- Audition de madame Providence RWAYITARE, témoin citée par le CPCR.
- Audition de Xavera MUSENGIYIREMYE, tante de l’ex-épouse de l’accusé, en visioconférence.
- Audition de Hassan IBYIYINGOMA, en visoconférence.
- Audition de monsieur Uzias BAILLEUX, ex-chauffeur du préfet Clément KAYISHEMA.
Audition de madame Providence RWAYITARE, rescapée du Home Saint-Jean et de l’église de Kibuye. Témoin citée par le CPCR.
Dès la chute de l’avion du président HABYARIMANA, toute la famille, sa tante et les 7 enfants quittent la maison familiale pour se rassembler à l’église et au Home Saint-Jean. La plus jeune avait été confiée à une autre tante de Mubuga.
Le 15 avril, des tirs venus du camp militaire voisin se font entendre et sèment la panique parmi les réfugiés. Est alors arrivé Claude MUHAYIMANA en compagnie d’Anastase BARAYATA, un Officier de police judiciaire. Il semblait venir pour voir qui était réfugié au Home Saint-Jean. Son regard croise celui de Providence. Ce même jour, cinq gendarmes sont venus chercher sa tante et une autre fille qu’ils iront tuer devant la maison du témoin après les avoir humiliées et torturées devant la population. Ce meurtre sera le signal donné aux Hutu qu’ils pouvaient commencer à tuer. Arrivent ce jour-là des rescapés de Nyamishaba.
Le 16 avril, une première attaque de l’église se produit. Trop peu nombreux, les attaquants se retireront sous les pierres lancées par les réfugiés de l’église.
Le 17 avril, un groupe beaucoup plus important attaque de nouveau l’église avec le soutien des militaires. Le témoin se réfugie au Home Saint-Jean dans une chambre qu’on avait mise à leur disposition. Elle y retrouve une certaine Jacqueline, grièvement blessée à la joue. Cachées dans un caniveau, le gérant Thomas leur donne à manger. Le lendemain, des gens en pirogue surveillaient le Home et dénonçaient des survivants. Providence et Jacqueline vont alors se cacher dans la brousse. Mais le témoin sera débusquée, en même temps qu’une maman et son bébé. Les tueurs vont les aligner sur la route et Providence sera assommée d’un violent coup de gourdin sur la tête. Quand elle reprend ses esprits, assoiffée, elle retourne chez Thomas au Home. Au loin, elle entend des tirs en provenance du Stade Gatwaro. Plus personne autour d’elle, si ce n’est des Hutu qui, comme une soeur de l’accusé, sont venus « faire les poches des victimes. »
Après avoir dit qu’elle était Hutu, elle va alors partir avec des militaires jusqu’à l’Ecole Normale Technique tenue par des religieuses de Sainte-Marie de Namur. Bien qu’elle ne soit pas sur la liste du préfet KAYISHEMA qui désignait les personnes autorisées à rester là, un militaire la prend en charge et se porte garant d’elle en disant aux religieuses qu’elle lui « appartient ».
La nuit, un militaire, BUFFALO, venait de temps en temps dans le couvent et réveillait tout le monde. Ivre, il séparait les Hutu des Tutsi et menaçait de tuer ces derniers. La nuit, Providence ne pouvait pas dormir dans la maison, elle se réfugiait dans les jardins.
Un jour, on vient avertir le témoin que des autorités arrivent dans l’école et on apprend à Providence que Claude se trouve parmi les visiteurs. Elle va alors se cacher dans la douche mais reconnaît l’accusé. A trois reprises, des voyous seront envoyés à l’école pour débroussailler les espaces verts.
Lorsque le gendarme qui protège Providence revient, un jour, les religieuses lui demandent d’aller cacher le témoin ailleurs. Mais difficile de trouver une famille d’accueil. Elle se cache alors dans les toilettes. Le militaire lui annonce que ses deux frères sont toujours vivants, près de la station Petrorwanda, sous la protection de petits mécaniciens Interahamwe[1]. Ils y seront tués quand les Interahamwe voudront effacer toutes les traces du génocide.
