La nomination d’Alain Juppé comme ministre des Affaires Étrangères, poste qu’il a occupé de 1993 à 1995, rappelle de mauvais souvenirs à tous ceux qui s’intéressent encore aujourd’hui au génocide des Tutsi perpétré au Rwanda en 1994.
De nombreux observateurs ou historiens ont suffisamment mis en cause le gouvernement français de l’époque pour son soutien diplomatique, financier et militaire à un régime aux abois qui commettait un génocide à la face du monde, dans l’indifférence de la communauté internationale. Or, Alain Juppé était un des membres éminents de ce gouvernement avec, comme directeur de cabinet, un certain Dominique de Villepin qui en 2003 n’hésitera pas à évoquer « les terribles génocides qui ont frappé le Rwanda ». Pire, en plein génocide, le 27 avril 1994, Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires Etrangères du gouvernement intérimaire qui est en train de commettre le génocide, et Jean-Bosco Barayagwiza, extrémiste de la CDR, ne seront-ils pas reçus à Paris, et par l’Elysée et par le Ministère des Affaires Étrangères ?
Dans le rapport de la Mission d’Information dont il était président, Paul Quilès avait admis, en 1998, qu’il y avait eu « des erreurs, des maladresses, des analyses insuffisantes de la situation » de la part de la France, mais sans aller jusqu’à reconnaître une quelconque responsabilité.
Début 2008, Bernard Kouchner, lors d’un discret séjour à Kigali, avait déclaré que Paris avait commis, « non pas des erreurs » mais une « faute politique », déclaration qui avait déclenché la colère d’Alain Juppé.
Plus encore. En juin 2010, alors que le général Lafourcade publie « Opération Turquoise » pour rendre leur honneur aux soldats français engagés en juin 1994 dans une opération militaro-humanitaire de sinistre mémoire, l’ancien ministre des Affaires Étrangères n’hésite pas à affirmer son soutien au général : « Votre vérité est aussi la mienne. Je suis scandalisé par la tentative de réécriture de l’histoire qui vise à faire porter sur la France tout ou partie de la responsabilité de l’abominable génocide rwandais […] L’opération Turquoise fait honneur à la France et à son armée ».
L’homme qui revient donc aux affaires, aux Affaires Étrangères de la France, est un de ceux qui, mis en cause pour le soutien apporté à un régime génocidaire, n’a jamais éprouvé le moindre remord ni évoqué la moindre remise en cause de son action et de celle du gouvernement auquel il participait. Les victimes du génocide des Tutsi perpétré au Rwanda en 1994 peuvent légitimement craindre le retour d’un tel homme au pouvoir. Le rapprochement entre la France et le Rwanda de ces derniers mois ne sera-t-il par remis en cause par un ministre qui entend bien exercer toutes les prérogatives que lui donne sa nouvelle fonction ? Acceptera-t-il de reprendre à son compte les propos de deux de ses prédécesseurs qui, dans une tribune du Monde, appelaient de leurs vœux la création d’un « pôle d’enquêteurs spécialisés pour crime de génocide » au TGI de Paris ?
Soyons vigilants : les victimes du génocide ont besoin de la justice qu’on leur a promise.
Alain Juppé est-il vraiment l’homme de la situation ?