute que pendant cette période que nous avons passée à KADUHA, nous vivions dans le même établissement que Robert NYANDWI, qui était mon professeur de religion, il vivait dans sa chambre avec des jeunes filles. Dans ses déplacements, il se déplaçait à moto, et chaque fois qu’il se déplaçait, c’était avec son fusil en bandoulière.
Nous sommes arrivés à MURAMBI, nous y sommes restés. Lorsque le gouvernement a été mis en place, nous y étions encore. Nous nous entretenions avec les militaires français et nous leur avons demandé s’ils allaient nous garder ici, mais avant on avait demandé aux adultes instruits de passer par le camp pour aller dans la zone du FPR, et de signer. Je faisais parti de ceux qui circulaient pour faire signer et nous avons fait signer environ 800 personnes. Dans le camp, nous étions mélangés avec les Tutsi pris dans les collines et aussi avec d’autres personnes fuyant les combats au sud de BUTARE. Après avoir collecté les signatures, les responsables ont demandé aux militaires français de nous aider à arriver dans la zone sous contrôle du FPR. Ce fut ainsi fait et à un moment sont arrivés des camions et toute personne souhaitant entrer dans la zone du FPR devait renter dans ces camions. C’est ainsi que nous avons survécu.
Ce que je ne vous ai pas encore dit, concernant la famille directe, mon père était décédé en été 1993, et le génocide est survenu en avril 1994. Donc nous étions avec maman et avec les membres de ma fratrie: nous étions au nombre de sept. Après avoir survécu, nous nous sommes retrouvés à trois : moi et mes deux soeurs. En ce qui concerne ma famille du côté paternel, il n’y avait plus personne, tous avaient été tués en 1963. Du côté maternel, c’était une grande famille, il avait neuf enfants et personne n’a survécu. Il en est de même de ma grand-mère maternelle tuée à KADUHA. Tout comme les trois grandes soeurs de ma mère ainsi que leurs familles, elles ont aussi été tuées. Ce qui fait que de ma famille rapprochée, mes oncles et tantes et cousins, il y a facilement 70 membres tués. Je vous remercie d’avoir prêté une oreille attentive à mes déclarations.
Président : Je vous remercie aussi pour votre témoignage qui est très émouvant, mais compte tenu de l’heure, nous allons devoir interrompre l’audience. Si on peut en fin d’après-midi, on va vous demander de revenir pour vous poser des questions.
Vue l’heure tardive à laquelle le témoin est invité à revenir à la barre, peu de questions seront posées. Sur question de monsieur le président, monsieur NDORIMANA va évoquer sa vie actuelle. « Ce génocide a eu un énorme impact sur ma vie. J’ai eu la chance d’étudier, de me marier, d’avoir des enfants. Ces derniers me demandent parfois si je n’aurais pas une petite photo de grand-père, de grand-mère, de mes frères et soeurs. J’ai beau leur dire qu’ils ressemblent à tel ou tel, ils ne sont pas satisfaits.
En 1963, même si le génocide n’a pas été reconnu, la famille de mon père a été décimée. La spécificité de GIKONGORO? Dès le 7 avril on a commencé à tuer. »
Une dernière question posée par le ministère public qui veut savoir si, à propos des armes traditionnelles récupérées sur les réfugiés les 18/19 avril, on peut parler de « fouille ». Le témoin évoque l’attaque du 15 avril. Les gendarmes tiraient en l’air pendant que les réfugiés se défendaient avec leurs « armes traditionnelles » et des pierres. On leur a confisqué ces armes pour qu’ils ne puissent pas se défendre.
Audition de monsieur François SHIKAMA, en visioconférence du Rwanda.
- Présentation.
- Pas de déclaration spontanée.
Président : Quelle est votre activité professionnelle ?
François SHIKAMA : Je suis agriculteur.
Président : En 1994, quelle était votre profession ?
François SHIKAMA: Agriculteur maintenant et avant.
Président : Aujourd’hui habitez-vous au même endroit qu’en 1994 ?
François SHIKAMA: Oui.
Président : Pouvez-vous nous dire si l’endroit où vous habitiez est éloigné de la paroisse ?
François SHIKAMA: Environ 30 minutes de marche.
Président : Etiez-vous marié en 1994 ?
François SHIKAMA: Oui.
Président : Aviez-vous des enfants ?
François SHIKAMA : A l’époque, j’avais un enfant.
Président : Que s’est-il passé en 1994 ?
François SHIKAMA : Avant qu’on ne commence à tirer à l’église ou voulez-vous que je parle comment la guerre a commencé ?
Président : D’abord, avant 1994, faisiez-vous partie d’un mouvement politique ? d’un parti politique ? Avez-vous participé à des réunions ?
François SHIKAMA : Nous avons participé à des réunions.
Président : Quelles réunions ?
François SHIKAMA : J’ai pris part à une réunion qui s’était tenue à la place du marché de KADUHA.
Président : Quand est-ce que c’était ?
François SHIKAMA : Je ne me souviens pas de la date, mais c’était avant qu’on tire à l’église.
Président : C’était quelques jours avant ? Quelques semaines avant ? Quelques mois avant ?
François SHIKAMA : Je dirai une semaine avant.
Président : Le président HABYARIMANA était-il déjà mort ?
François SHIKAMA : Non, il n’était pas encore mort.
Président : Qui a participé à cette réunion et quel était l’objet de la réunion ?
