Un génocide pour l’exemple [sic] de Patrice EPSTEIN, avocat de Pascal SIMBIKANGWA et de Octavien NGENZI en appel.
Note de lecture par Alain Gauthier
Le 19 mars 2019
Avant d’aborder le fond, quelques remarques qui me sont inspirées par le titre et la quatrième de couverture.
« En disant la vérité, Fabrice Epstein œuvre pour l’équité. Ce témoignage fort et dérangeant d’un jeune avocat descendant de victimes de la Shoah est une pièce à verser au dossier de l’histoire. Car on ne saurait combattre le mal radical par des faux-semblants. Une exhortation courageuse à la lucidité ».
« Né en 1981, ancien secrétaire de la conférence des avocats du barreau de Paris, Fabrice Epstein compte parmi les défenseurs du droit les plus prometteurs de sa génération ».
Tels sont les propos que l’on peut découvrir en quatrième de couverture de l’ouvrage de Maître Epstein, un avocat « des plus prometteurs de sa génération », qui vient de perdre les trois procès pour génocide auxquels il a participé pour la défense, ceux de Pascal Simbikangwa, en première instance (2014) et en appel (2016) et celui d’Octavien Ngenzi, en appel, le 6 juillet 2018.
Et, comprenne qui pourra, comme il l’a claironné et revendiqué lors de sa plaidoirie dans le dernier procès, « un descendant de victimes de la Shoah » : « Pour moi, ce dossier Ngenzi, c’est difficile, très difficile. Je sais ce que c’est que d’être une victime, je sais ce que c’est que de venir réclamer des corps. Le rôle de la justice n’est pas d’aider la victime à se reconstruire. Moi aussi, j’ai une douleur. Je les connais les camps de la mort. Mon nom, c’est Epstein ! ».
Et d’évoquer la mort des membres de sa famille en Biélorussie. « Ce que je vous dis, c’est sincère. Cette histoire de Kabarondo me dévisage ! […] Un génocide n’appartient à personne, c’est un crime contre l’humanité, un crime de l’humanité. Je SUIS les victimes, je SUIS Octavien Ngenzi ! ».
« En disant la vérité » ? En disant plutôt sa vérité qui, d’ailleurs, n’en est peut-être pas une, sa vérité qui n’a pas été celle des trois jurys d’assisses, magistrats professionnels et citoyens français, qui ont eu à prononcer les sentences.
Le titre. J’ai eu beau réfléchir longtemps pour en comprendre le sens, j’avoue ne pas avoir encore trouvé la clé : Un génocide pour l’exemple ! J’aurais compris Un procès pour l’exemple mais j’ai fini par renoncer. J’ai ouvert le livre et me sont revenus en mémoire les mots que maître Epstein m’a jetés au visage du haut des escaliers de la Cour d’assises de Bobigny, après le verdict du procès en appel de Simbikangwa : « Monsieur Gauthier, vous l’avez eu votre génocidaire ! Mais ce n’était pas le bon ! ». Propos prémonitoires qui annonçaient la publication de ce brûlot, à la veille de la 25ème commémoration du génocide des Tutsi du Rwanda : comme par hasard !
*
Introduction
Cet ouvrage a son origine dans la rencontre que l’auteur, avocat de la défense dans trois procès de génocidaires (qu’il a perdus), a faite à Naples, avec Salomon Malka, le biographe de Levinas : c’est l’élément déclencheur pour Fabrice Epstein, son élément déclencheur. Lui sautent alors au visage ses origines biélorusses sur lesquelles il reviendra dans les derniers chapitres. Occasion lui est donnée de planter ses premières banderilles après le procès en première instance de Pascal Simbikangwa : « Après une longue et stupide instruction […] Simbikangwa a été reconnu coupable sur le fondement de témoignages fallacieux et approximatifs récités par des témoins rwandais bercés dans la science du mensonge par les autorités de Kigali ». Le ton est donné.
*
PARTIE I. – LE CHEMIN
Chapitre 1er. Partir
L’auteur évoque son premier (et unique) voyage au Rwanda lors de ses études de droit, sous la houlette d’un ancien bâtonnier de Pontoise qu’il ne nomme à aucun moment. Il ne voit pas comment il pourrait ne pas se rendre au Rwanda, même si ce voyage est réservé à des étudiants sérieux : il n’a toujours pas digéré la Shoah : « Monsieur, j’ai le sérieux en horreur, c’est une qualité de génocidaire (?). Néanmoins j’ai été une victime, celle de mon éducation, d’une Shoah qui ne passe toujours pas ». Et d’évoquer alors l’attentat contre le président Habyarimana, qui ne revient pas d’Arusha, comme il le dit, mais de Dar-es-Salam, l’ordonnance du juge Bruguière, sa bible en la matière, qui désigne « Kagame et sa bande de coupe-jarrets » comme les auteurs de l’attentat. Pour lui, Kagame est bien évidemment responsable du génocide des Tutsi. S’en suivra la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, rupture qui semblerait avoir retardé son séjour au Pays des Mille Collines.
Chapitre 2. Les mille visages du Pays des Mille Collines
L’auteur raconte son voyage, sa découverte des lieux du génocide : l’église de la Sainte-Famille, Murambi, l’association Ibuka. Toujours sous la houlette de leur guide, il croise une Gacaca, « scène qui emprunte au vaudeville autant qu’à la tragédie » (p. 32). « Devant nous des acteurs, une commedia dell’arte. C’est la seule leçon valable qu’il est possible de tirer ». Leçon qu’il saura retenir et appliquer lors de ses plaidoiries ! Suit alors un jugement sans appel, cinglant : « Au Rwanda, tout le monde ment, prévenus témoins, magistrats, politiques, pour donner l’illusion d’une possible réconciliation […]. La dictature fait son travail, la justice le sien, à l’entier service du politique. Après le génocide, rien n’a été fait pour que le pire ne se répète pas » (p. 33).
