Cette journée a été consacrée aux plaidoiries des avocats des parties civiles. Nous reproduirons ici les interventions que les avocats voudront bien nous transmettre
- Plaidoirie de Maître Sabrina GOLDMAN, avocate de la LICRA, partie civile.
- Plaidoirie de Maître Hector BERNARDINI, avocat de SURVIE et trois rescapés, parties civiles.
- Plaidoirie de Maître Jean SIMON, avocat de SURVIE et trois rescapés, parties civiles.
Plaidoirie de Maître Sabrina Goldman, avocate de la LICRA, partie civile.
« Si j’avais défailli, tourné le dos et, ce faisant, permis la mort de cette personne que je pouvais peut-être sauver, uniquement parce que j’étais moi-même en danger, j’aurais commis la même erreur que mon peuple tout entier…
Les gens qui ordonnèrent et perpétrèrent ces atrocités furent si nombreux.
Mais furent également nombreux ceux qui les laissèrent se produire, faute d’avoir le courage de les empêcher ».
Ces mots sont d’Ella LINGENS, elle était médecin, prisonnière à Auschwitz, reconnue Juste parmi les nations, au même titre que tous ceux qui ont pris des risques pour leur vie pour sauver des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale.
On trouve au Rwanda les mêmes Justes ; un documentaire très intéressant leur est d’ailleurs consacré, dans lequel on relate les histoires de Frodouald KARUHIJE, ouvrier agricole qui a caché près d’une vingtaine de Tutsi dans de profonds trous qu’il avait creusés, recouverts de branchages, Damas GISIMBA, qui a abrité des fugitifs tutsis à Kigali, dans des faux plafonds et des pièces dissimulées derrière des armoires, au sein de l’orphelinat qu’il dirigeait, ou encore l’histoire de Joséphine DUSABIMANA, tenancière de bar dans la ville de Kibuye, qui a volé des barques pour faire partir de nuit des Tutsi vers une île située de l’autre côté de la frontière.
Lorsque l’on écoute leurs témoignages, on constate qu’aucun d’entre eux ne se décrit comme un héros ; aucun d’entre eux n’a le sentiment d’avoir accompli un acte héroïque, car il était tout simplement impossible pour eux de ne pas agir.
Je vous dis tout cela et pourtant, Monsieur le Président, Madame, Monsieur de la Cour, Mesdames et Messieurs les Jurés, ce que l’on reproche à Laurent Bucyibaruta, ce n’est pas de ne pas avoir été l’un des héros que je viens de décrire.
Que cela soit clair, on ne demande pas que l’accusé soit condamné pour défaut d’héroïsme.
Car il n’est pas question ici de jugement moral.
C’est le jugement de la Justice que l’on cherche.
Entre l’inaction,
Et risquer sa vie pour sauver celle des autres, il y a un espace, et cet espace c’est celui de la culpabilité de Laurent Bucyibaruta.
Bien sûr, il y a plusieurs niveaux de culpabilité.
Dans cette pyramide qui a permis que le génocide soit commis, des donneurs d’ordre aux exécutants, des cerveaux aux miliciens, des BAGOSORA aux Interhamwe, il a aussi fallu des Préfets, ici à Gikongoro et ailleurs, qui ont fait commettre ou qui ont laissé faire alors qu’ils avaient le pouvoir et le devoir, moral en tant qu’Homme mais surtout légal en tant que représentant de l’Etat d’agir, d’alerter, d’empêcher, et qui par leur inaction ont permis le génocide.
Parce que cette abstention était une caution aux tueurs, parce que cette inaction a créé les conditions pour que les massacres aient lieu.
Un génocide est un tout. C’est la conjonction d’une pensée génocidaire, d’une population endoctrinée à tuer « les cafards », et de tout un appareil d’Etat transformé en machine à exterminer.
Et cette chaîne meurtrière, pour qu’elle fonctionne, il lui faut les relais locaux de l’État qui par leurs actions ou leurs refus d’intervenir, permettent aux tueurs d’agir.
En Droit cela s’appelle la complicité par abstention.
Selon le Code pénal, on est complice d’un crime lorsque l’on a facilité sa préparation ou sa consommation, notamment par aide ou par assistance.
Dans ce cas, on est complice par abstention lorsqu’on avait le pouvoir légal de s’opposer à la commission du crime et que par son action on a manifesté la volonté de le laisser commettre.
Le complice par abstention c’est celui, nous disent la Cour de cassation ou le Tribunal pénal internationale pour le Rwanda, qui par sa seule présence a apporté une caution morale ou un encouragement à l’auteur principal, ou bien celui qui avait, en raison de sa profession, le devoir ou le pouvoir d’agir, ou encore celui qui est tenu par les autres auteurs du crime en si haute estime que sa présence vaut un encouragement.
Vous ne pourrez pas ne pas dire qu’a minima, Laurent Bucyibaruta est coupable parce qu’il savait, qu’il avait le pouvoir et le devoir légal d’agir, d’alerter, d’empêcher, de sanctionner, en tant que Préfet, chargé d’assurer la sécurité des personnes, et qu’il n’a rien fait. RIEN. Il n’a pas même essayé.
Souvenez-vous de ce qu’Eric GILLET vous a dit, ici à cette barre, sur le devoir que le Préfet avait d’agir, d’utiliser son autorité pour tenter que les massacres cessent.
C’est précisément ce qu’il n’a pas fait : réquisitionner la police et la gendarmerie, sermonner les gens sur les lieux des massacres, sanctionner les participants aux meurtres, et tant d’autres choses !
C’est précisément cela la lâcheté coupable.
Pas une simple négligence, pas un manquement, pas une simple abstention, une faute.
