- Audition de monsieur Damien NZAMWITA, en visioconférence.
- Audition de monsieur Joseph NZAMWITA, en visioconférence.
- Audition de monsieur François MVUYEKURE.
- Audition de monsieur Alphonse RUKUNDO, témoin cité par la défense.
Audition de monsieur Damien NZAMWITA, en visioconférence.
Le premier témoin du jour veux donner des informations sur les faits dans lesquels il a accusé Claude MUHAYIMANA. Et d’énumérer tous les lieux où le génocide a été perpétré: les collines de Karongi et Gitwa, l’école de Nyamishaba, l’église de Kibuye et le Home Saint-Jean, le stade Gatwaro et les attaques à Bisesero. D’après lui, c’est lorsque les assaillants sont enfin revenus avec la tête du Tutsi le plus recherché de la préfecture, Jean-Marie Vianney BIGILIRAMA, que les massacres ont cessé.
Sur questions de monsieur le Président, des précisions seront apportées par le témoin sur son propre parcours et celui de Claude MUHAYIMANA. Il confirme ce qu’il a dit devant les enquêteurs français, sauf sur un point que la défense lui rappelle: à propos des dates de la mort du gendarme MWAFRIKA.
De plus, Maître MEILHAC veut absolument lui faire dire qu’il a rencontré le président du CPCR après sa libération. Le témoin finira par le dire: il n’y a pas de mystère sur ce point. » Un Français cherchait des témoins qui avaient avoué, cherchait des informations sur MUHAYIMANA. J’ai écrit ce que je savais. »
L’audition du témoin se termine sur ces mots.
Audition de monsieur Joseph NZAMWITA, en visioconférence.
Ce témoin qui a fait de la prison a bénéficié de la grâce présidentielle. Il reconnaît avoir participé à une attaque à Karongi. Il raconte un épisode terrible du dossier: la mort, sous les coups de machette de TWAYIGIRA, qui viendra témoigner demain[1], d’une femme, de sa fille et de son petit fils. Le témoin était là. Il évoque ensuite la mort du gendarme MWAFRIKA où il apprend que le chauffeur qui conduisait la camionnette bleue et transportait des chèvres volées aux Tutsi n’était autre que Claude MUHAYIMANA. De qui l’avait-il appris, cherchent à savoir les avocats de la défense qui insistent? L’essentiel n’est-il pas que le chauffeur du camion était bien Claude MUHAYIMANA?
Quand vient le tour de la défense, maître MATHE interroge le témoin. A plusieurs reprises, n’obtenant pas la réponse qu’elle veut, elle insiste et lui repose la même question à laquelle le témoin donne la même réponse. Monsieur le Président fait savoir à l’avocate que sa question « est répétitive » et qu’il voudrait bien qu’elle arrête. « Vous le faites exprès, maître MATHE? Est-ce que je ne vous ai pas dit que votre question était répétitive? » Sans se démonter, maître MATHE répond : « Non, monsieur le Président ». Monsieur LAVERGNE se lève brusquement et suspend l’audience.
A la reprise, maître MATHE tente de se justifier. Le ton devient plus conciliant. L’incident est clos.
Audition de monsieur François MVUYEKURE.
Le témoin, instituteur en 1994, dans sa déclaration spontanée, déclare qu’ayant appris l’attentat contre le président HABYARIMANA, il est resté chez lui comme le demandaient par radio les autorités. Pendant que les gendarmes commencent les tueries, les Tutsi se réfugient en masse à l’église, au Home Saint-Jean, au Stade ou sur les collines alentour. Cette situation aurait duré environ une semaine.
Il évoque ensuite la mort du gendarme MWAFRIKA, tué par une grenade relancée par un résistant. Certains iront jusqu’à prétendre que c’est un infiltré du FPR[2] qui serait l’auteur.
