Procès Claude MUHAYIMANA: jeudi 25 novembre 2021. J4


Audition de monsieur André GUICHAOUA.

Son premier contact avec le Rwanda date de 1979, arpentant les collines du Burundi et du Rwanda. Le témoin participera à de nombreuses négociations régionales et travaillera avec le HCR, le Haut Commissariat pour les Réfugiés.

Le 6 avril 1994, monsieur GUICHAOUA se trouve à Kigali. Il tisse des liens avec de nombreuses personnalités, dont le ministre de l’agriculture qui deviendra ministre de la défense: James GASANA qui mettra à la retraite tous les grands militaires (NDR: dont Théoneste BAGOSORA[1], Laurent SERUBUGA[2] et Pierre-Célestin RWAGAFILITA[3] qui reprendront tous du service en 1994).

Le témoin va centrer ensuite son intervention sur la préfecture de Kibuye et évoquer le souvenir de Seth SENDASHONGA, nommé ministre de l’Intérieur par le FPR et originaire de Kibuye, une préfecture peuplée de nombreux Tutsi mais marginalisée par le pouvoir.

Monsieur GUICHAOUA souligne ensuite le rôle important de monsieur Z,  Protais ZIGIRANYIRAZO[4], frère d’Agathe KANZIGA[5]. Le préfet KAYISHEMA étant une « potiche »,  » un ivrogne notoire », le pouvoir des bourgmestres s’en trouve renforcé. Après l’instauration du multipartisme, tous les par(tis politiques vont se couper en deux: ceux qui restent fidèles aux valeurs de leur parti et ceux qui rejoignent le camp des durs, les Power ou Pawa. C’est ensuite la création des milices qui voit se mettre en place « un ethnisme populaire ».

Un président Hutu est élu au Burundi. Son assassinat quelques mois plus tard va ébranler toute la région et aura des répercutions au Rwanda.

De retour au Rwanda le 4 avril 1994, le témoin se réfugie à l’Hôtel des Mille Collines et négocie avec l’ambassade de France pour évacuer certaines personnes. Au sein du gouvernement intérimaire, trois représentants de Kibuye sont nommés: une femme ministre de la justice qui garantira l’impunité, le ministre des finances qui aura à sa disposition « le nerf de la guerre » et le ministre de la propagande. C’est « la revanche de Kibuye ».

Monsieur LAVERGNE, le président de la Cour d’assise, va lire ensuite des extraits du procès de Clément KAYISHEMA et Obed RUZINDANA. On y évoque « des massacres planifiés », une « production de listes » remises au préfet par les bourgmestres. Le préfet KAYISHEMA va aller jusqu’à demander de nouveaux moyens pour procéder « au nettoyage ». Kibuye va voir défiler de nombreux dignitaires du régime, dont le premier ministre Jean KAMBANDA.

Monsieur GUICHAOUA ne peut que trouver ces propos très cohérents. Il ajoute que le préfet va même au-delà. Il dit qu’on ne tue pas assez de Tutsi. Des Interahamwe[6] de Gisenyi vont être réquisitionnés. Le témoin souligne que les « réseaux de monsieur Z étaient très importants » et que les grandes sociétés nationales ont financé le génocide.

Au hasard d’une phrase, il évoque le rôle d’un certain Pierre KAYONDO qui aurait financé les Interahamwe. Et d’ajouter: « J’avais son dossier en 2002 et personne n’en a voulu ». L’accusé semble bien le connaître mais il ne souhaite pas en parler. Pierre KAYONDO étant visé par une plainte récente du CPCR et une information judiciaire ayant été ouverte, le ministère public demande de ne pas en dire plus[7].

L’évocation de madame Agathe UWULINGIYIMANA, le premier ministre, va provoquer une grande émotion chez le témoin. C’est lui, en effet, qui a permis l’évacuation des enfants de cette dernière. La France ayant refusé de les accueillir, il pourra les conduire en Suisse.

Visionnage de deux courts documentaires: « Confronting Evil » et « Kigali 1994 »

Audition de monsieur Jacques SEMELIN.

Le compte-rendu sera introduit ultérieurement.

Audition du général Patrice SARTRE. Témoin convoqué en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.

Si le général SARTRE a été convoqué par monsieur le Président de la Cour d’assises c’est parce que Claude MUHAYIMANA a fait appel à  lui pour l’aider à obtenir, d’abord, en 2004 le statut de réfugié politique qui lui a été refusé, puis en 2006. sa naturalisation. Sans vraiment le connaître, le général a quand même décidé d’écrire aux responsables de la Cour Nationale du Droit d’asile, puis au préfet de la Seine-Maritime. Claude MUHAYIMANA finira par obtenir la nationalité française en 2010.

Le général SARTRE a motivé sa décision d’intervenir pour ne pas avoir des regrets, plus tard, d’avoir envoyé un homme à la mort, comme l’accusé le prétendait[8].

Projection de la première partie du documentaire « Tuez-les tous »

Alain GAUTHIER

  1. Théoneste BAGOSORA : voir glossaire. Lire également : Mort de BAGOSORA: nous ne souhaitons pas des obsèques en France[]
  2. Laurent SERUBUGA : lire également Attentat contre HABYARIMANA: une note de la DGSE qui accuse BAGOSORA et SERUBUGA[]
  3. Le colonel RWAGAFIRITA (ou RWAGAFILITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France! Voir le glossaire pour plus de détails.[]
  4. Protais ZIGIRANYIRAZO, étonnamment acquitté en appel par le TPIR, est toujours en attente d’un pays d’accueil. Il vit à Arusha, aux frais de la communauté internationale – Voir le glossaire pour plus de détails. []
  5. Agathe KANZIGA : épouse du président HABYARIMANA, plus de précisions dans la liste des personnes poursuivies. Lire également notre article de novembre 2020 : Agathe KANZIGA pressée d’en finir avec la justice? Le CPCR, encore plus! (son appel a depuis été jugé irrecevable) []
  6. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  7. Pierre KAYONDO: lire également : Affaire Pierre KAYONDO: ouverture d’une information judiciaire[]
  8. Lire également le compte rendu de l’AFP dans notre revue de presse : « Au procès d’un Franco-Rwandais, tentatives pour clarifier le rôle de l’accusé au sein de Turquoise« []

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