On ne reproche pas à l’accusé ne pas avoir été un héros, mais de ne pas avoir agi en homme libre alors qu’il en avait le pouvoir et le devoir, parce que c’est cela la liberté, cela ne consiste pas, selon Saint Augustin, « à faire ce que l’on veut, mais ce que l’on doit ! »
En réponse, l’accusé nous a dit : « Je ne pouvais pas agir, j’aurais été tué. »
Cette défense justifie que vous ayez à répondre, dans les questions qui vous seront posées dans le cadre de votre délibéré, à celle de la contrainte, au sens de la loi.
C’est une notion prévue à l’article 122-2 du Code pénal qui dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister. »
Selon le Professeur de Droit Yves MAYAUD, « il faut que l’évènement qui constitue la contrainte soit irrésistible ou insurmontable c’est-à-dire rende impossible – et d’une impossibilité absolue – toute résistance à la contrainte qu’il représente ».
Il faut aussi que cet évènement soit imprévisible : si soudain et instantané qu’il en résulte une surprise totale.
En d’autres termes, on considère que la personne a été privée de volonté, de son libre arbitre, de sa capacité à se conduire librement.
Ici, Laurent Bucyibaruta vous dit : j’avais peur d’être tué si j’avais agi.
Mais cette force irrésistible qui exonère quelqu’un de sa responsabilité, ce n’est pas la peur d’être tué hypothétiquement, c’est concrètement le pistolet sur la tempe, la machette au-dessus de la tête. C’est la menace réelle, objectivée, sur votre vie.
C’est ça la contrainte qui absout.
Or à aucun moment Laurent BUCYIBARUTA ne le démontre.
Il ne décrit pas, il ne crédibilise pas ce qu’auraient été ces pressions, ces menaces, cette contrainte.
Elle est totalement illusoire, de pure façade. Vous n’y adhérerez pas.
Peut-être vous dira-t-on que c’est bien facile de dire cela, de rendre la justice depuis nos fauteuils confortables et cette salle climatisée, que nous n’y étions pas.
Non ce n’est pas simple, c’est bien pour cela que l’on prend le temps, on écoute les gens, on y consacre de l’énergie et de l’attention parce que s’y joue tout à la fois l’honneur d’un homme et la mémoire de milliers de victimes, parce qu’il ne s’agit pas de rendre une justice facile, justement parce qu’il n’y aurait pas plus grande injustice que le vide, que le trou béant de ce million de victimes, on le fait bien, on décortique les faits, on les examine. C’est long, c’est parfois difficile à suivre. Mais la Justice le mérite.
C’est d’autant plus difficile pour les victimes. De venir témoigner, de se plier à la confrontation judiciaire. C’est douloureux de voir que des hésitations, des contradictions sont parfois montées en épingle.
Lorsqu’au cours de l’audience, j’entendais remise en cause la parole de certains survivants, parce qu’elle serait suspecte ou tout simplement inexacte, incohérente, je me suis souvenue d’une histoire que l’on m’a racontée au centre Primo LEVI, c’est un centre de soins pour réfugiés victimes de tortures : pour déposer sa demande d’asile, une femme avait raconté aux autorités françaises les massacres et tortures qu’elle avait vécues avec sa famille et qui l’avaient conduite à fuir son pays. Sa demande d’asile avait été rejetée considérant que son récit n’était pas crédible car elle indiquait avoir eu 3 enfants alors qu’en réalité on savait qu’elle en avait eu 4.
Il s’avère que le 4e enfant, qu’elle avait « oublié », ou en tout cas cherché à oublier, était celui devant lequel elle avait été violée.
***
Monsieur le Président, Madame, Monsieur de la Cour, Mesdames et Messieurs les Jurés,
Je représente aujourd’hui une association, la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme, qui est partie civile dans ce procès. Pourquoi l’est-elle ?
D’abord parce que le procès d’un génocide, c’est le procès du racisme dans sa forme la plus extrême, la plus aboutie, la plus achevée.
Le racisme, c’est même la définition légale du génocide.
Selon le Code pénal, un génocide c’est l’exécution « d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
En d’autres termes, tuez-les tous !
Tuez-les tous pour ce qu’ils sont ! pas pour ce qu’ils ont fait !
Des hommes, des femmes, des enfants qui n’avaient commis d’autre crime que celui d’être nés Tutsi.
Ils n’avaient pas le droit d’exister, ils n’ont même pas eu le droit à une sépulture.
Ne nous y trompons pas, cette Histoire n’a rien à voir avec une guerre tribale, avec une violence fondée sur une haine atavique entre les Hutu et les Tutsi.
Ce génocide a les mêmes racines que les génocides qui ont meurtri l’Europe au 20e siècle ; c’est la même pensée raciste et racialiste qui s’est développée en Europe à la fin du 19e siècle, celle d’une hiérarchie entre les races.
Et cette pensée a tué au Rwanda dans des circonstances qui dépassent l’entendement. 800 000 à 1 million de morts en 3 mois !
Peut-on réaliser ce gouffre ?
Un million de visages, un million d’histoires, de peines, de nostalgies, d’espoirs, de joies.
Le vide absolu… vertigineux…
Hélène Dumas vous l’a dit : ce génocide a été remarquable par son efficacité létale, et par son efficacité symbolique : faire souffrir et faire subir des humiliations, avec une particulière inventivité cruelle des tueurs. Elle rappelait la dimension de cruauté de ce génocide dans la parole d’une amie qui lui disait – peut être vous en souvenez-vous aussi – « ce qui me fait le plus souffrir ce n’est pas qu’ils soient morts mais comment ils sont morts ».
Mais aussi, pourquoi est-ce important pour la LICRA, association universaliste, d’être là sur les bancs des parties civiles ?
Parce que le génocide des Tutsi au Rwanda, ce n’est pas l’affaire des rwandais, cela l’affaire de tous.
C’est d’ailleurs même ce qui justifie que la France juge des crimes commis à près de 10 000 km d’ici.