Après les grands massacres dans la ville de Kibuye, les autorités locales organisent une réunion au cours de laquelle les jeunes et les hommes les plus forts sont invités à se rassembler près du Rond Point et à partir pour Karongi. C’est ce jour-là que le témoin voit Claude MUHAYIMANA au volant de la Daihatsu bleue volée à Bongo Bongo. Le témoin a commencé à monter vers les collines mais il décide de rebrousser chemin. Il est plus intéressé par la bière que les autorités servent aux tueurs à leur retour. Il fait partie de ceux qui les accueillent à leur retour. Ces attaques à Karongi ont duré plusieurs jours. Les rescapés sont partis vers Bisesero vers la fin avril. Les tueries sur ces collines dureront tout le mois de mai et au-delà.
Le témoin va préciser que quand le véhicule de Claude partait vers l’Est, on savait qu’ils allaient « travailler », c’est à dire « tuer »[3]. C’était le seul travail de l’époque. De plus, le véhicule de Claude était le seul à transporter des militaires, des civils armés de fusils et de grenades.
Le témoin va répondre le plus précisément possible aux questions de monsieur le Président.
L’intérêt de cette audition réside dans le fait qu’un jour, le témoin a reçu un messager de MUHAYIMANA. Ce messager demandait à monsieur MVUYEKURE de déformer le témoignage qu’il avait déjà donné, en évitant de préciser le rôle de l’accusé. La justice pourrait peut-être ainsi alléger sa peine en cas de procès.
Mêlée à cette affaire, une cousine de l’accusé, une certaine Assumpta qui évoque dans un message adressé à Claude la présence à Kibuye d’Antoinette MUKAMUSONI que MUHAYIMANA avait dépêchée à Kibuye pour, il faut bien le dire, corrompre les témoins. Le témoin la rencontrera d’ailleurs en personne, ainsi que d’autres personnages de l’enquête. Il y a bien eu subornation de témoins. MUHAYIMANA tente de contester la version du témoin. Il faut bien se rendre à l’évidence. Claude MUHAYIMANA devra probablement s’expliquer lors de ce procès.
Le témoignage de monsieur MVUYEKURE varie sur un point. Alors qu’il avait dit, dans une audition précédente, que Claude MUHAYIMANA avait dû être forcé de participer au génocide, il revient sur cette déclaration. « Je dis la vérité aujourd’hui! »
Monsieur le Président suspend l’audience sur ces mots.
Audition de monsieur Alphonse RUKUNDO, témoin cité par la défense.
Un témoin « tombé du ciel ». La journée va se terminer en fanfare. Arrive un témoin connu du seul Claude MUHAYIMANA. Les avocats de la défense se font petits sur leur siège et font des gestes de désespoir.
De quoi s’agit-il en réalité? Un témoin qui vient raconter « son génocide » à Kibuye. A deux reprises, il a vu des voitures venant de Gitesi débarquer leur chargement de chèvres tout près de l’endroit où il habite. Occasion de rapporter une anecdote indispensable à la compréhension de la situation: un chauffeur de la camionnette Daihatsu bleue, qui n’est bien sûr pas Claude MUHAYIMANA, dérape sur la route et se met dans le fossé. Le gendarme MWAFRIKA, dont il apprendra la mort par son employé, faisait partie des passagers. Comme par hasard. Intéressant!
Il nous déroule ensuite son CV. Il est président du MDR[4], modéré bien sûr, du parti de TWAGIRAMUNGU qui, nommé Premier ministre, le fera venir à Kigali dans son cabinet. De retour à Kibuye, commence alors une chasse à l’homme. Notre témoin doit se cacher, embaucher un garde du corps pour assurer sa protection.
Au mois de mai, donc au moment où le génocide bat son plein, des assaillants se rendent chez son père qui cache des Tutsi. Tous les réfugiés tutsi sont assassinés. Son père subira le même sort quelques jours plus tard.
Claude MUHAYIMANA arrive enfin dans cette histoire romanesque. Le garde du corps de monsieur RUKUNDO vient avertir son patron que des assaillants sont venus chez son voisin et ont voulu tuer la femme de Claude, une Tutsi.
