- Audition de monsieur Juvénal MUHITIRA, détenu à la prison de NYANZA, cité par le ministère public.
- Audition de monsieur Jérémiah KAMANA, témoin cité par la défense, en visioconférence des Etats-Unis.
- Audition de monsieur Jean-Marie Vianney KABANDANA, cité par la défense.
Audition de monsieur Juvénal MUHITIRA, détenu à la prison de NYANZA, cité par le ministère public.
Détenu à la prison de NYANZA pour génocide et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le témoin ne prêtera pas serment dans la mesure où il a été condamné pour des faits « connexes » à ceux pour lesquels l’accusé est lui-même poursuivi.
En attente de publication. Une audition qui a duré plus de cinq heures.
A lire également dans notre revue de presse : Un témoin doublement capital au procès du plus haut responsable rwandais jamais jugé en France pour génocide (diffusé sur France Inter le 24 juin).
Audition de monsieur Jérémiah KAMANA, témoin cité par la défense, en visioconférence des Etats-Unis.
Le témoin ne souhaitant pas faire de déclaration spontanée, il va se soumettre, dans un premier temps, aux questions de monsieur le président de la Cour d’assises.
Président : Quelle était votre situation en avril 1994 lors de la guerre et du génocide ?
Le témoin : J’étais employé dans l’agence de la Banque Commerciale à GIKONGORO.
Président : C’est une banque publique ou une banque privée ?
Le témoin : C’est une banque privée.
Président : Est-ce que cette banque avait des liens avec l’administration ou avec les établissements publics ?
Le témoin : Aucun lien du tout.
Président : Est-ce que vous pouvez nous dire si vous vous souvenez, pendant cette période, d’avoir rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Des rencontres face à face, directement, personnellement, jamais.
Président : Donc, vous le rencontriez personnellement indirectement ?
Le témoin : Par exemple, quand il y avait des réunions, une fois, je me suis présenté à une réunion qu’il avait organisée et qui rassemblait les chefs de service. Il y a eu aussi une réunion générale de la population qu’il a tenue devant population de GIKONGORO sur la place du marché.
Président : Vous l’avez rencontré à deux reprises ?
Le témoin : En tant qu’autorité dans le cadre de réunions, oui. Mais je ne pouvais pas ne pas le voir quand il venait à la banque toucher son salaire.
Président : Donc, vous l’avez vu à d’autres reprises. Le nombre de fois où vous lui avez parlé ?
Le témoin : Je ne peux pas connaître le nombre de fois qu’il est venu à la banque retirer de l’argent.
Président : Est-ce que, quand il vient à la banque pour toucher son salaire, vous aviez l’occasion d‘échanger avec lui ou c’était simplement une relation de client ?
Le témoin : Nous nous entretenions.
Président : Au vu de ces contacts, que pouvez-vous nous dire du caractère de Laurent BUCYIBARUTA, de la façon dont il se comportait ?
Le témoin : J’étais arrivé à GIKONGORO en août 1993 en provenance de CYANGUGU. Le préfet Laurent BUCYIBARUTA, en réalité, était quelqu’un de bien, nous l’aimions. C’était quelqu’un de simple qui parlait peu. D’ailleurs, il arrivait que, si on ne voulait pas le nommer par son nom, on le désignait comme « Padri ». (NDR. C’est ainsi qu’on appelait un prêtre quand on s’adressait à lui ou qu’on parlait de lui. On pourrait traduire par « mon Père »)Il se comportait vraiment comme un prêtre. Ainsi, je suis resté avec lui de 1993 à avril 1994, lorsque la situation est devenue mauvaise.
Président : Donc, vous l’avez connu pendant 1 an et 4 mois environ ?
Le témoin : Je dirai 8 mois.
Président : Oui pardon, d’août 1993 à juillet 1994 non ? Est-ce que vous l’avez vu pendant le génocide ou vous ne l’avez pas vu ?
Le témoin : Oui, pendant le génocide je l’ai vu, c’est à ce moment-là qu’il nous a tenu la réunion de sécurité en tant que chefs de service sur la place du marché.
Président : Donc, vous parlez d’une réunion de sécurité à laquelle vous avez été convoqué en tant que chef de service sur la place du marché de GIKONGORO, c’est cela ?