Peut être vous l’êtes vous demandé ; pourquoi juge t on ici en France, ce qui s’est passé là-bas ?
C’est au nom d’un principe de Droit, très beau, qui s’appelle la compétence universelle.
C’est un principe qui donne compétence à un Etat de juger un crime alors qu’il a été commis à l’étranger et alors même que ni son auteur ni ses victimes ne sont françaises.
Pour que la France soit compétente, il faut que la personne soupçonnée ait été arrêtée sur le territoire français.
Mais si la France peut juger, et doit juger ces crimes, c’est surtout parce que l’on considère que le crime commis est si grave qu’il porte atteinte à l’humanité toute entière.
Et que chaque Etat a pour responsabilité de juger ces crimes.
Parce que c’est toute l’Humanité qui est concernée à travers un crime contre l’Humanité.
A travers le génocide des arméniens, à travers la Shoah, à travers le génocide des Tutsi du Rwanda, c’est l’Humanité dans son ensemble qui est visée.
Dans le village de BREGNIER-CORDON, dans l’Ain, une stèle commémore la rafle des 44 enfants juifs et de leurs 7 éducateurs, le 6 avril 1944, à la Maison des enfants d’Izieu.
Comme on peut imaginer la même stèle à Kibeho en hommage aux 90 élèves de l’Ecole Marie Merci, massacrés le 7 mai 1994 parce que nés Tutsis.
Cette stèle comporte une phrase d’Hemingway qui pourrait très bien justifier pourquoi l’on juge ces crimes commis si loin de nous:
« Tout homme est un morceau de continent, une part du tout. La mort de tout homme me diminue parce que je fais partie du genre humain ».
Si la LICRA est là, enfin, c’est parce qu’elle est née d’un procès. Ce procès trouve un écho tout particulier aujourd’hui.
Ce procès a eu lieu en 1927, dans ce Palais de Justice. La Cour d’assises de Paris s’appelait alors la Cour d’assises de la Seine.
L’accusé s’appelait Samuel SCHWARTZBARD, un Français d’origine ukrainienne, Juif, décoré de la Croix de Guerre, qui avait assassiné en plein Paris Simon PIETLOURA, un leader nationaliste ukrainien ayant commandité la traque, les pogroms et le massacre de 40 000 hommes, femmes et enfants, parce qu’ils étaient nés Juifs.
SCHWARTZBARD avait voulu se venger du meurtre de sa famille dans ces pogroms dont le responsable était PIETLOURA, réfugié en France en toute impunité, sans être inquiété par la Justice.
Aux termes de ce procès, l’accusé SCHWARTZBARD a été acquitté. Non pas parce qu’il n’y avait pas de preuves, puisque l’accusé reconnaissait et assumait son acte, prémédité.
Mais parce que les jurés ont considéré que cet homme, en tuant le responsable impuni de ces massacres, avait fait Justice. Il avait remplacé une Justice défaillante.
Des soutiens de l’accusé se sont formés au cours du procès, pour dénoncer les pogroms. Parmi ceux-ci, la Ligue contre les pogroms, créée à cette occasion, devenue plus tard la Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme.
Aujourd’hui, la Justice ne sera pas celle de la vengeance, pas celle qui exige le sang, mais celle que vous rendrez, en toute sérénité, au nom du peuple français.
Mais pour la communauté des Hommes.
Plaidoirie de Maître Hector BERNARDINI, avocat de SURVIE et trois rescapés, parties civiles.
Monsieur Le Président, Madame Messieurs les assesseurs,
Mesdames et Messieurs les Jurés,
Je vais m’exprimer dans l’intérêt de clients que j’ai l’honneur de représenter avec mon confrère et ami Jean SIMON, que je remercie de m’avoir fait confiance pour le seconder dans des dossiers d’un tel poids,
L’association SURVIE
Et
Trois rescapés // personnes physiques
Ils nous ont tous les trois sollicités pour les assister alors que nous étions au Rwanda pour préparer ce procès avec mes estimés Confrères représentant du CPCR, Domitille PHILIPPART et Simon FOREMAN que je remercie également d’avoir été à l’initiative de ce voyage qui nous aura permis de prendre la pleine mesure de gravité des faits que vous avez à juger mais également pour mettre ce dossier en trois dimensions,
Pour nous rendre compte notamment de la vue plongeante et panoramique depuis la préfecture de Gikongoro sur la colline de Murambi.
De colline en colline, de mémorial en mémorial, de témoignage en témoignage,
C’est un dossier qui vous prend aux tripes.
C’est un dossier qui vous fait monter les larmes aux yeux et fait faire des cauchemars…
J’ai la plus grande sympathie pour vous magistrats et vous mesdames, messieurs les jurés qui avaient du vous plonger pendant 8 ou 9 semaines dans l’atrocité de ces crimes.
D’abord, parce que je ne peux pas tout plaider dans ce « dossier-monde »,
Brièvement, comment j’ai circonscrit mon propos ?
Nous avons un double point de vue sur ce dossier.
Un point de vue très concret, sensoriel, depuis les ruines de l’Église calcinée de Kibeho, dans le réfectoire de l’École de Lettres ou sous la pluie comme les réfugiés dans le presbytère de la paroisse de Kaduha,
Un point de vue éloigné, dans le temps et dans l’espace. Rétrospectif et français.
C’est plutôt ce second point de vue que je vais adopter.
SURVIE est une association qu’on peut qualifier de “militante”. Certes. Elle a une grille de lecture particulière des dossiers Rwandais.
Nous ne sommes là ni pour faire des polémiques sur les ombres de l’opération Turquoise, le massacre de BISESERO ou pour convaincre qui que ce soit dans cette salle que la France a sa part de responsabilité. Ce n’est pas l’endroit pour le faire…
C’est le procès de Laurent BUCYIBARUTA et pas celui de la Françafrique.
