Cet historique montre assez bien le rôle qu’ont pu jouer, dans un passé lointain, la puissance coloniale et l’Église représentée par les Pères Blancs (surtout les Pères Blancs belges néerlandophones), et dans un passé plus récent, l’Église encore et certaines puissances occidentales, dont la France. Sans parler bien sûr de la faillite de l’ONU et donc de toute la communauté internationale.
Les médias eux-mêmes n’ont pas rempli leur rôle à l’occasion de ces événements dramatiques. Ils se sont comportés, le plus souvent, comme une caisse de résonance des positions officielles alors qu’ils auraient dû, comme c’est leur mission, porter un regard critique sur ces événements. Le journal Le Monde, dans ce domaine, s’est particulièrement distingué. Pendant plusieurs semaines, nous avons été soumis à la plus totale désinformation.
1885
Partage de l’Afrique entre puissances européennes.
Attribution du Rwanda à l’Empire allemand.
1900
Fondation de la première mission catholique par les Pères Blancs à Save, dans le Sud du pays.
1918
Le Rwanda passe sous occupation belge, mandat accordé par la S.D.N. (Société des Nations).
1930-1932
Commencement d’une politique d’épuration et de remodelage des pouvoirs coutumiers. Le Mwami (roi) est déposé car opposé à l’Église et remplacé par son fils Mutara III Rudahigwa, converti au catholicisme.
1931
Introduction de la carte d’identité mentionnant l’ethnie.
1946
Passage du Ruanda-Urundi sous le statut de la Tutelle belge au nom de l’ONU.
1954
Grégoire Kayibanda, ancien séminariste, est nommé rédacteur en chef du Journal Kinyamateka, édité par les Pères Blancs.
Le roi Mutara III affirme ses orientations nationalistes (à replacer dans le contexte africain de la revendication d’indépendance).
1955
Mgr. Perraudin, Père Blanc suisse, est nommé vicaire apostolique de Kabgayi puis archevêque de Kigali, avec Grégoire Kayibanda comme secrétaire particulier.
1957
Publication du manifeste des Bahutu avec l’aide de missionnaires catholiques. Le Tutsi y est désigné comme une race étrangère. Aide des Pères Blancs et du Mouvement ouvrier chrétien belge à la « révolution hutu ».
1959
Kayibanda fonde le Parmehutu, parti du mouvement de l’émancipation du Hutu.
25 juillet : mort suspecte du roi à Bujumbura.
28 juillet : intronisation de Kigeri V, dernier roi du Rwanda.
La Toussaint rwandaise : premiers massacres de Tutsi (20 000 morts) ; leurs biens sont pillés, leurs maisons brûlées. Exil vers les pays limitrophes. Regroupement des rescapés dans des camps dans le sud-est du pays.
Début de la « Révolution sociale », lancée, appuyée et supervisée par l’Église, l’armée et l’administration coloniale.
1961
28 janvier : coup d’état. Proclamation de la République par Kayibanda. Élections et victoire du Parmehutu.
Nouvelle flambée de violence anti-Tutsi, massacre et exode de milliers de Tutsi.
1962
1er juillet, indépendance de la République rwandaise.
Premiers raids de réfugiés Tutsi entraînant des représailles massives sur la population civile tutsi : milliers de morts en présence de l’armée coloniale belge.
L’appartenance ethnique devient un élément déterminant de la vie sociale : accès à l’emploi, à l’éducation, aux postes administratifs.
1963
Orchestration du « petit génocide » de Gikongoro par Kayibanda.
Plusieurs dizaines de milliers de victimes.
Fuite de 200 000 Tutsi vers l’Ouganda, le Zaïre, le Burundi.
« Massacre le plus horrible et le plus systématique depuis l’extermination des Juifs par les Nazis », déclarera Bertrand Russel.
1965
Élection de Kayibanda qui revendique 98% des suffrages. Monopolisation du pouvoir par le Parmehutu. Armée et police sont réservées exclusivement aux Hutu, particulièrement à ceux du sud du pays. Présence dans l’armée de nombreux Hutu du nord cependant.
1973
Février : nouvelle vague de persécutions anti-Tutsi : pogroms sanglants, expulsion des Tutsi de l’administration, de l’éducation. Épuration ethnique des élèves du secondaire et des étudiants de l’Université.