Le témoin : Il s’agit de deux réunions différentes. Concernant celle des chefs de service, nous sommes allés au bureau. Par contre, pour ce qui concerne la réunion générale à laquelle nous étions avec la population, celle-ci s’est tenue au petit marché à l’entrée de GIKONGORO.
Président : Le marché de KABACUZI ?
Le témoin : Oui, c’est le petit marché de KABACUZI effectivement.
Président : Est-ce que vous pouvez les dater ?
Le témoin : Je ne m’en souviens pas bien parce que ça fait longtemps. Toujours est-il que, pour la réunion de sécurité, il nous avait convoqué quand il venait de faire une tournée des communes dont je ne me rappelle pas car j’étais nouveau à GIKONGORO. La situation avait commencé à se dégrader, les gens avaient commencé à incendier les maisons des autres et à les tuer. Pour ce qui concerne les deux réunions, elles se sont déroulées presque au même moment, c’est-à-dire deux semaines après l’attentat, environ.
Président : Peut-être juste pour essayer de préciser les choses, simplement une question à Laurent BUCYIBARUTA. Pouvez-vous nous dire s’il y a eu une ou plusieurs réunions au marché de KABACUZI ?
Laurent BUCYIBARUTA : La réunion avec la population au marché de KABACUZI, il y en a eu une le 3 juin 1994.
Président : Est-ce qu’il y en avait eu une avant ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne m’en rappelle pas.
Président : Est-ce que vous vous souvenez quand a eu lieu la réunion de service à laquelle fait référence le témoin.
(Le témoin prend la parole) : Moi, je ne me rappelle pas bien, mais ce dont je me souviens, c’est que pour qu’il y ait cette petite réunion de sécurité à la petite place du marché, on lui a adressé des propos durs.
Président : On va revenir sur ce qui se passe au cours de cette réunion, pour le moment j’essaye de les situer, de les dater. C’est pour cela que je me suis adressé à Laurent BUCYIBARUTA pour connaitre la date de la réunion avec les chefs de service.
Laurent BUCYIBARUTA : Il faut préciser que les réunions qui rassemblaient plusieurs personnes n’avaient pas lieu dans mon bureau, mais dans la salle du CIPEP, ou j’empruntais une salle au PDAG car mon bureau était étroit. Je sais que j’ai organisé une réunion des chefs de services, fonctionnaires, au chef-lieu de préfecture. En plus de cela, les conférences préfectorales, il est possible que Monsieur le témoin n’ait pas participé à toutes les réunions de la conférence préfectorale. Il y en a eu une le 13 avril, une le 16 et au mois de mai aussi. Mais, cela ne veut pas dire qu’il était là à toutes les réunions ayant pour objet l’examen de la situation de sécurité. Même si c’est vrai que tous les chefs de services étaient invités, certains n’étaient pas disponibles pour y assister. Je ne peux donc pas me souvenir à laquelle il a assisté.
Le témoin : Je ne peux pas savoir. Je n’ai pas dit que c’était dans son bureau. Quand il nous réunissait c’était autour d’une table.
Président : Donc, vous vous souvenez d’une réunion aux alentours du 13 mai avec Laurent BUCYIBARUTA, c’était une réunion de chefs de service, c’est cela ?
Témoin : Je me rappelle, je dois avoir participé à celle-là, il venait de faire une tournée dans certaines communes.
Président : Je précise que vous avez été entendu sur commission rogatoire par les enquêteurs français (D10738). Vous avez donné des explications sur les deux réunions auxquelles vous dites avoir assisté. Vous dites s’agissant des réunions préfectorales, « Je pense que je n’ai assisté qu’à une seule réunion, je ne peux la dater, l’objet était la sécurité. Je me rappelle juste des meurtres de l’école de KIBEHO ». Vous dites « Je l’ai vu pour la dernière fois après les meurtres de l’école des filles de KIBEHO ».
Le témoin : Ils ont mal pris ce rapport, la personne dont il est question c’est une autre personne et ce n’est pas le préfet. A l’époque, j’avais été auditionné pour deux personnes dans la même journée. Vous n’êtes pas là en train de parler du préfet Laurent BUCYIBARUTA.