Mais grâce à notre point de vue singulier, nous pouvons expliquer à la Cour pourquoi la doctrine Africaine de la France a pu profiter aux tueurs.
Je vais donc m’efforcer de donner à la Cour et surtout à vous Mesdames et Messieurs les jurés QUELQUES CLÉS pour COMPRENDRE LES FAITS que vous avez à examiner
ET
Comprendre dans QUEL APPAREIL D’ÉTAT L’HOMME QUE VOUS JUGEZ A PRIS SA PLACE ET TENU LOYALEMENT SON RANG.
Des clés pour comprendre comment le préfet Laurent Bucyibaruta a été, du début à la fin du génocide, le loyal bureaucrate exécutant une politique gouvernementale univoque visant à l’extermination des Tutsis.
Pour cela, donc je vais m’en tenir aux faits notoires et à quelques éléments objectifs tirés du dossier et soumis au débat contradictoire.
(I) D’abord : bref rappel sur la coopération militaire franco-rwandaise avant 1994.
(II) Ensuite j’évoquerai la continuité entre l’implémentation de la politique anti-tutsi au niveau de la préfecture Gikongoro et la doctrine dite « contre-insurrectionnelle » enseignée par les français aux Rwandais.
Rien à voir donc avec la question d’une complicité. Juste une clé de compréhension. Et vous verrez que l’on peut calquer la mise en œuvre du génocide avec certains outils stratégiques que nous avons mis entre les mains de l’armée et de l’administration rwandaises.
(I) Un petit rappel historique,
L’an 1 de l’intervention de la France au Rwanda c’est 1990.
Le 20 juin 1990, le Président François MITTERAND tient un discours resté fameux au sommet Franco-Africain de la Baule. Ce discours marque une étape importante dans les relations entre la France et l’Afrique.
Le discours est clair. L’intention est noble.
La France soutiendra la démocratie, la liberté, le multipartisme partout.
Mais en même temps, François MITTERRND rappelle qu’on ne peut pas instaurer la démocratie en un trait de temps, par décret. On doit s’appuyer sur les structures existantes.
Explique il y a un cercle vicieux entre crise économique et crise politique.
Stabilité = prospérité
Prospérité économique permet l’instauration de la démocratie.
« La France n’entend pas intervenir dans les affaires intérieures des États africains amis. Elle dit son mot, elle entend poursuivre son œuvre d’aide, d’amitié et de solidarité (…) Elle n’entend pas abandonner quelque pays d’Afrique que ce soit. »
La France voit alors le Rwanda comme un état de la francophonie. Le Rwanda est dans son « pré carré ».
Habyarimana l’ami de ses amis du gouvernement Zaïrois de Mobutu.
Habyarimana vacille / La stabilité dans la région est menacée.
Vu de Paris, la francophonie recule à mesure que le FPR soutenu par l’Ouganda anglophone progresse.
C’est une des clés de compréhension historique de ces faits.
Comprendre pourquoi la France va diaboliser le FPR. Les organes de communications de l’État français vont parler de « khmers noirs », de double génocide, etc.
Comprendre pourquoi l’offensive du FPR pourra être perçue ici comme une guerre d’agression extérieure venue d’un pays anglophone ;
Comprendre pourquoi l’Élysée soutient les accords d’Arusha et en même temps le gouvernement HABYARIMANA ;
Comprendre pourquoi l’Élysée n’aura de cesse d’exiger du GIR des garanties humanitaires, du moins en façade ;
Ceci explique pourquoi, lorsque le 27 avril 1994 les émissaires du gouvernement Rwandais reviennent de l’Élysée, ils vont immédiatement préconiser un pivot dans la politique et mettre en place la rhétorique de « pacification ».
Je le concède bien volontiers à l’accusé. Il a parfaitement raison. Le gouvernement qu’il sert avait une légitimité internationalement reconnue.
FAR = forces armées légitimes
FPR = armée qu’on peut qualifier de révolutionnaire.
J’ouvre une parenthèse :
MITTERRAND avait raison.
Aujourd’hui, le Rwanda est membre du Commonwealth.
Kigali accueillait pendant ce procès la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth. Le Rwanda n’est plus dans notre « pré carré ».
Mais à quel prix ?
Parenthèse refermée.
Début octobre 1990, quelques rebelles du FPR descendent de l’Ouganda vers Kigali dont les rangs grossissent au fur et à mesure de leur progression.
Octobre 1990 la France décide d’intervenir pour apporter son soutien au gouvernement.
C’est l’opération « NOROIT ». Cet engagement sera lourd de conséquence car l’opération s’inscrit dès le départ dans une analyse du conflit rwandais comme une guerre d’agression et non comme une guerre civile.
L’opération, qui ne devait durer que quelques semaines, a duré plus de 3 ans : d’octobre 1990 à décembre 1993.
Les militaires français vont, à partir d’octobre 1990, intégrer l’armée rwandaise et la gendarmerie à tous les échelons.
Un officier Français va être détaché en qualité de conseiller du chef d’état-major des FAR. Le lieutenant-colonel Gilbert CANOVAS.
Sous l’impulsion française, les effectifs passent de 5.000 hommes à 25.000 hommes en moins de deux ans.
* * *
Ainsi se met en place la doctrine contre-insurrectionnelle pour lutter contre le FPR.
C’est une autre clé majeure dans notre compréhension du génocide.
Quel rapport avec Laurent BUCYIBARUTA, me direz-vous ?
Sur les trois compartiments de la « guerre totale », le Préfet de Gikongoro a eu une participation active, consciente.
C’est justement l’un des grands apports de la doctrine contre-révolutionnaire, c’est la continuité entre les autorités civiles et militaires, entre les forces armées et la population.
