Procès Claude MUHAYIMANA: vendredi 26 novembre. J5


La journée va être entièrement consacrée à l’audition de deux membres de l’OCLCH, l’Office Central de Lutte contre les Crimes contre l’Humanité, les génocides et les crimes de guerre.

Audition du général Jean-Philippe REILAND, commandant de l’OCLCH.

Dans sa déposition spontanée, le témoin va présenter l’OCLCH et évoquer ensuite les missions qui concernent le Rwanda.

Il existe 13 offices centraux en France qui ont plusieurs objectifs: les enquêtes, le soutien et l’appui, la coordination de l’action, la coopération internationale et l’élaboration d’un bilan annuel des activités.

L’OCLCH est l’office le plus récent des douze.  Il a été créé en 2012 en référence au Traité de Rome de 1998. Cette dernière indication permet au témoin  de parler de la compétence universelle adoptée dans le droit français et qui permet de « juger des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger sur des étrangers » à condition qu’ils résident en France au moment du dépôt de la plainte.

Si l’OCLCH a été créé au sein de la gendarmerie c’est parce que les gendarmes sont les seuls à pouvoir travailler comme OPJ, Officier de Police Judiciaire. L’effectif comporte actuellement 37 enquêteurs et il y en aura 39 en 2022. Ces enquêteurs ont une moyenne d’âge de 40 ans et suivent régulièrement des formations. Ils traitent actuellement 150 dossiers dont une trentaine concernant le Rwanda.

Modes d’action au Rwanda. Les membres de l’OCLCH ont le même pouvoir que les OPJ. Ce qui complique le recueil des témoignages, c’est l’éloignement dans le temps et le lieu.

Mode d’action à l’étranger.

1) les Etats sont souverains et pour intervenir à l’étranger, il faut obtenir l’accord des autorités du pays.

2) les enquêteurs français peuvent conduire à l’étranger des interrogatoires de témoins.

3) les enquêteurs qui souhaitent se rendre au Rwanda doivent déposer des « demandes d’entraide internationale » pour pouvoir se déplacer dans le pays.

4) la rédaction des actes se fait au Rwanda avec l’aide des magistrats rwandais

5) les enquêteurs sont assistés par le Bureau de protection des témoins mais pour les auditions, ils ne sont accompagnés que d’un interprète.

6) les enquêteurs effectuent 2 ou 3 missions par an au Rwanda.

Une série de questions va entraîner un certain nombre de réponses.

– les enquêteurs français n’ont rencontré aucune difficulté pour effectuer leurs missions. Ils notent une « très grande bonne volonté » de la part des autorités du pays. Les investigations se déroulent depuis 2009

– les enquêteurs ont des échanges réguliers avec le « réseau génocide », comme dans l’affaire KABUGA.

– il n’y a pas de la part du Rwanda la volonté de surveiller, de contrôler les activités des enquêteurs. Le témoin note « la possibilité de convoquer des témoins découverts au fil de l’enquête ».

– a la question de savoir si des témoins ne cherchent pas à retirer un avantage en échange de leur déposition, le commandant REILAND reconnaît que ça peut arriver mais que c’est à eux, les enquêteurs, d’être vigilants.  L’éloignement géographique, la modification des lieux pose un véritable problème: il est impossible de recueillir des éléments matériels. Les imprécisions des témoignages ne relèvent pas forcément de mauvaise foi chez les témoins.

Maître GISAGARA, avocat de parties civiles, veut savoir si le commandant REILAND trouve que le Rwanda est une dictature. Le témoin se contente de dire que « l’ordre et la sécurité sont assurés au Rwanda. A chacun de se faire une idée ». Il ne souhaite pas en dire plus.

Sur question du ministère public, le commandant reconnaît qu’ils ont, au Rwanda, « une grande liberté dans la conduite des interrogatoires ». Ce qui, pour lui, est « exceptionnel ».

C’est au tour de la défense de questionner le témoin. Le commandant reconnaît qu’il n’est pas « un homme de terrain, qu’il a passé 15 jours au Rwanda mais qu’il n’a pas enquêté ». ( NDR: Derrière cette question apparemment insignifiante, il y a probablement de la part de maître MATHE la volonté de minimiser son témoignage concernant en particulier le comportement des autorités locales.)

