Isaac Kamali a comparu le mercredi 5 novembre 2008 pour l’étude de la demande d’extradition vers le Rwanda. La composition de la Cour ayant changé, il a fallu procéder à un nouvel interrogatoire. Le président a rappelé également toutes les procédures engagées jusque-là, en soulignant en particulier que les faits présentés par la justice rwandaise n’étaient pas toujours « très bien articulés de manière juridique ». Il a rappelé les accusations portées contre le prévenu et a donné en quelques mots la position de l’avocat général qui la rappellera lui-même un peu plus tard. Il souligne en particulier que l’avocat général n’est pas favorable à l’extradition à cause de « discordances dans les dossiers rwandais » et surtout à cause du fait qu’il n’y a pas de « garanties de procédure », que la condamnation prononcée au Rwanda était politique.
L’avocat général a alors pris la parole. Il a rappelé les Réticences qui étaient les siennes à propos de l’extradition, a souligné que monsieur Kamali avait la nationalité française après avoir obtenu le statut de réfugié politique. D’autre part, il a fait référence au refus du TPIR d’extrader plusieurs Rwandais vers leur pays d’origine car « il n’y a pas de garanties fondamentales dans les procédures rwandaises ». En faisant allusion à la condamnation de deux militaires responsables de la mort des trois évêques à Kabgayi, il a parlé « d’une décision d’une faiblesse insigne » » et a cité les propos du TPIR qui a parlé « d’un laxisme des autorités rwandaises » dans cette affaire. Il a continué en soulignant la faiblesse des dossiers judiciaires rwandais, le fait qu’il existe deux actes d’accusation avec des dates différentes alors que l’un est le copié/collé de l’autre, a dénoncé le fait que « le mandat d’arrêt ne fait aucune allusion à la condamnation de Kamali et a parlé à plusieurs reprises de « salmigondis » à propos de ces documents fournis par le Rwanda. A propos du jugement de Kamali, il s’étonne que son nom n’apparaisse presque jamais alors qu’au final il est condamné à la peine capitale. En conclusion, il dit que la demande d’extradition doit être rejetée pour trois motifs principaux : Kamali a un statu de citoyen français, les droits de la défense ne seront pas assurés au Rwanda et les demandes de la justice rwandaise sont beaucoup trop imprécises. Eprouvant cependant quelques remords par rapport à la gravité des faits qui lui sont reprochés, il termine par ses mots, après avoir rappelé la décision concernant Bivugabagabo : « On peut trouver une parade, ou on le remet, ou on le juge ! » (Note du rapporteur : il y a là une petite ouverture en ce sens que le procureur n’exclut pas la possibilité pour le Parquet de poursuivre !)
C’est au tour de l’avocat d la défense, Maître Biju-Duval de prendre la parole. Il a beau jeu, après avoir entendu tout ce qui précède, de rappeler les raisons pour lesquelles l’extradition vers le Rwanda n’est pas possible :
-De quoi accuse-t-on Kamali ? Le mandat d’arrêt aurait dû mentionner la date et la nature des faits. Or, ce document ne comporte aucune mention temporelle. L’affaire pourrait s’arrêter là. D’autre part, il souligne le manque total de cohérence entre les documents fournis par le Rwanda. A chaque fois on découvre des accusations nouvelles, des qualifications nouvelles, il n’y a pas de fondement judiciaire légitime, il s’agit d’un dossier monté de toutes pièces.
-Kamali doit être protégé par son statut de réfugié naturalisé. En obtenant la nationalité française, il conserve tous les droits attachés au titre de réfugié. Si ce n’est pas le cas, la Convention de Genève ne vaut rien.
-Les qualifications des faits reprochés à Kamali ont été mises dans le Code rwandais en 2003 ; or, les faits datent de 1994. Même en ce qui concerne des crimes imprescriptibles, il ne peut y avoir de rétroactivité.
-Il ne faut pas renvoyer Kamali au Rwanda, il sera soumis à des traitements inhumains et dégradants, tout le monde est d’accord, des grandes associations des droits de l’Homme jusqu’au TPIR. La peine encourue par Kamali au Rwanda est inacceptable : perpétuité en isolement carcéral sans possibilité de libération anticipée. D’après Guichaoua, expert au TPIR, « le Rwanda est la pire dictature d’Afrique ». L’avocat termine son intervention en disant que les autorités rwandaises instrumentalisent les pays étrangers où se sont réfugiés des opposants.
La parole est enfin donnée à Kamali qui rappelle que la France est son pays, qu’il est victime de la politique et qu’il fait confiance en la justice française qui, elle, n’est pas aux ordres.
La décision sera rendue le 10 décembre 2008.
Commentaire :
Il ne fait aucun doute que Kamali ne sera pas extradé vers le Rwanda. Reste la possibilité évoquée par l’avocat général concernant des poursuites éventuelles du Parquet. Il faudra être vigilant et peut-être préparer la riposte.
Compte-rendu rédigé par Alain Gauthier (5/11/08)