- Audition de monsieur Augustin NDINDILIYIMANA, cité par la défense.
- Suite de l’audition de monsieur Joachim HATEGEKIMANA, sous-préfet de KADUHA, entendu le 10 juin.
- Audition de monsieur André SIBOMANA, cité par la défense, en visioconférence du Cameroun.
- Audition de monsieur Venant NDAMAGE, cité par la défense.
En début d’audience, maître Jean SIMON intervient au nom de tous les avocats des parties civiles pour porter à la connaissance du président qu’ils ne sont pas satisfaits de la façon dont se déroulent les audiences. Trop peu de place est laissée aux différentes parties, défense y compris. Monsieur le président reconnaît les faits et tente d’apaiser les craintes des avocats. Il explique comment il conduira l’interrogatoire de l’accusé. L’incident est clos.
Audition de monsieur Augustin NDINDILIYIMANA, cité par la défense. Condamné par le TPIR mais acquitté par le TPIR.
Le témoin souhaite s’exprimer en Français. Il se présente comme réfugié de nationalité belge.
Préambule: « Je connais Laurent BUCYIBARUTA comme haut responsable politique. Je suis ancien chef d’Etat major de la gendarmerie. Parmi les parties civiles, je connais la famille de monsieur GAUTHIER. Je suis entendu à la demande de la défense. »
Monsieur le Président lui demande de se concentrer sur les informations les plus pertinentes.
« Je vais vous parler de Laurent BUCYIBARUTA à travers mon procès au TPIR et l’histoire de mon pays. En mai 1994, je suis allé à GIKONGORO pour voir où on pouvait installer l’école de formation des gendarmes. Il s’agissait de former des éléments pour renforcer les autorités et aider la MINUAR 2. Toutefois, nous manquions de beaucoup de moyens. J’ai tout de même pu réaliser cette mission.
J’avais rencontré aussi tous les préfets de la région: ceux de CYNAGUGU, de KIBUYE, de GISENYI. Il s’agissait de savoir comment protéger les gens. Je viens témoigner pour évoquer les problèmes et parler de la réponse de Laurent BUCYIBARUTA aux propos du président SINDUKUBWABO. Le préfet explique que ce sont des gens venus d’ailleurs, des bandits, des militaires qui s’attaquent à la population. Les gens fuyaient dans des endroits où ils pensaient pouvoir être protégés. Il y avait 2 ou 3 gendarmes pour une population de 3000 personnes. Certains étaient tués, d’autres fuyaient. C’est ainsi que je peux justifier les regroupements de population. La situation était difficilement contrôlable: des réfugiés avaient par exemple désarmé des gendarmes et les avaient tués.
Dès le 22 avril, j’avais rencontré le général DALLAIRE qui souhaitait demander des renforts à l’ONU. Le FPR a refusé cette force J’ai fait former des gendarmes à GIKONGORO. Nous voulions travailler avec le FPR sous l’autorité de la MINUAR. La situation était complexe mais on aurait pu diminuer les pertes de vies humaines si on avait travaillé en collaboration: MINUAR/FPR/FAR. »
Monsieur le président revient sur la longue carrière du témoin qui a exercé de hautes responsabilités au sein de plusieurs ministères sous la présidence HABYARIMANA. Originaire de BUTARE, donc Hutu du Sud, à une époque où les Hutu du Nord étaient puissants. Il a été le seul ministre à n’avoir jamais été élu député. Bien formé sur le plan militaire, il se tenait toujours loin des intrigues. De ce fait, il était apprécié par les gens du Nord et du Sud.
Ministre de la Défense, il sera nommé chef d’Etat major de la gendarmerie au moment où il devait être nommé ambassadeur en Allemagne, poste normalement réservé aux gens de KIGALI. Il occupera ce poste de juin 1992 à juin 1994. A cette époque, une partie des membres de la gendarmerie sera déployée au front pour soutenir les FAR, ce qui va fortement diminuer les forces de la gendarmerie dans les préfectures.
Après l’attentat, il devient président du Comité de crise chargé de gérer la nouvelle situation. Le témoin explique alors les démarches entreprises auprès de hauts responsables comme BAGOSORA… Mais le travail entre la gendarmerie et la MINUAR n’a pas pu se faire car la Garde présidentielle avait commencé à tuer.
« Nous pensions toutefois que la situation était gérable. Des barrières, le 11 avril, étaient tenues par des Hutu et des Tutsi pour s’opposer aux infiltrés. Mais ce jour-là, les choses changent: les policiers quittent les barrages.
Le FPR ayant pris la ville de KIGALI (?) le gouvernement intérimaire prend la fuite pour s’installer à GITARAMA, Le camp des déplacés hutu du Nord massés aux portes de la capitale est attaqué: les réfugiés décident de suivre les autorités, d’autres en profitent pour piller la ville. C’est le chaos, gendarmes et militaires ne peuvent plus assurer la gestion de la sécurité. »
A ce stade, il est procédé à une évacuation du Tribunal, un suspect qui aurait été armé a été intercepté devant le Palais. Ce sont en tout cas les informations qui nous sont données lors du rassemblement dans la cour de la Sainte Chapelle.
Le témoin va évoquer sa rencontre avec le préfet BUCYIBARUTA dans sa recherche d’un lieu pour installer l’école qui doit former de nouveaux gendarmes. Etonnamment, à aucun moment, ne sera évoqué le cas de SEBUHURA et de sa participation au génocide. Pas davantage ne seront abordés les massacres perpétrés à KIBEHO ou ailleurs dans la préfecture, massacres auxquels des gendarmes ont été impliqués On est le 25 ou le 27 mai. Ce n’est que lors de son procès au TPIR que monsieur NDINDILIYIMANA entendra des témoins « pas fiables » parles de KIBEHO, MURAMBI, CYANIKA, KADUHA. (NDR. Comment croire le témoin qui ne semble pas plus « fiable » que ceux dont il vient de parler. Tout cela déclaré avec beaucoup de flegme et de détachement.)
Sont évoqués ensuite, toujours sur questions de monsieur le président, la situation dans la préfecture de BUTARE d’où le témoin est originaire, après avoir dit que le préfet KAYISHEMA de KIBUYE était « peu coopérant ». Ils ne se sont pas entendus sur le dossier de l’implantation de la nouvelle école.