Trois grands piliers de la lutte contre une force rebelle c’est :
- Le déracinement et la concentration des populations rurales dans des camps.
- La guerre « médiatique » (anachronisme). Comme la rébellion se propage particulièrement dans les campagnes, elle ne peut être mise en échec qu’avec des techniques de manipulations socio psychologiques afin d’amener les populations à se désolidariser des « hors la loi ».
- Afin d’isoler les révolutionnaires, il faut que la lutte intègre la population notamment rurale. Il faut armer les civils. C’est la constitution des milices.
- 3bis : Le corollaire de cet armement des civils c’est l’intégration des structures de commandements établies au sein des structures de commandement civiles…
Comprendre cela, c’est réfuter immanquablement l’idée que les structures étatiques ne fonctionnent pas que le préfet ne jouit d’aucun pouvoir, d’aucune marge de manœuvre.
Il devient inconcevable que les Gendarmes chargés de surveiller les abords du camp de réfugiés de l’ETO de Murambi ont – dans la nuit du 20 au 21 avril 1994 – spontanément, sous l’influence d’officiers renégats ou sous la pression des miliciens, retourné leur fusils sur les réfugiés et exterminé jusqu’au dernier les 25.000 à 40.000 âmes qui s’y trouvaient entre 3h et 9h du matin.
Exactement à l’heure à laquelle les gendarmes et les miliciens encerclaient la paroisse de Kaduha et massacraient 10 à 20.000 personnes.
C’était un plan concerté. Soigneusement préparé avec le concours de l’accusé.
* * *
Premièrement donc, le regroupement des populations.
Ce qui fait que le « succès » des massacres à Gikongoro en avril 1994 est dû en grande partie au regroupement des réfugiés.
Le capitaine Charles RICHARD théoricien de la contre-insurrection au 19ème siècle.
« L’essentiel est de grouper ce peuple qui est partout et nulle part. L’essentiel est de nous le rendre saisissable. Quand nous le tiendrons, nous pourrons alors faire bien des choses qui nous sont impossible aujourd’hui. »
Il est vrai qu’ils avaient eu la vie sauve dans les églises, les centres de santé, les écoles, les presbytères, les paroisses et les centres communaux en 1963-1964 et en 1990 lors des premiers pogroms anti-tutsi…
Mais il est indéniable que la volonté du gouvernement était de concentrer les Tutsis dans des camps.
« Le rebelle vit dans la population comme un poisson dans l’eau. Évacuez l’eau et le poisson mourra ».
Les propagandistes diront plutôt « réunir les feuilles de bananier pour les faire brûler ».
Il y a bien d’autres avantages, au regroupement des « ennemis » :
- On va les déraciner. Dissoudre l’organisation sociale. Disloquer la structure du village. La structure familiale. On va les affaiblir.
Au Rwanda dès le début du génocide, le 7-8 avril 1994 on sait que des listes de notables Tutsi sont aux mains des miliciens de Kigali jusqu’à la commune de Muco. - Sous prétexte de répondre à des impératifs de sécurité, on va pouvoir tous les désarmer.
- Autre enseignement de la Guerre d’Algérie, les centres de regroupement des paysans étaient situés sur les sommets des montagnes qu’il était difficile voire impossible d’alimenter en eau potable… On peut rationner l’eau.
C’est déjà de la guerre psychologique.
* * *
Le deuxième volet de la politique contre-insurrectionnelle du gouvernement intérimaire c’est la guerre sur le terrain de l’information.
- DIABOLISER les partisans de révolte. Vis-à-vis de l’opinion.
Il faut isoler les « rebelles ennemis » au sein de la population.
Vous constatez que je ne parle pas de Tutsi ni de Hutu. Je ne parle pas de « plan génocidaire » mais de l’intention de mater une rébellion.
La stratégie contre-insurrectionnelle est une arme politique et militaire qui sera mise dans les mauvaises mains.
Là où la stratégie de défense va se muer en plan génocidaire, là où la bascule s’opère, c’est lorsque l’on va assimiler l’ennemi « FPR-Inkotanyi » au « Tutsi » et vice versa.
- On fait croire que la minorité de rebelles Tutsi veut rétablir l’ancien régime.
- Rhétorique de l’« INFILTRATION » :
- NILOTIQUES ET ETHIOPIENS ONT INFILTRÉ LE RWANDA. Il y a un projet hégémonique des éthiopiens sur les peuples bantous.
- TUTSI LIBERAUX ONT INFILTRÉ LES AUTRES PARTIS.
- TUTSI ONT CHANGÉ LEUR ETHNIE.
- Discours de Léon MUGESERA prononcé lors du rassemblement MRND du 22 novembre 1992 est clair. KANDURA est clair :
- « Liquider la vermine »
- « Écraser les cafards »
- Surtout, surtout MUGESERA finit avec ces mots : « Celui à qui vous ne couperez pas le cou. C’est celui-là même qui vous le coupera. »
- Chapitre d’Alison DESFORGES sur la propagande décrit (Aucun témoin ne doit survivre, p. 93) qu’au moment du génocide, on assiste à « UNE ASSIMILATION GÉNÉRALISÉE ET SOIGNEUSEMENT ÉLABORÉE ENTRE TUTSI ET LE FPR ».
Déplorant de trop rares prises de paroles des fonctionnaires qui déclaraient explicitement que les Tutsi n’étaient pas nécessairement complices du FPR.
Ce n’est pas ce que fit Laurent BUCYIBARUTA passé maître dans le maniement du double langage.
Dès le début du génocide, il n’est plus la peine de nommer le Tutsi. C’est acquis aux débats. Cela ressort de toute la littérature, de la jurisprudence du TPIR, etc.
Il faut reprendre le « TRAVAIL » ;
Il faut débusquer « l’ennemi où il se trouve » ;
Il faut couper les « grands arbres » ;
Il faut « rétablir la sécurité dans la préfecture ».