Chapitre 3. La Tanzanie pour tribunal d’occasion [sic]
L’auteur veut comprendre, « en visiteur rebelle », pourquoi ce « Tribunal des vainqueurs » est si décrié (pp. 38-39). « Les personnages clés de la justice internationale sont des ambitieux réglés sur les horloges diplomatiques ». Quant aux prisonniers, vers qui semble aller sa sympathie, ce ne sont pas des « présumés génocidaires », mais des « présumés innocents » (p. 40). Ce qu’on peut aisément lui concéder. Il est heureux de quitter Arusha, « la bouche remplie d’aphtes » (p. 40), une manifestation en grande partie psychologique ! Il y aura entendu, lors d’une audience, le nom de Simbikangwa !
Chapitre 4. La statue noire sur le chambranle blanc
Ce court séjour au Rwanda l’aura marqué. Il retrouve son attitude de rebelle, se démarque de tous les autres qui « se foutent de l’Afrique, de la Shoah, du Rwanda » (p. 45). Il confie que « depuis l’enfance, [il a] éprouvé une tendresse pour l’Afrique » (pp. 45-46). Son Afrique à lui, c’est Casablanca, la ville de ses grands-parents où il a passé des vacances. Son Afrique, c’est surtout cette statue noire au-dessus de la porte des toilettes. C’est de là que date son « intérêt pour le peuple noir » [sic] (p. 47). En quittant Arusha, il sait désormais qu’il a du sang noir. Sibyllin, il ajoute : « J’ai cherché l’Afrique, comme je poursuis mon génocide » [sic]. Une vocation est née : « C’est peut-être à ce moment-là que j’ai décidé de défendre un génocidaire » (p. 48).
Chapitre 5. Défendre l’indéfendable
De retour chez lui, Maître Epstein s’ennuie au travail. Il est tellement différent de ses collègues qu’il côtoie dans « les cabinets d’affaires » et dont il dénonce « l’incompétence sereine et la médisance fragile » (p. 50)! Il décide alors de préparer le concours de la Conférence du barreau de Paris (p. 50). Provocateur, il va se pencher sur Les Pamphlets de Céline qu’il souhaite défendre : « Pour pouvoir condamner les livres, il faut les publier […]. Pour les combattre, il faut les discuter. Les livres ne sont pas hors de la loi. Les livres, c’est ce qui fait les génocides » [sic] (p. 50). Il comprendra plus tard que « la défense des pamphlets de Céline n’était rien d’autre que l’antichambre du dossier de Pascal Simbikangwa » (p. 55).
Chapitre 6. La Conférence
D’évoquer dans ce chapitre son expérience d’avocat commis d’office en tant que secrétaire de la conférence. Dans ce statut, il va côtoyer le pire, plaider le doute, obtenir un acquittement dans une affaire difficile.
Chapitre 7. Simbikangwa mis en examen à Mayotte
Fabrice Epstein explique comment il va hériter du dossier Simbikangwa, dans lequel Alexandra (Bourgeot) s’est portée candidate. « Avec Alexandra nous allions entrer dans la longue nuit rwandaise » (p. 67).
Chapitre 8. Premier rendez-vous à la prison de Fresnes
Fabrice EPSTEIN découvre l’univers carcéral et ses affres, les délais interminables pour rencontrer son client. Lors de cette première rencontre, SIMBIKANGWA s’inquiète : « Pourquoi la France me juge-t-elle ainsi comme un chien ? » L’avocat s’interroge à son tour : « Pourquoi la France a-t-elle livré mes grands-parents aux Allemands pour les tuer à Auschwitz ? » Une croisée de destins ?
Chapitre 9. Une histoire du Rwanda
L’avocat va expliquer le peuplement du Rwanda à partir de l’an 1000 avant JC, évoquer tout ce que tout le monde sait. Des Twa, il en fait des « ouvriers et des artisans » (p. 80) ! Évoquant la reprise des combats par le FPR en 1993, il parle en même temps du retrait de l’armée française (p. 84). Pas sûr que l’auteur se soit bien renseigné. Quant à Simbikangwa, il deviendra très vite pour le parquet, selon l’auteur, « un génocidaire programmé dès avant sa naissance » (p. 84).
PARTIE II. – L’INSTRUCTION
Chapitre 1er. La France des génocides
« Je suis un enfant de la France des génocides. Cette position je ne l’ai pas vraiment choisie. J’ai hérité une conscience française, particulière » (p. 87). C’est par ces mots que commence la deuxième partie de l’ouvrage. L’auteur semble jaloux qu’on puisse juger en France des Rwandais pour génocide alors que Barbie, Touvier, Papon et Brunner n’avaient été condamnés que pour crimes contre l’humanité (pp. 88-89) : « Je souffrais mal la différence de traitement », avoue-t-il. Sa judaïté est mise à l’épreuve. Concernant le rôle que la France aurait pu jouer au Rwanda, il ne veut pas penser que « les gendarmes et les soldats français présents au Rwanda de 1990 à 1994 ont entraîné les milices rwandaises qui, par la suite, ont commis le génocide » (p. 91).
Chapitre 2. La construction d’un dossier
Lorsque le 9 avril 2009 s’ouvre une instruction judiciaire contre Simbikangwa, l’avocat justifie à sa façon la décision des juges : « Ce qui avait convaincu les juges de constituer un dossier, ce n’était pas la bienveillance du parquet ou la volonté de sauver les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, mais l’âpreté et la hargne irrépressibles du CPCR » (p. 97). L’association à l’origine de la plainte devient à partir de ce jour sa bête noire et la cible de sa détestation. Le CPCR va peupler ses nuits de ses cauchemars. Lorsque le dossier est transféré à Paris, Maître Epstein commence alors à traiter de menteurs les responsables de l’association : « Les juges parisiens héritaient d’un dossier sous-tendu par les allégations mensongères du CPCR » (p. 98). Le CPCR et « les époux Gauthier » sont étrillés : « Depuis sa création en 2001, le CPCR s’était donné pour but de combattre l’impunité, quitte à reprendre les méthodes supposées de ceux que l’association combattait : l’utilisation du mensonge les passe-droits l’obtention de preuves dans les poubelles s’il le fallait » (p. 99). L’avocat, dans son égarement, va encore plus loin. Il se déshonore et se discrédite : « Emmenée par les époux Gauthier, fruit de la rencontre d’une Rwandaise en quête du père et d’un Français égaré au Burundi, l’association se faisait ouvrir les geôles rwandaises pour recueillir des témoignages particulièrement incriminants contre des Rwandais vivant en France […]. Le CPCR était devenu le bras armé du régime dictatorial de Kigali. Et les juges suivaient » (p. 99).