« A BUTARE, explique le témoin, c’est différent, c’est chez moi. J’ai la conviction que des militaires ont participé aux massacres. J’ai déplacé un des officiers de l’ESO (Ecole des Sous-Officiers) et je l’ai envoyé au front. C’était le 23 avril. Alors que j’étais à l’ESO, j’ai entendu des tirs qui semblaient provenir de l’aéroport. J’ai pensé que c’était probablement l’œuvre de soldats venus du Burundi. Je suis allé demander des renforts à KIGALI où on me dit qu’il n’y a pas eu d’attaque venue du Burundi. En fait, c’était des militaires des FAR qui créaient des problèmes. »
Le discours de SINDIKUBWABO? Le témoin en fait une interprétation toute personnelle. Pour lui, le président de la République voulait arrêter les massacres. Aucun double langage à trouver dans ce discours. Le bourgmestre KANYABASHI et le nouveau préfet NSABIMANA, qu’il rencontre, sont sur la même longueur d’onde que lui. Un « expert » appelé à son procès et à qui est soumis le texte du discours « ne trouve rien de répréhensible dans le discours de SINDIKUBWABO« . Et le témoin de conclure: « Personnellement, je pense que ce discours a été interprété d’une façon erronée. »
Concernant le préfet HABYARIMANA qui sera destitué puis tué avec sa famille, il aurait encouragé les jeunes à rejoindre le FPR. (NDR. On doit en conclure qu’il a bien mérité le sort qui lui a été réservé?)
Le communiqué de KIGEME? « Les signataires voulaient se mettre bien avec le FPR. Mais c’était une bonne initiative! (NDR. Comprenne qui pourra. En tout cas, s’il est quelqu’un qui ne comprend pas, c’est le président de la Cour) J’étais déjà parti. Certains ne voulaient pas comprendre qu’on avait déjà perdu la guerre. Certaines autorités considéraient les signataires comme des traîtres! »
« Vous me demandez dans quelles conditions j’ai quitté le pays? Le 11 avril (?), le FPR m’avait appelé pour me rallier à lui. Le premier ministre KAMBANDA à qui je vais dire qu’on m’arrête aux barrières, qu’on me menace, me promet un poste en Europe. Jean KAMBANDA a rédigé une note dans laquelle il me nommait à BOON, Je suis alors parti à KINSHASA via GISENYI et GOMA. L’ambassade de France que je sollicite pour l’obtention d’un visa me le refuse sous prétexte qu’il n’était pas nécessaire que je parte dans la mesure où les soldats de Turquoise étaient là. L’ambassade de Belgique, par contre, promet de me donner un visa si j’accepte de témoigner dans le cadre de la mort des Casques Bleus belges. En 2000, la Belgique m’extrade à ARUSHA. Je serai acquitté en appel 2011. »
Monsieur le président: Les autorités belges, alors, n’est pas pressées de vous accueillir?
Le témoin: Je suis entré en Belgique en 2014. Ma famille était là. J’étais réfugié.
Le témoin profite de l’occasion pour plaider en faveur de ses collègues acquittés comme lui par le TPIR ou qui ont purgé leur peine et qui ne trouvent toujours pas de pays d’accueil: « J’ai laissé des collègues acquittés à ARUSHA et qui ne peuvent pas rejoindre leur famille en France. On devrait leur accorder de venir en France » (NDR. Parmi les 9 personnes accueillies un temps au Niger et reconduites à ARUSHA où elles continuent à vivre au crochet de la communauté internationale, il y a Protais ZIGIRANYIRAZO , alias monsieur Z, frère d’Agathe HABYARIMANA qui coule des jours tranquilles en France sans avoir été reconnue « réfugiée », sans titre de séjour et qui, visée par une plainte du CPCR en février 2007, attend une décision de la justice française: au moment de la clôture récente de l’instruction, elle est restée « témoin assisté », celui qui ne présage pas de bonnes nouvelles pour les plaignants.)
Sur questions de madame l’assesseure, le témoin fait le point sur la Garde présidentielle (600 hommes environ), sur le nombre de gendarmes « opérationnels » à GIKONGORO en 1994. Concernant les barrières, le témoin dit qu’elles étaient tenues, jusqu’au 12 avril, par des Hutu et des Tutsi pour contrôler les infiltrés. Il précise que les premières victimes à KIGALI, ce sont les politiciens de l’opposition (NDR. Il oublie de dire que dès, la chute de l’avion, la Garde présidentielle va éliminer toutes les personnes qui habitent autour de l’aéroport et de la résidence du président).
Les victimes du Centre Christus, maison des Jésuites, le témoin ne sait pas qui les a tuées! NDR. Parmi elles, trois prêtres que nous connaissions, l’abbé MAHAME, responsable du Centre, l’abbé Straton GAKWAYA que j’avais personnellement connu à SAVE et l’abbé KANYONI.°
Sur question de monsieur l’assesseur remplaçant concernant le recrutement des nouveaux gendarmes, le témoin précise qu’ils avaient déjà été recrutés par l’armée à NYANZA. Il a pris aussi conseil auprès des préfets et des bourgmestres en qui il avait confiance. Il pensait qu’ils ne pouvaient pas lui adresser des « bandits ».
Les avocats des parties civiles sont invitées à poser des questions au témoin.
Maître TAPI veut savoir qui, pour un gendarme de formation, est considéré comme « ennemi ».
Le témoin: Il faut se reporter à la définition donnée par le MINADEF (Ministère de la Défense). C’est quelqu’un qui mène des actions hostiles.
Maître TAPI: Vous dites que jusqu’au 11/12 avril, les barrages étaient tenus par des Hutu et des Tutsi. Pourquoi ces Tutsi ont été tués alors que le FPR avait gagné la guerre?
Le témoin: Les 11/12 avril, on a constaté que les Tutsi qui étaient sur les barrages sont allés se réfugier dans les paroisses, les hôtels, les écoles. Ces gens pensaient que le FPR venait les aider. Nous avons protégé l’Hôtel des Mille Collines, le Centre Saint-Paul. (NDR. Le témoin aurait pu ajouter l’église de la Sainte Famille.) Les Interahamwe venaient chercher ceux qu’ils considéraient comme sympathisants du FPR.