François SHIKAMA : Cette réunion était dirigée par le sous-préfet Joachim, Laurent BUCYIBARUTA, l’abbé NYANDWI, ainsi qu’un commerçant qui s’appelait MPAMYABIGWI. Les autres étaient des citoyens ordinaires.
Président : C’était un commerçant de KADUHA ?
François SHIKAMA : Il était originaire de MUSEBEYA, à part qu’il exerçait ses activités commerciales à KADUHA.
Président : Que s’est-il dit à cette réunion ?
François SHIKAMA: Dans cette réunion, on nous a dit que nous connaissions l’ennemi, que c’était les Tutsi.
Président : Avez-vous vu le sous-préfet dire cela ?
François SHIKAMA : Oui, le sous-préfet Joachim, je l’ai vu.
Président : Avez-vous vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA dire cela ?
François SHIKAMA : Oui, on donnait la parole à l’un, il se levait et parlait, et après c’était le tour de l’autre et ainsi de suite.
Président : Et le curé NYANDWI aussi a dit cela ?
François SHIKAMA : A la place du marché, je n’ai pas entendu ce prêtre prendre la parole à part qu’il détenait un fusil comme quelqu’un qui assure la sécurité.
Président : Donc, il était là pour servir de garde du corps du préfet et du sous-préfet ?
François SHIKAMA: Oui, il détenait un fusil de type Kalashnikov.
Président : Vous connaissez bien le curé NYANDWI ?
François SHIKAMA : Oui, il était là, à la maison de KADUHA, il disait tout le temps la messe là-bas.
Président : Est-ce qu’il faisait la messe avec la Kalashnikov ?
François SHIKAMA: Non, vous m’aviez posé la question de savoir comment je l’avais connu.
Président : Donc, vous l’avez vu à la messe ?
François SHIKAMA: Oui, nous allions à la messe, et il nous avait donné le travail de fabriquer des briques.
Président : Revenons à cette réunion, que vous dites avoir eu lieu avant l’assassinat du Président HABYARIMANA, mais une semaine avant que vous alliez tirer dans l’église ?
François SHIKAMA : Je vous ai dit qu’une semaine environ après la réunion, il y a eu les tirs dans l’église.
Président : Mais c’était après ou avant la mort de HABYARIMANA ?
François SHIKAMA : C’était avant.
Président : Le sous-préfet Joachim HATEGEKIMANA, vous le connaissez bien ?
François SHIKAMA: Oui je le connaissais.
Président : Comment ?
François SHIKAMA: Il était préfet à GIKONGORO, et dans le temps il fût sous-préfet à KADUHA.
Président : Mais, attendez, vous parlez de qui ?
François SHIKAMA : Je parle de Joachim. Il était sous-préfet et le préfet c’était Laurent BUCYIBARUTA.
Président : Avez-vous déjà rencontré le sous-préfet ? Si oui, à quelles occasions ?
François SHIKAMA: Le sous-préfet était aussi à cette réunion.
Président : Avant cette réunion, aviez-vous déjà rencontré le sous-préfet ? Si oui, à quelles occasions ?
François SHIKAMA : Le sous-préfet était à la sous-préfecture de KADUHA.
Président : Vous ne répondez pas à ma question. Est-ce que c’était AVANT cette réunion, vous aviez déjà rencontré le sous-préfet ?
François SHIKAMA : Avant cette réunion, je ne l’avais jamais vu.
Président : Donc, c’était la première fois ?
François SHIKAMA Oui, lors de cette réunion c’était la première fois, mais je le connaissais déjà avant.
Président : Comment le connaissiez-vous ?
François SHIKAMA : Comme c’était un dirigeant et qu’il avait travaillé dans le secteur d’une autre cellule, je le connaissais déjà.
Président : Est-ce que vous l’aviez déjà vu ?
François SHIKAMA : Le sous-préfet je le connaissais déjà, nous avons même été codétenus à la prison de GIKONGORO.
Président : Je ne sais toujours pas si vous l’aviez vu AVANT cette réunion ?
François SHIKAMA : Moi, je l’ai vu le jour de cette réunion qui s’est tenue à la place du marché, avant je ne l’avais pas vu mais je le connaissais déjà.
Président : J’ai les mêmes questions sur Monsieur Laurent BUCYIBARUTA. Est-ce que c’était la première fois que vous voyiez le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA: Avant, je ne le voyais pas souvent. Quand je le voyais, c’était dans sa maison au centre de négoce de KADUHA.
Président : Donc selon vous il avait une maison là-bas ?
François SHIKAMA: Même aujourd’hui il a une maison, il y avait aussi un moulin de sorgho.
Président : Donc tout ça c’était au préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA : La maison c’était à lui, même aujourd’hui cette maison s’y trouve encore, mais entre-temps je ne sais pas si on l’aurait vendue.
Président : Et donc, vous l’avez vu là-bas dans cette maison ?
François SHIKAMA: Dans cette maison, je l’ai vu une fois et à la cour devant cette maison, il y avait une barrière.
Président : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA, aviez-vous une maison à KADUHA ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, j’avais une maison à KADUHA, c’était une maison personnelle où je vivais quand j’étais en vacances, je l’avais depuis plus de 20 ans.
Président : Après cette réunion, est-ce que vous avez remarqué des attaques contre les Tutsi ? François SHIKAMA: Pouvez-vous me répéter la question ?