On ne comprend pas trop pourquoi l’avocat accorde tant d’importance à notre association. Pour lui, « le début de l’instruction était placé sous le signe d’une bienveillante coopération entre les juges français, les autorités rwandaises et le CPCR » (p. 100). C’est nous faire trop d’honneur. De son côté, « Simbikangwa blâmait violemment les méthodes des Gauthier » (p. 104). Désormais, un seul objectif pour l’avocat de la défense, « déconstruire le dossier » (p. 106).
Chapitre 3. A Kesho, on se souvient
Lors des confrontations par visio-conférence, les témoins qui se contredisaient amèneront les juges à prononcer un non-lieu : il ne leur était pas possible de rendre Simbikangwa responsable des crimes commis sur cette colline du Nord. Nous ne sommes pas toujours convaincus de la justesse de cette décision mais l’affaire est jugée. Pour l’avocat, par contre, c’est clair : « Les hommes de Kesho mentent » (p. 113).
Les relations entre l’avocat et les juges se tendent et Fabrice Epstein règle ses comptes : « Un juge d’instruction n’aime pas être dérangé. Encore moins par un avocat. Et lorsqu’il ouvre la porte du cabinet du juge pour s’entretenir avec lui, c’est toujours avec une grande timidité. Malheur, alors, à celui qui ne maîtrise pas la flagornerie. Il faut sourire, se fendre d’un bon mot et surtout s’excuser. Avec les juges, on est servile ou on n’est pas […]. Un juge croit en lui, en son statut, en son substrat. Il est le professeur qui donne la leçon » (p. 114). Édifiant !
L’instruction ouverte contre son client ne serait-elle pas « purement politique, un prétexte pour donner bonne conscience à celles et ceux qui depuis plusieurs années militent pour que des Rwandais hutu foulant le sol français vivent derrière les barreaux d’une prison »? (pp. 115-116).
Chapitre 4. Pôle génocide et crimes contre l’humanité
Dans son historique de la création du pôle, Fabrice Epstein souligne le fait que, pour lui, cette nouvelle institution « accentue la disproportion entre les moyens de l’accusation et ceux de la défense » (pp. 118-119).
C’est Aurélia Devos qui va alors être la cible de l’irrespect de l’avocat. D’ailleurs, « Simbikangwa la déteste ». Quelques lignes plus haut, Fabrice Epstein venait de dire que son client l’appréciait, l’estimait. Allez comprendre.
L’avocat de la défense dénonce le fait qu’on veuille un procès pour la 20ème commémoration. Il conteste le fait que son client soit renvoyé devant la Cour d’assises avant même la publication de l’OMA (ordonnance de mise en accusation des juges). Il parle d’une « instruction curieuse partiale, politique, parfois incompréhensible, toujours inégalitaire » (p. 123).
Finalement, Simbikangwa sera jugé pour complicité de génocide.
Chapitre 5. Premier procès
Il se déroule du 4 février au 24 mars 2014. Epstein exprime son courroux : ce procès aura lieu juste avant les commémorations. La condamnation de Simbikangwa sera un cadeau fait à Kigali. De plus, l’avocat conteste qu’on puisse décider l’enregistrement du procès : « Cette faculté d’enrichir les archives nationales ne me plait pas beaucoup », avouera-t-il (p. 128). C’est pour lui « une attaque en bonne et due forme de la présomption d’innocence ». Enregistrer le procès voudrait dire que la condamnation est certaine !
Chapitre 6. Les préparatifs
Dans ce chapitre, l’avocat de Simbikangwa va nous livrer une série de portraits à la manière de La Bruyère, avec le talent en moins. Tout le monde en prend pour son grade.
Olivier Leurent, le président, qui « prépare son costume. La comédie française est proche du palais de justice. Il a toutefois la réputation d’être répressif, il est respecté et craint » (p. 123).
Bruno Sturlese, l’avocat général : « Habitué des cours d’assises cherchant du regard autant les journalistes que la vérité, courant après le bon mot qui l’a dépassé depuis longtemps […]. Qui sait toutefois rendre des services et n’est pas dénué de bonté » (pp. 131-132).
Aurélia Devos (il y revient) : « Elle sent l’intrigue et l’eau de Cologne, aime le travail pour ce qu’il n’est pas [?], est appliquée, acharnée et consciencieuse ». Tout de même.
Il présente le CPCR comme la partie civile qui « avait donné le début de la chasse à l’homme ». Les autres associations, « elles avaient suivi » : même but, la condamnation d’un génocidaire. Associations qui deviennent sous sa plume « des chiens enragés qui s’apprêtent à se jeter sur une victime » (pp. 132-133).
Les avocats des parties civiles ? « Ils sont nombreux, se ressemblent physiquement, se comportent de façon similaire et certains, en secret partagent la légère frustration de ne pas être du côté d’une défense qu’ils s’acharnent pourtant à dénigrer. A l’approche du procès, ils se sentent importants, ne peuvent dissimuler une excitation légitime. Parfois certains oublient qu’ils ne sont que les messagers de leurs clients » (p. 133). Epstein a la prudence de ne citer aucun nom !