Maître GISAGARA ne comprend pas la réponse du témoin qui est amené à préciser sa pensée.
« Le FPR massacre les Hutu sur les barrages. Les Tutsi se sont regroupés pour attaquer les Hutu. C’est ce qui s’est passé dans ma paroisse de KANSI. J’ai cherché à savoir où les Tutsi que je ne voyais plus. Les paysans me disent qu’ils se sont regroupés à la paroisse pour revenir les attaquer. Les Tutsi auraient pu travailler avec nous. Ils ont été tués à cause du FPR! »
D’accuser ensuite Radio Muhabura, la radio du FPR de faire circuler des rumeurs et qui demande aux Tutsi de se regrouper. Ceux qui ont été tués chez eux, c’est parce que les gens tuaient pour voler.
KAMBANDA a plaidé coupable au TPIR? « Il a été induit en erreur par son propre avocat. Il a plaidé coupable puis il s’est rétracté. Quant à BAGOSORA, membre avec lui du Comité crise à Kigali, vous me demandez s’il a lui aussi été induit en erreur? On n’a pas reconnu l’entente et il n’a pas commis les crimes qu’on lui reproche. Le gouvernement intérimaire n’est pas un gouvernement d’extrémistes. Ils ont suivi la procédure juridique. Ce gouvernement à été formé au ministère de la défense. Il n’y avait pas de solution de rechange. »
Toujours sur questions de l’avocat des parties civiles, le témoin poursuit: « Le 18 avril, le président SINDIKUBWABO vient à GIKONGORO. Au cours de la réunion, il a demandé à Laurent BUCYIBARUTA pourquoi les gens continuaient à tuer. Trois raisons: les assaillants viennent d’ailleurs, les gens sont furieux et veulent venger la mort d’HABYARIMANA et on a affaire à des gendarmes égarés. Des grands massacres avaient déjà eu lieu mais les gens étaient excités au point de perdre la raison. Quant au plan concerté sur lequel vous m’interrogez, si vous avez suivi les procès du TPIR, il n’y a pas eu reconnaissance d’un plan concerté. Il n’y a pas eu d’enquête pour le prouver. Un militaire britannique avait inventé un télégramme dans l’affaire TURATSINZE. »
Un autre avocat des parties civiles demande au témoin ce qu’il pense du président HABYARIMANA.
Le témoin: Comme chef d’Etat, il avait des conseillers hutu et tutsi. Il a choisi des ministres compétents. On a inventé des histoires sur lui. Pour KAGAME, c’était un « dictateur criminel ». Ce n’est pas l’homme que j’ai connu en tant que président. Je confirme ce que vous dites concernant sa prise du pouvoir. Il a déclenché un coup d’état, a fait emprisonner tous les membres du gouvernement de KAYIBANDA. Je vous signale que c’est KANYARENGWE (NDR. Prochain président du FPR) qui était responsable du service de renseignements à l’époque. Si on doit évoquer une stratégie dans l’exécution des personnalités du Sud et des dix Casques Bleus belges, c’est plutôt du côté du FPR qu’il faut chercher une stratégie en abattant l’avion. Concernant les massacres, ceux du 7avril ou du 21, bien sûr que la Garde présidentielle n’était pas à GIKONGORO, On ne cherche pas à savoir qui les a commis: on inculpe l’autorité. Le ministre de la justice KARUGARAMA ira dans les prisons pour dire aux prisonniers qu’ils ne sont pas responsables. Ce sont les autorités qu’il faut accuser. Si on avait voulu connaître la vérité à GIKONGORO, on aurait enquêté au lieu d’accuser les autorités.
Le ministère public: Vous arrivez à GIKONGORO le 26 mai, après les grands massacres. Vous êtes au courant? Il n’y a pas de rapport sur ces événements?
Le témoin: Il n’y avait pas de communication à une certaine époque. Certaines informations ne nous parvenaient pas. J’ignore tout des massacres dans la préfecture. Laurent BUCYIBARUTA me dit simplement qu’on a tué des gens à MURAMBI (NDR. Ce n’est pas ce qu’il avait dit plus tôt. Il aurait eu connaissance de ces massacres lors de son procès devant le TPIR). Des gens? Oui, ce doit en grande majorité des Tutsi. Vous me dites que, à part BAKAMBIKI qui a été acquitté, trois préfets ont été condamnés à perpétuité? Oui, mais ceux de GISENYI et de GITARAMA ont rejoint le FPR.
Le ministère public: BIZIMUNGU a été remplacé par Gélas HARERIMANA: c’était pour maladie?
Le témoin: non, il était apte.
Le ministère public: Un gendarme tutsi a parlé de SEBUHURA, un tueur qui sera muté à NYANZA, et parlant de l’accusé: « Laurent BUCYIBARUTA aidait les gendarmes à éliminer les Tutsi. »
Le témoin: Chacun peut raconter ce qu’il veut. C’est son affaire. Ce qui s’est passé, on est loin de tout savoir.
Maître BIJU-DUVAL veut d’abord faire une observation. Il s’offusque du fait que le ministère public n’a pas jugé bon de faire comparaître ce témoin dont il vient de parler. Il nous doit des explications. Ce comportement est inadmissible.
Monsieur le président lui fait savoir que le témoignage est au dossier et que chacun avait tout le loisir de faire des demandes avant le procès.
Maître BIJU-DUVAL: C’est exact qu’en mai 1994, vous avez figuré sur une liste d’officiers complices du FPR?
Le témoin confirme: « Et on risquait la mort. » Il redit que les premières victimes en avril 1994 sont des Hutu. Des Tutsi ont bien été tués parce que Tutsi, mais des Tutsi et des Hutu ont été tués.
Maître LEVY: BAGAMBIKI, préfet de CYANGUGU, avait pris l’initiative de regrouper les Tutsi gardé par des gendarmes. Il a été acquitté. Et il est resté en poste jusqu’à la fin?