Président : Avant l’attaque qui va avoir lieu à KADUHA, on va reprendre votre expression « tirer sur les Tutsi » : est-ce qu’il va y avoir des attaques ?
François SHIKAMA: Avant, je n’avais pas vu d’attaques, par contre, après ces réunions qui ont eu lieu, c’est là où les massacres ont commencé.
Président : Donc, si je comprends, il y a eu une réunion où l’on vous a dit que l’ennemi était le Tutsi, et après les attaques ?
François SHIKAMA: Oui.
Président : En quoi ont consisté ces attaques ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
François SHIKAMA : Vous voyez, on a installé des barrières, des gens venaient et on disait que c’était des complices. Ces gens sont venus à bord des véhicules et à leur arrivée on les a stoppés à cette barrière érigée en face de chez Laurent BUCYIBARUTA. Après quoi, on leur a demandé d’exhiber leur document d’identité. On leur a demandé qui ils voulaient voir et eux ont dit un certain THACISSE ainsi qu’un enseignant prénommé Antoine, ainsi que quelques autres que j’oublie. On venait les prendre dans ce véhicule, on les a fouillés et on a trouvé sur eux une chanson des Inkotanyi, je présume que c’était une cassette. Quand on a trouvé cette chanson sur eux, on a estimé que c’était des complices et on les a découpés.
François SHIKAMA: Oui.
Président : Vous étiez présent à cette barrière ?
François SHIKAMA: Moi, je travaillais en ville chez un cousin, cette barrière je la voyais, je n’y travaillais pas mais j’y étais tout le temps.
Président : Donc, vous travaillez en ville chez un cousin, vous êtes tout le temps à la barrière sauf quand on tue les gens ?
François SHIKAMA : J’étais tout près de là, elle n’était pas éloignée.
Président : Avez-vous vu l’arrestation de ces personnes et leurs assassinats ?
François SHIKAMA : Je les voyais. D’ailleurs, l’une de ces personnes a été tuée, décapitée par mon grand-frère, qui lui a coupé la tête avec une machette.
Président : Comment s’appelle votre grand frère ?
François SHIKAMA : Straton HISHAMUNDA.
Président : C’est la seule fois où vous avez vu un meurtre, ou il y a eu des attaques avec d’autres personnes tuées ?
François SHIKAMA: D’autres attaques que j’ai vues, c’est d’une part lorsqu’on tuait les gens à l’église et d’autre part lorsqu’on avait ligoté les gens à une barrière qui se trouvait chez une blanche qui s’appelait MILIGHITA. A cette barrière, on y a également ligoté les gens. C’était à l’hôpital près de l’église.
Président : Quand a eu lieu ce ligotage ? Cette attaque chez la Blanche ?
François SHIKAMA : C’est lorsqu’on leur demandait les cartes d’identité, quand ils ne les trouvaient pas, ils les ligotaient, les tuaient et les jetaient là-bas.
Président : C’était avant la grande attaque ?
François SHIKAMA : Je ne m’en souviens pas bien, mais c’était avant ou après qu’on ait demandé les cartes d’identité, je ne m’en souviens pas bien.
Président : Souvenez-vous si des gendarmes étaient là pour protéger la paroisse ?
François SHIKAMA : Des gendarmes, il y en avait, et les militaires également. On disait qu’ils provenaient de GIKONGORO, mais je ne les connaissais pas.
Président : Quand sont arrivés ces gendarmes ?
François SHIKAMA : Dans un premier temps, les gendarmes étaient arrivés à KADUHA et ils gardaient les réfugiés et assuraient leur sécurité.
Président : Combien y en avait-il ?
François SHIKAMA: Ils étaient nombreux, on disait qu’ils gardaient ces réfugiés, et puis on nous a dit que nous devions pas s’en prendre à ces réfugiés, qu’il fallait attendre l’arrivée du matériel et qu’il ne fallait pas les provoquer car ils étaient nombreux, que nous n’allions pas pouvoir en venir à bout. Par après, le matériel a été apporté.
Président : Qui a dit cela ?
François SHIKAMA : C’est SIMBA qui avait dit qu’il ne fallait pas les provoquer, qu’il fallait attendre qu’on apporte le matériel. Le matériel devait venir de MURAMBI pour KADUHA. Les fusils qui avaient été utilisés à MURAMBI devaient être également utilisés à KADUHA.
Président : Quand vous parlez de SIMBA de qui parlez-vous ?
François SHIKAMA : Ce n’est pas un militaire ? Aloys SIMBA.
Président : Comment connaissez-vous Aloys SIMBA ?
François SHIKAMA: Il est venu faire campagne à KADUHA et c’est dans ces circonstances- là que je l’ai connu.
Président : Campagne militaire ou électorale ?
François SHIKAMA : Quand il venait là-bas, je pense qu’il faisait campagne pour devenir député.
Président : A-t-il été élu député ?
François SHIKAMA : Je pense que oui.
Président : Apparemment il n’a pas été élu député, nous l’avions déjà évoqué.
François SHIKAMA: Tout ce que je sais, c’est qu’il est passé par là en faisant campagne.
Président : Aloys SIMBA, vous l’avez vu une fois ? Plusieurs fois ?
François SHIKAMA: Même avant je le connaissais.
Président : Pendant le génocide, avez-vous vu une ou plusieurs fois le colonel SIMBA ?
François SHIKAMA : Je l’ai vu deux fois.