Le reste du chapitre est consacré à l’organisation du procès : un procès d’assises pour les nuls ! Un procès qu’il ne peut toutefois s’empêcher de présenter comme un « combat inégal » : « Ce sont les voitures de course contre les chaises roulantes » (p. 135).
La défense aura du mal à trouver des témoins à décharge, que ce soit des témoins des faits ou des témoins de contexte. Il finira par convaincre Filip Reyntjens de venir à son secours. Quant à Thierry Cruvelier, auteur du Tribunal des vainqueurs, il finira par renoncer à le faire citer.
Utile de rappeler à l’auteur que le procès des « quatre de Butare » aux assises de Bruxelles s’est déroulé en 2001 et non en 2011 (p. 139).
Chapitre 7. Ensemble
Naissent alors de nouvelles relations entre l’accusé et son avocat. Simbikangwa ne s’appellera plus que Pascal. Epstein redoute le comportement de son client qui, « lorsqu’il parle trop peut dire n’importe quoi » (p. 146). L’homme de loi va alors chercher à « humaniser Pascal ». (p. 146). Pour lui, Pascal est « toujours innocent » (p. 147) et, pourtant, il a toujours peur que son client ne le « débarque ». Il ne sera rassuré qu’à la veille du procès : « Maître je suis heureux, vous semblez maîtriser de plus en plus le dossier ». Leur idylle peut se poursuivre.
PARTIE III. – LE PROCES
Chapitre 1. Le lieu, les masques et les robes
De nouveau, la Cour d’assises pour les nuls et de nouveau une attaque en règle du CPCR : « Dans quelques minutes il faudra commencer à jouer. Tout le monde a peur. La partie civile qui compte au procès de Pascal Simbikangwa, on l’a dit c’est le CPCR. Le collectif est avalé par le couple Gauthier, les époux qui ne s’aiment qu’au travers du combat aveugle de la traque des génocidaires. Je n’aime pas le CPCR. J’ai besoin de preuves pour détester. Depuis quatre ans, je ramasse les grossiers témoignages de leur haine, les viles réflexions de son fondateur, les élucubrations de leurs gentils accompagnateurs. Plus que tout, le CPCR dénie toute humanité à l’accusé ainsi qu’à ses avocats. C’est un drôle de combat que de vouloir ressusciter les morts alors qu’on est incapable de respecter les vivants. Les autres associations suivent. Elles regardent les époux Gauthier avec les yeux de l’amour » (p. 153). Rien que ça ! (C’est moi qui met des extraits en caractères gras pour souligner l’inanité des propos)
Le public ? « Le troisième homme, l’opinion, parfois ennemi public. Habituellement composé de curieux maniaques qui apprécient tel avocat, tel président de cour d’assises, soutiennent un accusé ou une partie civile au procès Simbikangwa, une foule de compulsifs du Rwanda, hantés par la politique française et contestataires qui cherchent l’occasion de retourner leur colère contre un autre que soi » (pp. 154-155). Un seul échappe aux foudres de l’avocat : lui-même !
Les auxiliaires de justice n’y échappent pas non plus. Ce dernier critique le pouvoir du président, auquel il ne peut prétendre s’en prend encore à la partie civile qui singerait ses attitudes (p. 155). Ce monsieur ne supporte pas grand-chose alors que lui-même ne recule devant aucune provocation.
Le chapitre se clôt sur un éloge des jurés, « la beauté de la justice populaire » (p. 156). Mais lorsque l’huissier demande de se lever à l’entrée de la Cour, il sera le seul à ne pas se lever. Le rebelle !
Chapitre 2. Le premier jour
L’auteur explique le fonctionnement de la Cour d’assises, le tirage au sort des jurés : le premier est systématiquement récusé par la défense, « par stratégie, par tactique » (p. 158). Aux assises, seul le président connaît le dossier ; tous les autres acteurs le découvriront au fil des audiences.
Fabrice Epstein commence par s’élever contre la présentation du dossier par le président. Il le trouve trop accusatoire ! Comment pourrait-il en être autrement ? « Les accusations sont fausses » colère l’avocat (p. 162). Contre toute évidence – surtout depuis les derniers rebondissements –, il ne supporte pas qu’on attribue l’attentat contre Habyarimana à des extrémistes hutu. Pour lui, rien de nouveau depuis l’ordonnance du juge Bruguière ! Pire, « le président a fait d’un présumé innocent un présumé coupable. » Epstein réduit le génocide à « un massacre entre gens de même culture ». Ne serait-ce pas pur négationnisme ? Il ne supporte pas non plus, et il le répétera plus loin, qu’on puisse comparer le génocide des Tutsi à la Shoah. Le président Leurent, par sa lecture, aurait « empoisonné la source auprès de laquelle les jurés s’apprêtent à étancher leur soif de justesse » (p.163). C’est méconnaître le rôle du président d’une Cour d’assises. Le procès aura lieu malgré tous les efforts qu’il fera pour l’en empêcher.
Jugé par une juridiction française, alors qu’il aurait pu l’être par le TPIR ou par le Rwanda (mais la Cour de cassation a refusé de l’extrader), Simbikangwa, comme le demandait son avocat, aurait-il dû « bénéficier de droits renforcés lui permettant de mener à bien sa défense » ? (p.166) C’est l’avis de son avocat. Et ce dernier de se plaindre de la faible rémunération des avocats commis d’office (1 200 euros). Il a raison de dire que « c’est dérisoire en comparaison des honoraires perçues par les avocats du TPIR » (p. 166). Il tempête aussi contre le fait que la défense n’ait pas été associée à l’instruction faite par les juges au Rwanda : « Dans ces conditions, la preuve recueillie doit être regardée avec scepticisme, voire méfiance » (p. 166). Devant ce qu’il considère comme une inégalité des moyens, Fabrice Epstein voudrait bien faire capoter le procès car son client serait « victime d’une injustice internationale ». Les magistrats feront connaître leur délibéré : « L’énoncé est clair. Il est trop tard pour venir se plaindre des irrégularités d’une procédure passée » (p. 170). Le procès aura bien lieu.