Le témoin: Oui, à NYARUSHISHI. Je crois qu’il est resté en poste jusqu’à la fin.
Maître LEVY: Vous êtes informé de conflits internes au sein de la gendarmerie de GIKONGORO?
Le témoin; Ca devait exister, comme à NYANZA. Mais à GIKONGORO, ce n’est pas prouvé. Je n’ai pas su.
Suite de l’audition de monsieur Joachim HATEGEKIMANA, sous-préfet de KADUHA, entendu le 10 juin. Son retour devant la Cour était prévu afin que les parties puissent lui poser des questions.
Compte-rendu non disponible à ce jour.
Audition de monsieur André SIBOMANA, cité par la défense, en visioconférence du Cameroun où il est pasteur.
Le témoin n’ayant pas de déclaration spontanée à faire, il accepte de répondre aux questions qui lui seront posées.
Sur questions de monsieur le président, il va commencer par parler de ses activités professionnelles en 1994.
« Je travaillais à la préfecture de GIKONGORO comme opérateur radio dans le service de renseignements de la présidence de la république., de 1988 à août 1994, quand on a fui le pays.
Mon dernier supérieur direct a été monsieur Fabien UWIMANA. Quand j’ai voulu fuir, il est resté. On devait partir ensemble: il a traîné, je suis parti. Le service de renseignements dépendait du Premier Ministre depuis l’installation du multipartisme. Un autre correspondant du service de renseignements se trouvait aussi à MUNINI. Mon supérieur était considéré comme un chef de service.
Les rapports avec le préfet? Ce dernier avait de bonnes relations avec tout le monde.
Le destinataire du renseignement recueilli par la service de renseignement était le chef des renseignements au niveau national qui s’appelait Augustin YAMUREMYE. Il est finalement resté travailler avec le FPR, ce qui nous a tous étonnés. On l’a su après. Nous on avait fui car le FPR arrivait. Il a été aussitôt nommé ministre de l’Agriculture car il était agronome de formation. » (NDR. Il est aujourd’hui président du Sénat après avoir occupé de nombreux autres postes.)
Président : En ce qui concerne la circulation de l’information, quelles étaient les relations entre le préfet et le responsable du service de renseignement ? Est-ce qu’il y avait des communications ou pas ?
Le témoin : Oui, le service de renseignement au niveau de la préfecture travaillait en collaboration avec le préfet, c’est-à-dire qu’une partie des informations qu’on transmettait, on l’en informait.
Président : Est-ce qu’il pouvait arriver, si le préfet se déplaçait dans la préfecture, que le responsable du service de renseignement l’accompagne ?
Le témoin : Très souvent, ils partaient ensemble.
Président : Quelle était votre fonction ? C’était de transmettre de rapports à la primature ?
Le témoin : Avant, c’était à la présidence. Quand c’était à la primature, nous au niveau de la préfecture, on transmettait d’abord chez le chef de renseignement à KIGALI, à Augustin YAMUREMYE: c’est lui qui savait comment transmettre, mais nous on communiquait directement avec le chef de renseignement au national.
Président : Donc, les rapports étaient adressés au chef de renseignement ?
Le témoin : Oui, c’est ça.
Président : Je suppose que, selon les événements, il pouvait y avoir plusieurs rapports et que la fréquence des rapports dépendait de l’importance des évènements qui survenaient ?
Le témoin: Ces rapports pouvaient être quotidiens ou davantage, selon l’urgence. Je communiquais par radio, surtout pour les messages codés, éventuellement par fax ou par téléphone.
Président : Est-ce que ça fonctionne dans les deux sens ? Est-ce que vous émettez des messages et est-ce que vous en recevez ?
Le témoin : Oui, on en envoyait et on en recevait.
Président : Quelle était la nature des informations ? Des thèmes ?
Le témoin : Il n’y avait pas de thèmes, car les informations étaient en fonction des événements.
Président : S’il y avait une émeute par exemple, je suppose que vous envoyiez un rapport ?
Le témoin : Oui, on signalait directement.
Président : S’il y avait un meeting politique, vous envoyiez un rapport ?
Le témoin : Oui. Notre bureau avait très peu de personnes, mais on avait beaucoup d’informateurs qui nous donnaient des informations sur tout ce qui se passait dans la préfecture pour pouvoir informer nos supérieurs ce qui se passe.
Président : Que pouvez-vous nous dire sur ce réseau d’informateurs ? Qui étaient-il ?
Le témoin : Les informateurs, c’était des gens dans différents services qui nous donnaient la situation dans un service donné, comme par exemple dans un hôpital. On n’allait pas dans les hôpitaux pour savoir ce qui se passait. On recevait des informations de tous les services. Puis, quand on nous renseignait, avant de transmettre nous- mêmes, on devait faire l’effort de vérifier si c’était vrai, car on pouvait exagérer, mentir.
Président : Donc vous avez une obligation de vérifier la qualité des informations qui étaient communiquées ?
Le témoin : Oui, avant de les transmettre.
Président : Aviez-vous des informateurs dans les mairies ? Par exemple, avez-vous des informateurs au sein des policiers communaux ?
Le témoin : Oui, ça pouvait arriver. On pouvait par exemple avoir quelqu’un qui nous renseignait sur ce qui se passe dans une commune/sous-préfecture/société/projet quelconque. C’était comme ça.
Président : D’accord. Donc, vous aviez aussi des informateurs dans différents projets de développement, dans les écoles ? Aviez-vous aussi des contacts dans les usines de thé ?
Le témoin : Oui, tous les services confondus.
Président : Quels étaient les moyens de communication entre les informateurs et le service qui était à la préfecture ?
Le témoin : Le chef de service est celui qui avait la liste de tous ces informateurs et c’est lui qui savait comment les payer.
Président : Je vais prendre un exemple, à l’usine de thé de MATA, est-ce que vous aviez un informateur?
Le témoin : Oui, dans toutes ces usines, il y avait des informateurs.
Président : Comment le contact que vous aviez à l’usine de thé de MATA communiquait avec la préfecture ? Comment ça se passait ?
Le témoin : Un informateur pouvait se déplacer et souvent il se déplaçait.
Président : Est-ce que certains informateurs pouvaient disposer eux-mêmes de moyens de communications radio ?
