Procès Claude MUHAYIMANA: mardi 7 décembre 2021. J12



Audition de monsieur Idi YARARA, en visioconférence.

L’audition du témoin porte sur la mort et l’enterrement du gendarme MWAFRIKA. Monsieur YARARA a fait partie de la liste des personnes qui devaient accompagner le corps du gendarme tué sur les collines de Gitesi. Cette liste avait été établie par l’épouse du défunt, madame Samila MUKANDANGA[1]. Le corps avait été transporté au camp militaire pour y être préparé., ce qui fut fait le lendemain. Mais le transport ne pourra pas être effectué ce jour-là.

Le jour où le témoin était au camp correspond au jour de l’attaque de l’église et du Home Saint-Jean. À l’aller comme au retour, c’est Claude MUHAYIMANA qui conduisait le Daihatsu bleu volé chez Bongo Bongo. Le gendarme MWAFRIKA a été enterré dans la nuit de leur arrivée à Ruhengeri.

Le corps a été transporté enroulé d’un linceul blanc et déposé sur un matelas à l’arrière de la voiture. Selon le rite musulman, il n’y a pas de cercueil, contrairement aux affirmations de l’accusé.

Ils sont repartis le lendemain matin mais ont dû passer une nuit au camp militaire de Mukamira, les gendarmes qui accompagnaient la dépouille de leur collègue ayant voulu saluer leurs familles. C’est donc le troisième jour qu’ils ont rejoint Kibuye, avant la nuit.

Sur questions  du président, le témoin répond que les tueries à l’église avaient déjà été faites à l’église. Par contre, celles du stade commençaient. Monsieur YARARA, contrairement à ce qu’il avait pu déclarer devant les enquêteurs français, parle bien d’un voyage qui a duré trois jours, dont deux nuits passées en dehors de Kibuye.

Enfin, sur question de la défense, le témoin précise que sur le trajet ils n’ont jamais rencontré de soldats du FPR[2].

 

Audition de monsieur Jean Bosco NKUNDUNKUNDIYE, alias Bongo Bongo, en visioconférence.

Le témoin est le propriétaire du véhicule Daihatsu conduit par l’accusé pendant toute la période du génocide. Cela lui a été confirmé par sa nièce qui était chez lui et par d’autres témoins.

Avant le génocide, Claude MUHAYIMANA était son ami. En 1990, après l’attaque du FPR, il avait été arrêté et incarcéré à la prison de Kibuye pendant 6 mois. Il était considéré comme un « complice » du FPR. On disait que son argent lui provenait des rebelles et que les containers qu’ils possédait étaient remplis d’armes. C’était évidemment un prétexte pour l’arrêter. Par contre, Claude MUHAYIMANA n’a jamais été arrêté comme complice. Il était libre de circuler.

Avant octobre 1990, le témoin travaillait à la Guest House comme chef barman et chauffeur chargé de l’approvisionnement.  Si Claude MUHAYIMANA est devenu alors chauffeur de la Guest House, il ne l’a pas remplacé pour toutes les fonctions que lui-même assurait.

L’accusé était un ami de son petit frère, Pascal, chauffeur à l’hôpital puis au service des statistiques. Il sera tué en 1994, près de l’hôpital et de chez l’accusé. Tué au mois de mai avec sa fiancée et le fils aîné du témoin, Denis MUNYANEZA.

Monsieur BONGO BONGO quittera Kibuye dès le lendemain de la chute de l’avion, des militaires étant venu encercler sa maison tôt le matin. Aidé par un ami qui avait un bateau, il réussira à atteindre la petite île rwandaise Nyamunini puis, au bout d’une semaine, rejoindra l’île Ijwi. Parti avec son fils, il le remettra aux mains du comptable de la Guest House qui l’a ramené au domicile du témoin. Cet enfant sera tué avec le frère du témoin.

Le témoin nous révèle qu’on avait mis sa tête à prix et qu’on donnerait ses véhicules à qui le livrerait. C’est ce qu’il avait appris à son retour. De l’île Ijwi, il a rejoint Bukavu, au Zaïre. Il avait auparavant retrouvé sa femme et ses enfants grâce à l’aide d’un ami, AMINADABU.