Chapitre 4. La politique a rendez-vous avec l’histoire
Dans un tel procès d’assises, interviennent d’abord, pour éclairer les jurés, ceux que l’on appelle les « témoins de contexte », ceux que Fabrice Epstein dépeint comme des « intellectuels qui portent des chemises à carreaux, des vestes en tweed, des pantalons de velours côtelés et des chaussures anglaises » (p. 171), « des prétendus intellectuels » qui lui posent problème, des intellectuels qui, « pour la plupart sont des militants déguisés en professeurs » (p. 172). L’avocat s’étonne même qu’ils puissent prêter serment de dire toute la vérité, alors que la vérité ils ne la connaîtraient que dans les livres (pp. 173-174).
Chacun leur tour, de Jacques Sémelin, en passant par Stéphane Audoin-Rouzeau, Hélène Dumas et Jean-Pierre Chrétien, tous, à quelques nuances près, tomberont sous les coups de l’avocat de la défense. Aucun ne trouve grâce à ses yeux.
Sémelin a osé dire que « le génocide des Tutsi relevait du même processus que la Shoah » Epstein a « l’impression qu’on lui crachait à la figure » (p. 174). L’avocat ne partage pas l’analyse du témoin. Dans son aveuglement ou son ignorance, il fait dire à Jacques Sémelin : « Il n’y a pas de négationnisme sans génocide », ce qui n’a évidemment aucun sens. Pour lui, il n’y a pas eu de préparation du génocide des Tutsi. Le génocide ne commence que le 12 avril 1994 avec la formation du gouvernement intérimaire ! Et ceux qui sont morts avant, ce ne sont pas des victimes du génocide ?
Stéphane Audoin-Rouzeau déclenche aussi ses foudres. Il lui reproche « sa façon de minauder avec le président, sa bonne éducation bourgeoise, la mèche toujours ordonnée et le ton professoral » (p. 174). Comme le témoin avoue ne pas être un spécialiste des génocides, Epstein se demande ce qu’il fait là. Il ne supporte pas que le témoin évoque les femmes dont on coupe les organes génitaux, les enfants violés, les bébés piétinés (p. 178). La guerre est désormais déclarée entre les deux camps : Simbikangwa n’est pas poursuivi pour ces crimes atroces. Audoin-Rouzeau ne serait « qu’un expert de l’accusation » (p. 179). Il veut donner des coups ? Il en recevra à son tour.
Hélène Dumas est une élève d’Audoin-Rouzeau, elle ne s’en cache pas (elle est surtout, au départ, une élève de José Kagabo dont l’auteur ne dit mot) : « Elle connaît le Rwanda mieux que son directeur de thèse. Elle est intelligente, a réfléchi au “génocide des villages”. Ce qui la passionne, ce sont les Gacaca » (p. 180). Il lui reconnaît des qualités : « Elle a louablement construit une pensée des victimes, mené courageusement un travail de reconstitution des mémoires, des enfants qui ont vu et survécu à une telle atrocité… » (p. 181). Toutefois, « elle s’exprime comme une enfant effrayée par le constat triste que lui offre le monde » et l’avocat se demande « si la cour est le lieu pour recevoir l’expression de son désarroi » (p. 181). Pour lui, « on est dans le hors sujet, dans l’émotion à bas prix ». Simbikangwa est absent de son témoignage.
Quant à Jean-Pierre Chrétien, « c’est par le Burundi qu’il a envahi le Rwanda » (p. 182). Reproche lui est fait d’assimiler Simbikangwa au journal Kangura, alors que les juges n’ont pas réussi à le prouver, de rappeler « les actes de torture » de son client, « des faits qui sont prescrits » (p. 182). Epstein ne veut pas qu’on fasse de son client « un idéologue raciste ». Monsieur Chrétien est « malhonnête » dans le portrait qu’il fait de l’accusé car il le fait « sur la base d’aucun élément sérieux » (p. 185). Le témoin aura beau dire que ce n’est pas lui qui a écrit le chapitre incriminé dans l’ouvrage collectif sur Les médias du génocide, l’avocat est sans pitié : « L’homme veut qu’on lui fasse crédit de son âge. Je ne suis pas banquier » (p. 185).
Chapitre 5. Psychologue de cour d’assises
Reste à Fabrice Epstein à régler ses comptes avec madame Sironi-Guilbaud, la psychologue invitée à témoigner. Quelques remarques assassines : « Quelques mois lui suffisent pour rédiger un rapport. C’est étonnant parce que son rapport, en réalité, est prêt depuis le premier jour » (p. 190). « Le rapport est, en définitive, un acte d’accusation ». Pour le témoin, « Simbikangwa est un criminel contre l’humanité type, à l’instar des célèbres bourreaux nazis, cambodgiens, turcs et serbes » (p. 191).
L’avocat est déterminé à déstabiliser l’experte lors du contre-interrogatoire. Il veut mettre un point d’honneur à la décrédibiliser : ce sera son « chef-d’œuvre ». Il a donc convoqué ses proches « pour qu’ils admirent cette mise à mort théorique » (p. 192).
Pendant la prestation de la psychologue, « l’envie [lui] prend de lui sauter à la gorge, fouiller son cerveau et découvrir, ébahi, qu’il ne contient qu’un moulin à eau qui tourne sans discontinuer » (p. 193). « Coupez-lui la parole, je me charge de la langue », se met-il à penser. Il fulmine intérieurement : « Partez madame, partez, c’est vous qui méritez la perpétuité, qu’on interdise vos livres » (p. 195). Epstein vient d’épingler une nouvelle prise à son tableau de chasse.