Président : Expliquez-nous, quand avez-vous rencontré Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Je ne l’ai plus revu, nous ne nous sommes pas revus plus tard. Ceux qui ont rédigé cela ont confondu les choses.
Président : J’avoue ne pas très bien comprendre. Vous parlez également d’une réunion qui serait intervenue sur le marché de KABACUZI, et qui avait pour objet de demander à tout le monde, à la population, de rester calme. De quoi vous souvenez-vous en particulier par rapport à cette réunion ?
Le témoin : Je me rappelle, en réalité, qu’il ne se reposait jamais, qu’il était tout le temps en mouvement car la situation n’était pas bonne. Quand il nous a fait cette réunion, il nous appelait à faire preuve de prudence dans ces moments difficiles. Vers la fin de la réunion, au lieu d’écouter ce qui était en train de leur être dit, certains ont dit qu’il avait chez lui à la maison des complices. On lui a tenu des propos qui n’étaient pas des bons propos, des propos méchants, ce qui a fait que de toute ma vie je n’ai pas oublié cette réunion, même si je ne me souviens pas des dates.
Président : (Lecture de l’entretien) : « Le préfet est intervenu sur la place du marché de ( … ) c’était une réunion publique rassemblant toute la population ( … ) même si ma femme n’est pas à la maison ( … ) car elle aurait perdu un membre de sa famille ».
Je me demande si vous ne mélangez pas certains souvenirs ?
Le témoin : Je ne mélange pas les choses. Ceux qui ont pris la parole et qui ont tenu de tels propos sont un certain GASANA, que nous surnommions « BIHEHE », et un certain autre, je crois que c’est RURANGWA. Ces propos qui lui ont été tenus, c’était qu’il avait chez lui des complices. Peut-être que celui qui a pris note a utilisé le mot Tutsi. Si vous vous adressez à quelqu’un d’autre présent à la réunion, ils ont utilisé le mot « complice ».
Président : Est-ce que, pour vous, quand on dit « complice » ça signifie Tutsi ?
Le témoin : Personnellement, je n’utilisais pas souvent ce vocable.
Président : Mais, dans le contexte dans lequel on parle, est-ce que cela peut vouloir dire autre chose que Tutsi ?
Le témoin : Ça signifiait cela en réalité.
Président : Est-ce que vous vous souvenez qu’il ait parlé de sa femme ?
Le témoin : C’est vrai, mais ce n’est pas lui qui l’avait dit. Par contre, quand nous étions en train de rentrer, nous disions que ce que les gens avaient dit ne sonnait pas bien dans les oreilles, et je me suis informé. C’est à ce moment-là, en réalité, que j’ai su que sa femme était Tutsi. Je venais à peine d’arriver à GIKONGORO, je ne le connaissais pas. Après, des gens m’ont dit que son épouse n’était pas présente car elle était allée à KIBUNGO pour des funérailles, et le préfet se demandait comment elle allait revenir quand l’avion a été abattu, car elle n’était pas à la maison.
Président : (Poursuit la lecture). Vous avez expliqué que vous le voyez une seconde fois lors de la réunion des chefs de service : « Il revenait de KIBEHO où des Tutsi avaient été tués dans une école de filles (… ) il nous a dit qu’en tant que chefs de service, il fallait être méfiants. ( … ) il voulait que tout le monde l’aide à assurer la protection de la population ( … ) je n’ai jamais entendu le préfet Laurent BUCYIBARUTA tenir des propos contre les Tutsi (… ), je ne m’en souviens pas, je ne me rappelle pas ». Est-ce que cela correspond à votre souvenir ?
Le témoin : Tout ce qui vient d’être dit est vrai. A ce moment-là, quand il nous tenait la réunion, il nous disait cela, qu’on devait éviter de tomber dans un tel piège. C’est comme s’il nous rappelait que chacun devait être un œil pour son voisin, être vigilant au bénéfice de son voisin.
Président : D’accord. Chacun devait protéger son voisin ?
Le témoin : Non, pas protéger. Non, en d’autres mots c’était que chacun devait souhaiter que son concitoyen ait la paix sans le trahir et le dénoncer.
Président : Avez-vous entendu parler d’un gendarme qui s’appelle SEBUHURA ?
