Génocide des Tutsi: combien faudra-t-il de temps pour juger ?

Le 14 mars 2014, la Cour d’assises de Paris condamnait Pascal SIMBIKANGWA à 25 ans de prison pour « génocide et complicité de crimes contre l’humanité ». Ce n’est qu’à partir du 25 octobre 2016 que se tiendra son procès en appel à la Cour d’assises de Bobigny: il aura donc fallu attendre deux ans et demi entre les deux procès.

A partir du 10 mai 2016 se déroulera à la Cour d’assises de Paris un second procès pour génocide. Sont concernés deux anciens bourgmestres de Kabarondo, une petite localité de l’Est du Rwanda, messieurs Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA, tous deux en détention provisoire. Ce procès est prévu pour durer jusqu’au 1 juillet.

Près de 30 plaintes ont été déposées sur le bureau des juges d’instruction du « pôle crimes contre l’humanité » au TGI de Paris, pôle qui fonctionne depuis le 1 janvier 2012. Si la justice française doit garder le même rythme de croisière, soit deux procès tous les trois ou quatre ans (car en cas de condamnation les deux accusés ne manqueront certainement pas de faire appel), nous ne sommes pas sortis de l’auberge, pour parler un peu vulgairement!

Existe-t-il des solutions pour changer cet état de fait?

Tout d’abord, que l’instruction des dossiers en cours soit plus rapide: autrement dit, que d’autres juges soient nommés pour venir épauler les trois juges actuellement détachés pour ces affaires.

D’autre part, tous les procès en première instance sont supposés se dérouler à la Cour d’assises de Paris. Or, il est de notoriété publique que cette instance est particulièrement encombrée et que les délais pour la tenue des procès sont extrêmement longs. Ne serait-il pas possible de « dépayser » ces affaires concernant le génocide des Tutsi vers d’autres tribunaux? A moins que la situation soit la même partout en France! Nombreux sont ceux qui dénoncent en effet les lenteurs de la justice française.

Peut-être aussi que la Cour d’assises, avec participation d’un jury populaire, n’est pas la forme la plus appropriée ni la plus efficace dans les affaires de génocide, un génocide perpétré à près de 7000 km de nos frontières. Le président de la Cour d’assises de Paris lors du procès SIMBIKANGWA, monsieur Olivier LEURENT, s’interrogeait à ce sujet:  » Bien que j’y sois très attaché car il s’agit d’une magnifique institution qui tire tout le système vers le haut, je me pose la question de savoir si ce genre d’affaires doit être soumis à un jury populaire. Ce qui fonde la légitimité du jury populaire, c’est d’associer le peuple français au jugement des crimes car le passage à l’acte a été commis près de leur domicile ou en tout cas dans un environnement qui peut leur être familier. En l’espèce, il s’agit de faits concernant la France car c’est bien évidemment l’humanité toute entière qui est concernée, mais je ne suis pas certain que le jury populaire ait la vocation et la légitimité à intervenir au regard de la complexité historique, géopolitique, diplomatique et politique de ces affaires et au regard de l’éloignement temporel et géographique de ces faits. […] La complexité inhérente à ce contentieux devrait être un critère justifiant que ce type d’affaires soit confié à des magistrats professionnels. .[..] Une cour d’assises « spécialement composée » en matière de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, permettrait un gain de temps considérable et indéniablement une meilleure appréhension du contexte. » (1)

En marge de ces réflexions, il ne nous est pas possible de passer sous silence la question du financement des procès pour les parties civiles. C’est déjà parce que des associations comme le CPCR, soutenu par d’autres associations comme Survie, la LICRA, la FIDH et la LDH, ont enquêté puis déposé des plaintes que de tels procès peuvent avoir lieu, le Parquet ne s’étant pratiquement jamais saisi lui-même de ces affaires (à peine croyable). Et nous devons en plus trouver les fonds nécessaires pour défrayer nos avocats qui ont travaillé bénévolement à nos côtés pendant des années? Nous considérons cette situation comme une véritable injustice, voire une entrave à la justice à laquelle ont droit les victimes que nous représentons. Mais cela semble n’émouvoir et ne scandaliser personne.

C’est la raison pour laquelle nous ne cessons de lancer des appels à nous soutenir financièrement dans notre combat pour la justice. Un combat que nous entendons bien poursuivre au service des victimes. Mais combien d’années faudra-t-il encore pour que cette justice leur soit rendue?

(1) in La revue de l’Institut des Hautes Etudes sur la justice (IHEJ): « Regards croisés sur les procès de Germain KATANGA (à la CPI) et de Pascal SIMBIKANGWA. Entretien avec les juges Bruno COTTE (CPI de 2008 à 2014)) et Olivier LEURENT (assises de Paris février/ mars 2014), pages 17 et 22. Propos recueillis par Sandra DELVAL.

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