Chapitre 6. A Kigali, l’horreur du génocide
L’avocat questionne : « Simbikangwa est-il un sauveteur-tueur ? Ou un juste comme il le revendique ? Qu’en disent les témoins ? » (p. 197). D’évoquer alors longuement la situation de Kiyovu des riches où habitait son client. Pascal Gahamanyi, qui est resté chez son voisin de client pendant toute la durée du génocide et qui est censé le défendre, se révèle être un témoin accablant pour l’accusé.
Et ce Martin Higiro qui « arbore une jolie bedaine qui prouve qu’il mange relativement bien », il ment aussi particulièrement bien (p. 203). Même Béatrice, qu’il a fait citer, se retourne contre son client. Damnation ! C’est éprouvant d’être avocat de la défense !
Et l’avocat de conclure : « L’écriture du génocide de Kiyovu par les rescapés, c’est le nouveau monde qui passe la corde au cou de l’ancien Simbikangwa, le propriétaire terrien massacré par ses serfs » (p. 205). Imagé mais peu efficace.
Chapitre 7. La maison hantée
Epstein conteste les témoignages des gardiens du quartier : « Ils mentent, pleurent, coupent, s’arrangent, s’affairent. La plupart d’entre eux purgent une peine. C’est la première fois qu’ils quittent leur pays. Ils ont un air comique. C’est plein d’émotion qu’ils s’expriment devant la cour. Aucun n’est crédible et on s’aperçoit aisément qu’ils ont été préparés. Les gardiens dressent un portrait terrible de Pascal Simbikangwa » (p. 208).
Il évoque ensuite les problèmes de la traduction, ce que les parties civiles qui comprennent le Kinyarwanda soulignent aussi.
L’avocat « commence par se demander si ces pauvres hères ne viennent pas condamner Pascal Simbikangwa contre de l’argent » (p. 209). Et c’est bien connu : « Le faux témoignage fait figure d’industrie au Rwanda » (p. 210). Epstein reconnaît au détour d’un paragraphe que l’avocat général le rappelle à l’ordre vertement car il terrorise le témoin en lui tournant autour : « Ces méthodes de contre-interrogatoire, elles sont dignes du grand banditisme. Vous mettez une pression considérable au témoin, vous êtes beaucoup trop proche, vous lui faites peur » (p. 211). Fabrice Epstein ironise dans son livre : « Je dis à l’avocat général qu’il peut descendre de son estrade s’il souhaite me voir de plus près et constater, de ses propres yeux, que mon physique est agréable. Le président suspend » (p. 211). Personnellement, pour avoir été présent à toutes les audiences, je n’ai pas souvenir que l’avocat ait tenu de tels propos, mais actons que c’est ma mémoire qui défaille. J’ai toutefois l’impression qu’il en rajoute un peu et qu’il se donne le beau rôle du rebelle !
Maître Epstein ne peut s’empêcher, une nouvelle fois, de s’en prendre à l’association Ibuka : « Au Rwanda, même les associations mémorielles sont suspectes. Elles forment les témoins à mentir pour faire accuser des personnes que le gouvernement considère comme des ennemis » (p. 212).
Chapitre 8. Des Pinocchio pour témoins
Simbikangwa a-t-il commis aussi le génocide dans sa région d’origine, dans la préfecture de Gisenyi ? Des témoins l’affirment mais leurs témoignages révèlent des incohérences. L’avocat de la défense a beau jeu de débusquer leurs mensonges. Personne ne peut affirmer où se trouvait l’accusé les 7 et 8 avril 1994. Lui prétend qu’il est resté à Kigali. Soit. Seul son avocat en est convaincu.
De toutes façons, le génocide n’a pas été planifié se plait à rappeler l’auteur. Il n’y a pas eu de réunions de préparation du génocide. Pas d’escadron de la mort non plus, dont on dit que Simbikangwa aurait été membre (p. 222). On ne comprend pas trop la position de l’auteur à la fin de ce chapitre : « Le génocide des Tutsi a été exécuté par un noyau dur de Hutu extrémistes qui avaient tout à perdre si les accords de paix négociés et signés en 1993 devaient trouver à s’appliquer. Pascal Simbikangwa ne faisait [pas] partie de ce noyau et rien ne prouve que ce noyau a préparé, à dessein, le génocide des Tutsi au Rwanda » (p. 222).
Chapitre 9. Le Rwanda, une passion française
L’auteur rapporte un incident qui n’aurait pas dû en être un. Rencontrant madame l’avocate générale les bras chargés de dossiers, il s’étonne qu’elle ne lui serre pas la main. « Maître, vous voyez bien que j’ai les mains pleines », s’excuse madame Devos. « Cela compense votre cerveau » pense-t-il. Il n’aura bien heureusement pas la goujaterie de le lui dire, mais il l’a pensé et il ose avouer. Il poursuit : « Je ne pensais pas qu’une telle bêtise pouvait franchir la muraille de ses dents » (p. 223). Et d’en tirer la conclusion : « C’est que madame l’avocat général ne supporte pas, elle aussi, l’idée que Simbikangwa puisse être défendu. Ne pas serrer la main des avocats, la suffisance du parquet qui croit encore que les maladies graves se transmettent par la peau » (pp. 223-224). Ridicule !
Lors d’une audience, mais je ne crois pas que cela se situe à ce stade du procès, intervient Jean-François Dupaquier. Il déclare avoir eu entre les mains les originaux de L’indomptable Ikinani, journal auquel l’accusé aurait prêté son concours. Le témoin, à son tour, va s’attirer les foudres de l’avocat de la défense, lui qui ose affirmer qu’il n’y a eu que le génocide des Tutsi, lui, « le justicier, le flic de la morale, qui pourchasse les prétendus génocidaires vivant en France avec les méthodes du Guépéou » (p. 225). Rien que ça. Il demande à être cru sur parole, ce que lui conteste Epstein. Lorsque le témoin répond qu’il « [se] sent comme les déportés qui sont revenus d’Auschwitz, parqués dans le hall du Lutetia. Personne ne les croyait » (p. 226), le sang de l’avocat ne fait qu’un tour, il lui hurle à la figure : « Vous êtes un abruti. Dire cela à un petit-fils de déporté ! ». De conclure : « Dupaquier avait rouvert mon cas de conscience » (p. 226). Il est vrai que faire le ménage dans son passé est probablement plus important que la défense de Simbikangwa. Epstein a des choses à régler avec son histoire personnelle.