Je pense à la réunion du 11 avril 1994.
Le gouvernement convoque Laurent BUCYIBARUTA. A son retour il convoque une réunion dans sa préfecture. Il répercute avec promptitude les instructions du gouvernement.
(cf. CARNET DE NOTE de Pauline NYIRAMASUHUKO (9 avril-27 mai 1994) (LECTURE)
Alison DESFORGES nous dit en p. 382 :
« Lorsque Laurent BUCYIBARUTA rentra à Gikongoro, il réunit les sous-préfets et les bourgmestres pour examiner la situation du point de vue de la sécurité. Selon un administrateur alors présent, les bourgmestres de Gikongoro, comme ceux de Gitarama ne reçurent aucun soutien pour faire cesser les violences. Il fit observer :
« Au cours de cette réunion, pas un mot n’a été prononcé pour résoudre le problème. Ils étaient perdus. Certains disaient : « Exterminer » d’autres avaient peur. C’est la raison pour laquelle cela a tourné à la catastrophe. Ils disaient : « Il faut arrêter cela », mais ceux qui prenaient les décisions ne savaient que faire.
(…)
« Il n’y avait jamais de directives. Lors des réunions de bourgmestres, on ne nous disait jamais ce qu’il fallait faire. Chaque bourgmestre exposait ce qui se passait dans sa commune, combien de gens avaient été tués, où il y avait des violences. On faisait simplement des rapports mais on ne nous donnait jamais le moindre conseil. Les bourgmestres étaient simplement livrés à eux-mêmes. » (Sur un responsable qui assista à la réunion)
Ce refus de soutenir les efforts pour protéger les Tutsi constituait en soi un message très net : il n’était aucunement nécessaire de dire aux administrateurs « Tuez les tutsis », pour qu’ils comprennent que c’était la politique suivie. Bucyibaruta ne semble pas avoir été un partisan enthousiaste du génocide, mais en bureaucrate loyal, il n’osa pas s’opposer fermement et ouvertement à ses supérieurs. En s’abstenant de prendre clairement position contre le génocide, le préfet laissa ses subordonnés, hostiles au massacre, sans directive ni protection. Il était peu probable dans ces conditions, que l’un d’entre eux prenne des risques pour mettre un terme aux tueries. »
- PAS DE MESSAGE = MESSAGE TRÈS NET.
La guerre médiatique c’est la propagande et la manipulation sur le plan intérieur, mais aussi les efforts déployés pour sauver les apparences sur le plan international.
- Thématique de la PACIFICATION dès la fin-avril 1994. C’est cousu de fil blanc.
* * *
Troisième volet de la doctrine de la guerre révolutionnaire : l’armement des civils.
Gardes présidentiels disséminés dans la population civile.
BAGOSORA MINISTRE DE L’INTERIEUR et EXTREMISTE NOTOIRE va décider fin 1991 la création des milices dans le nord.
BAGOSORA a fait un passage en France au début des années 80. Il a étudié la DGR et rendu un mémoire qui est un modèle du genre pour gérer un état en Afrique face aux menaces subversives :
- Préconise une armée présente sur tous les fronts (politique, économique et civil) et une articulation entre forces armées et administrations territoriales pour l’encadrement de la population.
Ce qui est très intéressant, c’est ce qui sera fait pour l’encadrement des miliciens.
On prend des officiers de réserve ou des retraités, militaires ou gendarmes.
Pour s’assurer de la fluidité dans les rapports entre les miliciens et les gendarmes / Entre les miliciens et l’armée…
On va organiser des comité préfectoraux d’autodéfense civile qui vont réunir les cadres des forces armées, les autorités et représentants de l’administration territoriale.
(cf. CARNET DE NOTE de Pauline NYIRAMASUHUKO : impérieuse nécessité de maintenir l’appareil d’état, réunion du bureau politique où sont prévus des amendements pour qu’il n’y ait jamais de vacance du pouvoir.)
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En conclusion, je souhaite recentrer mon propos. Il ne s’agit pas de limiter les causes et l’exécution du génocide à la mise en œuvre d’une stratégie politico-militaire d’inspiration française.
Mais plutôt d’inscrire ce génocide dans l’histoire politique Française pour le comprendre…
… Comprendre pourquoi dès le numéro de décembre 1990, du journal de propagande xénophobe KANDURA qui publie les fameux « 10 commandements du Hutu » stigmatisant les Tutsi et enjoignant aux Hutus de « cesser d’avoir pitié », figure le portrait de François MITTERAND, pleine page avec la légende :
« Un véritable ami du Rwanda. C’est dans le malheur que les véritables amis se découvrent » …
… Comprendre pourquoi les militaires de Turquoise sont accueillis sous les vivats des miliciens la machette encore rouge du sang des Tutsis massacrés ?
… Comprendre toute la nuance, toute l’ambiguïté de la situation politique à Gikongoro. Laissée au mains d’un haut fonctionnaire très habile. Il ne faut pas oublier qu’il a été député pendant plusieurs années… Il a un sens politique aiguisé et sent le vent tourner.
… Comprendre comment la France a pu exfiltrer certains présumés innocents accusés de génocide ou leur offrir des sauf-conduits
… Pourquoi on a pu in fine leur octroyer le statut de réfugié.
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La place de l’avocat de partie civile n’est pas de mener l’accusation mais d’aider à la manifestation de vérité, de porter la voix de ses clients et, parfois, de demander réparation.
Pour ce qui est de Survie, il était très important pour nous de faire citer François GRANER qui est venu présenter ce dossier sous un jour nouveau.
Pour parodier ses mots, lui qui disait que « l’état avait toujours raison » : je dirai que la Cour d’assises a toujours raison.
