Nous avions quitté un Pascal Simbikangwa plutôt éteint, à la différence de l’ordinaire, après la réquisition de la peine à perpétuité demandée par l’Avocat Général, la veille.
Nous retrouvons ce matin- même un Pascal Simbikangwa avec le sourire que nous lui connaissons depuis plusieurs semaines. La tâche paraît être d’autant plus lourde pour les deux avocats de la défense, Maîtres Bourgeot et Epstein, après la si brillante réquisition du Vice- Procureur Aurélia Devos.
Maître Alexandra Bourgeot va ouvrir la voie de la défense.
Elle commence par décrire ce procès « hors-norme », « lourd », dont les fondations ne seraient pas solides, et s’apparenteraient à « un château de cartes ».
Après cette mise en situation, Maître Bourgeot introduit son propos en évoquant ses premiers contacts avec l’accusé. Elle évoque ses premières réactions, sa propre ironie lorsque Pascal Simbikangwa évoquait le FPR et Ibuka : «Nous aussi, on a ironisé ! C’est comme devenu une blague. Nous aussi, ça nous a fait rigoler ! ».
Ce serait à partir des confrontations prévues dans la procédure entre Pascal Simbikangwa et les témoins, que Maître Bourgeot aurait considéré que le prévenu ne disait pas « totalement faux », et c’est à ce moment qu’elle l’a « vraiment écouté en fait ».
En reprenant les idées de son client, elle indique à la Cour que le déclenchement du génocide est dû au FPR, que leur défense n’est pas une défense en miroir, et qu’aucune soustraction n’a été établie.
Concernant la théorie du double génocide évoquée par son client, Maître Bourgeot explique : « Ce n’est pas vrai, il n’a pas nié le génocide. Mais, il dit également que lui aussi, son peuple, parmi les siens, il y en a qui sont morts. Est-ce un discours négationniste ? Je ne crois pas. »
Concernant Ibuka, elle évoque le fait que Filip Reyntjens, constitutionnaliste et politologue belge, avait mis en garde les jurés, lors de son intervention, contre les faux témoignages.
Elle poursuit en indiquant à la Cour les éléments de procédures qui ont lancé les poursuites pour génocide contre son client, et la plainte non retenue d’une victime, pour conclure cette idée sur ces mots : « Ce dossier se construit, il ne reste plus rien. »
Elle continue la ligne de défense de son client : « On trouve des témoins qu’on construit. (…) Ça n’arrive jamais d’avoir des témoins aussi fragiles », et cite une nouvelle fois Filip Reyntjens : « il ne faut pas être vigilant, il faut être suspicieux. »
Maître Bourgeot poursuit en énumérant les témoins qui ont été cités devant la Cour et tente de discréditer leur témoignage les uns après les autres, puisque, comme elle le dit : « Ce régime à Kigali n’accepte pas les acquittements ».
Hussein LONGO LONGO, dont le témoignage a été lu durant le procès, José KAGABO, l’historien aux anachronismes surprenants pour un enseignant, Pierre- Célestin HAKIZIMANA, qui a réalisé une audition en quatre parties, Martin HIGIRO qui « ment comme un arracheur de dents », Théoneste HABARUGIRA, le « Mitterrand » comme il est surnommé à Karago, qui a suivi le programme « ingando » et qui aurait subi la « lobotomisation à la rwandaise ». Tous sont des menteurs. Concernant la déposition de cet homme sur les entrainements des interahamwe auxquels Pascal S y aurait prodigué des conseils, Maître Bourgeot estime : « Je ne sais pas si c’est un scénario d’Ibuka, mais c’était un peu hallucinant. »
Elle continue en poussant les jurés à s’interroger : « Comment vous faites le tri ? Ce dossier est vicié. (…) Ce n’est pas ça, une Justice française » et reprend ce qui s’apparente à une épiphore si nous étions dans le registre de la poésie : « C’est un château de cartes qui ne peut pas tenir. »
Elle poursuit son énumération :
Venance MUNYAKAZI, le technicien en imprimerie à Kigali, qui s’arrogerait des droits, et qui d’après les notes de l’avocate, serait « un témoin totalement perdu » ;
Valérie BEMEKIRI, journaliste à la RTLM en 1994, « c’est un peu une star. », qui papoterait « dans la rue alors que la RTLM vient de se faire bombarder, ça ne tient pas beaucoup la route. » Georges RUGGIU, collègue de Valérie BEMEKIRI : « Vous ne pouvez pas non plus vous fonder sur ses témoignages à lui aussi. »
Dieudonné NIYITEGEKA, trésorier du MRND : « On nous dit qu’il a peur, ce n’est pas vrai, il a négocié, il a été payé 30 000 dollars, il n’a pas peur du tout, il n’a pas envie de venir. »
Concernant les Gardiens à Kiyovu, le même argument est soulevé :
Diogène NYIRISHEMA, ironiquement présenté comme « celui qui a subi des violences insupportables de (Maître) Epstein. », Joël GASARASI, Salomon HABIYAKARE, Jonathan REKERAHO : « Ce sont des contradictions énormes, » et l’avocate appelle les jurés à ne pas retenir leur témoignage.
Concernant Isaïe, « le tutsi de Pascal Simbikangwa », Maître Bourgeot affirme que la cour d’assises n’est pas là pour juger les règles de bonne conduite : « Je ne sais pas si Pascal Simbikangwa traite bien ses domestiques, et vraiment, je m’en fiche. »
Sur Jean-Marie Vianney NYIRIGIRA, qui ne serait pas non plus crédible et qui aurait été remis en cause par le TPIR.
Enfin, le réfugié Pascal Gahamanyi qui en « veut à mort à Pascal Simbikangwa ».
L’un des seuls témoignages solides serait pour Maître Bourgeot celui de Béatrice NYIRASAFARI : elle n’a pas vu d’armes dans le magasin de Pascal Simbikangwa, et elle corrobore le fait qu’il y avait effectivement d’autres réfugiés chez le prévenu, en plus des Gahamanyi et des Higiro.
Maître Bourgeot finit sa plaidoirie sur la même phrase : « On vous a demandé de prendre une décision, elle doit être solide, ce ne doit pas être un château de cartes. »
Après 6 semaines et les auditions de 21 experts et de 30 témoins, si je résume le propos de Maître Bourgeot, un seul expert serait audible et un seul témoignage serait crédible.
On peut légitimement se poser la question de savoir quelle est la partie au procès qui a construit un château de cartes…
Claire Bruggiamosca.
(Crédits: AFP)