Procès Claude MUHAYIMANA: jeudi 9 décembre 2021. J14


Audition de monsieur René CYUBAHIRO, témoin cité par le CPCR. En visioconférence.

Lorsque la parole est donnée au témoin pour sa déclaration spontanée (c’est la procédure qui le veut) il va donner son témoignage pendant près de trois heures. On sent en lui une certaine révolte à peine retenue. Il va décrire par le menu les trois mois du génocide. Il avait 11 ans en 1994, mais il en garde beaucoup de souvenirs. Au cours de ses différentes pérégrinations dans la ville de Kibuye, son séjour à l’hôpital et dans la brousse  au cours desquelles il va jouer à cache-cache avec les Interahamwe[1], il évoque les souvenirs de son séjour dans la maison de Claude MUHAYIMANA, rapporte les propos qu’il entendait de la part des tueurs. Il considère l’accusé comme le « président des Interahamwe » dans le quartier.

Après avoir échappé plusieurs fois à la mort, il finira par être pris en charge par les soldats français de l’Opération Turquoise[2]. Il va ensuite être soumis à un feu de questions de la part de monsieur le Président et de la défense. Son récit comporte des contradictions inhérentes à l’éloignement des souvenirs et aux traumatismes que les rescapés continuent à vivre, près de trente ans après. On lui révèle que sa mère a elle aussi été entendue et que son témoignage diffère du sien en plusieurs points. Le témoin précise que sa mère a été suivie en hôpital psychiatrique pour avoir reçu des coups de gourdin clouté sur la tête.  Son témoignage va toutefois permettre de renforcer les soupçons qui pèsent sur l’accusé.

 

Audition de madame Médiatrice MUSENGEYEZU, ex-épouse de Claude MUHAYIMANA.

Entendue mardi dernier, son audition a dû être reprise aujourd’hui car ce jour-là il se faisait déjà tard. Monsieur le Président l’avait interrogée plusieurs heures sur sa famille et celle de Claude MUHAYIMANA.

Monsieur le Président se propose de lire les auditions au cours desquelles elle a été entendue. Elle confirme que Claude MUHAYIMANA recevait souvent la visite d’un Interahamwe[3] de premier rang, le conseiller François NAMBAJIMANA mais elle ne peut dire les raisons pour lesquelles ils repartaient ensemble. De toutes façons, son mari partait le matin et revenait le soir. Il allait « au travail » comme il disait quand sa femme lui posait la question.

Elle a bien vu son mari transporter des Interahamwe dans la voiture de la Guest House: ils passaient devant leur maison en chantant des chants hostiles au Tutsi. A un certain moment, le témoin a fait remarquer à son mari qu’il devrait avoir honte d’aller tuer les Tutsi. Il a continué son « travail ».

L’accusé a-t-il été « forcé » d’aller tuer des Tutsi? Le témoin ne peut l’affirmer. On sent bien que c’est ce point que la défense va vouloir mettre en avant lors de la plaidoirie des avocats.

Madame MUSENGEYEZU va finalement décrire son ex-époux en peu de mots: « C’est un manipulateur et un menteur« . Pas grand chose à rajouter après cet aveu.

Le témoin serait manipulée par les autorités de Kigali? C’est ce que Claude MUHAYIMANA a répondu au Tribunal de Rouen mais il n’en est rien.

Par contre, le témoin va révéler qu’elle est en danger: « J’ai un problème de sécurité. Un groupe dirigé par un certain Augustin KARENGERA me menace. Béatrice GWIZANKINDI fait partie de ce groupe. Augustin et les autres sont des Hutu. Ils disent qu’ils vont tuer un Intore ( NDR: traduisons ici par Tutsi) et qu’ils ne feront pas plus de dix ans de prison. Je suis menacée là où je laisse ma voiture, je la trouve dégradée. Quand on se croise dans les transports en commun, ils m’insultent ». Ils ont même dit que si Claude MUHAYIMANA était condamné, ils tueraient quelqu’un.

Monsieur le Président prend ces déclarations au sérieux et demande au ministère public de suivre cette affaire. L’avocate générale, madame BELLIOT en prend bonne note. Elle transmettra ces menaces au Parquet de Rouen.

Suivront des déclarations sur les biens immobiliers que l’accusé dit posséder à Kigali alors que la maison dont il s’agit a été achetée par son ex-épouse. Tiraillements d’un couple qui se déchire!