Le témoin : Je le connais.
Président : Que pouvez-vous nous dire de lui ?
Le témoin : Je n’ai pas beaucoup de choses à dire de lui, je venais à peine d’arriver à GIKONGORO, je n’y avais pas encore passé du temps. Je ne l’ai rencontré que deux fois quand il venait à la banque.
Président : Vous nous dites que votre banque est une banque privée qui n’a aucun lien avec l’administration. Si vous n’avez aucun lien, comment se fait-il que vous soyez à une réunion de chefs de service ?
Le témoin : Pour y aller, nous y étions invités car pendant ces périodes extraordinaires, on fait des choses extraordinaires. Comme la situation était ainsi, je ne pouvais pas rester comme cela inactif à l’intérieur de mon domicile. J’ai vu des gens invités en tant que chef de service et je suis parti dans ce cadre-là. Il en est de même de cette réunion au marché. D’habitude, je ne participais pas à ces réunions de la population. Sinon, compte tenu de la situation, je ne pouvais pas rester passif en qualité de chef de service, on n’aurait pas pu entendre qu’une réunion avait lieu et manquer d’y participer. Pour ce qui concerne cette réunion donc, j’y avais été invité en ma qualité de chef de service et c’était la première fois pour moi.
Président : Est-ce que vous savez ce que sont devenus les comptes en banque des Tutsi décédés pendant le génocide ?
Le témoin : Personne n’y a touché jusqu’à mon départ en exil.
Président : Mais, vous saviez que certains titulaires des comptes étaient décédés ?
Le témoin : Je ne le savais pas, mais je ne pouvais pas faire comme si je ne le savais pas. J’étais dans l’impossibilité de dire si un tel ou un tel était décédé car je n’étais pas sur place.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose sur la personnalité de Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Comme je vous l’ai déjà dit, tel que je le connais durant la période que j’ai passé avec lui, je n’ai jamais entendu un quelconque mauvais mot sortir de la bouche de Laurent BUCYIBARUTA, vis-à-vis de quiconque pendant le temps que j’ai passé à GIKONGORO.
Questions des parties civiles :
Me QUINQUIS : Une première question pour nous rassurer : quels sont les documents que vous avez devant vous ? (NDR. Comme nous sommes dans une procédure orale le témoin ne doit pas lire des notes. Le président peut toutefois l’autoriser à les consulter, sans les lire intégralement.)
Le témoin : J’ai une convocation devant la Cour d’assises de Paris signée par Monsieur le Président, et l’autre document ,c’est un papier pour prendre en notes.
Me QUINQUIS : Vous avez qualifié, lors de votre audition devant les services de police, Laurent BUCYIBARUTA de « prêtre »? (NDR. Comme déjà dit, il sera préférable de traduire par « Père« )
Le témoin : C’est vrai.
Me QUINQUIS : C’est un terme qui n’est pas neutre, qui reflète sans doute le respect que vous avez pour lui et certainement d’une certaine sagesse qu’il a pu manifester de son parcours au RWANDA ?
Le témoin : C’est vrai.
Me QUINQUIS : C’est un terme, vous ne pouvez pas le savoir, qui est aussi apparu dans d’autres dépositions de témoins. Est-ce que vous direz que c’est un terme utilisé quotidiennement pour qualifier des autorités publiques au RWANDA ?
Le témoin : Non, ce n’est pas un terme utilisé pour qualifier n’importe qui. On examine le comportement de la personne, sa façon de parler, et on se disait que celui-là aurait pu être un prêtre.
Me QUINQUIS : Pendant la période du génocide, est-ce que dans ce que vous avez pu voir et entendre de l’implication de Laurent BUCYIBARUTA, vous considérez que tout son comportement peut être qualifié de clérical, de quelqu’un qui a fait preuve de beaucoup de sagesse ?
Le témoin : Nous ne l’avons pas qualifié de prêtre après le génocide, mais c’était avant et je ne pense pas qu’il était au courant qu’il était appelé comme cela. Non, c’est un terme que nous utilisions pour ne pas dire son nom. Autrement dit, c’est pour vous dire la sagesse, pour décrire une personne réfléchie, posée et qui ne peut pas montrer qu’il est en colère, qui ne peut pas parler avec colère.