Providence continuera à vivre là, dehors, sous la protection d’un des gardiens de l’école qui la prend en amitié et lui raconte tout ce qui se passe en ville dans la journée. Il lui dit en particulier que les tueurs se disputent pour se partager les parcelles des Tutsi qui ont été tués ou qui ont fui. Il lui racontait aussi ce qui se passait à Bisesero.
A l’arrivée des soldats de l’Opération Turquoise[2], le couvent a été protégé car les Français se sont installés dans l’école. Comme les religieuses devaient être évacuées vers Goma, elles ont demandé à Providence si elle voulait partir avec elles. Elle est alors logée dans un orphelinat. Un de ses oncles venu du Burundi viendra la chercher pour se rendre à Kigali. Elle apprendra que sa petite soeur, réfugiée à Mubuga, sera tuée dans les collines de Bisesero.
Monsieur le Président tentera de résumer le témoignage de Providence et s’adressera à l’accusé qui va nier tout ce dont a parlé le témoin. Il est resté dans le déni total.
Audition de Xavera MUSENGIYIREMYE, tante de l’ex-épouse de l’accusé, en visioconférence.
Le témoin connaît l’accusé depuis qu’il a épousé sa nièce. Au début du génocide, elle va se réfugier au bureau communal de Mabanza avec son mari et ses 5 enfants. Comme les attaques avaient commencé, ils sont partis vers le stade Gatwaro. Mais dès les premières attaques, à cause de la pluie, ils se sont réfugiés dans la famille de Claude MUHAYIMANA qui habitait en face. Claude MUHAYIMANA était là avec d’autres personnes qu’il hébergeait. La maison ayant été plusieurs fois attaquée, les adultes décident de se cacher dans la brousse. Le mari du témoin et un de leur fils décident de rentrer chez eux: ils y seront tués.
Sur question du Président, elle ne peut pas dire si Claude a été malade comme il le prétend.
Lorsque les tueurs viennent, la femme de Claude leur donne de l’argent et ils s’en vont. Finalement, Claude MUHAYIMANA aidera sa tante et ses enfants à fuir chez des religieuses, près du lac. Elle finira par partir sur l’Ile Ijwi, dans une barque mise à sa disposition par l’accusé.
« Claude a fait pour nous tout ce qu’il pouvait. Nous avons survécu grâce à lui » dira-t-elle.
Interrogée par les parties, le témoin répondra la plupart du temps qu’elle ne sait rien car elle se cachait. Mais sur question du ministère public, elle confirme bien la présence de Claude lorsqu’elle est arrivée chez lui en provenance du stade.
Audition de Hassan IBYIYINGOMA, en visoconférence.
Le témoin reconnaît avoir été condamné par des Gacaca[3] pour avoir tenu une barrière tout près de son domicile.
Le témoin connaît bien l’accusé. Il a fréquenté l’école située tout près de la maison des parents de Claude. Lui-même était pêcheur et il confirme que l’accusé travaillait au Projet Pêche et que Claude MUHAYIMANA venait acheter des poissons. Par contre il ne connaît pas le comportement de l’accusé pendant le génocide car il habitait à environ 5 km de Kibuye.
L’essentiel de son témoignage portera sur la mort de son co-religionnaire, le gendarme MWAFRIKA, tué sur les collines de Gitwa. Il faisait partie du groupe qui a accompagné le corps du gendarme jusqu’à Ruhengeri où il a été enterré selon le rite musulman.
C’est Claude MUHAYIMANA qui conduisait le véhicule dans lequel ils ont transporté le corps. Le témoin apporte des détails sur le déroulement du voyage qui, d’après lui, n’a pas duré plus de trois jours. On est loin des deux semaines revendiquées par l’accusé.
Audition de monsieur Uzias BAILLEUX, ex-chauffeur du préfet Clément KAYISHEMA.
Chauffeur du préfet au début du génocide, le témoin décide de démissionner de son poste car il ne pouvait pas soutenir les agissements de son patron. Il sera embauché par la suite par les Sœurs de Sainte-Marie de Namur qu’il transportera jusqu’à Mubuga. A son retour, il rencontre les soldats français de l’Opération Turquoise et se mettre à son service pour les guider dans la région, notamment à Bisesero. Au cours de ces journées, il rencontrera le colonel Sartre[4] puis, se sentant menacé, il quittera le pays.
