LES INTERAHAMWE
Initialement mouvements de jeunesse des partis politiques extrémistes, les milices ont joué un rôle majeur dans l’exécution du génocide. Elles ont démultiplié l’action de l’armée et entraîné les civils à participer aux tueries.
Bien que souvent accompagnées d’un petit nombre de militaires ou de policiers du gouvernement, ces milices ont tué plus de personnes que les forces armées.
Ce sont leurs membres, formés au maniement des armes et idéologiquement conditionnés, qui tenaient la plupart des barrières érigées dans le pays.
Bien que couramment désignées sous le nom d’ Interahamwe, « ceux qui travaillent ensemble, » les milices sont composées de deux mouvements, issus de deux partis politiques différents :
- les Impuzamugambi, « ceux qui ont le même but, » issus de la Coalition pour la Défense de la République (CDR)
- et les Interahamwe, créés par le Mouvement Républicain National pour le Développement et la Démocratie (MRND).
Dans les années 1980, les Interahamwe étaient chargés d’encadrer la jeunesse rwandaise pour l’Umuganda, travail d’intérêt collectif hebdomadaire destiné à l’époque à lutter contre la crise agricole sévissant dans le pays.
Mais la guerre d’octobre 1990 a conduit ce mouvement de jeunesse à se transformer en milice, participant aux massacres de la fin 1992 à Kibuye et dans le Bugesera.
La grande majorité des chefs Interahamwe étaient Hutu et originaires du Nord-Ouest du pays. Ils tenaient en parallèle des positions dans l’administration civile ou des organisations parapubliques.
À Kigali, c’est Robert KAJUGA, le président du club de football « Loisirs », qui prend la tête des Interahamwe.
Son mouvement est soutenu et financé par les canaux occultes de l’Akazu dont les membres se chargent de recruter dans leurs sphères d’influence respectives.
À l’initiative du Colonel BAGOSORA, les milices ont reçu des entraînements militaires intenses fin 1993 et début 1994, notamment dans les camps militaires de Bugesera, de Bigogwe et de Mutara. Elles ont également reçu des armes –fusils R4, Kalachnikovs, grenades, machettes- dans le cadre du programme d’auto défense civile lancé dès 1993.
Au cœur même du génocide, entre mai et juillet 1994, une brigade de gendarmerie de Kigali était mise à leur disposition pour leur ravitaillement en armes et munitions, au même titre que les militaires.
Au départ, les recrutements concernaient essentiellement des jeunes désœuvrés, des personnes issues des marges les plus pauvres de la population des villes et des campagnes. Avec l’amplification des hostilités contre le FPR, ils furent rejoints par des réfugiés burundais, mais aussi d’anciens militaires, des repris de justice…
En 1994, ils auraient atteint le nombre de 50 000 hommes.
« Bien que ne comptant que 1 700 hommes complètement entraînés, les Interahamwe professionnels ont joué un rôle hors de proportion par rapport à leur nombre, mobilisant des dizaines de milliers de jeunes hommes pour les rejoindre. »
(Death despair and defiance, African Rights – Londres)
Durant le génocide, l’organisation mise en place par les Interahamwe laissait peut d’espoir d’échapper aux tueries :
« Les miliciens et les militaires faisaient des visites nocturnes aux stades, aux enceintes des églises et autres endroits où les personnes à risque avaient cherché refuge. Ils amenaient des groupes de personnes à exécuter. Tous ceux qui étaient éduqués ou qui montraient une capacité de leadership étaient ciblés pour élimination (…) À la mi-mai, les miliciens avaient pu créer un grand réseau de barrières routières dans les zones contrôlées par le gouvernement. Quelquefois, les barrières n’étaient séparées que de quelques centaines de mètres, rendant ainsi la fuite virtuellement impossible pour ceux qui étaient ciblés pour élimination ».
(Genocide in Rwanda – Rapport Human Right Watch – mai 1994)
LES ARMES
Loin de la vision simplificatrice de massacres qui auraient été uniquement perpétrés à la machette, les auteurs du génocide – forces armées, Interahamwes et populations civiles – ont été également équipés d’armes modernes et sophistiquées.
L’armement des F.A.R (Forces Armées Rwandaises)
En 1994, les 30 000 hommes des forces armées rwandaises disposent d’armes légères en grande quantité, de lance grenades, de mines terrestres, et d’une artillerie à moyenne et longue portée. Ces armes, suivant le rapport de HRW publié en janvier 1994 ont été achetées à 3 fournisseurs : l’Égypte, l’Afrique du Sud et la France, qui ont pris la relève de la Belgique.
Selon le rapport d’Human Rights Watch, en mars 1992, l’Égypte a vendu pour 6 millions de dollars d’armes au Rwanda, notamment des kalachnikovs, des RPG 7 (lance-roquettes), des grenades propulsives, des mines anti-personnel, deux tonnes de plastic (explosif).
Le contrat aurait été garanti par le Crédit Lyonnais, à l’époque nationalisé, sur la base de la mise en gage des futures récoltes de thé de la plantation de Mulindi.
De son côté, l’Afrique du Sud a fourni également des armes au Rwanda pour un montant de 5,9 millions de dollars, en violation de la résolution du conseil de sécurité des Nations Unies lui interdisant l’exportation d’armes.
L’armement des civils
Au moment même où se met en place le dispositif de transition prévu par les accords d’Arusha, le gouvernement lance un programme de distribution d’armes à la population civile, en vue de la constitution de groupes d’autodéfense contre « l’ennemi de l’intérieur » (ENI), dans les 146 communes du Rwanda.
Un document rédigé le 29 septembre 1991 par le colonel Déogratias NSABIMANA indique que « l’autodéfense populaire fait partie intégrante d’une politique de défense crédible. » Il prévoit d’équiper jusqu’à la plus petite autorité administrative, dénommée « Nyumba Kumi »(hameau).
À cet échelon-ci, au moins une personne devrait être armée : à raison d’une arme par Nyumba Kumi, les besoins en armes varient, par commune, de 350 à 580 armes.
Fin décembre 1993, l’évêque de Nyundo publie une lettre pastorale dénonçant les distributions d’armes : dans la seule ville de Gitarama, on estime qu’il y a 50 000 fusils pour 144 000 habitants.
À Kigali, le nombre de participants au programme d’autodéfense civile était fixé à 12 375 personnes, portant le nombre d’armes requises à 1 650 fusils Kalachnikov, 165 000 balles, en sus des armes traditionnelles (lances, arcs et flèches, etc.) fournies par les participants eux-mêmes.
Enfin, un nombre considérable de machettes, emblématiques de ce génocide, ont été massivement importées par Félicien KABUGA, un riche businessman proche du président HABYARIMANA et actionnaire-fondateur de la RTLM.
Entre janvier 1993 et mars 1994, 581 tonnes de machettes ont été achetées à la Chine – soit environ 581 000 machettes – c’est à dire une machette pour un homme adulte Hutu sur trois au Rwanda.
L’étude de documents de la Banque nationale du Rwanda révèle que le gouvernement a financé ces achats sur l’aide internationale destinée aux produits de première nécessité. (Alison des Forges – Aucun témoin ne doit survivre).
D’après un article initialement publié sur « Procès Génocide Rwanda », un site conçu et réalisé par Stéphanie Monsénégo (SCM Conseil) et Sophie Chaudoit pour le procès de Pascal Simbikangwa en 2014.