Lutte contre la négation des génocides : analyse de maître Justine MAHASELA

Lutte contre le négationnisme : un combat réaffirmé par les récentes modifications de la loi sur la liberté de la presse.

 Justine MAHASELA
Avocat au Barreau de Paris, membre de la commission juridique de la LICRA

Après les attentats de janvier 2015, le Premier ministre a réuni un comité interministériel afin de réaffirmer les valeurs de la République. Profitant de la loi Égalité et citoyenneté, adoptée le 22 décembre 2016 et examinée par le Conseil constitutionnel le 27 janvier 2017 (ci-après « Conseil »), le gouvernement a réaffirmé son engagement de lutter contre le racisme en modifiant notamment l’article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Faisant la part belle aux juridictions et loin de graver dans le marbre une vérité historique artificielle, le législateur a créé une condition qui assure une cohérence totale dans la répression des crimes de génocide dans leur ensemble.

• La version de 1990

Face à la montée des thèses négationnistes dans les années 1980, le législateur, à travers la loi n°90-615 du 13 juillet 1990 dite “loi Gayssot”(1), a introduit dans la loi de 1881 l’article 24 bis qui vise à punir « ceux qui auront contesté (…) l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international (…) et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. » Pour la première fois, le droit français permettait de lutter contre la négation d’un crime de génocide, mais en se limitait aux crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale.

L’insertion de cet article a fait l’objet de débats houleux.(2) Pour certains, cela revenait à instituer une vérité historique officielle créant un délit d’opinion portant ainsi atteinte à la liberté d’expression et de recherche. Pour d’autres, la négation de l’holocauste devenait le principal vecteur de l’antisémitisme contemporain et, à ce titre, devait absolument être combattue. En insérant cet article à la loi, le législateur a tranché. Inscrivant la négation du génocide comme partie intégrante du “projet génocidaire”(3), il partage la position de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après « CEDH »).(4) La pratique des juridictions françaises a bien confirmé cette position. À ce jour, aucun historien n’a jamais été condamné au titre de cette loi. Ainsi, loin d’empêcher le débat historique, elle a permis de lutter efficacement contre une forme insidieuse de racisme.

• La version de 2016

La loi Égalité et citoyenneté élargit considérablement la portée de l’article 24 bis, qui prévoit désormais que « Seront punis des mêmes peines ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un crime de génocide autre que ceux mentionnés au premier alinéa du présent article, d’un autre crime contre l’humanité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou d’un crime de guerre défini aux articles 6, 7 et 8 du statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 et aux articles 211-1 à 212-3, 224-1 A à 224-1 C et 461-1 à 461-31 du code pénal, lorsque : « 1° Ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale. »

Ainsi, outre l’élément de publicité du propos, constant depuis l’origine du texte, et le remplacement de la notion de « contestation » par l’expression « nié, minoré ou banaliser de façon outrancière », le délit est désormais constitué lorsque sont réunis les éléments matériels suivants :

Il doit concerner un crime de génocide, un crime contre l’humanité, un crime de réduction en esclavage ou un crime de guerre.

En 1990, le but du législateur – plus timoré qu’aujourd’hui – était de ne « pas viser l’ensemble des faits qui dans tel ou tel pays, peuvent être considérés comme des crimes contre l’humanité ». (5) Au regard de l’évolution du droit pénal international, de la création de l’ensemble des tribunaux ad hoc, et de la Cour pénale internationale, il devenait primordial d’élargir ce délit au delà du seul crime de la Shoah.

L’aval du Conseil n’était pourtant pas acquis : quelques mois plus tôt à l’occasion d’une QPC relative à l’exclusion par l’article 24 bis des crimes contre l’humanité autres que la Shoah, le Conseil avait déclaré que « la négation de faits qualifiés de crime contre l’humanité par une décision d’une juridiction française ou internationale reconnue par la France se différencie de la négation de faits qualifiés de crime contre l’humanité par une juridiction autre ou par la loi ».(6) La nouvelle mouture du texte a pourtant reçu l’approbation de ce même Conseil. Les défenseurs des négationnistes, habitués à tourner en dérision cette “exception juive”, devront donc se mettre en quête de nouveaux arguments.