Le témoin : Non.
Président : Est-ce qu’ils pouvaient éventuellement utiliser le système de communications radio de gendarmes qui étaient détachés dans certains lieux ? Par exemple, on sait qu’il y avait des détachements dans le Sud du pays. Utilisaient-ils ces moyens de communications militaires ?
Le témoin : Dans notre cas de renseignements civils, souvent on pouvait utiliser les téléphones.
Président : S’agissant des téléphones, est-ce que pendant cette période d’avril à juillet 1994, est-ce que le réseau téléphonique a pu fonctionner de façon continue, intermittente ou pas du tout ?
Le témoin : Là, c’était grave, c’était dramatique car les informations étaient vraiment bafouées. Après la mort du Président, c’est comme si le service était sérieusement paralysés.
Président : Pendant la période du génocide, tout était « bizarre » c’est ça ?
Le témoin : Oui tout était bizarre et paralysé.
Président : Donc, vous nous dites que vous ne receviez pas de renseignement ?
Le témoin : On en recevait très peu car les gens éloignés n’avaient pas la facilité de communiquer, les déplacements étaient compliqués avec les tueries. On recevait les informations des gens les plus proches comme ceux de la ville de GIKONGORO. Mais, c’était paralysé.
Président : Est-ce que vous étiez au courant à GIKONGORO quand le bourgmestre tenait une réunion ?
Le témoin : Oui, si le bourgmestre tenait une réunion, il pouvait communiquer au chef, mais c’est une période, où moi qui transmettais les informations, je ne recevais rien. Même le chef lui-même ne recevait rien.
Président : Vous disiez qu’à GIKONGORO, le chef recevait des renseignements ?
Le témoin : Oui, un peu. Il recevait des renseignements dans la ville de la part des gens qui pouvaient se déplacer et il n’y avait pas beaucoup d’informateurs qui pouvaient se déplacer. Les informations qu’on recevait étaient celles proches de la ville de GIKONGORO.
Président : Donc, plus les gens étaient éloignés, et plus c’était difficile de se déplacer, donc moins vous étiez informés. Mais vous saviez ce qui se passait localement à GIKONGORO.
Le témoin : Oui.
Président : Vous avez parlé, je suppose, de l’attaque de MURAMBI ?
Le témoin : Oui, car nous tous on était dans la ville, on entendait le bruit.
Président : Mais, avant que l’attaque ait eu lieu, avez-vous été informé de quelque chose qui allait se préparer ?
Le témoin : Oui, avant l’attaque. A un certain niveau même si on avait vraiment des difficultés à croire les informations qui nous parvenaient.
Président : Donc, parfois, les informations qui circulaient vous aviez du mal à croire ?
Le témoin : Oui, car il y avait trop de mensonges.
Président : Ces rumeurs, elles disaient quoi ? Qu’il y avait un projet d’attaquer le camp de MURAMBI ?
Le témoin : Oui. Il y avait de la famine et de la souffrance.
Président : Qui avait de la souffrance ? Les gens qui étaient au camp ?
Le témoin : Oui, les gens qui étaient au camp.
Président : Donc, on connaissait la situation des gens qui étaient au camp ? On savait qu’ils étaient dans la souffrance ?
Le témoin : Non, les rumeurs circulaient et la rumeur était qu’ils voulaient s’attaquer à GIKONGORO et après, on a entendu dire qu’au contraire ils se sont attaqués à la population qui habitait à côté de ce camp et ils cherchaient de quoi manger.
Président : Donc, les rumeurs étaient que les gens qui étaient réfugiés dans le camp de MURAMBI voulaient attaquer la population alentour ?
Le témoin : Oui, c’était les rumeurs comme ça qui circulaient.
Président : Qu’est-ce que c’était ces souffrances qu’ils avaient dans les rumeurs ?
Le témoin : Il n’y avait pas à manger, c’est difficile de connaitre de quoi il s’agissait, mais moi je vous dis ce que je pense, que c’était peut être la famine car quand ils sont sortis, c’était pour chercher à manger.
Président : Donc, vous, vous entendiez des rumeurs qui disent que les réfugiés de MURAMBI vont s’attaquer à la population alentour car ils cherchent à manger et à boire. Mais avez-vous entendu des rumeurs disant qu’il allait y avoir un attaque contre les réfugiés ?
Le témoin : On soupçonnait les Interahamwe, on disait qu’ils allaient aussi s’attaquer à eux.
Président : Il y avait des soupçons généralisés ?
Le témoin : Oui.
Président : Donc, on soupçonnait à la fois les réfugiés de vouloir s’en prendre à la population extérieure pour arriver à survivre et, en même temps, il y avait des soupçons dirigés contre des Interahamwe que l’on soupçonnait de vouloir attaquer les réfugiés Tutsi ?
Le témoin : Oui, c’est ça.
Président : Ces soupçons, ces rumeurs faisaient partie de rapports qui étaient adressés à la primature ?
Le témoin : Le gouvernement était en débandade. On ne pouvait pas adresser de rapport à la Primature car le FPR avait pris KIGALI. Tout le monde savait que le chef des renseignements au niveau national avait rallié le FPR (NDR. A cette époque, comment avoir connaissance de ce ralliement? KIGALI ne sera d’ailleurs prise que le 4 juillet.)
Président : Il n’y a pas eu de messages pour informer le gouvernement ?
Le témoin : Sauf le chef qui pouvait communiquer avec. Le bureau central avec lequel on communiquait autrefois était déjà en fuite. Il était déjà tombé entre les mains du FPR.
Président : Est-ce que vous avez gardé contact avec le responsable central et national du service de renseignement pour lui communiquer ces rumeurs ?
Le témoin : Oui.
Président : S’agissant de MURAMBI, vous nous dites « on a entendu des rumeurs généralisées » à la fois concernant les réfugiés et concernant les Interahamwe, est-ce qu’il y a eu des rapports concernant MURAMBI ? Et, à qui étaient adressés ces rapports ?
Le témoin : Disons que c’était des rumeurs qui étaient changeantes, on doutait beaucoup. Notre service était si paralysé qu’on ne savait pas qui croire.