Me GISAGARA : Vous nous dites que vous avez été convoqué comme chef de service. Pouvez-vous nous préciser par quel moyen vous avez été convoqué comme chef de service ?
Le témoin : Ce n’était pas par écrit car les temps étaient difficiles, mais je pense que c’était un collègue, aussi chef de service, qui m’a trouvé dans mon bureau et qui m’a dit qu’on était convoqué, mais c’était une autre personne qui m’a informé, et quand il me l’a dit il m’a donné aussi l’heure de la réunion et après ça je suis allé à la réunion.
Me GISAGARA : Vous étiez combien à cette réunion?
Le témoin : Je ne me rappelle pas du nombre. Seulement, nous n’étions pas peu nombreux parce que nous nous posions des questions sur ce qui se passait. La seule personne qui pouvait nous donner des informations, c’était le chef de la préfecture, donc tout le monde voulait y aller.
Me GISAGARA : Approximativement combien de chef de services ? 10 ? 20 ? 50 ?
Le témoin : Entre 10 et 15 personnes environ.
Me GISAGARA : Vous avez dit également qu’au cours d’une des deux réunions, le préfet vous avait mis en garde contre le sous-préfet BINIGA ?
Le témoin : Je n’ai pas utilisé ce langage, je n’ai pas dit les choses comme cela, mais il nous a mis en garde en disant que les choses qui se passaient là-bas, soit BINIGA était faible, soit il ne mettait pas plus de forces pour agir.
Me GISAGARA : Est-ce que ces propos sur BINIGA, il les a tenus lors de la réunion des chefs de service ou lors de la réunion publique ?
Le témoin : Laurent BUCYIBARUTA ne pouvait pas tenir de tels propos publiquement, c’était lors de la réunion des chefs de services.
Me GISAGARA : Je pense que vous avez anticipé ma question. Est-ce que même si c’était une réunion de chefs de services, est-ce que dans une réunion de chefs de service il vous semble probable qu’un préfet puisse se confier à vous du mauvais comportement de l’un de ses subordonnés ?
Le témoin : Dans des temps extraordinaires, où on utilise des règles extraordinaires, il y a des comportements extraordinaires. Alors je pense que quand il a répondu cela, je pense que les chefs de service aussi avaient posé des questions. BINIGA représentait le préfet là-bas car il était sous-préfet. Rappelez-vous que, là aussi, il y avait des sous-préfets qui travaillaient à la préfecture. Lui, il répondait aux questions qui lui étaient posées par les chefs de service. Dire que BINIGA est faible ou qu’il ne fait pas ce qu’il devrait faire, il n’y a pas de mystère là-dedans.
Me GISAGARA : Vous avez souvent répété dans vos réponses qu’il s’agissait de périodes difficiles. Est-ce qu’à votre sens, le préfet, en parlant comme cela de BINIGA dans une réunion où il y a plus de 15 personnes, n’avait pas peur des conséquences sur sa personne ?
Le témoin : Voyez-vous, quelquefois une personne se sacrifie pour les autres ou devient un martyr pour les autres. À part cela, concernant le sous-préfet BINIGA, d’habitude, le préfet c’est quelqu’un qu’on respecte. Ces personnes qui lui ont dit qu’il avait des complices chez lui, ce sont des gens du bas peuple. Ils ont osé se lever à la réunion quand il était en train de parler, ils ont osé utiliser ces mots. A part le fait d’être impolis et méprisants, c’était honteux et c’est la raison pour laquelle nous sommes tous partis, d’ailleurs on s’est dit « mais c’est quel genre de personnes. » On ne savait pas que sa femme était là. Quand une personne vous disait que vous aviez un complice chez vous à la maison, vous deviez mourir avant qu’il ne meure. Cela veut dire que même le préfet n’avait pas de sécurité.
Un autre avocat: Nous avons des informations comme quoi l’épouse du préfet était bien chez lui le 3 juin, le jour où s’est tenue cette réunion au marché de KABACUZI. Puisque vous parlez des menaces d’un certain GASANA et autres, concernant les menaces, comment avez-vous réagi ? Comment le préfet a réagi ? Est-ce que d’autres personnes ont réagi ? Est-ce qu’il y a eu des perquisitions chez lui ?