Le crime doit avoir donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale.

La loi, telle que votée avant l’intervention du Conseil, prévoyait alternativement à cette condition que les propos « constituent une incitation à la violence ou à la haine ». Le but des parlementaires était de faciliter la répression de la négation du génocide arménien qui n’a, à ce jour, pas été jugé. Le Conseil, qui n’avait pourtant pas été saisi sur ce point, a jugé d’office que cette disposition était contraire à la Constitution et ce pour trois raisons : d’une part, parce que la négation de ce type de crime ne constituait pas systématiquement une incitation à la haine ou à la violence. D’autre part, parce qu’il existait déjà une incrimination visant à réprimer le fait de provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence.(7) Enfin, parce que cela faisait « peser une incertitude sur la licéité d’actes ou de propos portant sur des faits susceptibles de faire (encore ?) l’objet de débats historiques ». (8)

Cette position, qui rappelle amèrement celle de la CEDH(9), fait du génocide arménien le parent pauvre de la protection contre le négationnisme. On rappellera pourtant que le Conseil de l’Union européenne (10) et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ont adopté un point de vue radicalement différent en préconisant de réprimer la négation des génocides constituant « clairement un acte d’incitation à la haine et à la violence raciale » (11).

Une seule condition demeure donc pour condamner le négationnisme : le crime doit avoir donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale. Le Conseil est ici fidèle à sa jurisprudence traditionnelle (12) : en 2012, il avait eu à statuer sur un projet de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par les lois dites « mémorielles ». (13) Le Conseil avait alors jugé « qu’en réprimant ainsi la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ».(14) Le Conseil dénie donc au législateur la possibilité de “faire l’Histoire”, ce qui de fait, laisse aux seuls juges la responsabilité de “trancher l’Histoire”.

Depuis plus de 20 ans, la justice internationale, et plus récemment la justice française, se sont vues attribué l’écrasante mission de juger les auteurs de crimes contre l’humanité. Chaque procès revêt une dimension historique spécifique. Dans les prétoires, des semaines, des mois entiers sont consacrés à l’étude des contextes politiques, sociaux, économiques du pays et de l’époque. Des historiens et chercheurs, cités tantôt par l’accusation, tantôt par la défense, sont appelés à la barre pour confronter leurs points de vue sur l’Histoire. Puisque les juridictions condamnent des auteurs pour génocide et crime contre l’humanité, il est inconcevable que des polémiques sur l’existence même de ces crimes puissent encore subsister.

La France emboîte le pas à ses voisins – Andorre, Chypre, Hongrie, Lettonie, Macédoine, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malte, Slovaquie, Slovénie et Suisse – en criminalisant la négation de tout génocide(15).

Si l’on ne peut que regretter que la loi nouvelle ne permette pas de sanctionner la négation de tous les génocides (notamment les plus anciens : génocide arménien, génocide des Herero et Nama dans le sud-ouest africain), il n’en reste pas moins que la législation française en matière de négationnisme s’affirme. Ne pourront donc plus être niés : le génocide des juifs en Europe, les crimes contre l’humanité commis sur le territoire cambodgien entre 1975 et 1979(16), les crimes contre l’humanité commis dans les territoires de l’ex-Yougoslavie dans les années 90, le crime de génocide contre les Tutsis, le crime contre l’humanité contre les Hutus modérés en 1994 (17) et les crimes contre l’humanité ultérieurement reconnus par une décision judiciaire définitive.

Il nous faut saluer cette loi, qui permettra de lutter contre l’impunité des négationnistes, ces “assassins de la mémoire”(18) qui contestent l’Histoire dans le seul but d’alimenter la haine et tuer les morts une seconde fois, pour reprendre les mots d’Elie WIESEL.

24 février 2017 – Légipresse N°346

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