Président : Les deux fois où vous l’avez vu c’était quand ?
François SHIKAMA: Quand en soirée nous étions à l’église, il disait qu’il allait apporter les armes qui se trouvaient à MURAMBI, et qu’on allait les utiliser à KADUHA.
Président : Cette réunion a eu lieu quand vous étiez à l’église ?
François SHIKAMA : Oui la réunion était à l’église. C’était à ce moment- là qu’il précisait qu’il allait amener du matériel et qu’il ne fallait pas les provoquer.
Président : Donc, l’attaque allait avoir lieu ? C’était combien de temps avant l’attaque ?
François SHIKAMA : On s’approchait du moment de l’attaque de l’église car nous les avions encerclés partout, devant, derrière avec les gendarmes.
Président : Donc, les armes sont arrivées au moment de l’attaque ?
François SHIKAMA: Quand les armes sont arrivés, c’était le matin, on les a données à des militaires, nous autres nous avions des machettes. Les fusils ont été donnés à des personnes qui avaient été choisies.
Président : L’avez-vous vu avant ou après ?
François SHIKAMA: A l’église c’était la première fois. La seconde fois c’était à KADUHA au domicile d’un Hutu qui avait épousé une Tutsi, on était allés le fouiller. La personne, c’était le premier substitut GASANA et son épouse MUNYANA Monique, on les a trouvés dans les faux plafonds et immédiatement et sur place on a tué les deux.
Président : Le premier substitut, GASANA, il travaillait à KADUHA ou à GIKONGORO ?
François SHIKAMA: Il travaillait à la sous-préfecture de KADUHA.
Président : Y-avait-il un Tribunal à KADUHA ?
François SHIKAMA: C’était le parquet.
Président : Le parquet était à la sous-préfecture ?
François SHIKAMA: Oui.
Président : Revenons à l’attaque. Vous avez dit, au début, que les gendarmes étaient assez nombreux et qu’ils protégeaient les réfugiés. Ont-ils participé ensuite à l’attaque ?
François SHIKAMA: En ce qui concerne les gendarmes, ils nous avaient dit que nous allions commencer très tôt le matin vers 5H et quand quelqu’un tentait de fuir, nous lui barrions la route et les militaires tiraient.
Président : Est-ce que les gendarmes qui protégeaient à la paroisse sont les mêmes gendarmes qui ont participé à l’attaque ?
François SHIKAMA : Ce sont eux qui les ont tués en collaboration avec la population.
Président : Donc, est-ce que ce sont les mêmes gendarmes ?
François SHIKAMA : Oui.
Président : Est-ce qu’il y a eu d’autres gendarmes ou d’autres militaires ?
François SHIKAMA : Du côté où je me trouvais, il y en a qui venaient de partout et qui s’ajoutaient, ils étaient des chargés de voiture.
Président : C’est qui ce « ils », des militaires ? des civils ?
François SHIKAMA: C’était un mélange, c’était toutes ces catégories, les véhicules déposaient les montagnards qui venaient de la forêt ainsi que d’autres citoyens venant des campagnes.
Président : Est-ce qu’il y avait des militaires en plus des gendarmes chargés de surveiller la paroisse ?
François SHIKAMA: Il y avait aussi des militaires.
Président : D’où venaient ces militaires ?
François SHIKAMA : Je ne sais pas.
Président : Quand a commencé l’attaque ?
François SHIKAMA : Ils avaient dit que le signal c’était pour 3H du matin, mais ça a commencé concrètement à 5H. Nous étions dans les bois, nous les ramenions après leur avoir barré la route dans les bois.
Président : La population, vous, aviez-vous une tenue particulière ?
François SHIKAMA : Certains portaient des feuilles de bananiers pour que l’on puisse les reconnaitre ou pour que si tu passes à côté de lui tu saches que c’était un Hutu.
Président : Et vous, en avez-vous eu ?
François SHIKAMA : Oui, j’en portais aussi et autour du crâne.
Président : Avez-vous vu des autorités, des officiels présents au moment de l’attaque ?
François SHIKAMA : Au moment de l’attaque, c’était la nuit et je n’ai pas pu reconnaitre les autorités. La dernière fois que je les avais vues c’était quand on a reçu les instructions, pour le reste nous avons surveillé ces gens et je n’ai plus revu les autorités.
Président : Donc, ce jour-là avez-vous vu le sous-préfet ?
François SHIKAMA : Non, je ne l’ai pas vu.
Président : Le préfet ?
François SHIKAMA : Non, je ne l’ai pas vu.
Président : Le bourgmestre ?
François SHIKAMA : Non, je ne l’ai pas vu.
Président : Des fonctionnaires de la sous-préfecture ?
François SHIKAMA : Non.
Président : Est-ce que vous connaissez NDUNGIZE Gaspard ?
François SHIKAMA : Je le connais mais je ne pense pas l’avoir vu ce jour-là, je pense que c’était quelqu’un originaire de MUSANGE.
Président : Combien de temps a duré l’attaque ?
François SHIKAMA : Ça avait commencé à 5H, et ça a continué jusqu’à 11H30. C’est à 11H30 que ceux qui restaient sont partis. Le reste c’était des enterrements.
Président : Est-ce que le curé NYANDWI a participé à l’attaque ?
François SHIKAMA : Il était à la barrière qui se trouvait chez la Blanche, à cette barrière beaucoup de gens furent tués, c’est à cette barrière qu’il opérait.
