Muhayimana et Musabyimana: délibéré au 13 novembre

C’est ce mercredi 25 septembre 2013 que Claude Muhayimana et Innocent Musabyimana ont comparu devant la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris. L’audience était consacrée à l’étude sur le fond de leur dossier lié à une demande d’exstradition du gouvernement rwandais. La Cour d’appel de Rouen et celle de Dijon avaient donné un avis favorable mais la Cour de cassation, fidèle à sa jurisprudence incompréhensible, avait cassé ces décisions.

Le nouveau président de la Chambre de l’instruction, monsieur Bartholin, commence par rappeler l’état de la procédure. La composition de la Cour ayant changé, il faut reprendre l’étude sur le fond. L’ambiance a changé dans la salle. Nous sommes loin de la rigidité et du ton glacial de madame Boizette. . Passant d’un dossier à l’autre, monsieur le Président fait le point sur les dernières décisions des différentes Cours d’appel (Rouen, Dijon, Douai) et de la Cour de cassation, cette dernière prétendant qu’au Rwanda on ne peut pas juger des crimes de génocide au nom de la « légalité des peines et des délits » qui dispose qu’on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis, ce qui entraîne la non-rétroactivité de la loi. Le président évoque ensuite un rapport de Human Rights Watch qui traite des décisions d’extradition des instances judiciaires du Canada, de la Norvège, de la Suède et du TPIR.

Parole est alors donnée à Maître Paruelle, l’avocat du Rwanda, qui va s’efforcer de montrer que les arguments de la Cour de cassation ne sont pas recevables. Papon, Touvier et Barbie ont été jugés malgré l’absence de loi: « Nous n’avions que les instruments internationaux. » Il mentionne ensuite trois textes supranationaux auxquels on peut faire appel pour justifier une extradition: celui de La Convention européenne des Droits de l’Homme, de la Cour européenne des Droits de l’Homme ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier le « Pacte des droits civils et politiques » qui a un caractère contraignant. Après avoir rappelé la position du Parquet de Douai qui s’est pouvu en cassation dans l’affaire Serubuga, il explique que ces demandes d’extradition n’ont aucun caractère politique, que le TPIR a accepté de renvoyer des présumés génocidaires rwandais vers le Rwanda après avoir longtemps refusé. « Au Rwanda, on pratique une justice équitable qui respecte les prévenus et les témoins » conclut-il.

Monsieur Lecompte, l’avocat général, va alors tenter d’expliquer la nouvelle attitude du Parquet qui s’est déclaré, fait nouveau, favorable à l’extradition. Il reconnaît que des progrès ont été constatés: les derniers documents remis à la justice française émanent désormais du ministre rwandais de la justice et non du Procureur général. D’autre part, les décisions prises par les magistrats français « tendent à s’infléchir ». La justice française est saisie « de faits gravissimes »: « on pourrait les juger en France et pas au Rwanda? s’étonne-t-il. « Ce serait de la défiance à l’égard du Rwanda ». Quant au principe de droit pénal de légalité des peines et des délits, qui implique la non rétroactivité, « il peut y avoir des exceptions quand il s’agit de crimes contre l’humanité ». Monsieur Lecompte est le même représentant du Parquet qui, pendant des mois, a prôné le refus d’extrader vers le Rwanda! Que de chemin parcouru! L’avocat général termine son intervention en soulignant « les immenses progrès » en matière de garanties.  » Des pays civilisés (sic) ont fait droit aux demandes du Rwanda. Les autorités rwandaises pourraient donc juger. Les présumés génocidaires rwandais ne sont pas des cibles politiques ». Il se prononce pour que l’on donne un avis favorable aux demandes d’extradition. Le vent a vraiment tourné!

Maître Meilhac, l’avocat de la défense, n’aura de cesse, dans sa plaidoirie, de prendre le contrepied de l’avocat du Rwanda et de l’avocat général. Evoquant les décisions de la Cour de cassation: » La Cour de cassation vous a dit comment il faut faire, vous rendrez un avis défavorable », conseille-t-il aux magistrats. Il aura beau jeu aussi de souligner « le revirement à 180°, à 360° même » de monsieur Lecompte qui avait toujours prôné le refus d’extrader.. Pour l’avocat de la défense, la légalité des peines et des délits ne souffre aucune exception. Quant aux garanties d’un procès équitable au Rwanda, bien sûr, il n’y croit pas, faisant référence à un rapport récent d’Amnesty International et à une décision du Conseil de l’Europe de mai 2013 qui souligne, à propos de l’affaire Victoire Ingabire, opposante politique jugée actuellement à Kigali, « l’intolérance du gouvernement rwandais à l’égard du pluralisme politique ». Après avoir rappelé qu’il s’agit bien de « procès politiques, maître Meilhac va de nouveau s’étonner: « Je ne comprends pas le revirement de l’avocat général, juridiquement pas défendable ». Et de conclure: »Monsieur le Président, messieurs de la Cour, d’une manière sereine, vous n’avez aucune raison d’accepter un tel revirement. Ce revirement est politique. Vous rendrez un avis défavorable. »

Parole est alors donnée aux deux prévenus. Innocent Musabyimana évoque la mort des siens exécutés sous ses yeux par le pouvoir en place, sans donner plus d’explications. Après avoir témoigné à Arusha (il ne dit pas dans quelle affaire), il s’est réfugié au Mozambique où son séjour aurait été « une catastrophe… « Tout ça c’est la politique, termine-t-il, le gouvernement rwandais veut nous fermer la bouche ».

Claude Muhayimana prend la parole à son tour: »Moi, je suis innocent » assène-t-il. Il rappelle qu’en 1995, alors qu’il était encore au Rwanda, on lui aurait fait signer un faux document en Anglais qui mettait en cause des militaires français de  l’opération Turquoise. Il s’est alors réfugié au Kénya d’où, après six années, des enquêteurs du TPIR l’auraient aidé à venir en France. Il attribue ses malheurs judiciaires à son engagement au sein d’une association d’opposants au régime de Kigali.

L’audience ayant duré près de deux heures trente, la décision est mise en délibéré au 13 novembre 2013.

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