Juillet : coup d’état militaire d’un Hutu du nord, Juvénal Habyarimana. Assassinat de plus de 50 membres de l’administration et du gouvernement.
1974
Mort de Kayibanda, abandonné de tous. Habyarimana reprend à son compte la politique ethnique de son prédécesseur, mais en favorisant cette fois les Hutu du nord.
1975
Signature d’un accord d’assistance militaire entre Giscard d’Estaing et Habyarimana : fourniture d’armes par la France.
1976
Mgr. Nsengiyumva, archevêque de Kigali, entre au comité central du MRND, le nouveau parti unique. Il sera forcé d’en démissionner lors de la visite de Jean-Paul II au Rwanda en 1990.
1979
Création, au Kenya, de la RANU (Rwandese National Union), futur Front Patriotique Rwandais (FPR) en 1987.
1981
Engagement de nombreux jeunes réfugiés Tutsi dans la rébellion de Museveni en Ouganda.
1982
Jean-Christophe Mitterrand, fils du Président, est nommé à la Cellule franco-africaine de l’Élysée qu’il dirigera peu après jusqu’en 1992. Ce dernier entretiendra de nombreuses relations avec des chefs d’état africains et leurs enfants, dont Jean-Pierre Habyarimana.
Le président rwandais refoule à la frontière 80 000 Tutsi expulsés d’Ouganda par Milton Obote. Forte mortalité dans les rangs de ces réfugiés affamés.
1983
Habyarimana est réélu avec 99,8% des voix.
Refus d’accueillir les réfugiés Tutsi.
Naissance d’une opposition démocratique forte.
Amplification de la crise : multiplication des arrestations d’opposants Hutu du sud.
1990
Erik Orsenna rédige pour François Mitterrand le discours de la Baule. Il en dénoncera plus tard la politique africaine.
L’opposition armée du FPR appuie l’opposition sudiste et démocratique
1er octobre : attaque du FPR depuis l’Ouganda.
4 octobre 1990 : intervention française (opération Noroît) sur décision de François Mitterrand. 150 hommes du REP (Régiment Étranger des Parachutistes) sont envoyés au front, suivis des Belges et des Zaïrois. Mitterrand ajoute ensuite 450 hommes. Les 3000 Zaïrois sont renvoyés chez eux à cause des nombreuses exactions qu’ils commettent.
Nuit du 4 au 5 octobre : simulation d’une attaque sur Kigali avec le concours des militaires français.
5 octobre : discours d’Habyarimana expliquant que l’ennemi avait attaqué la capitale. État de siège, couvre-feu intégral, appel à la vigilance et à la délation. Arrestation de 10 000 Tutsi et d’opposants politiques Hutu.
8 octobre : massacre de civils Tutsi, les Bahima : un millier de victimes. D’autres massacres se poursuivront au cours des jours suivants.
Fin octobre : appui des troupes françaises repoussant le FPR en Ouganda. Début de la guérilla.
Retrait de la Belgique du Rwanda en dénonciation des crimes du régime Habyarimana. Seules restent les troupes françaises.
Novembre : accord par la France d’un prêt de 84 millions de francs « pour le développement », en réalité pour l’achat d’armements.
Décembre : nouveau prêt de 49 millions de francs pour la « réalisation de divers projets ».
Diffusion du texte raciste dit des « Dix commandements du Hutu » dans la revue Kangura soutenue par la belle-famille du Président. La 4ème de couverture est ornée d’une photo de Mitterrand avec comme légende : « Les vrais amis, on les rencontre dans les difficultés ».
1991-1992
Se produisent divers événements dans lesquels sont impliqués les militaires français.
Reconnaissance du multipartisme, manifestations populaires contre le gouvernement. Cessez-le-feu.
Mai 1992 : création des milices Interahamwe.
Juillet 1992 : déplacement de 300 000 personnes en raison des combats dans le Nord.
Fin août 1992 : massacre de Tutsi dans la région de Kibuye (ouest du pays)
« Couverture » par le Crédit Lyonnais d’un contrat égyptien de 6 millions de dollars de fourniture d’armes au Rwanda.
Livraison pour 86 millions de dollars d’armes par an par une manufacture d’armes sud-africaine.
Novembre 1992 : Habyarimana parle des accords d’Arusha comme d’un « chiffon de papier ». Léon Mugesera, membre du MRND, prône la liquidation des Tutsi.