Car la sagesse collective de la Cour, la réunion de toutes vos convictions individuelles permettra d’établir une autre vérité, la vérité judiciaire.
Plaidoirie de Maître Jean SIMON, avocat de SURVIE et trois rescapés, parties civiles.
Dans la suite de ce que vous a exposé Hector BERNARDINI aux côtés duquel j’interviens pour assister non seulement l’association Survie mais aussi trois personnes physiques, victimes directes du génocide.
Messieurs Innocent MUTIGANDA, Emmanuel NYIOMANA et Léonidas NYILINGOGA qui sont venus déposer à cette barre devant votre Cour. Mais j’y reviendrai.
Je veux tout d’abord dire quelques mots pour l’association Survie que j’ai l’honneur de défendre depuis plus de 10 ans. Et ce, dans la suite des propos de Laurence DAWIDOWICZ à la barre en sa qualité de représentante de l’association qui elle aussi est venue témoigner ou plutôt « plaider » devant votre Cour.
Plaider car Survie est une association militante. Je vais revenir rapidement sur ces quelques éléments complémentaires à ce qui vous a déjà été dit.
Rappelons l’objet social de cette association : lutte contre l’impunité et la banalisation du génocide des Tutsi au Rwanda d’avril à juillet 1994, ce qui a permis à l’association de participer à une troisième affaire devant la Cour d’assises de Paris, son cinquième procès (deux appels, deux condamnations aujourd’hui définitives).
Survie est une association qui compte un bon millier d’adhérents, qui vit sur ses fonds propres et qui regroupe nombre de militants qui s’investissent sur des sujets afin justement que ces sujets occupent l’opinion publique.
Les débuts de l’association ont été la lutte contre la faim et la misère, puis petit à petit au travers d’une réflexion sur le financement des partis politiques les combats de Survie se sont déplacés pour se situer spécifiquement en Afrique.
Rappel de l’intervention de Jean CARBONARE président de l’association Survie, rapport remis à la cellule africaine de l’Élysée et la non acceptation de l’absence de réaction des autorités politiques françaises et de la communauté internationale.
Rapport de la commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’Homme daté de mars 1993.
Rapport commun à la FIDH et à des associations de Droits Humains au Rwanda.
Au journal télévisé de France 2 où très ému et au bord des larmes, il annonce que la Rwanda fonce vers un génocide contre lequel il est possible de faire quelque chose.
Octobre 1994, François-Xavier VERSCHAVE succède à Jean CARBONARE qui aura eu une grande influence sur l’association.
Saluer la mémoire de Sharon COURTOUX et plus généralement saluer amicalement tous les membres de l’association, ceux qui avaient mandat pour venir représenter l’association aux audiences, ceux qui sont de simples militants, ceux qui font un travail de recherche précieux comme François GRANER que vous avez entendu à cette barre et qui y consacre un temps fou et les autres, comme Jacques, ou Jean, ou Raphael et tous les autres.
2004 : la commission d’enquête citoyenne.
Transition avec personnes physiques :
Innocent MUTIGANDA, Emmanuel NYIOMANA et Léonidas NYILINGOGA.
Les deux premiers rescapés de l’école Marie Merci et le Pasteur Léonidas qui avait invité Laurent Bucyibaruta à son mariage et qui pensait bien le connaitre, suffisamment pour que ce dernier accepte de lui venir en aide.
Trois hommes sont venus du Rwanda afin d’apporter leur témoignage qui ont tenu personnellement à venir jusqu’à Paris pour venir raconter qu’ils ont tout perdu ;
Ces 3 hommes ont particulièrement tenu à vous dire et à témoigner devant l’accusé ,qu’il savaient que le préfet savait parfaitement ce qui se passait dans sa préfecture ; savait parfaitement que les Tutsi étaient en grand danger de mort, savait parfaitement que les tutsi étaient des cibles et qu’ils étaient en sursis.
Innocent et Emmanuel qui ont réussi à prendre la fuite de leur école avant que près de 90 de leurs camarades soient exterminés pour l’unique raison d’être nés Tutsi.
Ils nous ont raconté les brimades subies comme enfant Tutsi, ils nous ont dit les difficultés subies bien avant la période d’avril 1994 alors que l’accusé nous décrivait une concorde malgré les nombreux actes annonciateurs comme les discriminations subies par les Tutsi, professeur ou élève.
Nous avons produit les listes des effectifs de l’école où d’ailleurs la mention Tutsi ou Hutu figure, les tensions bien avant avril 1994, la discrimination scolaire qu’Innocent vous a décrite.
Innocent MUYTIGAND, Emmanuel NYIOMANA et Léonidas NYILINGOGA, ces trois hommes ont vu leurs familles décimées, exterminées.
Innocent : ses parents, des oncles et tantes, des cousins, des dizaines de victimes, lui a pris une balle dans la jambe et boite encore.
Emmanuel : ainé d’une fratrie de 8 …. seul survivant.
Léonidas : ce pasteur incroyable qui a perdu sa femme et ses 5 enfants âgés de 10 ans à 3 mois. Et le pire, c’est que sa famille a été décimée alors qu’ils les avaient laissés pour aller quémander le secours de son préfet, de cet homme qu’il avait invité à son mariage, et qui pour seule réponse lui ramènera les gendarmes armés et qui après sa déposition, car c’est un homme d’église, a réussi a accepté la main tendue de Laurent BUCYIBARUTA. Ne vous trompez pas sur la signification de cette salutation qui n’est pas un pardon mais d’accepter que vous allez devoir le juger avant que dieu ne s’en charge.
Ces trois témoignages ont été intéressants en ce qu’ils démontrent que ces hommes peuvent témoigner de deux éléments saillants de ce dossier.
Ils sont allés trouvés Bucyibaruta et sont allés chercher son aide car ils constataient que celui-ci avait encore le pouvoir et incarnait encore l’autorité et ce qui permet également de démontrer à quel point il avait une parfaite connaissance de génocide.