Les enquêteurs sont suivis psychologiquement pour éviter les risques psycho-sociaux. Précision: le temps de présence moyen à l’OCLCH serait de 4/5 ans.

Maître MATHE veut savoir aussi comment se passent les interrogatoires en milieu carcéral. Le témoin: « Nous demandons l’autorisation  aux magistrats et nous sommes accompagnés par des membres du Bureau d’accompagnement des témoins.

Maître MEILHAC questionne à son tour le témoin. Oui, les enquêteurs français se réfèrent si nécessaire aux travaux du TPIR. Il n’y a pas un « profil type » des témoins à rencontrer. Le commandant REYLAND précise alors que les enquêteurs rencontrent beaucoup de femmes et de prisonniers. Il peut arriver que les autorités leur remettent des documents écrits, comme les rapports des Gacaca[1]. Bien sûr, les enquêteurs doivent tenir compte de l’état des relations diplomatiques entre les deux pays, mais de ce côté, il n’y a « aucune pression », « aucune tension n’existe ». Quant à des surveillances par écoutes téléphoniques? « Nous sommes vigilants mais nous ne prenons pas de précautions particulières. » conclut le témoin.

Audition du colonel Christophe KOENIG, directeur d’enquêtes à l’OCLCH.

Le témoin, un « homme de terrain », a effectué sa première mission au Rwanda en 2013, le Pôle crimes contre l’humanité au TGI de Paris étant entré en fonction en 2012.

On entre alors dans le dossier MUHAYIMANA. Conformément aux procédures, il a demandé et obtenu l’autorisation de se déplacer dans tout le pays et de procéder aux actes d’audition des témoins. Il sera accompagné par un policier du GFTU ( Genocide fugitives training unit), unité au sein du Parquet général chargée de suivre les dossiers des génocidaires en fuite.

Pour évoquer ses déplacements à Kibuye, le témoin prend soin de décrire les lieux. Il est accompagné d’un chauffeur et d’un interprète.  Ils ont visité trois sites de massacres: l’église de Kibuye, le Home Saint-Jean et le site de Nyamishaba. Ils ont situé aussi la maison de Claude MUHAYIMANA et se sont rendus sur différentes collines, dont Gitwa et Bisesero. A leur retour, ils ont rédigé une synthèse. Les juges décident l’incarcération de Claude MUHAYIMANA en juillet 2014. Il restera en prison une année environ.

Etonnant! Lors des perquisitions au domicile de l’accusé, ils ont trouvé une copie du planning de leur mission avec le nom des témoins rencontrés, le prénom des gendarmes. L’accusé dit que c’est François MVUYEKURE qui lui aurait donné les renseignements. MUHAYIMANA aurait alors mandaté une avocate, sur les conseils de sa cousine Assumpta, pour se rendre à Kibuye.  « Pour chercher des témoignages » selon l’accusé.

Claude MUHAYIMANA s’empêtre dans ses explications. « Il faut être sérieux » monsieur MUHAYIMANA, réagit le président qui commence à s’énerver.

Maître Alexandre KIABSKI, avocat du CPCR, fait remarquer à l’accusé que MVUYEKURE dit n’avoir pas été en contact avec lui. Une question qui embarrasse monsieur MUHAYIMANA. Ce dernier répond avoir donné des noms à sa cousine. Concernant les appels téléphoniques, il utilise des cartes prépayées « à gratter »! (NDR. Ce qui permet de ne pas connaître l’interlocuteur).

Sur l’insistance de maître GISAGARA, l’accusé va finir par lâcher le nom de l’avocate qu’il a mandatée à Kigali pour contacter des témoins. Il s’agit d’Antoinette MUKAMUSONI.

Le ministère public en conclut qu’il y a eu « pression sur les témoins ». Certains, qui mettaient en cause MUHAYIMANA se sont d’ailleurs rétractés.

MUHAYIMANA aurait été « constrain de participer »? Un des assesseurs fait remarquer que plusieurs chauffeurs ont été requis, que certains ont refusé, d’autres ont mis leur camion en panne. Ils n’ont pas été punis! L’accusé ne peut répondre.

Le procès reprendra lundi 29 novembre. Finis les témoins de contexte. Parole aux témoins du génocide.

Alain GAUTHIER

  1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.[]

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