Président : Il était à cette barrière le jour de l’attaque ? Le jour où on a tiré ?
François SHIKAMA : Ce jour-là je ne l’ai pas vu, il y avait beaucoup de gens. Avant, je le voyais à la barrière, quand on arrêtait et tuait les gens qui n’avaient pas de papiers d’identité et qu’on les jetait dans les latrines. C’étaient des fosses qui avaient été creusées par les réfugiés.
Président : Qui a creusé ces fosses ?
François SHIKAMA: C’étaient des fosses qui servaient de latrines, là où les réfugiés venaient faire leurs besoins.
Président : Qui a creusé ces fosses ?
François SHIKAMA : Les réfugiés qui étaient là-bas, c’est là où l’on jetait les gens.
Président : Savez-vous qui a demandé aux réfugiés de creuser les fosses ?
François SHIKAMA : Non.
Président : Avez- vous participé à l’enterrement des personnes qui ont été tuées ?
François SHIKAMA : Quand j’y suis allé, c’était tout simplement pour prendre du riz. Quand je suis arrivé j’ai trouvé qu’on distribuait gratuitement du riz, quand tu portais 10 cadavres, tu recevais un petit sac de riz.
Président : Donc, vous vous êtes allé porter des cadavres pour avoir du riz ?
François SHIKAMA : Tout simplement, je suis allé là-bas et on m’a donné le riz et je suis parti. Le lendemain, comme les morts étaient nombreux, MILIGHITA donnait de l’argent à certains et du riz. aux autres
Président : Qui a donné de l’argent ?
François SHIKAMA : MILIGHITA, c’est la Sœur.
Président : Il y a des gens qui sont morts dans l’église ?
François SHIKAMA : L’église était remplie de cadavres, ainsi que partout ailleurs, dans les salles de classe.
Président : Des gens sont morts dans les salles de classe, est-ce que ces gens sont morts dans le presbytère ?
François SHIKAMA : Dans les bureaux il y en avait, dans les bureaux d’en haut, certains avaient été tués par balle, d’autres avaient succombé à leurs blessures par des grenades.
Président : On a tué des gens au Centre de santé ?
François SHIKAMA : Partout où tu passais tu trouvais des cadavres.
Président : Il y avait des classes juste à côté de la paroisse, il y avait une école pour infirmier, et une autre, on est allé tuer dans toutes les écoles ou juste dans certaines ?
François SHIKAMA : Il y avait un endroit à côté de l’école primaire où l’on apprenait l’usage de la machine à coudre, et partout dans d’autres écoles aucun lieu n’a été épargné.
Président : Vous avez été entendu à plusieurs reprises. D’abord, dans le cadre de procédures instruites au Rwanda, notamment le 21 novembre 1995 (D7004), le 14 décembre 1995 (D6096), puis le 17 février 1999 (D7007, 7008, 7016-7019). Dans cette dernière audition, on vous a proposé de plaider coupable dans le cadre des procédures dont vous étiez l’objet. Avant cette date, vous aviez dit que vous n’étiez jamais allé à KADUHA vous n’aviez jamais tué un Tutsi. En 1999, vous avez déclaré avoir tué une jeune fille nommée INGABIRE, et une autre jeune fille dont on ignore le nom, et que vous aviez commis ces actes à la suite d’une réunion avec le sous-préfet. Vous aviez indiqué qu’il y avait eu une réunion avec le sous-préfet et qu’il avait dit « la sécurité a été restaurée, j’ai demandé que les Tutsi cachés dans les brousses rentrent chez eux et si l’un réapparait, tuez le ». Vous avez déclaré avoir croisé autre jeune fille et qu’alors vous avez frappé cette victime à l’aide d’une houe et qu’un certain Clément avait été témoin de cette scène : « J’ai commis ces actes suite à la réunion avec le sous-préfet et suite aux propos du colonel SIMBA. Il nous a rejoint dans cette région à KADUHA et nous a dit que nous devions nous débarrasser de l’ennemi et que celui qui ne participait pas aux attaques serait aussi l’ennemi ». Vous avez dit, concernant SIMBA, qu’il avait tué deux personnes à KADUHA : GASANA (premier substitut) et Monique (une enseignante). Vous aviez dit que s’agissant de l’attaque à KADUHA, vous n’aviez tué personne : « lors de cette attaque…je ne suis pas retourné à KADUHA ». Alors dans ces déclarations qu’est-ce qui est vrai ?
François SHIKAMA : Je vais expliquer comment j’ai tué ces gens. Quand je les ai tués, je revenais de cette réunion, je n’étais pas à KADUHA. La nommée INGABIRE, je l’ai tuée chez moi à la maison alors qu’elle s’y était réfugiée. L’autre je l’ai tuée quand nous rentrions de cette réunion du sous-préfet, lorsqu’on disait que la paix était revenue et c’était au lendemain des massacres de KADUHA.
Président : Le lendemain ?
François SHIKAMA : C’était le lendemain. Elle avait été tailladée.
Président : Qu’a-t-on dit à cette réunion avec le sous-préfet ?
François SHIKAMA : Dans cette réunion, on disait que l’ennemi était connu, que c’était le Tutsi, et qu’il fallait l’éliminer partout où nous le voyions.
Président : Tout à l’heure, quand j’ai lu votre déposition, vous avez parlé d’une réunion avec le sous-préfet dans laquelle il a parlé de la restauration de la sécurité. Elle a existé cette réunion ?