Le témoin : Je n’ai jamais dit que la femme du préfet n’était pas à la maison. J’ai dit que quand on avait abattu l’avion, elle n’était pas à la maison, mais je ne sais pas quand est-ce qu’elle est revenue. Je sais qu’elle est revenue.
L’avocat: Je vous informe que vous avez des informations concordantes comme quoi l’épouse du préfet était chez lui le 3 juin. Vous venez nous dire que le préfet était menacé lors de cette réunion par deux personnes. Ma question est de savoir quelles ont été les conséquences ? Va-t-on fouiller chez le préfet ? Est-ce qu’on calme la situation ? Comment ça se passe ?
Le témoin : Ça je ne l’ai pas entendu. Je n’ai pas entendu parler d’une fouille chez le préfet.
L’avocat : Vous aviez dit que le préfet a un compte à votre agence de la Banque Commerciale. Est-ce que d’autres agents de la préfecture, employés ou fonctionnaires avaient des comptes chez vous, dans votre agence ?
Le témoin : Oui, la plupart car ils étaient payés sur les comptes.
L’avocat : Est ce que pendant le génocide, les gens viennent retirer leur agent ? Est-ce qu’ils sont payés pendant cette période ?
Le témoin : Certains venaient mais à un moment on n’ avait plus d’argent car l’argent qu’on avait à l’agence venait de KIGALI.
L’avocat : Est-ce que vous connaissez le comptable Théoneste MUNYEMANA ?
Le témoin : Je ne me rappelle pas du nom, mais comme il venait souvent je me rappelle d’un homme élancé à la peau foncée.
L’avocat : Vous le connaissez très bien, est-ce qu’il fait partie des chefs de services qui assistent à la réunion à laquelle vous êtes convoqués ?
Le témoin : Je ne sais pas.
L’avocat : Y a-t-il un chef de service Tutsi à cette réunion ?
Le témoin : Je vais vous dire quelque chose sur moi. Il m’est difficile de regarder quelqu’un et de dire s’il est Hutu ou Tutsi. D’ailleurs ce vocable, je l’utilise maintenant, mais je ne l’utilise jamais d’habitude.
Ni le ministère public ni la défense ne souhaitent poser des questions au témoin.
Audition de monsieur Jean-Marie Vianney KABANDANA, cité par la défense.
Le témoin était secrétaire de la commune à GIKONGORO pendant le génocide. Il est aujourd’hui caissier pour un projet de microfinance.
« Avant 1994, j’étais à GIKONGORO. La situation n’était pas vraiment calme. J’avais peur car on avait proféré des menaces contre moi. Dès 1990/1991, j’ai été surpris qu’un gendarme vienne me chercher sous prétexte qu’on avait besoin de moi dans une réunion. On m’a montré des cartes d’identité que j’aurais tenté de falsifier au bénéfice de « l’ennemi ». Le gendarme m’a violemment giflé deux fois car j’avais fait remarquer que sur les cartes qu’on me présentait, s’il y avait bien le sceau, il n’y avait pas l’emblème. J’étais secrétaire de la commune NYAMAGABE depuis 1987. Le bourgmestre était un certain SEMAKWAVU avec lequel je ne m’entendais pas du tout. Comme j’étais un Hutu de BUTARE, cela ne pouvait pas le satisfaire. »
Sur question de monsieur le président, le témoin poursuit. « SEMAKWAVU avait des pratiques discriminatoires envers les Tutsi. Il faisait par exemple arrêter les Tutsi qui violaient le couvre-feu, mais pas les Hutu. A d’autres occasions, les gendarmes m’ont brûlé avec des braises, m’ont frappé. Vous me demandez si j’ai porté plainte? Comment aurais-je pu porter plainte. C’est les gendarmes qui m’avaient frappé. »
« Vous me dites que j’aurais pu en référer au préfet? C’était impossible. Je ne le connaissais pas. Et puis, j’étais un simple secrétaire. Je ne pouvais pas le faire. On avait peur des autorités. »