Avant, il doit une dernière fois s’en prendre aux Gauthier, ses bêtes noires.
Chapitre 10. La fin
« J’ai écouté les parties civiles. C’était un moment curieux. Alain et Dafroza Gauthier ont pris le micro. Alain Gauthier ressemble à un proviseur de lycée, ce qu’il a pu être auparavant. Il est impulsif, blanc, français, rémois, un pur produit de la région Champagne. Il fait attention aux mots qu’il prononce, c’est le génocide des Tutsi et non des Hutu modérés. Gauthier regrette que Simbikangwa n’ait pas un mot pour ses victimes, qu’il soit froid et malhonnête, qu’il se défende avec le dossier, les cotes, les interrogatoires, les contradictions, non avec le cœur. […] Il dit que la France n’est pas parfaite, qu’elle a trop attendu pour rendre justice aux victimes. Simbikangwa mérite la perpétuité pour ses crimes atroces » (p. 227). Je ne suis pas sûr qu’il m’ait bien écouté, tout à sa détestation.
« Sa femme parle à son tour. Dafroza Gauthier est une combattante. Elle souhaite réciter un poème, non quelques strophes ». Là encore, je crois qu’il brode, c’est moi qui ai lu un extrait de La Conscience de Victor Hugo!. « C’est émouvant, avec un petit quelque chose de faux. Elle plaide, raconte la mort de sa maman, c’est terrible. Elle répète que, bien avant le génocide, Kigali avait été verrouillée. Les Tutsi étaient faits. Ils attendaient la mort. […] Elle remercie ses avocats, les autres associations […]. Son discours est injuste. Elle veut une condamnation française, la justice, elle n’en a cure. […] Sa voix déraille. Elle a fini de parler. Je ne comprends pas leur combat et suis effaré par leur prétention. Ils pourraient vendre des voitures sans moteurs et des procès sans accusés [sic]. Les médias les intéressent. Ils ont l’impression de compter. Après avoir entendu leurs palabres, je caresse l’envie de créer une amicale des génocidaires » [sic] (p. 228). C’est moi qui surligne. Chacun appréciera.
« Leurs avocats, ensuite, prennent la parole. Ils sont semblables aux poètes des rues, leurs mots nous touchent mais c’est seulement leur attitude qui est poétique. […] Le propos est inaudible, le but est atteint, il n’a rien à dire mais il est attendrissant. L’autre a parlé avec des soubresauts dans la voix. C’est dans le goût du jour » (pp. 228-229). Une nouvelle fois, pas sûr que nous n’ayons entendu la même chose. En tout cas, c’est leur plaidoirie que les jurés suivront, pas la sienne.
Vient le tour du parquet. « Le parquet a annoncé une messe catatonique en trois temps » (p. 229). J’ai recours au dictionnaire pour pouvoir comprendre : « Discours psychiatrique caractérisé par une alternance d’inactivité psychomotrice complète et un comportement violent hyperactif, sans raison apparente ». Ou encore, « sorte de schizophrénie caractérisée par des périodes de passivité et de négativisme alternant avec des excitations soudaines ». On se sent tout de suite plus intelligent. Et encore !
Trois temps donc : « une présentation du contexte, la participation de Pascal Simbikangwa, le choix de la peine et sa justification » (p. 229). Epstein ironise sur le fait que « l’avocat général bégaye lorsqu’il prononce les noms rwandais, inverse les voyelles et les consonnes. […] Tout le suc du procès extraterritorial se résume en cette impossibilité pour l’accusateur certifié par l’Etat de prononcer correctement les noms et les prénoms » (p. 229). Tout le monde aura compris que la plaidoirie de l’avocat général ne peut se résumer à cette caricature.
Aurélia Devos, « elle n’a pas autant de distinctions que lui. Elle attendait ce moment depuis trop longtemps. Elle désirait que les jurés marchent avec elle dans les rues de Kigali, des quartiers éloignés, au plus proche, de Nyamirambo à Kiyovu, du siège de la RTLM au domicile de Pascal Simbikangwa, de Valérie Bemeriki à George Ruggiu, de la famille Gahamanyi aux gardiens » (p. 229). Elle renonce à retenir les faits relatifs à Gisenyi, ce qui confirme Epstein dans son idée que tous les témoins ont menti.
L’avocat général reprend la parole. « Comme il s’apprête à évoquer la peine, Bruno Sturlese […] fixe le premier étage où les journalistes le regardent et, alors qu’il lève le bras pour s’adresser à la cour, fait maladroitement tomber ses papiers. Les spectateurs n’osent pas rire » (p. 230). Il n’y a pas de quoi rire ! Bruno Sturlese demande la requalification : Simbikangwa devra être jugé pour génocide, comme auteur principal et non comme un simple complice. « Il réclame la perpétuité » (p. 331).
PARTIE 4. – L’EXIL
Chapitre 1er. Après la plaidoirie
Epstein n’est pas satisfait de sa plaidoirie, et il a raison. Non seulement il a trop voulu démontrer qu’il n’y avait pas de plan concerté dans l’exécution du génocide (c’est l’erreur qu’il reconnaît) mais il s’est surtout cru sur une scène de théâtre qu’il a arpentée de gauche à droite. Bien mal lui en a pris. Les jurés ne le suivront pas. « Dire à la cour d’assises de Paris, il n’y a pas de plan concerté dans ce dossier, cherchez-le, mais vous ne le trouverez pas, pensez le problème dans tous les sens, vous ne pouvez donner au génocide des Tutsi les habits d’un génocide en droit français, je reconnaissais que c’était audacieux. Mais, au moment de le dire, de le plaider le timbre haut, de l’assumer, j’en avais été incapable. Pire, ma mémoire avait fait l’impasse sur cette partie de la plaidoirie, un moment important, décisif. Je ne m’expliquais pas ce brusque revers. Je n’étais pas arrivé à prononcer le mot génocide, dans l’absolu, à le discuter, le desceller, le dépecer, jouer avec le texte du code pénal » (p. 237). Le mot « dépecer » est peut-être mal choisi !