Président : Est-ce que vous pouvez simplement nous dire si oui ou non il y avait des rapports qui étaient adressés à ce sujet ?
Le témoin : Non, il n’y avait pas de rapport qu’on adressait à la primature car déjà le bureau ne fonctionnait plus depuis que le FPR avait pris KIGALI. Il n’y avait pas de bureau pour donner ou recevoir les informations. Donc, depuis ces évènements, notre service était paralysé.
Président : Donc, pas de rapport à la primature depuis la fuite du gouvernement de KIGALI ?
Le témoin : Oui.
Président : Mais est-ce qu’il y avait des communications qui étaient maintenues avec le responsable du service central de renseignement ?
Le témoin : Oui, tout le monde avait su qu’il était du côté du FPR.
Président : Attendez, vous voulez dire qu’en avril on savait déjà que le service responsable de renseignement était passé du côté du FPR ?
Le témoin : Oui, après la mort du président.
Président : Je ne comprends pas. Où était le service ? Auprès du gouvernement ? Il a joué un double jeu ?
Le témoin : Oui, il n’y avait plus de communication, on a entendu plus tard seulement qu’ils l’ont nommé ministre, après la mort du Président. Le tout était paralysé, il n’y avait pas de communication avec les préfectures, donc tout était devenu bizarre.
Président : Vous nous dites que pendant cette période votre service apprend un certain nombre de rumeurs généralisées, à qui transmettez-vous ces informations sur vos rumeurs ? Ou n’aviez-vous jamais communiqué à qui que ce soit la moindre information sur les rumeurs dont vous venez de nous parler ?
Le témoin : Oui, après KIGALI, il ne fonctionnait plus. Donc, les informations se passaient entre les chefs de service, entre eux-mêmes, et il n’y avait plus rien à communiquer à KIGALI depuis que le gouvernement était paralysé. Sauf que le chef de renseignement le pouvait par téléphone. Si une autorité l’appelait, il pouvait répondre.
Président : Au niveau local, quelles étaient les informations qui étaient communiquées au chef de service de la préfecture, au préfet ? Est-ce que le préfet était informé de ces rumeurs ?
Le témoin : Oui, il était informé de ce qui se passe.
Président : Donc, le préfet par exemple savait que la situation des réfugiés à MURAMBI était difficile ?
Le témoin : Ce n’était pas à MURAMBI seulement.
Président : Je prenais MURAMBI comme exemple, mais il était au courant de la situation des réfugiés dans toute la préfecture, c’est ce que vous venez de dire ?
Le témoin : Oui, il était au courant, mais dans toute la préfecture je ne sais pas s’il était au courant. À MURAMBI, il ne pouvait pas ignorer ça.
Président : Concrètement, qui informait le préfet ? C’était vous ? C’était votre responsable ?
Le témoin : Il avait ses services, mais de mon côté, je ne sais pas comment il a travaillé avec le chef de renseignement préfectoral, car moi mon problème c’était la radio et écrire ce qu’il me donne. Mais, il pouvait communiquer bien sûr, car le préfet était en bonne relation avec tous les chefs de service.
Président : Est-ce que si le préfet avait besoin de contacter des responsables au niveau national, est-ce qu’il passait par votre service ?
Le témoin : Non.
Président : Est-ce qu’il avait son propre système de communication ?
Le témoin : Oui, il avait son propre système de communication.
Président : Est-ce que c’était un système de communication qui était crypté comme le vôtre ?
Le témoin : Oui, il avait un système comme le nôtre. Je ne sais pas car je n’ai jamais été dans les services, mais je sais aussi qu’il avait des opérateurs radio.
Président : Il avait ses propres opérateurs radio ?
Le témoin : Oui. J’en connaissais deux.
Président : Quels souvenirs avez-vous des opérations que vous pouviez recevoir ? Par exemple, je pense que vous avez entendu parler de ce qui se passe à MURAMBI, à CYANIKA, à KADUHA et même à KIBEHO. Souvenez-vous de l’attaque de KIBEHO ?
Le témoin : Ce qui s’est passé à KIBEHO, je n’avais pas d’information. Je peux parler des attaques de MURAMBI car j’habitais dans la ville et nous étions tous menacés. Ces attaques de MURAMBI ont menacé toute la ville. On croyait que la ville de GIKONGORO était tombée dans les mains du FPR, ça nous a surpris que très tôt le matin la radio a annoncé que la ville de GIKONGORO est tombée. On croyait que le FPR était dans la ville alors que c’était des Interahamwe, c’est ça qui a étonné les gens.
Président : Vous dites que ce sont les Interahamwe, est-ce qu’on avait pu savoir plus précisément qui étaient les leaders ? Ceux qui avaient dirigé ces attaques à MURAMBI, CYANIKA ou KADUHA ?
Le témoin : Non, je n’ai pas connu les leaders, mais, par la fenêtre de ma maison, j’ai vu les Interahamwe rentrer et ils étaient habillés avec les feuilles de bananeraie.
Président : Vous nous avez dit que lors de ces attaques on a utilisé des grenades, on a entendu des bruits comme si c’était la guerre, on a utilisé des armes sérieuses, des armes militaires. Qui a utilisé ces armes ? Des armes qui avaient été remises à des Interahamwe ? Qui les avait remises ? Avez-vous des informations à ce sujet ?
Le témoin : Il y avait des militaires qui abandonnaient au front pour se mélanger avec les Interahamwe. Donc, il y avait tous les moyens d’avoir des armes. Les militaires n’étaient pas nombreux, mais ils avaient les moyens de trouver des armes.
Président : Quand on parle de militaires, on peut parler des services de gendarmerie, des gardes présidentiels, des forces de l’armée rwandaise ? Avez-vous entendu des rumeurs qui impliquaient les gendarmes ou les gardes présidentiels ou de façon générale les forces armées rwandaises ou les déserteurs ?
Le témoin : Ce sont les déserteurs qui se mêlaient avec les Interahamwe et qui enseignaient même à manier les armes. Les militaires proprement dit étaient sur le front.
Président : Vous n’avez jamais entendu la moindre rumeur mettant en cause les gendarmes ? Par exemple, à MURAMBI, on sait que des gendarmes gardaient le camp. Savez-vous ce qu’il est advenu des gendarmes ?