Monsieur le président propose de lire ce que le témoin a déclaré aux juges (D10 342/4). Il lui demande s’il confirme ses propos: « D’abord il (SEMAKWAVU) disait que je n’étais pas natif d’ici. Autre chose, il disait que j’étais riche et me demandais où je trouvais de l’argent pour mener mes activités. Il a osé dire que j’avais de l’argent du FPR. Il a essayé de licencier des gens, mais comme mon dossier était toujours bon, il cherchait à me salir pour m’écarter.. Il a convoqué, le 19 avril, toute al commune avec un micro en invitant les personnes au bureau communal pour tenir une réunion sur la sécurité. Le lendemain, un dimanche, je me rappelle, les gens , les gendarmes, les milices sont venus à la commune. A votre demande, je précise que je n’étais pas à cette réunion. La veille, il y avait un groupe de gendarmes qui était venu chez moi pour me chercher.. Je me cachais, mais quand ils m’ont aperçu,, ils ont tiré. Je me suis enfui et caché dans la brousse. Le lendemain, j’observais de loin. (…) et je ne pouvais pas me sauver car il y avait des barrières. . François MUSAFIRI, un Tutsi, est venu à la réunion mais quand il a vu les gendarmes avec les fusils et les milices avec des bâtons, il a fui. Il m’a vu de loin et il s’est joint à moi et nous sommes partis pour se cacher.. Ce jour-là, les gendarmes sont venus chez moi. Comme ils ne m’ont pas trouvé, ils sont allés à la commune pour me chercher. »
Le témoin confirme ses propos et précise que le 19 avril c’était la veille de la grande attaque à MURAMBI.
SEBUHURA, il le connaissait. Selon son expression, que madame l’assesseure lui demandera de préciser plus tard, « c’était le catalyseur » de tout ce qui s’est passé plus tard. C’est à dire qu’il était à la tête des gendarmes et qu’il était responsable de toutes les mauvaises actions. Il faisait peur à tout le monde.
Monsieur le président évoque ensuite l’épisode qui rapporte le fait qu’il avait recueilli une jeune fille dont la mère était comme lui originaire de BUTARE. Elle était restée une semaine chez lui puis l’aurait installée dans une autre famille après le départ des tueurs. Et ceci à quatre reprises. Quand les Français sont arrivés à MURAMBI, il a tapé à la machine un message pour qu’ils acceptent de prendre CHANTAL.
Le président lui demande s’il s’agit bien de Chantal MUKAMUNANA qui a été entendue devant la Cour. Le témoin confirme et Monsieur LAVERGNE propose de lire le propre témoignage de Chantal qui se rapporte au même épisode. Sa version est quelque peu différente de celle du témoin mais elle confirme les dire du secrétaire de la commune de NYAMAGABE.
Une question lui est posée sur les policiers communaux. Il était six qui se relayaient. Il n’ont tué personne à la commune.
Maître GISAGARA revient sur les propos du témoin. « En la déplaçant, je ne voulais pas la blesser » avez-vous dit. Qu’entendiez-vous par là? »
Le témoin: Je ne voulais pas la décourager.
Maître GISAGARA: Lorsque vous raccompagnez cette fille, il y a eu une réunion où des propos anti-Tutsi ont été tenus.. Le préfet dirigeait cette réunion avec la présence d’un ministre venu de KIGALI. On appelait à tuer les Tutsi?
Le témoin: Les choses n’étaient pas dites ainsi. Tout se faisait par ruse.
Le témoin tient à ajouter quelques mots. « Le préfet doit répondre de ce qui s’est passé dans la préfecture. Il pourrait aussi demander pardon. Il y a eu beaucoup de victimes.
Le témoin se met alors à pleurer, visiblement ébranlé.
Ce n’est peut-être pas la conclusion qu’attendait la défense qui l’avait fait citer.
Monsieur le président clôture l’audience et donne rendez-vous au lendemain à 9h30. Nous devrions entendre deux témoins de nouveau cités par la défense, dont un en visioconférence de Belgique. L’après-midi, c’est maître Eric GILLET, avocat des parties civiles en Belgique et membre de la Commission des Droits de l’Homme qui a enquêté au Rwanda après le massacre des BAGOGWE fin 1992. Monsieur Jean CARBONARE était membre de cette commission.
Mathilde LAMBERT, stagiaire du CPCR pendant le procès.
Jacques BIGOT, membre du CPCR et responsable de la gestion du site.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.