Audience du 7 octobre 2010 à la Chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Bordeaux
Le président de la Cour, Bernard Boulmier, commence par rappeler les audiences précédentes :
– Celle du 4 février 2010 qui se termine par une demande d’un supplément d’information.
– Celle du 15 juin 2010 : le Rwanda n’ayant pas répondu, une nouvelle demande de supplément d’information est faite au Rwanda.
A noter que le 2 juillet 2010, notification de placement sous contrôle judiciaire adressée à Munyemana. Le Rwanda transmet 17 pièces dont 3 non traduites. Le président de la Cour énumère toutes les pièces.
Le président évoque ensuite le mémoire de l’Avocat général, monsieur Jacques Defos du Rau. Ce dernier relève des difficultés d’ordre juridique au vu des pièces reçues. La loi date de 2003 alors que les faits reprochés se sont passés entre 1990 et 1994. L’Avocat général souligne le manque de précisions sur les faits reprochés dans l’acte d’accusation, « éléments généraux et imprécis ». D’autre part, pour certains crimes, il y a probablement prescription.
Le président évoque enfin le mémoire des avocats de la défense. Pour eux :
- Il existe une jurisprudence en ce qui concerne les extraditions.
- Des articles de presse plaident en faveur de Munyemana.
- La décision de la Cour d’Appel de Versailles dans l’affaire Rwamucyo le 15/09/2010 ne va pas dans le sens d’une extradition.
- Les avocats s’interrogent même sur la légalité de cette demande d’extradition.
- Les prescriptions ne sont pas vérifiées.
- Il ne faut donc pas extrader Munyemana.
L’avocat général, Jacques Defos du Rau, prend alors la parole e s’adresse à la Cour. « La demande d’extradition que vous devez trancher s’inscrit dans un contexte très particulier de violence extrême, de conflit entre des ethnies, avec de nombreux assassinats […] lors d’événements à caractère politique […] Vous devez appliquer le droit […], ne pas juger les faits […]. Il s’agit d’une simple demande d’extradition qui obéit à des règles précises […] Cette demande doit être traitée selon des conditions légales ».
Pour l’avocat général, des questions se posent quant à l’antériorité des faits. Les juges ont besoin d’informations. Le Rwanda demande l’extradition de Munyemana, ce qui laisse entendre qu’il sera livré « menottes aux poings ».
« C’est à la justice rwandaise de se prononcer sur le fond. Encore faut-il qu’il y ait des charges réelles… Malheureusement, je n’ai pas trouvé d’indices qui pourraient engager la responsabilité de Munyemana ».
Puis, faisant référence à l’article 696/14 du code pénal : « Il faut refuser l’extradition lorsqu’il apparaît que la personne ne pourra bénéficier des droits de la défense. Faut-il une nouvelle demande de complément d’information ? Les faits datent de 16 ans ! Existe-t-il des indices matériels prouvant la culpabilité de Munyemana » ?
« Vous avez la liberté de prendre une décision ».
L’avocate de la défense, madame Florence Bourg.
« C’est la troisième fois que nous sommes là. Nous n’avons reçu aucun complément d’information en juin, et aujourd’hui ? Voilà 8 mois que Sosthène Munyemana a une épée de Damoclès sur la tête. In extremis, nous avons obtenu des éléments du Rwanda, mais… (sous-entendu, ce n’est pas probant). Je m’oppose donc à tout nouveau renvoi.
« C’est la septième fois que la justice française a à se prononcer sur une demande d’extradition. Aucune réponse favorable à ce jour. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une demande inacceptable. Les demandes du Rwanda ne respectent pas un seul article de notre code pénal ». Et d’annoncer sept motifs d’exclusion, mais décide d’en évoquer trois.
- On ne peut pas extrader lorsqu’il y a prescription. La loi est de 2003 alors que les faits reprochés se sont déroulés en 1994.
- La peine de sûreté de 20 ans, en cellule d’isolation, est contraire à l’ordre public français. Ce sont des traitements inhumains.
- Il n’existe pas de garantie du respect des procédures.
Commentant ces trois points, l’avocate soulignera le fait que le TPIR a lui aussi refusé d’extrader des prévenus vers le Rwanda… Les droits de la défense ne sont pas respectés au Rwanda […] qui vit sous un régime dictatorial. Elle évoque ensuite le cas de l’avocat américain Erlinder, avocat de l’opposante Victoire Ingabire, arrêté au Rwanda… Elle ironise sur la loi qui traite de « l’idéologie génocidaire », loi au nom de laquelle on peut être condamné, loi « fourre-tout », dénoncée par Amnesty International et Human Right Watch. Elle évoque enfin le dernier rapport de l’ONU qui accuse le Rwanda d’avoir commis un génocide au Congo. « Aujourd’hui, les masquent tombent. Le Rwanda n’est pas un pays de droit ». Elle évoque enfin la faiblesse de l’acte d’accusation qui fait allusion à un « viol » commis par quelqu’un qui habiterait « en Belgique » ! Cela ne peut donc concerner son client.
Elle termine en déclarant qu’il faut refuser l’extradition.
Parole est enfin donnée à monsieur Munyemana.
« Je n’ai rein à ajouter […] mon avocate a très bien parlé […] La justice du Rwanda n’est pas fiable, surtout les Gacaca. J’ai moi-même déposé plainte contre des personnes. L’acte d’accusation ne fait que reprendre les faits évoqués par African Rights, une association à la solde de Kagame. »
Voulant évoquer la situation au Rwanda, Sosthène Munyemana est interrompu par le président de la Cour car cela a été longuement évoqué par son avocate. Monsieur Munyemana demande que la Cour prenne une décision défavorable. Il termine en exprimant sa compassion pour les victimes au Rwanda, au Congo et en France.
L’arrêt sera rendu le 19 octobre.