En colère, refusant de répondre aux journalistes, il se réfugie à la brasserie où, en face du palais, il avait ses habitudes. « Je suis blanc comme un linge polonais (sic) et je m’assure que mon tonic comporte le lot de bulles suffisant[e]s pour ne pas gâcher le goût des quelques gorgées de gin que mon corps réclame » (p. 237). Comme un linge polonais ! Sans commentaire.
A un journaliste qui a fini par le rejoindre, il avoue que le président, « depuis le 3 février, veut se faire l’accusé » (p. 238). Ce mauvais mot, qu’il trouve « vulgaire », finira par arriver aux oreilles du parquet qui aurait pu le poursuivre pour « outrage à magistrat ». Il n’y aura pas de suite. « Le président de la cour, plus malin, s’en servit pour montrer aux jurés que je lui faisais un procès d’intention. Je n’aurais pas pu mieux faire pour lui accorder une légitimité plus grande » (p. 238).
Le lendemain, comme le veut la loi, Simbikangwa aura la parole en dernier. Il demande aux jurés de le reconnaître innocent après avoir dit « sa tristesse pour les victimes, pour le Rwanda qui, en fabriquant des témoins, ne peut prétendre à la réconciliation ». La Cour va se retirer pour délibérer. « La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : avez-vous une intime conviction ? » (p. 239).
Chapitre 2. Le délibéré
Le verdict tombe : « Simbikangwa est reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité perpétrés à Kigali » (p. 241). Il est condamné à 25 ans de réclusion criminelle. « L’audience est suspendue, définitivement levée. On baisse le rideau sur le premier Rwandais jugé en France pour génocide. Les dossiers de la procédure sont encore dans la salle, inanimés. Simbikangwa “dépucelait”, judiciairement bien sûr, la loi du 22 mai 1996 et la compréhension de l’infraction de génocide » (p. 242).
Devant la salle, dans le plateau correctionnel, « les journalistes se bousculent. Il y a même des étrangers. C’est une décision historique. Une occasion manquée par la justice de montrer du courage, de se distinguer du politique, de ne pas faire de morale » (p. 242). Fabrice Epstein s’offusque de ce que les parties civiles ne cachent pas leur satisfaction et surtout que des applaudissements accueillent les époux Gauthier à leur sortie. « Elles [les parties civiles] ont applaudi à la condamnation d’un homme. Pourquoi pas après tout. Plus rien n’a de sens. J’ai mal, je trépigne, je sens comme un clou qui, au fond de ma gorge, a été mal accroché et auquel est suspendue une pancarte. En lettres majuscules, il est écrit : “Je hais les institutions judiciaires, elles sont toujours trop tièdes” » (pp. 242-243).
L’avocat de Simbikangwa peste, il trouve la décision de la Cour d’assises « incompréhensible, inaudible pour la défense, mais également pour les autres parties au procès ». Si Simbikangwa est coupable, c’est la perpétuité qu’il méritait ! « La décision de la cour d’assises de Paris n’honore pas la France des Lumières » (p. 243).
« Je croise Alain Gauthier. Je lui dis qu’il peut être rassuré, il le tient enfin “son” génocidaire. J’ai fini par dire ce que je pensais. Pour le CPCR, Simbikangwa ne comptait pas, seule cette décision de justice avait de l’importance » (pp. 243-244). Sauf que cet épisode ne s’est pas produit en première instance, mais à Bobigny, lors du procès en appel. En montant les escaliers qui mènent à la sortie du tribunal, Fabrice Epstein s’est retourné vers moi et a claironné : « Monsieur Gauthier, vous l’avez eu votre génocidaire, mais ce n’était pas le bon ! ».
La défense fera bien sûr appel. On sait depuis que la condamnation a été confirmée en 2016. Réquisitionné par la famille Ngenzi pour son procès en appel, Maître Epstein, malgré son talent et sa renommée, ne pourra empêcher son client d’être à nouveau condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Depuis ce jour, loin de la Cour d’assises, Fabrice Epstein pense à Pascal : il peuple ses nuits. Plus, il le renvoie à sa propre histoire, celle qu’il n’arrive pas encore à digérer. Dans les huit derniers chapitres dont je n’éprouve pas la nécessité de parler, l’avocat qui se sent « rwandais, ou bien français, ou polonais », « plus très sûr de ce que recouvrait [son] identité » (p. 245), il veut savoir d’où il vient, qui il est, « car ce procès avait été aussi une affaire d’identité » (p. 247). Il doit tenter de se réapproprier un nom qui lui a posé tant de questions auxquelles il n’a pas trouvé de réponses. En appel, théâtral, il hurlera devant le jury médusé : « Je m’appelle Epstein ! ». Finira-t-il par assumer et comprendre ses origines ?
Dans une annexe (pp. 279-304) Fabrice Epstein nous livre le texte de sa plaidoirie, plutôt peut-être celle qu’il aurait voulu prononcer dans la mesure où, à aucun moment, il n’a consulté de notes. Et il n’est pas sûr qu’il corresponde en tout point au compte-rendu qu’en a fait une amie sur le site du CPCR!
Fabrice Epstein aura-t-il retrouvé la sérénité en retournant sur les traces de son passé, à l’occasion du procès de Pascal Simbikangwa? En s’en prenant de façon souvent indigne à tous ceux qui ne sont pas lui, a-t-il pu faire la lumière sur une histoire qu’il a du mal à assumer? On peut en douter, mais lui seul a la réponse.