François SHIKAMA: Cette réunion a eu lieu. Cette réunion rassurait les gens de leur cachette et disait que la paix était revenue. Mais, en réalité, la paix n’était pas revenue, les réfugiés sortaient de leur cachette, mais quand quelqu’un y apparaissait, ils étaient tués.
Président : C’est comme ça que vous avez tué un Tutsi?
François SHIKAMA : À l’époque, c’est ainsi que nous les avons tués.
Président : Avez-vous quelque chose à ajouter, Monsieur ?
François SHIKAMA : Ce que je dirai, c’est que ce que nous avons fait c’est mauvais et nous n’allons jamais le refaire et je demanderai à ceux qui nous ont incité à le faire de le reconnaitre pour qu’ils voient leur peine allégée.
Président : Vous avez également été interrogé par les enquêteurs du TPIR, je n’ai retrouvé qu’un seul PV, concernant une audition en date du 20 janvier 2004. (D6061 à 6063 et D6086 à 6088). Vous souvenez- vous combien de fois vous avez été entendu par les enquêteurs du TPIR ?
François SHIKAMA : Je ne me souvenais pas du nombre de fois.
Président : Dans ce dernier interrogatoire, vous évoquez à nouveau le meurtre de Monique et de GASANA, cachés au domicile de GASANA. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous étiez là ? Témoin de ces meurtres ?
François SHIKAMA : Lorsque les gens sont venus à l’église, on a dit que chez GASANA était cachée une femme Tutsi, et que la personne qui l’avait chez lui était un Hutu. Le jour venu, on est allés fouiller dans ce domicile avec les gendarmes, et on y a trouvé cette personne et nous l’avons tuée.
Président : Voulez -vous ajouter quelque chose ?
François SHIKAMA : C’est que après qu’on ait tué par balles ces gens, il y a d’autres gens qui ont profané les corps et même certains ont avoué ces faits. Je ne crois pas avoir autre chose à dire.
Président : Que voulez-vous dire par « on a profané les corps » ?
François SHIKAMA Vous voyez tout ce qui concerne les femmes, une femme a avoué être allée frapper un corps alors qu’il était déjà mort. Cette femme en question est emprisonnée pour cela.
Président : Comment s’appelle-t-elle ?
François SHIKAMA : Je ne me souviens pas de son nom, elle est aujourd’hui incarcéée. Condamnée à 30 ans.
Président : Par quelle juridiction ?
François SHIKAMA Par la juridiction GACACA de KADUHA.
Président : Savez-vous si des attaques ont eu lieu à NYANZA ou du côté de la préfecture de BUTARE avant ou après les attaques de KADUHA ?
François SHIKAMA : Je n’ai pas eu d’information au sujet de ces attaques, à part ce que j’ai entendu dire : que SIMBA avait pris des jeunes gens pour aller attaquer à NYANZA et qu’ils ont rencontrés des Inkotanyi, donc ils sont revenus.
- QUESTIONS À LA COUR.
Assesseur : Pouvez-vous nous rappeler la période à laquelle vous avez été incarcéré ?
François SHIKAMA : Je ne m’en souviens pas.
Assesseur : Souvenez-vous d’avoir été entendu par des gendarmes français en 2015 ?
François SHIKAMA : Oui.
Assesseur : Dans cette audition, vous avez indiqué avoir fait de la prison de 1995 à 2003, que vous avez été condamné à 12 ans et que vous avez plaidé coupable. Donc moi, j’ai compris que vous avez eu une grâce présidentielle, c’est ça ? Ça vous parait correspondre ?
François SHIKAMA : Non, je n’ai pas bénéficié de la grâce, j’ai plaidé coupable et j’ai bénéficié d’un allègement de la peine. J’ai ensuite fait des TIG.
Assesseur : Donc, quand vous voyez les Français tout est fini ?
François SHIKAMA : Je ne m’en souviens pas bien.
Assesseur : J’imagine qu’à ce moment- là vous en aviez fini avec la justice. Les gendarmes français vous ont demandé si vous aviez vu Laurent BUCYIBARUTA dans la période d’avril 1994, souvenez-vous de ce que vous leur avez répondu ?
François SHIKAMA : La réponse que je leur ai donnée c’est qu’il donnait des réunions qui incitaient aux tueries.
Assesseur :« Je ne me rappelle pas de lui pendant le génocide, je sais juste que devant sa propriété il y avait une barrière, je n’en sais pas plus sur lui, je ne l’avais pas vu ». Comment je fais, moi juge, pour savoir si vous avez vu ou pas Monsieur le préfet Laurent BUCYIBARUTA, car pendant la période du génocide vous dites très clairement que vous ne l’avez pas vu, et pendant votre audition aujourd’hui et là encore il y a 30 secondes, vous dites l’avoir vu à des réunions et l’avoir entendu dire des choses.
François SHIKAMA : Je l’ai vu, à moins que ce que j’ai déclaré avant ait été mal noté, je l’ai toujours dit. Je l’ai vu lors des réunions.
Président : Il me semble que ni les enquêteurs français, ni les enquêteurs rwandais ont noté que vous avez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA : Là où j’ai nié l’avoir vu, c’est pour avoir tué une personne, mais pour la réunion il était là.
Président : Vous ne l’aviez pas mentionné.