Toujours est-il, confie le témoin, que dans la famille de Claude MUHAYIMANA on compte un certain nombre de génocidaires, au grand désespoir de sa mère, semble-t-il.

Maître KIABSKI, avocat du CPCR, fait préciser au témoin que son mari n’a jamais été malade pendant toute la durée du génocide, contrairement à ce qu’il prétend. Faisant référence aux écoutes téléphoniques diligentées au cours de l’instruction, il oblige le témoin à reconnaître que l’accusé conduisait bien des Interahamwe:  » Cela se voyait qu’ils allaient tuer » ajoute-t-elle.

Dans une autre conversation téléphonique, le témoin rapportait les propos de son ex-mari après une altercation qu’ils avaient eue avec elle: « Il ne veut plus entendre parler des Inyenzi[4] ». Allusion au jour où, rentrant un soir en colère, il avait enfermé sa femme et son amie Delphine dans une chambre. A l’arrivée de la police, il avait prononcé cette sentence et avait même ajouté qu’il avait été attaqué par « des escadrons de la mort« . Véritable « accusation en miroir. »

Dans une autre conversation enregistrée lors des écoutes téléphoniques, elle avait déclaré que Claude MUHAYIMANA était quelqu’un qui déteste de tout son cœur tout ce qui est Tutsi. « Il est pire que RUCYAHANA (NDR: un grand tueur). Je me demande comment il a pu avoir des enfants avec moi. » Les mots sont durs.

L’avocate de l’association Ibuka revient à son tour sur une autre conversation téléphonique dans laquelle le témoin se demande s’il serait vraiment opportun de faire entendre sa tante Xavera. En effet, cette dernière avait déclaré qu’elle ne voulait plus venir chez elle parce qu’il y avait des Interahamwe.

Maître GISAGARA interroge à son tour le témoin. Il lui fait confirmer que son mari n’a pas été arrêté en 1990 comme complice du FPR[5]. Elle écoutait en cachette Radio Muhabura ( NDR: la radio du FPR) non par peur de son mari mais tout simplement parce que les autorités l’avaient interdit. Contrairement à ce qu’aurait pu dire la nièce de BONGO BONGO, alors âgée de 5 ans, Claude n’a jamais ramené à la maison des objets pillés. Quant aux révélations concernant la venue du cardinal ETCHEGARAY à Kibuye selon lesquelles on aurait nettoyé l’église et le stade avant son arrivée, c’est dans la rue qu’elle en a entendu parler,  par des Interahamwe. A la dernière question de savoir si elle considérait son ex-mari « coupable de complicité de génocide« , monsieur le Président fait savoir au témoin qu’elle n’est pas obligée de répondre.

Le ministère public interroge alors madame MUSENGEYEZU sur la composition de la maison qu’ils possédaient à Kibuye: trois chambres, un salon/salle à manger, une cuisine, toilette et douche. Par contre, pas une maison à étages.

La défense prendra la parole en dernier, comme il se doit. Maître MATHE cherche à savoir quels amis son mari fréquentait avant leur mariage. Il connaissait très bien un OPJ du Parquet, un certain BARAYATA, « un Interahamwe de haut niveau originaire de Gisenyi. »  L’avocate insiste: le témoin a bien vu passer son mari en transportant des miliciens, et ce plusieurs fois. A la question de savoir si ces transports d’Interahamwe s’étaient déroulés avant ou après son déplacement à Ruhengeri:  » Vous n’avez qu’à le demander à votre client. C’est à lui de le dire. »

L’avocate finit par s’apitoyer sur le témoin qui a été interpellée à 6 heures du matin et entendue toute la matinée. Madame MUSENGEYEZU préfère adresser quelques mots à destination de son mari, probablement pas ceux que la défense aurait aimé entendre :  » Si j’étais à sa place, je cesserais de mentir, je dirais la vérité. J’aiderais les gens qui ont perdu les leurs afin qu’ils puissent les enterrer en dignité. Je demanderais pardon à ceux qui ne connaissent pas les circonstances de la mort des leurs: ça les aurait aidés. Au lieu de dire des mensonges! »

C’est ainsi que se termine l’audience. Monsieur le président donne le programme du lendemain. L’accusé ne sera pas entendu comme prévu car il reste des auditions à effectuer. Il faudra faire le point en début de semaine prochaine.

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

  1. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  2. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994. Lire également le témoignage de Patrick de SAINT-EXUPÉRY[]
  3. Ibid.[]
  4. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. « Glossaire« .[]
  5. FPR : Front patriotique Rwandais[]

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