Le témoin a de la peine à retenir ses émotions. Il s’agite à la barre, s’étrangle dans ses sanglots. « Il faut que je parle » répète-t-il. » Et quand je parle, on me menace. Cela fait 20 ans qu’on me menace. »
Sur question du président, le témoin rapporte qu’il a servi plusieurs préfet de la région dont Pierre KAYONDO après avoir été chauffeur de taxi. En 1990, il sera emprisonné quelques jours comme complice du FPR[5]. Clément KAYISHEMA avait été directeur de l’hôpital avant de devenir préfet. Il sera remplacé par le docteur Camille (NDR. Camille KALIMWABO, récemment décédé. Ce dernier accusait le docteur Charles TWAGIRA, directeur régional, d’avoir livré sa femme et ses enfants aux tueurs. Charles TWAGIRA est visé par une plainte du CPCR[6]. L’affaire est toujours à l’instruction.)
Dans son témoignage, le témoin souligne que des rumeurs circulent dès la chute de l’avion. Les trous prévus pour planter les poteaux électriques seraient l’œuvre des Tutsi qui voulaient massacrer les Hutu. Une façon d’exacerber les tensions. Et de citer les noms de grands responsables du génocide dans la région. Uzias BAILLEUX comprend alors que les Tutsi seront massacrés.
Lors d’un déplacement en ville, le témoin demande au Préfet de s’arrêter près de l’hôpital où gisent des enfants. Ce dernier refuse: « Qui t’a chargé des enfants? » rétorque le préfet. Uzias BAILLEUX donne sa démission. C’était le 15 avril. Cette décision va l’isoler. Tout le monde lui dit qu’il ne faut pas parler. Mais c’est plus fort que lui: il ne veut pas se taire. Va commencer pour le témoin une vie d’enfer.
Uzias va rencontrer Claude MUHAYIMANA à Mubuga, alors que ce dernier vient de rentrer de Bisesero pour mettre sa camionnette à l’abri des pierres lancées par les résistants Tutsi. Claude a laissé sur les collines les attaquants qu’il y a transportés.
Le témoin a revu Claude, un soir, au volant de sa camionnette. Les Interahamwe[7] qu’il transportait chantaient des chants de haine ou de victoire.
L’audition portera ensuite sur le meurtre de MASENGESHO pour lequel le témoin n’accuse pas Claude MUHAYIMANA.
L’accusé aurait-il travaillé au service des soldats français de Turquoise[8]? Le témoin répond par la négative.
Uzias BAILLEUX finira par quitter le Rwanda suite à une interview qu’il a accordée à des journalistes de Paris Match. Ne se sentant plus en sécurité, il rejoindra la France. Paris, puis Rouen où il retrouve Claude MUHAYIMANA qui le loge quelques temps. Leurs relations vont s’envenimer suite à une sombre affaire de témoignage que l’accusé lui aurait extorqué. Depuis, le témoin est en butte aux hostilités de nombreux Hutu de Rouen. Trois de ses véhicules ont été brûlés sans qu’il y ait de suite. Il demande d’être protégé.
La défense, prenant la parole en dernier, n’hésitera pas à traiter le témoin de « affabulateur », soulignant ses déclarations contradictoires que l’on trouve dans ses déclarations devant les juges et même dans un ouvrage que Uzias BAILLEUX a écrit.
Il est 21 h30. Monsieur le président suspend l’audience. Rendez-vous est donné au lendemain 9 heures.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
- Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994. Lire également le témoignage de Patrick de SAINT-EXUPÉRY[↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.[↑] - le colonel SARTRE devenu ensuite général a été auditionné le 27 novemebre[↑]
- FPR : Front patriotique Rwandais[↑]
- Lire notre article de février 2018 : Affaire TWAGIRA: le médecin de Rouen revient sur le devant de la scène[↑]
- Ibid.[↑]
- Ibid. [↑]