Un procès dû à l’infatigable constance du CPCR
L’audience s’ouvre sur la plaidoirie de Me PHILLIPART rendant hommage au CPCR, dont elle « a l’honneur de porter la voix » et à Dafroza et Alain GAUTHIER, sans lesquels ce procès n’aurait pas eu lieu, eux qui, tout au long de ces vingt dernières années ne se sont jamais découragés, menant un travail titanesque de collecte de témoignages face à une justice française débordée (avant que le pôle génocide ne soit créé, les plaintes pour crimes contre l’humanité étaient suivies par des magistrats instructeurs en charge de dossiers de droit commun), mais aussi une justice entravée plusieurs années durant par la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda.
Les témoins sont crédibles
Tout au long de ce procès est revenue la question lancinante de la crédibilité des témoignages, « matière première de la preuve », alimentée par l’acharnement de la défense à faire passer les témoins pour des menteurs.
Une tactique systématiquement employée par les accusés de génocide, lors des procès de Bruxelles comme de ceux du TPIR.
A Paris, nous avons eu droit, comme un disque rayé, à l’opprobre jetée sur l’association IBUKA, soupçonnée d’avoir soudoyé ou préparé les témoins.
Me PHILLIPART rappelle qu’au Rwanda, IBUKA -« Souviens-toi »- est une ONG de rescapés assistée par l’Etat, chargée de célébrer les commémorations du génocide et d’apporter une assistance psychologique aux rescapés.
La moindre des choses dans un pays ou le lien social est aussi profondément et violement déchiré, où rescapés et anciens bourreaux sont contraints de se côtoyer chaque jour, à la ville comme aux champs.
Critique-t-on, en France, les cellules d’assistance psychologique mises en place après un attentat ou un accident de train ?
Et un génocide, ce n’est, comme l’avait dit Dafroza GAUTHIER la semaine dernière, ni un tremblement de terre, ni même un tsunami.
Or les témoins à décharge sont venus librement, ils ont même pu, pour quelques uns d’entre eux, remercier Pascal SIMBIKANGWA.
Certains étaient Hutu, d’autres Tutsi. Ceux qui ont le plus manifesté leur crainte de parler venaient du fameux « terroir présidentiel », où plane encore l’ombre de l’ancien régime. On les a obligés à se remémorer des moments qu’ils s’efforcent depuis vingt ans d’oublier pour pouvoir survivre.
Si, comme l’expliquait la chercheuse Hélène DUMAS, les témoins du génocide ont généralement beaucoup de mal à se repérer dans le temps, la mémoire spatiale elle, reste encore vive malgré les violences subies. Ici encore, ce fut le cas, et les témoins, bien que parfois imprécis dans les dates, ne l’étaient plus du tout lorsqu’il s’est agi de décrire les lieux des crimes.
Pascal SIMBIKANGWA : relais du génocide dans son quartier de Kiyovu-les riches
Les lieux du crime, c’est d’abord le quartier de Kyiovu.
« Aujourd’hui, c’est Beverly Hills », et l’opulence de ce quartier contraste avec l’image d’obscur fonctionnaire que Pascal SIMBIKANGWA voudrait donner de lui. C’est le quartier où les massacres ont commencé, là où les gardes présidentiels ont fouillé les maisons, à la recherche de Tutsis, dès le 7 avril au matin.
C’est le quartier où Pascal SIMBIKANGWA, membre de l’AKAZU et des escadrons de la mort, ancien commando et garde du corps de son cousin le Président Habyarimana, « supporter » du parti extrémiste MRND avait son logement de fonction, entretenant la confusion sur son statut de militaire versé dans le civil, exerçant son autorité sur les militaires et les Interahamwes postés aux barrières.
Des sauvetages rares et ciblés
Pascal SIMBIKANGWA n’a pas sauvé une cinquantaine de Tutsi comme il aimerait nous le faire croire : tout au plus Martin HIGIRO, qui s’est échappé dès qu’il a pu (dès que l’accusé a eu le dos tourné), la famille GAHAMANYI, dont le père bien que Tutsi, était un haut fonctionnaire du régime, responsable local du MRND qui se réfugie le 8 avril à la Préfecture, haut lieu de l’organisation du génocide… et Isaïe, le « zamu », le gardien, « le Tutsi de Pascal SIMBIKANGWA », sa chose…
Pour Me PHILLIPART, ces actes de sauvetage ne peuvent absoudre Pascal SIMBIKANGWA de ses crimes, lui, qui prétend n’avoir pas vu de cadavres pendant le génocide : « Si, dans l’histoire de Pascal SIMBIKANGWA il n’y a pas eu de morts, dans celle du CPCR et de toutes les victimes, il y en a eu beaucoup ».
Au moins huit cent mille.
Le soutien symbolique de représentants des victimes de la Shoah
Lorsque Me FOREMAN prend à son tour la parole, c’est pour saluer la présence dans la salle de plusieurs représentants d’associations de déportés des camps de concentration nazis. Des hommes et des femmes qui se sont, non sans mal pour certains, déplacés pour témoigner de leur solidarité avec d’autres humains, d’autres victimes, celles d’un autre génocide, marquant ainsi l’universalité de ce crime imprescriptible, extraordinaire, qui par sa nature même concerne l’humanité toute entière.