François SHIKAMA : Je l’ai dit à part qu’on ait mal noté mes propos.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES :
Me TAPI : Au moment du génocide, vous avez a peu près 27 ans ? Et vous avez déclaré ici avoir tué la fille INGABIRE, quel âge avait-elle ?
François SHIKAMA : Elle était jeune, elle devait avoir 7 ans ou 8 ans.
Me TAPI : Par qui avez-vous été recruté exactement ?
François SHIKAMA : Pour les tueries ?
Me TAPI : Oui, pour les tueries.
François SHIKAMA : Moi, j’ai entendu les directives, j’ai suivi et j’ai tué.
Me TAPI : Pas un nom ? Une autorité ? Quelqu’un ?
François SHIKAMA: Voyez-vous, il y a avait le sous-préfet qui tenait la réunion, le préfet, les gendarmes qui disaient « venez travailler ». Ces autorités nous disaient que l’ennemi c’est le Tutsi et nous l’avaient bien fait comprendre. Nous sommes entrés dedans et nous avons commis cela.
Me TAPI : Parmi ces autorités, il y avait le préfet, le sous-préfet et les gendarmes ?
François SHIKAMA: Oui.
Me TAPI : A chaque fois que vous massacrez quelqu’un, recevez-vous une récompense ?
François SHIKAMA : Il n’y avait pas de récompense, mais par contre quand on n’allait pas participer aux tueries, quand on avait fait une bière traditionnelle, et que tout le monde se rassemblait, on te donnait une bière en dernier car tu n’avais tué personne.
PAS DE QUESTION DU MINISTÈRE PUBLIC.
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me LÉVY : Monsieur le Président vous a rappelé vos déclarations devant les enquêteurs rwandais et vous aviez évoqué une réunion avec le sous-préfet HATEGEKIMANA et le colonel SIMBA au cours de laquelle il avait été dit que l’ennemi était le Tutsi. Vous n’aviez pas mentionné le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA : Je vous ai expliqué que je l’avais dit, à moins qu’on n’ait pas noté.
Me LÉVY : Lors de votre témoignage, vous évoquez aussi une réunion avec le colonel SIMBA et le sous-préfet avant l’attaque de KADUHA, et là encore vous ne mentionnez pas la présence du préfet Laurent BUCYIBARUTA ? Comment l’expliquez- vous ?
François SHIKAMA : Là où j’ai dit que je ne l’avais pas vu, c’était pour tuer quelqu’un mais pour les réunions je l’ai dit.
Me LÉVY : Mais là, vous ne le mentionnez pas justement ? Lors de ces réunions ?
François SHIKAMA : Je ne l’ai pas vu tuer une personne, mais j’ai toujours mentionné concernant les réunions, les seules fois où je ne l’ai pas vu c’est par rapport à tuer une personne.
Me LÉVY : Pensez-vous que c’est crédible aujourd’hui ? Que tant les enquêteurs français que les enquêteurs rwandais n’aient pas retranscrit vos informations ?
François SHIKAMA : Je l’ai toujours dit qu’il a fait tenir ces réunions.
Me LÉVY : Est -ce que quelqu’un vous a demandé de modifier vos déclarations pour accuser le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA : Non personne.
Audition de monsieur Stanislas HIGIRO, rescapé cité par le ministère public.
« Je voudrais vous parler des massacres commis à la paroisse de KADUHA, massacres qui ont commencé à MUSHUBI. Le comptable GACENDELI venait d’être tué. Des gens affluaient de partout vers la paroisse. Vers 10 heures, l’église était pleine de réfugiés: le sous-préfet et son secrétaire sont venus s’enquérir de la situation. Après avoir fait procéder à un recensement des réfugiés, ces derniers ont été dépouillés de leurs bâtons et de leurs machettes.
Les cris des enfants sont parvenus aux oreilles de Sœur MILIGHITA au Centre de santé. Il fallait préparer de la bouillie mais il n’y en avait pas assez vu le nombre élevé d’enfants. Même chose pour l’eau qui avait finie par être coupée. On nous a fait creuser des tranchées qui devaient être utilisées comme latrines.
Le sous-préfet disait que les gendarmes allaient venir de GIKONGORO pour assurer notre sécurité. Le 8 ou le 9, une dizaine de gendarmes sont arrivés dont deux chez les religieuses. A l’extérieur, la sécurité évoluait de mal en pis, les maisons étaient détruites ou brûlées. Ceux qui se hasardaient à aller puiser de l’eau dans la vallée étaient tués.. A partir du 19/20 avril, il n’était plus possible d’aller acheter de la nourriture.
Le 21, vers 5 heures du matin, on a fait exploser une grenade, signal donné pour aller tuer. Les tueries ont continué jusqu’à 10 heures. On tuait, on tuait, on coupait…
A un certain moment, le bruit des armes a diminué. Le tueurs qui portaient des armes traditionnelles ont continué leur travail. Au bout d’une heure, une voiture chargée de munitions est arrivée. Ils ont beaucoup tué à l’hôpital.
J’ai pensé qu’ils allaient me tuer. Je suis allé me cacher dans un trou où on jetait les seringues usagées. J’ai recouvert ce trou d’une planche. Vers 19h30, la religieuse a envoyé un employé voir si le personnel tutsi n’avait pas été tué. La jeune fille à laquelle j’avais révélé ma cachette a gardé le silence, mais menacée de mort si elle ne disait rien, elle a fini par céder à la pression des tueurs. Je suis sorti de là.