Le témoin : Il y avait des gendarmes.
Président : Je vais vous poser une question plus précise. Est-ce que vous avez su si les gendarmes qui gardaient le camp de MURAMBI ou qui étaient en charge de protéger les réfugiés à l’église de CYANIKA ou KADUHA, avez-vous su s’il y avait des rumeurs les impliquant dans les attaques mêmes ?
Le témoin : Non, ça je n’ai jamais entendu.
Président : Souhaitez-vous ajouter autre chose ? Quand avez-vous vu pour la dernière fois Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Avant de fuir, nous mêmes, nous étions sur le point de fuir, un fonctionnaire lui a demandé un camion pour nous faire fuir et nous laisser à la frontière avec le CONGO. Lui-même, il a ordonné qu’un camion nous emmène. Toutes les familles sont parties, sauf moi car ils ont permis à un certain Interahamwe de partir avec eux et l’Interahamwe a décidé de tirer sur le camion si moi j’entrais car je m’étais opposé à lui. Il a sorti une grenade et a dit qu’il allait brûler ce camion si j’entrais. Ce qui m’a marqué c’est que Laurent BUCYIBARUTA, dans sa grande gentillesse, il a autorisé qu’un camion nous laisse à la frontière. Il était, avant tous ces évènements, dans une souffrance plus atroce car les Interahamwe l’ont menacé car ils n’étaient pas d’accord avec lui. Ils ont menacé de s’attaquer à plusieurs reprises à sa maison, car il était accusé de protéger les Tutsi. Il était très doux, très humble. Lui-même, il était dans une terrible souffrance.
Président : Que savez-vous des personnes qui étaient chez Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Quand il est arrivé à GIKONGORO, il est arrivé dans une situation tellement critique car son prédécesseur était en grande difficulté avec les partis politiques. Son arrivée a permis à tout le monde de se sentir à l’aise, ils l’ont vu comme un père que ce soit les Hutu et les Tutsi. Il a protégé tout le monde et n’a jamais manifesté une occasion de s’opposer aux Interahamwe. Après la mort de BUCYANA, sa mort a suscité un sérieux problème à GIKONGORO où on accusait les Tutsi d’être complice des tueurs. Suite à ça, ça a chauffé dans la ville de GIKONGORO et on a accusé les Tutsi. Certains Tutsi ne passaient pas la nuit chez eux et ils préféraient la passer chez le préfet. Le préfet les a protégés et il a fait un grand travail de réconciliation avec les Hutu. Tout le monde disait que si ce n’était pas Laurent BUCYIBARUTA qui avait été à GIKONGORO, GIKONGORO serait brûlé, avant même que le Président HABYARIMANA ne meure. Donc, oui, il est bien vrai que certaines personnes étaient chez lui, je ne les connais pas tous, mais on disait qu’il avait protégé. Je savais que, même avant, les Tutsi qui se sentaient menacés, ils se cachaient chez lui. Il a su les protéger et ça lui a posé quelques problèmes avec les Interahamwe.
Président : Est-ce que vous avez connu un sous-préfet du nom de RUSATSI ?
Le témoin : Oui, il faisait partie de ces gens qui passaient la nuit chez le préfet quand il était menacé.
Président : Vous êtes sûr ?
Le témoin : Oui, mais je ne sais pas combien de temps il est resté là-bas. Le préfet l’avait réconcilié avec les Hutu, il avait organisé des rencontres de réconciliation. Après avoir passé plusieurs jours chez le préfet, il a commencé à passer la nuit chez lui.
Président : Qu’est-il devenu, RUSATSI?
Le témoin : Je ne sais pas exactement ce qu’il est devenu, car après la mort du Président de la République, il y avait un groupe de fonctionnaires Tutsi qui aurait été formé par le FPR. Des gens disaient qu’ils étaient là pour espionner. Après la mort de HABYARIMANA, il y a une maison qui était à côté, non loin de la préfecture, où les Tutsi se rassemblaient et ceux qui étaient formés apprenaient aux autres à utiliser les grenades. Et en les utilisant, ça a brûlé ces gens et c’est le préfet lui-même qui a donné la voiture et qui les a conduits à l’hôpital de BUTARE. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, s’ils ont été blessés ou pas.
Président : Donc, il y a eu des agents du FPR qui se sont brûlés dans une maison et à la suite de ça le préfet les a conduits à l’hôpital ?
Le témoin : Oui. C’est après cet incident qu’on s’est rendu compte que certains étaient des militaires. Les gens se sont réunis dans une maison et les un apprenaient aux autres à utiliser les grenades et ça les a brûlés et le préfet a donné sa voiture pour les conduire à l’hôpital de BUTARE.
Président : Et ça c’était quand ?
Le témoin : C’était après la mort du Président. Les autres étaient à MURAMBI, mais tous les Tutsi n’étaient pas partis à MURAMBI.
Président : Quand est-ce qu’on a compris que c’était des gens du FPR ?
Le témoin : C’était plus tard. Le FPR était à la source de tout ça, et c’est le FPR qui a tué beaucoup de Tutsi.
Président : Donc, les informations que vous avez c’était que c’était les agents du FPR qui tuaient les Tutsi ?
Le témoin : Le FRP avait beaucoup chauffé les Interahamwe dans les partis politiques car au niveau de partis politiques les gens commençaient à se rebeller.
Président : Donc, il y avait des agitateurs du FPR qui incitaient les Interahamwe à aller tuer les Tutsi ?
Le témoin : Oui.
Président : Un peu surprenant comme information…
Le témoin : Il y a des Tutsi qui ont écrit sur ça, un officier du FPR a révélé comment certains militaires quittaient pour venir s’infiltrer dans la population dans ce livre qui s’appelle « Rwanda, l’histoire secrète » d’un certain RUZIBIZA. (NDR. RUZIBIZA, le célèbre informateur du non moins célèbre juge BRUGUIERE qui incriminait le FPR dans l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA. Rapport qui sera à l’origine de la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France pendant trois ans, de 2006 à 2009.)
Le témoin va devoir, à ce stade, répondre aux questions des parties.