A quoi sert un procès ?
Un procès est une théâtralisation, un processus visant à rejouer le crime dans la salle d’audiences, en réunissant ses protagonistes, en exerçant une catharsis grâce à laquelle le juge et les jurés remettent à l’endroit l’ordre social bouleversé par le crime.
Comment se livrer ici à pareil exercice ? Comment mettre en scène le génocide, ce crime des crimes, incommensurable- impossible à mesurer- impossible à faire tenir dans un récit ?
C’est par un récit, celui de sa visite au mémorial de Murambi que l’avocat va redonner vie à quelques unes des centaines de milliers de victimes anonymes.
A Murambi comme dans bien des villages, les autorités locales avaient enjoint les Tutsi à se réfugier dans l’école construite au sommet de la colline. Plusieurs milliers de victimes y furent massacrées. Ce mémorial figure parmi les plus anciens du Rwanda. Il témoigne de la volonté de ses créateurs, dès 1996, de lutter contre le négationnisme.
Et pour cela, une seule solution : montrer les morts.
Ils sont là, ces corps que Pascal SIMBIKANGWA refuse de voir, allongés sur des tables, conservés dans la chaux, figés dans la position qu’ils avaient au moment de leur assassinat.
Le génocide est trop grand pour tenir dans une salle d’audience, mais, s’il est impossible de le résumer à des arguments rationnels, on peut, comme l’a expliqué le chercheur Jacques SEMELIN, rendre compte de ses mécanismes, en analyser les processus et les responsabilités : cet effort de ré-individualisation des responsabilités fait pendant à la ré-individualisation des victimes anonymes à laquelle se livrent les rescapés et familles de disparus.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce procès, qui n’est pas celui du génocide mais celui de Pascal SIMBIKANGWA.
Une stratégie de défense vouée à l’échec
Pascal SIMBIKANGWA a usé de tous les ressorts classiques de la défense des génocidaires, épuisant de fait son potentiel de crédibilité. On retrouve ainsi :
– l’accusation en miroir, avec la théorie du double génocide, qui s’inscrit dans la logique génocidaire, pour laquelle le génocide va de pair avec sa négation concomitante (« il n’y a pas de génocide sans négation du génocide », comme l’a expliqué l’historien Stéphane Audoin Rouzeau)
– la critique des témoignages et les accusations de mensonge des témoins, qui renvoient en miroir aux mensonges de l’accusé. Comme l’explique Me FOREMAN,
« C’est le devoir de Pascal SIMBIKANGWA de mentir… même sur des choses insignifiantes… il ne peut pas participer à ce procès de plain pied, il ne peut pas donner sa part de vérité, celle qui permettrait de reconstruire… ».
Pascal SIMBIKANGWA ne fait jamais appel à sa mémoire, il ne puise que dans le dossier d’instruction.
« Je n’ai pas vu un seul mort » : un mensonge central
En octobre 1943, HIMMLER expliquait aux cadres SS, dans son discours de Poznan :
«La plupart d’entre vous savent ce que cela signifie quand 100 cadavres sont alignés les uns à côté des autres, quand il en a 500 ou quand il y en a 1000. Avoir tenu bon face à cela – abstraction faite de faiblesses humaines exceptionnelles – et être resté correct pendant ce temps-là, cela nous a rendus durs. C’est une page glorieuse de notre histoire, une page qui n’a jamais été écrite et qu’il ne faudra jamais écrire.»
Pascal SIBIKANGWA est un dur.
Quand il dit, « je n’ai pas vu un seul mort », cela veut dire « je n’ai pas eu un seul regard pour ces morts », pas plus qu’il n’a eu, drapé dans son mépris cynique, un regard pour Isaïe, le gardien qui l’aimait, le gardien qui venait pourtant lui donner une parcelle d’humanité.
Pascal SIMBIKANGWA avait les moyens et la liberté d’agir
Il n’a pas reçu d’instructions formelles, il a, de lui même, usé de sa capacité de projection pour sillonner les routes rwandaises pendant ces 100 jours où le pays était à feu et à sang.
Il a traversé le génocide. Il l’a fait de son plein gré et sa responsabilité en est d’autant plus grande.
Un « entrepreneur identitaire »
Comme l’a expliqué J. SEMELIN, tous les discours incendiaires ne mettent pas le feu, mais certains y parviennent. Avec son livre, la Guerre d’octobre, qui véhicule l’équivalent anti-tutsi du protocole des sages de Sion, avec les journaux KANGURA puis UMURAVA, qu’il a créés, distillant la haine pour les femmes Tutsi, avec la radio des Mille Collines, qu‘il a financée et « stimulée », Pascal SIMBIKANGWA a incarné la figure de l’ « entrepreneur identitaire », qui catalyse les angoisses de populations déboussolées par la crise économique et la guerre.
« Il réclame la médaille des Justes ? A vous de répondre à ce cynisme insupportable,
Au nom de la communauté internationale, on l’a dit, au nom du peuple français, de Rousseau et de Chateaubriand, qu’il dit admirer, à vous de dire à cet homme s’il s’est bien comporté, ou s’il a failli à la loi des hommes. »
Stéphanie Monsénégo