Monsieur RUKUNDO se cache jusqu’à l’arrivée des soldats français de Turquoise[5]. Il ira donc rejoindre monsieur TWAGIRAMUNGU à Kigali. Lors d’un retour à Kibuye pour voir sa fiancée, alors qu’il voyage dans un bus, un militaire lui demande de le suivre. Il sera enfermé au cachot avec une cinquantaine de personnes, tabassé de 20h à 24h. Il finira à la prison de Gitarama où il va purger une peine de 5 années. Sans qu’il en comprenne la moindre raison.
Jean de Dieu MUCYO, le ministre de la justice, vient un jour dans la prison de Gisovu pour organiser la collecte d’informations parmi les prisonniers en vue des Gacaca[6]. C’est lui qui est choisi comme Président de ce groupe de prisonniers. Au cours de ces mois de travail, il se rend compte que le nom de Claude MUHAYIMANA n’est jamais prononcé par les tueurs. C’est donc qu’il est innocent!
Enfin, il y a quelques années, notre témoin, qui a rejoint la France via Mayotte (NDR. Ile de l’Océan Indien qui sert de base arrière pour de nombreux génocidaires qui souhaitent venir en métropole. Pascal SIMBIKANGWA et Octavien NGENZI, tous deux condamnés pour génocide, ont fait un séjour à Mayotte), apprend par la télévision que son « ami » MUHAYIMANA vient d’être arrêté. Impossible pour lui qui connaît tous les dossiers de Kibuye. Il devra absolument venir au tribunal « pour dire la vérité ». Il va proposer ses services à Claude MUHAYIMANA. Un coup de fil suffit.
Monsieur le Président LAVERGNE, qui s’est tenu de réagir jusque-là, lui demande s’il a fait des enquêtes. Non, bien sûr.
Les avocats de la défense entrent alors dans la danse. Maître MATHE sort de sa torpeur et lance devant la Cour: « Seule la défense ne prépare pas ses témoins » dans ces assises. Ce qui n’est pas le cas des parties civiles. Le sang de l’avocat d’une partie civile ne fait qu’un tour. Il explose: « Vos propos sont inadmissibles. Je demande à ce qu’ils soient notés par le greffe. » (NDR. Citation approximative).
Maître MATHE se reprend et se voit obligée de modérer ses propos. » Je ne parlais pas des avocats. Tous les confrères font preuve d’une loyauté... » Et d’enchaîner aussitôt: » Je parlais des associations parties civiles, je parlais du CPCR qui prépare ses témoins, s’entretient avec eux avant les audiences. Je le prouverai… » Elle va même jusqu’à parler de « témoins recrutés », une expression que monsieur le Président trouve « injurieuse » pour les victimes. C’est inadmissible en effet.
Ce témoignage est une petite histoire dans la grande. Jamais le témoin n’évoque les massacres sur les collines, à l’église, au Home Saint-Jean, au stade Gatwaro, à Bisesero: le GÉNOCIDE! Effarant!
Quelques questions vont suivre mais le mal est fait. L’avocat du CPCR demande si « ceux qui ne sont pas sur la liste sont innocents »? Le ministère public attire l’attention de la Cour sur le fait que « nous sommes en France: les juges enquêtent à charge et à décharge. L’instruction se fait en amont du procès » »
Comme il se doit, le dernier mot revient à la défense qui, radoucie car monsieur le Président venait de dire qu’il n’avait jamais vu ça dans une Cour d’assises, évoque la collecte d’informations pour préparer les Gacaca[7]. Elle ne posera pas davantage de questions au témoin.
Monsieur le Président suspend l’audience et donne rendez-vous le lendemain à 9 heures pour entendre de nouveaux témoins. Dans une Cour apaisée?
Alain GAUTHIER
- voir le compte rendu du vendredi 3 décembre[↑]
- FPR : Front patriotique Rwandais[↑]
- L’action même de tuer est désignée sous le terme gukora, signifiant « travailler » en kinyarwanda. Cf Focus : Avril – juin 1994 : les 3 mois du génocide – La propagation des massacres : un génocide «de proximité»[↑]
- MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[↑]
- Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994. Lire également le témoignage de Patrick de SAINT-EXUPÉRY[↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.[↑] - Ibid.[↑]