1993
Nouvelle offensive du FPR arrêtée aux portes de Kigali grâce à l’appui français. Deux compagnies françaises sont envoyées au Rwanda. Massacre de Tutsi dans le Nord du pays.
Février 1993 : Paul Barril est engagé par le ministre rwandais de la défense.
28 février 1993 : visite du ministre de la coopération, Marcel Debarge, à Kigali. Appel à un front commun contre le FPR. Habyarimana appelle alors la population à la « défense civile du pays ».
Mars 1993 : enquête internationale sur les massacres. Jean Carbonnare, membre de cette commission, affirme avoir vu des instructeurs français dans le camp où l’on « amenait des civils par camions entiers. Ils étaient torturés et tués ».
Dénonciation par la commission des pratiques de génocide au Rwanda et de la responsabilité au plus haut niveau des autorités rwandaises.
4 août 1993 : signature des accords d’Arusha :
– mise en place d’un état de droit sous la responsabilité d’un gouvernement de transition à base élargie
– retour des réfugiés rwandais.
– constitution d’une armée nationale de transition intégrant FAR et APR.
Début des émissions racistes à RTLM (Radio Télévision des Mille Collines).
Décembre 1993 : retrait des troupes françaises.
Mise en place de la MINUAR. Le 27 décembre, la MINUAR compte 1260 hommes
1994
21 janvier 1994 : interception par la MINUAR à Kigali d’un avion-cargo qui avait chargé à Châteauroux des armes pour le FAR.
Blocage des accords d’Arusha : la faction présidentielle extrémiste refuse de mettre en place un gouvernement de transition élargi au FPR.
Mars 1994 : la MINUAR compte 2508 hommes.
4 avril 1994 : le colonel Bagosora déclare que les accords d’Arusha « n’offrent aucune garantie » et parle « d’exterminer tous les Tutsi ».
6 avril 1994, 20h30 : l’avion ramenant d’Arusha le président Habyarimana et le président du Burundi est abattu à Kigali. Les tueries commencent aussitôt.
9 avril 1994 :
Opération Amaryllis : la France envoie des troupes à Kigali, ainsi que la Belgique, pour évacuer les expatriés.
Évacuation de Madame Habyarimana et des membres éminents de sa famille.
Le ministère de la coopération, sur ordre de Mitterrand, lui remet un chèque de 200 000 francs pour ses frais personnels.
Le gouvernement intérimaire se constitue à l’ambassade de France et au ministère de la défense sous la houlette de l’ambassadeur de France et du Colonel Bagosora.
21 avril 1994 : le conseil de sécurité vote la réduction de la force de la MINUAR à 450 hommes. Le génocide peut se poursuivre.
Fin juin 1994 : Opération Turquoise. La France prend le contrôle d’une partie du territoire Rwandais sous prétexte de sauver les Tutsi. Cette opération permettra en fait d’exfiltrer nombre de génocidaires qui pourront s’enfuir par le Zaïre. Afflux de 2 millions de Hutu au Zaïre. Début de l’épidémie de choléra qui va émouvoir le monde entier et passer sous silence le génocide de plus d’un million de Tutsi.
28 juin 1994 : le rapporteur spécial de la commission des droits de l’homme de l’ONU, René Degni-Ségui, établit dans son rapport d’enquête au Rwanda que les massacres ont été planifiés. Il conclut que les massacres des Tutsi sont un génocide.
21 août 1994 : fin de l’opération Turquoise. Les FAR se réorganisent avec l’aide de Mobutu. Environ 500 militaires français sont au Zaïre jusqu’à la fin septembre.
4 octobre 1994 : la commission d’experts formée par la résolution 935 du 1er juillet 1994 du conseil de sécurité conclut, à l’instar de Degni-Ségui, qu’il y a eu génocide des Tutsi.
8 novembre 1994 : adoption par le conseil de sécurité de la résolution 955 instituant le TPIR (Tribunal Pénal International pour le Rwanda) pour juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’états voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.
C’est dans ce contexte historique qu’a été mis, en 1994, un point final à l’extermination systématique des Tutsi, accompagnés dans leur mort par de nombreux Hutu démocrates. Le génocide des Tutsi n’est pas le résultat d’une révolte spontanée de la population, mais bien celui d’un plan mûrement réfléchi et élaboré.