Sur questions d’un assesseur, il n’y avait pas d’échanges avec le service des renseignements militaires. Aucune information non plus sur les caches d’armes à GIKONGORO, son service étant paralysé. Quant à la défense civile, on soupçonnait SIMBA d’être de mèche avec les Interahmwe.
Sur questions de maître GISAGARA, le témoin dit avoir suivi une formation dans le pays, jamais à l’extérieur. Concernant le cas d’Augustin YAMUREMYE, il ne pouvait pas imaginer que le responsable du service de renseignements pouvait se rallier au FPR. L’avocat lui fait remarquer qu’il a rejoint le FPR à la fin du génocide. Le témoin répond que s’il a été recruté, c’est qu’il était déjà de leur côté.
Connaissait-il Emile KAREKEZI? Il le connaissait comme quelqu’un de menacé. Mais ce sont surtout les intellectuels qui étaient menacés. Bien sûr que le préfet ne pouvait pas le connaître. Concernant la maison qui a brûlé, il reconnaît qu’il veut parler de celle d’un certain KALISA.
Maître GISAGARA: Savez-vous que son épouse est venue témoigner et qu’elle a donné une autre version?
Le témoin: Ah! bon!
Un autre avocat des parties civiles évoque le cas des trois prêtres qui ont été assassinés. Le témoin n’est pas au courant! Est évoqué ensuite la période du débauchage (KUBOHOZA) pratiqué au moment de l’instauration du multipartisme.
Le témoin: On voulait que tout le monde adhère aux partis d’opposition. Laurent BUCYIBARUTA était surnommé « Padri » car il était humble. Il se rendait à pieds à la messe. A cette époque, les Tutsi provoquaient les Hutu dans les bars. Mais la pratique du KUBOHOZA avait diminué avec l’arrivée de Laurent BUCYIBARUTA. Il était menacé à la fois par les Hutu et par les Tutsi. La population avait été entraînée dans la folie. On insultait le préfet en public. Il était vraiment menacé. Les réunions organisées par le préfet? C’est mon chef de service qui y participait.
Au ministère public de poser quelques questions. Le témoin dit qu’il est Hutu, que ce sont les familles tutsi qui signalaient le départ de leurs enfants vers le FPR. Par contre, il n’est pas au courant que des professeurs aient rejoint la rébellion. Après l’attentat, il a continué à se rendre de temps en temps au bureau mais il n’avait pas d’informations à faire remonter. Il ne sait pas si son patron s’est rendu en mai à Marie-Merci. Par contre, il accompagnait le préfet en tant que membre du personnel de la sécurité. Il était sensé savoir tout ce qui se passe.
Ministère public: Laurent BUCYIBARUTA a bien mis à votre disposition un camion pour fuir au Congo?
Le témoin: Moi, j’ai été empêché de monter par un Interahamwe qui était lui-même fonctionnaire.
Le ministère public: Il s’agit de David KARANGWA?
Le témoin: Tout le monde est parti, sauf moi. Je m’étais opposé aux massacres. J’étais considéré comme un Inyenzi.
La défense n’a pas de questions au témoin qu’elle a fait citer!
Audition de monsieur Venant NDAMAGE, cité par la défense.
Le témoin n’a pas de déclaration spontanée à faire. Il semble se demander pourquoi il est là devant la Cour: « On m’a convoqué, je me présente. »
Sur questions de monsieur le président, le témoin dit avoir vu Laurent BUCYIBARUTA pour la première fois sur la place du marché de GIKONGORO, lors de la présentation des soldats de l’Opération Turquoise. Il le rencontrera devant au CADA de Créteil fin 1997.
Au Rwanda, le témoin travaillait à la Banque Centrale où il était chef de service. Il avait quitté KIGALI le 16 avril dans le but de rejoindre sa commune d’origine, mais arrivé à NYANZA, il n’avait pu poursuivre sa route à cause de l’insécurité qui régnait. Il restera là jusqu’au 20 mai. Début juillet il quittera le Rwanda pour le Congo où il restera jusqu’à la prise de pouvoir de KABILA père. Il restera deux mois dans la forêt congolaise avant de revenir au Rwanda. Il va essayer de se réinsérer et travaillera pour une ONG anglaise. Mais à cause de l’insécurité qui règne au pays, il décide de partir pour la France. Il ne dit pas comment il quitte son pays.
Le témoin dit avoir vu de temps en temps le préfet qu’il dit s’être installé près de TROYES. La femme de Laurent BUCYIBARUTA lui aurait un jour adressé un courrier: son avocat devait le contacter. Ce qu’il ne fera jamais.
Peu de questions pour ce témoin qui semble présenter peu d’intérêt pour la plupart des parties.
Le ministère public l’interroge sur l’interprétation qu’il fait du discours de SINDIKUBWABO qui appelait les gens à poursuivre le « travail ».
« Le président de la république a exhorté les gens à travailler en demandant qu’on le débarrasse de ces gens qui disent qu’ils ne sont pas concernés. J’ai failli être tué à trois reprises après ce discours. On me considérait comme un infiltré. « Ton nom ne sonne pas hutu » lui disait-on. Ce langage imagé a fait prendre aux massacres une nouvelle tournure. »
Le témoin reconnaît avoir gardé des liens avec l’accusé suite à l’appel de madame BUCYIBARUTA. L’avocate générale lui fait remarquer que, ce matin, elle l’a vu discuter avec l’accusé, à son arrivée au Palais. Ce que le témoin reconnaît volontiers.
Sur question de maître BIJU-DUVAL, le témoin se souvient de l’épisode où le préfet a failli être attaqué par des miliciens: « On le soupçonnait de cacher des Tutsi. Mais c’était ses beaux-frères. On lui reprochait aussi de ne pas être suffisamment actif dans les massacres. C’est ce qu’on m’a raconté. »
Fin de l’audience. Rendez-vous donné demain à 9h30. Avant de se séparer, monsieur le président expose la façon qu’il envisage de conduire l’interrogatoire de l’accusé et précise le programme du lundi 4 juillet.
Mathilde LAMBERT et Alain GAUTHIER
Jacques BIGOT pour la mise en page.