Lettre adressée à Monsieur Michel Mercier par le CPCR, African Rights et REDRESS.
Monsieur Michel Mercier
Ministre de la Justice Garde des Sceaux
13 Place Vendôme
75042 PARIS Cédex 01
Monsieur le Ministre,
Les associations signataires de cette lettre voudraient attirer votre attention sur un sujet très important relevant de vos nouvelles attributions. Comme vous le savez, en 1994, un génocide a été perpétré au Rwanda, faisant plus d’un million de victimes, essentiellement parmi la population tutsi. Nous avons tenté d’alerter les ministres de la Justice qui vous ont précédé sur la présence en France de ceux que nous appelons des « présumés génocidaires ». Nous sommes particulièrement concernés par le retard dans les procédures engagées concernant les suspects présents en France et par le manque de moyens mis à la disposition des juges d’instruction afin qu’ils puissent mener de telles enquêtes. En effet, la France a été condamnée, en juin 2004, par la Cour européenne des droits de l’homme, « pour retard apporté à rendre la justice » dans l’affaire Wenceslas Munyeshyaka.
Le 28 octobre 2009, votre prédécesseur, Madame Alliot-Marie, avait appelé de ses vœux la création d’un « pôle spécialisé » pour les crimes de génocide. Cette annonce avait été reprise le 6 janvier 2010, dans une chronique du journal Le Monde, par Madame Alliot-Marie elle-même et par monsieur Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères. En effet, nous accueillions alors cette déclaration comme un signe de l’engagement de la France à jouer son rôle afin de ne pas offrir de terre d’asile aux auteurs de crimes internationaux. A ce moment là, Madame la Ministre Alliot-Marie et Monsieur le Ministre Bernard Kouchner déclaraient :
« Quel plus grand scandale que l’impunité des criminels contre l’humanité ? Quel plus grand outrage pour les victimes […] Les victimes de la barbarie humaine ont le droit de voir leurs bourreaux poursuivis et condamnés. […]
Patrie des droits de l’homme, la France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide […] La création d’un pôle « génocide et crimes contre l’humanité » au TGI de Paris réaffirme la volonté de la France de lutter sans faiblesse contre leur impunité.
L’augmentation du nombre d’affaires en suspens, concernant notamment plus de quinze Rwandais en attente de jugement, nous incite à agir vite. […] la création du pôle « génocides et crimes contre l’humanité […] sera discuté au Parlement au premier semestre 2010.
« Les personnes suspectes de génocide […] doivent être jugées. Elles le seront. La France s’inscrit résolument dans la lutte contre l’impunité. […] Fidèle à ses principes, fière de sa justice rendue au nom du peuple français, la France saura se montrer à la hauteur de son histoire, de ses valeurs et de son idéal. »
Suite à la publication d’un tel document, nous étions en mesure d’attendre des décisions rapides. Les familles de victimes voyaient là une avancée considérable et l’espoir que leurs maux seraient enfin pris en considération.
Monsieur le Ministre, une vingtaine de dossiers sont maintenant devant quatre juges d’instruction parisiens. Malgré leur bonne volonté apparente, les quatre juges, dont deux nommés tout récemment, ne peuvent pas tout mener de front. En 2009, deux des juges d’instruction ont demandé à être déchargés de leurs autres devoirs afin de se concentrer entièrement sur le dossier du Rwanda. Cependant, cette demande a été refusée.
Il serait indispensable de les décharger de tous les autres dossiers qui encombrent leur bureau afin qu’ils se consacrent entièrement aux affaires rwandaises.
Au-delà, nous demandons, puisque la France ne veut pas les extrader, que tous les présumés génocidaires rwandais présents sur le sol français fassent l’objet d’enquêtes et si nécessaire soient poursuivis devant les juridictions françaises. Ceci est la seule manière pour la France de remplir ses obligations pour mettre fin à l’impunité concernant ces crimes.
Nous exigeons aussi que la Justice de la France suive l’exemple des autres pays européens, tels que la Belgique, les Pays Bas et l’Allemagne, et établisse un organe spécialisé pour soutenir le travail des juges d’instruction en charge de ces affaires. Même si ce sont des crimes imprescriptibles, il est important que les suspects fassent l’objet d’enquêtes dans les plus brefs délais.
Nous espérons, Monsieur le Ministre de la Justice, que vous prendrez notre courrier en considération et vous prions de croire en l’expression de notre profond respect. Nous voudrions respectueusement vous demander l’opportunité de nous entretenir avec vos services pour débattre de ces préoccupations.
Pour le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda: Alain Gauthier
Pour African Rights: Rakiya Omaar
Pour REDRESS : Carla Ferstman
Copie adressée à Monsieur le Président de la République française, à Monsieur le Premier ministre et à Madame la Ministre des affaires étrangères.