Le 11 juillet dernier, Laurent Serubuga était arrêté à Escaudoeuvres, petite cité du Nord de la France, où il vivait depuis quelques années semble-t-il. Il était visé par un mandat d’arrêt international délivré par les autorités rwandaises le 17 mai 2013. Après avoir vécu plusieurs années à Strasbourg (est de la France), ville qu’il avait fui alors que des associations avaient déposé plainte contre lui en 2001, il s’est donc retrouvé dans le Nord de la France. Personne ne sait ou ne veut dire pour quelles raisons il avait fait le choix de cette petite cité: la proximité de la Belgique où il semble avoir gardé des contacts et des amis pourrait justifier cette décision. Toujours est-il qu’il vivait, comme à Strasbourg, dans un foyer de travailleurs migrants, apparemment désargenté: c’est du moins ce que laissent entendre ses démarches auprès du CCAS d’Escaudoeuvres afin d’obtenir une aide sociale. Lors d’un récent séjour à Kigali, j’ai su cependant qu’il s’offrait les services de deux avocats pour tenter de recouvrer les biens qu’il possède au Rwanda.
Début 2001, les associations FIDH et Survie avaient déposé une plainte contre l’ancien chef d’état- major adjoint de l’armée rwandaise, plainte classée sans suite, faute de preuves. Une nouvelle plainte avec constitution de partie civile était alors déposée à la fin de la même année, plainte qui est restée « dormante » jusqu’à ces dernières semaines. En juillet 2007, le CPCR se portait à son tour partie civile avec la ferme intention de faire évoluer la situation. Il nous aura fallu cependant plusieurs années pour constituer un véritable dossier et c’est au printemps 2013 que le CPCR a remis aux juges d’instruction du « pôle crimes contre l’humanité » un nombre important de témoignages et de documents qui mettent en cause le colonel Laurent Serubuga dans l’organisation et la réalisation du génocide des Tutsi. En réalité, le colonel Serubuga est connu depuis toujours pour avoir été un des bras droits du président Habyarimana depuis 1973, et un des membres éminents de l’akazu, le cercle restreint des intimes de la famille Habyarimana, et tout particulièrement de Madame Kanziga, l’épouse du président défunt, et de ses frères, Protais Zigiranyirazo, Séraphin Rwabukumba et Elie Sagatwa. Laurent Serubuga n’est donc pas un inconnu pour tous ceux qui connaissent le Rwanda et qui s’intéressent au génocide des Tutsi.
Par contre, comme à l’accoutumée, l’arrestation de Laurent Serubuga a jeté la consternation dans son entourage. Le maire d’Escaudoeuvres lui-même s’est dit très étonné: »Nous n’aurions jamais pensé que ce monsieur était, soit-disant accusé [..] de génocide au Rwanda, jamais. » Quel sens faut-il donner à ces propos ? « Soit-disant accusé ! » Et la responsable du CCAS, chargée de l’aide sociale, de renchérir: »Je l’ai reçu à plusieurs reprises. Il était très poli, très courtois. Les règles du savoir-vivre, il les connaissait. » Bien sûr qu’il connaissait les règles du savoir-vivre: monsieur Serubuga a probablement gardé de beaux restes de son passé de haut dignitaire de l’armée rwandaise !
Présenté une première fois devant les magistrats de la Cour d’appel de Douai, Laurent Serubuga a demandé, par l’intermédiaire de son avocat, de reporter l’audience à une date ultérieure. Une nouvelle convocation lui a été remise pour le 13 août. En attendant, il reste sous écrou extraditionnel. Quant à la décision qui sera prise, nous ne nous faisons pas d’illusion. Même si la Cour d’appel de Douai venait à donner un avis favorable à cette extradition, la Cour de cassation s’empresserait, comme elle l’a toujours fait, et à l’aide d’arguments fallacieux que peu de gens comprennent, de casser cette décision. Il est donc important que Laurent Serubuga reste visé par une plainte avec constitution de partie civile. Nous ne pourrions pas comprendre que l’ancien chef d’état-major de l’armée rwandaise ne rende un jour des comptes à la justice française. Le CPCR veillera à ce que la plainte qui le concerne ne reste pas sous le boisseau.