Rwanda : « Le TPIR est fermé mais des génocidaires vivent toujours en liberté »
Ouvert en 1995 à Arusha, en Tanzanie, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le premier à rendre des jugements contre des personnes présumées responsables de génocide, a rendu son ultime verdict le 14 décembre. C’est le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux de l’ONU (MTPI) qui va lui succéder, afin que les derniers fugitifs, accusés d’avoir planifié le génocide qui a fait près de 800 000 morts, essentiellement au sein de la minorité tutsi entre avril et juillet 1994, soient arrêtés, transférés et jugés.
Au cours de son existence, le TPIR a mis en accusation 93 personnes : 61 ont été condamnées ; 14 acquittées ; 10 renvoyées devant des juridictions nationales ; 3 sont en fuite (renvoyés devant le MTPI), 3 sont décédées avant ou pendant le procès et 2 autres ont vu leur acte d’accusation retiré avant le procès. Enfin, Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), estime que des personnes ayant participé au génocide « vivent toujours tranquillement en liberté ».
Quel bilan faites-vous du Tribunal pénal international pour le Rwanda ?
Alain Gauthier: Ce tribunal a eu le mérite d’exister, et il a reconnu le génocide des Tutsi. Mais son bilan reste mitigé. En vingt ans, seules une soixantaine de personnes ont été condamnées, ce qui est vraiment peu. Même si des choses positives ont été réalisées, cela reste en deçà de ce qui aurait pu être fait. Il faut savoir qu’il n’y avait pas de parties civiles au TPIR, si bien que les droits des victimes n’ont pas été reconnus. Certaines d’entre elles, notamment des femmes victimes de viols, ont été humiliées par les questions et les commentaires des magistrats ou des avocats de la défense.
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En 2011, le coût du TPIR a été estimé à plus de 2 milliards de dollars [1,8 milliard d’euros]. Des sommes considérables ont été dépensées pour payer des avocats à des gens qui étaient accusés de génocide ou de crimes contre l’humanité. Il faudra se souvenir que ceux qui ont comparu à Arusha étaient les planificateurs, les architectes du génocide. Ils étaient accusés des faits les plus graves. Pour des vols, des viols, des meurtres, des centaines de milliers d’autres ont été jugés lors des gacaca, ces juridictions populaires inspirées d’anciennes assemblées où les sages du village réglaient les contentieux.
Les condamnations du TPIR ont-elles été à la hauteur ?
Il y a eu une dizaine de condamnations à perpétuité, la peine maximale, ce qui n’est pas énorme vu la gravité des faits. Ce qui est choquant, c’est que les condamnations les plus lourdes ont souvent été réduites en appel. Le dernier procès du TPIR, qui s’est achevé mi-décembre, l’a encore montré.
Sur les six personnes qui ont été reconnues coupables de crimes contre l’humanité en première instance, trois ont bénéficié d’une réduction de peine en appel [de la réclusion à perpétuité à quarante-sept ans de détention pour Pauline Niyiramasuhoko, la seule femme jugée par le TPIR, et pour son fils Shalom]. Certaines condamnations ont été allégées en appel. Argument avancé par les juges : « La violation de leur droit à un procès équitable dans un délai raisonnable leur a causé préjudice. » Mais à qui la faute si les procès ont pris autant de temps ? On dit aussi que le TPIR a coûté beaucoup d’argent, mais qui est responsable ?
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Il y a eu aussi des jugements que je qualifierais de décevants, très surprenants, voire scandaleux. Prenez le cas de Protais Zigiranyirazo. Condamné fin 2008 à vingt ans d’emprisonnement pour génocide et extermination constitutive de crime contre l’humanité, il a été acquitté en appel ! Cet homme, qui était surnommé « Monsieur Z », était Ie beau-frère du défunt président rwandais, Juvénal Habyarimana, dont la mort le 6 avril 1994 a été le détonateur du génocide.
Certains dossiers ont été transmis par le TPIR à des autorités étrangères. Le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, qui était lourdement accusé, a récemment été acquitté en France. Qu’en pensez-vous ?
C’est une décision incompréhensible ! L’acte d’accusation de Wenceslas Munyeshyaka a été transmis aux autorités françaises en 2007 par le TPIR. Accusé de génocide, viol, crime et assassinat, tous constitutifs de crime contre I’humanité, le père Wenceslas Munyeshyaka officie en Normandie depuis 1995. Cette affaire avait même valu à la France d’être condamnée en juin 2004 par la Cour européenne des droits de l’homme pour la lenteur de sa justice. Finalement, le procureur et les juges d’instruction ont rendu une ordonnance de non-lieu dans cette affaire. Pour moi, il s’agit d’un déni de justice ! C’est infamant et le TPIR doit regretter d’avoir confié ce dossier à la justice française.
Des auteurs du génocide rwandais sont-ils encore en liberté ?
Après l’arrestation, le 9 décembre, en République démocratique du Congo de Ladislas Ntaganzwa, accusé d’avoir participé à l’élaboration et à la mise en œuvre, au niveau communal, d’un plan d’extermination de la population tutsi, il reste huit personnes recherchées par le TPIR. Il y a notamment Félicien Kabuga, considéré comme le « financier du génocide ». Où se cache-t-il ? On suppose qu’il est en Afrique, protégé par un gouvernement.
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Huit personnes sont donc encore recherchées par le TPIR, mais il y en a beaucoup d’autres qui vivent tranquillement, en France notamment. Elles ne sont pas inquiétées parce que la justice française traîne les pieds et parce que les poursuivre demande beaucoup d’argent et de temps aux parties civiles. Près de trente plaintes ont été déposées, un seul procès a eu lieu, celui de Pascal Simbikangwa, condamné à vingt-cinq ans de prison en mars 2014, mais qui a fait appel [le procès en appel se déroulera à la cour d’assises de Bobigny du 25 octobre au 9 décembre 2016]. Un autre procès se déroulera du 10 mai au 1er juillet à la cour d’assises de Paris contre deux anciens maires, Octavien Ngenzi et Tito Barahira.
Le CPCR est à l’origine de ces procédures et demande que les frais de justice soient pris en charge par la communauté internationale. Contrairement aux déclarations des hommes politiques de tout bord, la France semble bien devenue un « havre de paix » pour les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi.
Pierre Lepidi