La parfaite connaissance de la situation
Les personnes qui viennent le voir pour tenter de trouver son aide ou son secours ;
Les personnes qu’il côtoie, membres du gouvernement, sous-préfet, bourgmestres, gendarmes ;
Les réunions auxquelles il assiste ;
Les moyens de communication qu’il a à sa disposition et les médias qu’il nous dit écouter comme la radio et Radio Rwanda notamment ;
Les déplacements qu’il peut faire sans aucune difficulté pendant toute la durée du génocide pour se rendre n’importe où sur toute sa préfecture.
Le fait qu’il ai pu se rendre sur les lieux où les personnes étaient regroupées, qu’il a pu voir et constater par la même le nombre de cadavres dont s’est posée la question de leur dégagement pour éviter leur pourrissement.
C’est tout le pays qui a senti pendant des semaines la chair humaine, l’odeur de la mort et des cadavres en décomposition qui jonchaient les rues, les chemins, les écoles ou les églises.
Le fait qu’il nous a dit plusieurs fois pendant l’audience qu’il aurait eu peur pour sa femme du seul fait qu’elle soit Tutsi.
On notera d’ailleurs que sa famille, elle, ne s’est pas trouvée regroupée dans un lieu de massacre.
Il est acquis qu’il est parfaitement informé du génocide qui se déroule.
L’autorité qu’il incarne, le pouvoir qu’il n’a en réalité jamais perdu :
Lui le préfet, rôle extrêmement puissant au Rwanda en 1994 qui aura en réalité traversé tout le génocide du mois d’avril 1994 au mois de juillet 1994 en étant resté à son poste sans jamais avoir été une seule fois remis en cause par les extrémistes, par le gouvernement intérimaire ou par quiconque, pas même par les sous-préfets de la préfecture de Gikongoro tous condamnés ou en fuite pur échapper aux poursuites.
Il a fui le pays quand il a su que le FPR avait gagné.
Cette autorité, elle est ressorti du témoignage de ce médecin français qui nous a raconté le sort de Bernadette infirmière spécialisée qui a aidé pendant des semaines l’équipe médicale des militaires français de l’opération Turquoise et quand il a demandé des papiers pour qu’elle puisse éventuellement circuler dans le pays, on nous a raconté qu’elle s’est heurtée au refus du préfet qui lui opposait un dossier incomplet, un manque de pièces !
Cette autorité, elle ne l’a jamais quittée, il ne l’a jamais perdu.
Léonidas NYILINGOGA a rappelé que les barrières étaient installées à quelques mètres du domicile de BUCYIBARUTA, et là encore, on est en droit de penser qu’il s’agit d’un signe suivant lequel il est nécessaire de défendre une personnalité importante, une autorité qu’on écoute et qu’on respecte.
Les constatations à l’audience, le double discours :
Après 8 semaines d’audience, plus de deux mois, ce n’est qu’à la toute fin du procès lors de son interrogatoire que nous avons entendu l’accusé prononcer le mot de génocide.
Avant, on a eu droit au vocabulaire le plus minutieusement sélectionné pour avoir entendu des mots comme « circonstances » ou « ce qui s’est passé dans le pays » ou encore « les troubles » ou « les évènements regrettables », « des règlements de compte » ou des « pillages ».
Comme devant chez lui, dans sa préfecture, à Gikongoro et dans les villes autour comme Kaduha ou Cyanika, il aurait été question de quelques personnes de la population incontrôlables, animées par une prétendue furie spontanée vengeresse en réaction à l’assassinat de leur Président et à l’avance du FPR.
Non, Monsieur Laurent BUCYIBARUTA, du mois d’avril à juillet 1994, c’est un génocide, le génocide des Tutsi du Rwanda qui a fait entre 800 000 et 1 million de morts dont plus de dizaines de milliers rien que dans la préfecture de Gikongoro !!!
L’ennemi, combien de fois on la interrogé à l’audience sur le point de savoir si dans les discours analysés quand il est évoqué l’ennemi infiltré,l’Inkotany, il est question de l’armée du FPR ou plus simplement du Tutsi.
Les barrières auraient été dressées pour empêcher les troupes du FPR d’avancer dans la région alors que les barrières ont été en réalité un lieu de tuerie et de purification ethnique.
Ce choix des mots, il est révélateur en ce qu’il démontre une déshumanisation, une froideur administrative qui sert de bouclier.
Ce décalage absolu dans le discours, on le trouve dans les faits, quand le massacre de Murambi se déroule, se sont ses administrés, des personnes qu’il connaissait qui se sont fait assassinées, exterminées, massacrées, et que parfaitement informé et très vite, le témoignage de son fils à la barre l’a démontré, sa réaction est celle d’écrire des courriers.
Plus généralement, comment comprendre les réactions de l’accusé qui aura rappelé toutes les procédures administratives, les requêtes à adresser, les rapports à dresser, les enquêtes qui ne peuvent commencer sans rapport et les procédures judiciaires qui ne démarrent pas faute de rapport.
On nage en plein Kafka rwandais de celui qui se réfugie derrière de faux arguments.
Rappelez vous de quelle façon il commente les décisions de justice, la différence pour rappeler qu’un tel ou untel a pu être acquitté et que la personne condamnée quant à elle, si la justice le dit a peut-être commis des actes regrettables …. Aloys SIMBA ou BINIGA…
Se battre ainsi sur les mots, savoir si dans un texte désormais a disparu pour être remplacé par il y a été mis fin.
Cette défense a un sens, elle permet à l’accusé à l’homme de se cacher derrière le masque des procédures administratives et la guerre comme autant de boucliers et comme je ne doute pas que cette Cour fera tomber ce masque de l’homme qui cherche à échapper à la justice.