L’accusé cachait chez lui une nièce du témoin, Pascaline, âgée d’environ 5 ans Cette petite fille a pu raconter que Claude MUHAYIMANA partait le matin et rentrait le soir. Pascaline a survécu mais elle est handicapée, traumatisée par ce qu’elle a vécu pendant le génocide.

Le témoin s’est laissé dire aussi que le butin pillé dans les maisons des Tutsi était transporté chez l’accusé.

Concernant le prêtre François KAYIRANGA, résidant en Italie et qui devrait être entendu, il se disait qu’il aurait fait repeindre les murs de l’église maculés de sang pour accueillir le cardinal ETCHEGARAY envoyé spécial du pape dans la région. C’est Béatrice NIKUZE, accueillie chez Claude MUHAYIMANA, qui aurait révélé cette confidence. (NDR. Monsieur le président donnera plus loin lecture de la déposition de madame NIKUZE). Il se dit que c’est l’ex-épouse de l’accusé qui aurait fait libérer l’abbé KAYIRANGA, lui-même emprisonné après le génocide! Madame NIKUZE a déclaré qu’elle avait accusé l’abbé KAYIRANGA et que la femme de Claude n’aurait pas apprécié.

Le témoin a appris que son véhicule avait servi à transporter les tueurs à Bisesero. Il s’adresse alors indirectement  à l’accusé: « Pourquoi n’a-il pas eu le courage de dire la vérité? Pourquoi cache-t-il tout ce qu’il sait, ce qu’il a vu?  Au Rwanda, tous ceux qui ont avoué sont en liberté. Si je le voyais, je lui poserais la question, ajoute-t-il. Il sait qu’on a pillé ma maison. Revenu à Kibuye, il se cachait. » Mais lui ne l’a jamais revu.

Sur question d’un juré, le témoin précise qu’il avait récupéré sa voiture à Bukavu, avec l’aide de militaires congolais, dans un camp de réfugiés. La voiture était quelque peu endommagée (Neiman arraché) et avait beaucoup de kilomètres au compteur. Il récupèrera une autre voiture.

Sur autre question, il affirme que beaucoup de gens qui ont caché des Tutsi en ont tué d’autres.

 

Audition de monsieur James Assoumani MAKUZA, en visioconférence.

Peu utile de rendre compte de l’audition de ce témoin, manifestement en mauvaise santé mentale. Il refuse de s’exprimer croyant probablement qu’on veut le juger. Emprisonné après le génocide, il aurait bénéficié de la grâce présidentielle. Il finit par reconnaître que « Claude MUHAYIMANA a des responsabilités dans le génocide » et qu’il a bien conduit le corps de MWAFRIKA à Ruhengeri[3].

Le témoin finit par avouer qu’il ne veut pas répondre aux questions car il ne se sent pas bien du tout. Alors que lors de son audition il avait dit qu’il avait arrêté son travail de chauffeur pour protéger sa famille, sa femme étant Tutsi (NDR. Il ne veut pourtant pas le confirmer.) Aujourd’hui, il dit que c’est pour des raisons de santé! Et de sortir une liasse de médicaments de sa poche!

De guerre lasse, monsieur le Président va lire ses dépositions devant les enquêteurs français et, sentant qu’il ne tirera rien de ce témoin, décide d’interrompre l’audition, en accord avec toutes les parties.

 

Audition de madame Médiatrice MUSENGEYEZU, ex-épouse de monsieur MUHAYIMANA.

C’était une audition attendue par toutes les parties. Mais après quatre heures d’audience, le témoin ayant à répondre encore à de nombreuses questions, monsieur le Président décide de suspendre l’audience à la satisfaction générale. Le témoin est invitée à revenir devant la Cour le jeudi 9 décembre à 15h30.

Dans la mesure où l’audition de madame MUSENGEYEZU, n’est pas terminée, j’ai pris le parti de ne pas en parler avant jeudi[4].

L’audience est suspendue et reprendra demain à 9 heures.

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

 

  1. voir l’audition de madame Samila MUKANDANGA, épouse du gendarme MWAFRIKA[]
  2. FPR : Front patriotique Rwandais[]
  3. parmi les témoins qui évoquent également la mort du gendarme MWAFRICA et le transport de son corps jusqu’à Ruhengeri où il a été enterré : son épouse Samila MUKANDANGA, Hassan IBYIYINGOMA, Idi YARARA, Alexis KABAGEMA.[]
  4. voir le compte rendu de son audition du jeudi 9 décembre[]

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