Le lendemain, les tueries des voisins ont continué. Je suis resté sur place avec les enfants en bas âge et quelques femmes blessées à la tête. Les attaquants étaient allés tuer le personnel de l’hôpital. Je dormais sur place, mes deux parents ayant été tués.
On a dit à la religieuse qu’elle risquait d’être tuée à son tour par les Inkotanyi. Elle est partie.
Les militaires français sont arrivés et nous ont conduits à MURAMBI début juillet.. Nous avons vécu là deux à trois semaines, à mener une mauvaise vie.. Les militaires nous donnaient des biscuits. Nous leur avons demandé de nous aider à rejoindre la zone occupée par le FPR, à GITARAMA ou BUTARE.
Il faudrait écrire un livre pour tout raconter. »
Sur questions de monsieur le président, le témoin dit qu’en 1994 il avait 17 ans, était célibataire et vivait chez ses parents.. Son papa travaillait avec lui chez les religieuses en tant que jardinier. Lui travaillait aussi au Centre de santé, nettoyait le sol ou participait aux campagnes de vaccination. Sur les dix enfants de la famille, ils ne resteront plus qu’à deux. Il compte une soixantaine de victimes dans sa famille élargie.
Il a vu le sous-préfet qui venait chez sa soeur, mais il n’a jamais vu Laurent BUCYIBARUTA. Il le connaissait toutefois car il possédait une maison à KADUHA. Il y venait avant le génocide.
Concernant le prêtre burundais NYANDWI, il ne l’a jamais vu tuer car il se cachait. Mais beaucoup l’ont dit. Ce prêtre portait un fusil sur sa soutane et discutait beaucoup avec les politiciens.
Le président: Vous avez dit que les combats s’arrêtent puis reprennent. Vous en avez été témoin vous-même?
Stanislas HIGIRO: J’étais à l’intérieur et j’entendais le bruit des ares. J’ai interprété l’arrêt comme un manque de munitions.
Le président: pourquoi les enfants de l’orphelinat ont-ils été épargnés.
Stanislas HIGIRO: La soeur donnait de l’argent aux militaires. Ils ont été sauvés grâce à elle. Sœur MIRIGHITA a agi avec abnégation. Elle a tout fait pour nous sauver. Elle avait demandé de l’aide à Laurent BUCYIBARUTA mais ce dernier n’a pas répondu. Elle s’était aussi adressée à l’ambassade d’Allemagne. Monseigneur MISAGO est venu rendre visite à la religieuse. Après le départ de soeur MILIGHITA, les enfants ont été évacués par la Croix Rouge et Terre des Hommes. Il y avait environ 70 enfants. Certains enfants blessés ainsi que des adultes sont restés avec nous.
« Je voudrais ajouter quelque chose: la justice devrait nous rétablir dans nos droits. Il faut que les crimes soient sanctionnés. Quand nous apprenons que justice a été rendue, cela nous soulage. Nous réclamons des dommages et intérêts. »
Le président: et le colonel SIMBA,
Le témoin: Je ne l’ai pas vu même s’il est venu la veille du 21. On m’a dit, plus tard, que le militaire qui était venu n’était pas SIMBA. Il est parti ensuite avec les officiels;
Le président: vous connaissiez Madeleine RTAFFIN ?
Le témoin: elle est venue à KADUHA entre le 8 et le 21 avril mais je ne l’ai pas vue. puisque vous me posez la question, je suis marié et j’ai cinq enfants.
Maître GISAGARA veut savoir si la religieuse avait besoin de l’accord de l’ambassade pour partir. La lettre remise au sous-préfet était bien destinée au préfet? Le témoin confirme.
Maître TAPI, quant à lui, voudrait savoir à quelle date cette lettre a été remise. Autour du 11 avril, répond le témoin.
Maître BIJU-DUVAL demande au témoin s’il en sait davantage sur l’appel téléphonique du sous-préfet au préfet. Monsieur HIGIRO n’en sait pas plus. L’avocat de la défense voudrait aussi se convaincre que, de là où il se cachait, le témoin pouvait bien voir ce qu’il dit avoir vu, entre autres le passage des autorités.
- Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide[↑]
- Sœur MILGITHA KÖSSER a documenté le massacre des Tutsi réfugiés dans la paroisse de Kaduha dans un album photo déjà évoqué lors de l’audition d’Hélène Dumas. Voir également « Afin de mettre une marque en ce temps » – Kaduha, avril 1994 : un album de l’attestation, Hélène Dumas dans la revue Sensibilités 2021/2 (N° 10) [↑]
- Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. Glossaire.[↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[↑]
- Accords de paix, signés en août 1993, à Arusha (Tanzanie), entre le gouvernement du Rwanda et le FPR (Front patriotique Rwandais). Ils prévoient notamment la diminution des pouvoirs du Président HABYARIMANA au profit d’un gouvernement « à base élargie » (cinq portefeuilles sont attribués au FPR), l’intégration des militaires du FPR dans la nouvelle armée gouvernementale, la nomination de Faustin TWAGIRAMUNGU au poste de Premier ministre et l’envoi d’un contingent de 2 500 hommes de l’ONU, la MINUAR, pour faciliter la mise en place des nouvelles institutions. Le président HABYARIMANA fit tout pour différer la mise en place de ces accords. L’attentat contre lui survint le soir du jour où il s’y résigna.[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]