Lettre ouverte à Messieurs Thierry THUILLIER, directeur des programmes de France 2 et Olivier ROYANT, directeur de la Rédaction de Paris Match.
Messieurs,
Le 5 février dernier, je vous ai adressé un courrier pour protester contre les propos que monsieur Damien THEVENOT, journaliste à France 2, et vous-même, monsieur ROYANT, aviez tenus lors du Télé Matin du 31 janvier animé par monsieur William LEYMERGIE. Il n’est pas nécessaire que je cite ces propos, ils ont été suffisamment dénoncés. Pour résumer, vous aviez évoqué le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 en affirmant que ce sont les Hutu qui avaient été exterminés par les Tutsi, réécrivant ainsi l’Histoire. En vouscontactant, comme d’autres ont pu le faire, j’avais la naïveté de croire que vous alliez exprimer des excuses. Vous auriez pu dire que vous aviez fait une énorme bourde et que vous en étiez profondément meurtris. On vous aurait crus, même si une telle erreur dépasse l’entendement. En guise d’excuses, nous avons eu droit à un vague rectificatif de la part de monsieur THEVENOT au Télé Matin du 10 février, en toute fin de son intervention : « Le génocide au Rwanda est le génocide des Tutsi par les extrémistes hutu. Voilà » !
En prenant la décision de vous adresser une lettre recommandée avec accusé de réception, je voulais m’assurer que vous recevriez bien ce courrier. Vous l’avez reçu, mais l’avez-vous lu ? En tout état de cause, vous n’avez pas daigné répondre et je considère qu’il s’agit là d’un mépris insupportable pour toutes les victimes du génocide des Tutsi et de leurs familles. Comme je vous le disais dans ma missive, si de tels propos avaient été tenus au sujet de la Shoah, les réactions eussent été d’une autre violence et vous auriez certainement réagi. Mais le Rwanda est un petit pays d’Afrique qui est probablement méconnu de nombre de nos concitoyens et le génocide des Tutsi en 1994 s’est déroulé dans l’indifférence générale de la communauté internationale. Le président français de l’époque et son gouvernement se sont pourtant rendus coupables d’une complicité que peu de nos responsables politiques veulent reconnaître. En tenant les propos qui ont été les vôtres ou ceux de votre journaliste ce 31 janvier, vous avez participé à semer le doute dans les esprits de nos concitoyens. Plus grave, vous avez travesti l’Histoire, participant ainsi au négationnisme ambiant répandu dans notre pays.
Si vous aviez eu la décence de répondre aux protestations qui vous ont été adressées, comme je vous l’ai déjà dit, nous aurions accepté vos excuses. Et nous aurions pu penser, en manifestant beaucoup d’indulgence, qu’il s’agissait d’une sorte de « lapsus ». Mais votre silence assourdissant nous laisserait plutôt entendre que vous aviez exprimé ce jour-là le fond de votre pensée, même si, il faut le reconnaître, cela pouvait être considéré comme une ignorance crasse.
Monsieur THUILLIER, j’avais pris l’initiative de vous écrire à vous-même, pensant bien que vous répercuteriez notre indignation au journaliste qui travaille sous votre responsabilité. J’aurais probablement dû écrire directement à monsieur THEVENOT, le premier concerné. Son « rectificatif » du 10 février nous laisse pourtant entendre que le message était passé.
Messieurs ROYANT et THUILLIER, je tenais à vous faire savoir que nous n’avons pas du tout apprécié votre silence. Les rescapés et les familles des victimes du génocide des Tutsi auraient aimé vous entendre : vous avez choisi de vous taire. Nous considérons cette attitude comme une marque de mépris, ce que vous contesterez bien évidemment. Un génocide n’est pas un massacre de masse comme les autres. Il imprime chez ceux qui le subissent une marque indélébile. Il s’agit d’un crime contre l’Humanité, une humanité dont vous faites partie, et donc un crime contre vous-même ! Le « voilà » qui concluait le « rectificatif » de monsieur THEVENOT pouvait donner lieu à diverses interprétations. Ce n’était pas, pour nous, et loind de là, l’expression d’un véritable remord.
Messieurs, nous serons donc certainement obligés de nous contenter de ce silence car j’ai du mal à imaginer que, cette fois-ci, vous réagirez. Sachez en tout cas que nous n’aurons de cesse, chaque fois que des « incidents » de cette nature se produiront, d’élever de vives protestations. Le CPCR, comme d’autres associations et des citoyens du monde, nous ne pouvons accepter de défigurer l’Histoire en infligeant aux victimes et à leurs familles de nouvelles blessures. Chaque fois que la vérité sera travestie, vous nous trouverez sur notre route, même si vous ne voulez pas nous entendre. Notre premier objectif est de lutter contre l’impunité en poursuivant en justice les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi et auxquelles la France accorde un accueil à nos yeux complaisant. Mais ce faisant, nous luttons aussi pour la Mémoire et contre le négationnisme. Un combat probablement trop lourd pour nos épaules mais que continuerons à mener, « sans haine ni vengeance », mais avec détermination.
Je vous prie de croire, messieurs THUILLIER et ROYANT, mais aussi monsieur THEVENOT, à l’expression de notre profonde indignation. Bien à vous.
Alain GAUTHIER, président du CPCR