Procès Claude MUHAYIMANA. Vendredi 3 décembre 2021. J10

Les cinq témoins qui ont été auditionnés ce jour ont presque tous été condamnés au Rwanda pour génocide. Le premier, Edmond MUSHIYIMANA était entendu en visioconférence, tout comme Eliezer MUGEMANGANGO. Ils purgent une peine de longue durée. Les trois autres sont venus témoigner à la Cour d’assises, en présentiel comme on dit aujourd’hui: Emmanuel TWAYIGIRA, le meurtrier de madame NYIRAMAGONDO, de sa fille et de son petit fils, Félicien MANIRAGUHA et Elieri NSENGIYUMVA. Ce dernier a fait de la prison mais il a été blanchi lors d’un procès Gacaca[1]. Ayant participé à la procédure du plaider coupable, la plupart avaient bénéficié d’une remise de peine, parfois même de la grâce présidentielle.

Edmond MUSHIYIMANA était manifestement nerveux. Il se tordait les doigts, baissait la tête en entendant monsieur le Président lire des passages de ses auditions par les juges français. Quant à Eliezer MUGEMANGANGO, il manifestait une certaine colère par des réponses brèves assénées sur un ton presque agressif. Il ne comprend pas pourquoi il n’a pas bénéficié de remise de peine alors qu’il avait plaidé coupable.

Toute la journée ont été évoquées les tueries sur la colline de Karongi et Gitwa, ainsi que  la mort du gendarme MWAFRIKA, tué lors d’une attaque contre les Tutsi. Chacun des témoins a donné sa version des événements. Tous ont insisté sur le fait que ce sont les autorités de la province de Kibuye qui ont incité les gens à partir à la « chasse » aux Tutsi. Le préfet KAYISHEMA, le bourgmestre KARARA mais aussi le docteur Charles TWAGIRA, lui-même visé par une plainte du CPCR depuis le 30 novembre 2009[2].

Tous ont surtout confirmé, après avoir changé parfois de version, que c’est Claude MUHAYIMANA qui conduisait le camion Daihatsu bleu volé à BONGO BONGO  ayant servi à transporter gendarmes et Interahamwe[3]. Pour ceux qui étaient mis en face de leurs contradictions parfois criantes, ils ont toujours précisé que la vérité, c’est ce qu’ils disaient ce jour à la barre.

L’attaque de l’école de Nyamishaba était aussi à l’ordre du jour, Claude MUHAYIMANA étant cité par les témoins comme ayant participé à cette attaque.

Pratiquement tous, lorsque monsieur le Président LAVERGNE leur a demandé, à la fin de leur déclaration spontanée, s’il avaient quelque chose à ajouter, ont déclaré avoir demandé pardon au pays, à Dieu, à l’humanité… mais pas vraiment aux familles des victimes!

Une journée donc sans grande surprise, pleine d’émotion toutefois lorsque a été évoquée la mort de madame NYIRAMAGONDO, de sa fille et de son petit fils. L’auteur ce ces crimes, Emmanuel TWAYIGIRA, a bien reconnu qu’il avait tué ces personnes mais il a quelque peu adouci son témoignage en disant qu’il avait utilisé un gourdin. Les autres témoins avaient dit que les victimes avaient été égorgées l’une après l’autre, en commençant par la dame la plus âgée, et leur tête jetée dans le bois . Tous ont rapporté aussi les propos du tueur dans des termes très semblables: « Vous n’avez pas encore tué des Tutsi? Je vais vous montrer comment ont fait. » Ce meurtre va libérer les énergies et les réticences des participants. Ce sera le début des grands massacres qui vont ensanglanter la préfecture de Kibuye.

La journée a été longue. Aucune des parties n’avait envie de la prolonger si bien que le dernier témoin a été pratiquement dispensé de la série de questions à laquelle sont généralement soumis les témoins

L’audience est suspendue et reprendra lundi 6 décembre à 9h30.

PS. En marge du procès de Claude MUHAYIMANA, nous avons appris que l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA, mis en examen pour génocide mais ayant bénéficié d’un non-lieu, venait d’être suspendu par l’évêque d’Évreux pour avoir reconnu être le père d’un enfant de 11 ans[4].

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

  1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.
    []
  2. Lire à ce propos notre article de février 2018 : Affaire TWAGIRA: le médecin de Rouen revient sur le devant de la scène[]
  3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  4. Lire notre article de juin 2018 : Affaire Wenceslas MUNYESHYAKA : la Cour d’Appel de Paris confirme l’ordonnance de non-lieu et sur le site de Paris-Normandie : le prêtre de Brionne, dans l’Eure, suspendu après avoir reconnu son fils biologique []

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