Interrogatoire de CV de Tito BARAHIRA. 11 mai 2016. J2.

Toute la matinée est consacrée à la personnalité de Tito BARAHIRA. Madame la présidente demande à l’accusé de s’exprimer librement sur son passé.

Enfance et formation. Monsieur BARAHIRA évoque son enfance auprès de sa famille. Il commence par ses années d’école primaire, près de la maison, puis un peu plus loin. Battu par son maître en 2ème année, loin de chez lui, il est finalement retiré de l’école. Il reprendra l’année suivante, et ce jusqu’en 6ème qu’il devra redoubler après avoir échoué aux tests d’entrée à l’école secondaire, tests qu’il réussira l’année suivante. Trois années d’école secondaire, puis école normale de Zaza où il obtient son diplôme d’enseignant. Après deux années d’enseignement, il part en stage pédagogique à Butare.

Engagement politique. A l’occasion du coup d’état d’HABYARIMANA, en 1973, il souhaite venir travailler à Kigali où il obtient un poste au ministère de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’encadrement de la jeunesse. Il avait connu le ministre qui était originaire de sa région natale. En 1976, il est nommé bourgmestre de Kabarondo. Il le restera jusqu’en 1986, époque à laquelle il souhaite ne pas renouveler son mandat. En tant que bourgmestre, il était aussi président régional du MRND, le parti unique créé par le président de la république. En 1987, il est engagé à la société Electrogaz de Kibungo où il travaille « jusqu’en 1994 au moment où a commencé la période de guerre contre ceux que nous appelions les rebelles« .

La période du génocide résumée à sa fuite. Après l’attentat contre l’avion du président, monsieur BARAHIRA évoque une « période de deuil et de guerre« , période au cours de laquelle les rebelles ont continué le combat. « Cette période a entraîné beaucoup de problèmes dans plusieurs endroits de Kabarondo et dans tout le pays, massacres qui ont causé la mort de plusieurs victimes, notamment des Tutsi« . Pris de peur, il a trouvé nécessaire de s’enfuir avec sa famille. Aucune allusion aux tueries dans les différents secteurs, ni à l’église de Kabarondo, ni au Centre de santé, ni à l’IGA… La première quinzaine d’avril 1994 se résume à sa fuite, fuite au cours de laquelle il se retrouve seul avec son fils aîné. Il passera plusieurs semaines à rechercher sa femme et ses autres enfants: Burundi d’abord, puis le camp de Benako en Tanzanie où il rejoint des milliers de réfugiés hutu et où il apprend que sa femme est retournée au Rwanda. Il résidera dans ce camp pendant deux ans, puis partira pour Nairobi, la capitale du Kenya. Son épouse viendra lui rendre visite puis repartira au Rwanda où elle travaille. Elle finira par partir pour la France en 1997 et obtiendra l’asile politique une année plus tard.

Arrivée en France. Son fils aîné avec lequel il est resté à Nairobi arrive en France en 2001. Ce n’est que le 25 décembre 2004 qu’il parviendra à son tour à s’établir en France où il cherchera à s’intégrer. Malade, il va toutefois travailler deux ans à l’Inspection académique de Toulouse, puis dans un service de nettoyage. Au moment de prendre sa retraite, il est incarcéré une première fois suite à la diffusion d’un mandat d’arrêt international. Sa demande d’extradition vers le Rwanda est rejetée. Remis en liberté, il est placé sous contrôle judiciaire. Il sera de nouveau arrêté en 2013 et comparaît sous le statut de détenu.

Questions de la présidente. Suivra une série de questions de la part de la présidente: pourquoi a-t-il demandé un interprète alors qu’il a toujours été interrogé en Français? Ses relations avec ses parents, ses frères et sœurs, les conditions matérielles dans lesquelles ils vivaient, leur religion… Autant de questions qui permettent de cerner un peu mieux la personnalité de l’accusé mais qui ne semblent pas présenter un intérêt capital. Madame la présidente veut savoir aussi si le fait qu’il ait connu le ministre de la jeunesse lui a été d’un quelconque secours pour devenir fonctionnaire dans ce même ministère. Tito BARAHIRA n’ose pas trop le dire, mais cela semble une évidence. Il en est de même pour sa nomination au poste de bourgmestre, même si BARAHIRA prétend avoir été surpris par cette nomination. D’autant qu’en tant que bourgmestre il devenait de facto président local du MRND. Il justifie sa démission en 1986 en invoquant des problèmes de santé. Il sera de nouveau nommé président du MRND en janvier 1994, lui l’ancien « encadreur de la jeunesse » à Kigali. Tito BARAHIRA sera interrogé sur sa vie conjugale, sur le divorce que demandera son épouse dès qu’il arrivera en France, tout simplement parce qu’elle avait pris l’habitude de vivre sans lui.

Et ses relations avec NGENZI? Il le connaissait car, alors qu’il était bourgmestre, Octavien NGENZI avait été nommé agronome à Kabarondo. Ses loisirs? Le football, la lecture, quand il en avait le temps, ce qui veut dire rarement. Sa santé? Trois dialyses par semaine, une détention éprouvante à cause de la solitude. En prison il ne peut faire les promenades car il est souvent pris de vertiges et il a des ulcères à la cheville. Des visites en prison? Elles sont rares. Seul son fils aîné lui a rendu quelques visites. Selon le rapport de l’administration pénitentiaire, c’est un détenu sans histoire.

La présidente lit enfin le rapport de Madame AUPETIT, enquêtrice de personnalité, qui est empêchée pour des raisons de santé. A la question de savoir si, après sa démission de bourgmestre, il avait encore de l’ascendant sur ses concitoyens:  » Non, je suis redevenu un citoyen ordinaire ». Vraiment? On a peine à le croire.

Maître PARUELLE, avocat de la partie civile, l’interroge alors sur « le génocide ». « Concernant ceux qui sont morts, on appelait cela des massacres. Je ne peux pas nier que c’est un génocide. Mais personnellement, je ne connaissais même pas le mot génocide« . Edifiant!

L’avocat général interroge à son tour l’accusé. Plusieurs questions « pointues » qui embarrassent quelque peu l’accusé.

      – Vous connaissez le journal Kangura? Vous l’avez lu?

      – Je le connaissais mais ne l’ai jamais lu.

      – Et la radio RTLM?

      – Je la connais mais ne l’ai jamais écoutée. Je ne pouvais pas la capter. Je sais que la RTLM commentait la progression de la guerre dans le pays.

      – Par qui avez-vous été nommé bourgmestre?

      – Par le président HABYARIMANA, sur proposition du ministre de l’intérieur.

      – Et RWAGAFILITA? (l’homme fort de la région, commandant de la gendarmerie à Kibungo).

      – Il est intervenu dans ma recherche de travail!

      – Vous avez gardé un certain prestige après votre démission? Les Interahamwe?

      – Je n’ai pas eu de contact avec les Interahamwe. Il n’y en avait pas à Kabarondo!

Qui peut le croire.

L’audience est interrompue car monsieur BARAHIRA doit faire sa séance de dialyse. L’avocat général reprendra son interrogatoire demain.

Alain GAUTHIER

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