Début avril, le rapport DUCLERT était remis au président de la République française. Ce rapport tant attendu affirme que la France « est demeurée aveugle face à la préparation » du génocide et porte des « responsabilités lourdes et accablantes ». Il souligne cependant que « rien ne vient démontrer » qu’elle s’est rendue « complice » du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994.
Le rapport Muse, commandé par le Rwanda à un cabinet d’avocats américains, était rendu public quelques jours plus tard: « Notre conclusion est que l’Etat français porte une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible ».
Les réactions n’ont pas tardé. Du côté du gouvernement rwandais, on semble vouloir aller à l’apaisement. Monsieur Vincent BIRUTA, ministre des Affaires Etrangères, a déclaré que « le gouvernement rwandais s’est félicité du rapport de la commission Duclert, qui représente un pas important vers une compréhension commune du rôle de la France dans le génocide contre les Tutsi. Si vous comprenez bien le passé, cela veut dire que vous pouvez construire un avenir ensemble qui est basé sur les faits historiques et ce rapport va y contribuer beaucoup. Ça permettra, nous l’espérons, ça permettra de construire une relation saine et positive entre la France et le Rwanda. » Pas de complicité, ce qui satisfait bien évidemment nombre de politiciens français.
Bernard KOUCHNER, diplomatiquement très actif pendant le génocide, a redonné l’essentiel de son analyse: « Ce rapport apporte un peu de vérité sur une immense faute politique (…) Mais c’est tellement tardif, plus de 26 ans après (…) Les gens de l’Élysée », « le général Quesnot » (chef d’état-major particulier), le « général Huchon » (alors colonel et adjoint du général Quesnot) ou « Hubert Védrine », alors secrétaire général de l’Élysée, ont fait preuve d’une « cécité absolue (…) Savoir ce qu’il se passait, c’était facile (…) » Les politiques français » avaient tous les moyens de se renseigner sur ce qu’il se passait. Ils ne l’ont pas fait »
Hervé BERVILLE, député LReM, d’origine rwandaise, ne veut pas, quant à lui, reconnaître de « complicité ». Il se contente de reconnaître « la cécité et les biais intellectuels et politiques d’une partie des élites françaises de l’époque, qui n’ont pas vu venir ce génocide » C’est bien peu de choses! D’autant que ce génocide, nous l’avions bien vu venir.
Monsieur Alain JUPPE, ministre des Affaires Etrangères en 1994 et aujourd’hui membre du Conseil constitutionnel, a commencé par se pencher, voire s’épancher, sur le sort de monsieur Joseph KAVARUGANDA, président du Conseil constitutionnel en 1994, assassiné dès le 7 avril. Il a poursuivi aussitôt pour exonérer la France de toute responsabilité: « Nous n’avons pas mesuré que nous abandonnions des centaines de milliers de Tutsi promis à la mort. La France est enfin exonérée de l’accusation de complicité dans la préparation, voire l’exécution du génocide, injustement portée contre elle pendant des années.»
Peut-être encore plus étonnante, la réaction de monsieur Edouard BALLADUR. Interrogé sur le fait que beaucoup de Rwandais attendent aujourd’hui des excuses de la France, il répond : « Demandez à d’autres pays, mais pas à la France, car la France a fait quelque chose, alors que les États-Unis et la Belgique n’ont rien fait. N’attendez pas de moi la moindre repentance ! »
Monsieur Hubert VEDRINE, quant à lui, est resté droit dans ses bottes. Après avoir salué » l’honnêteté » d’un rapport qui » a écarté toute complicité de la France « , il conclut: « Mais le plus important, c’est que le rapport écarte toute complicité de la France, compte tenu des accusations qui circulent depuis une quinzaine d’années. » Circulez donc, il n’y a rien à voir.
Monsieur Nicolas SARKOZY, qui avait reconnu des « erreurs d’appréciations » lors d’un voyage au Rwanda en 2010, prend le contre-pied de tous ceux qui se sont exprimés avant lui: « Ce qui s’est passé au Rwanda, d’avril à juillet 1994, est le dernier génocide du XXe siècle. Appelons les choses par leur nom ! […] C’est un projet politique raciste d’extrémistes hutus pour rayer de la carte les Tutsi. » La théorie du double génocide? « Un mensonge inacceptable. » Mais comme l’ensemble de la classe politique française, il ne veut pas entendre parler de « complicité ».
En réalité, seul Raphaël GLUCKSMANN a eu le courage, comme il l’a déjà fait en présence des élus socialistes, de redonner la position qui fut toujours la sienne. Pour lui, la responsabilité de l’État français et de François Mitterrand dans le génocide commis au Rwanda en 1994, telle qu’établie par le rapport remis à Emmanuel Macron, constitue le « pire scandale de la Ve République ». Et d’ajouter: « Petit à petit, la vérité va s’imposer et c’est un moment important pour la France : une nation se grandit à éclairer les zones les plus sombres de son histoire. On a tellement lié notre destin à ce régime rwandais que tous les signaux, y compris des renseignements extérieurs, ont été ignorés, et l’existence une fois établie du génocide n’a pas été une priorité pour la France ». Les choses sont claires.
Finalement, c’est l’association SURVIE qui, dans la bouche de son co-président, Patrice GARESIO, reste la plus critique quant à la teneur du rapport DUCLERT. « Si l’Élysée matraque de tels éléments avant même que chercheurs et associations aient pu lire le rapport, c’est mauvais signe : c’est une tentative de saborder tout débat. Parler de faillite de l’analyse et d’aveuglement est un recul, car on savait avant même la création de la commission que des analyses très lucides et pertinentes ont été transmises jusqu’à la tête de l’État et qu’elles ont été sciemment écartées par les décideurs de l’époque. La complicité est documentée, l’enjeu serait plutôt de compléter le tableau, hélas, très cohérent sur la base de ce qui est déjà public. » Là aussi, les choses sont claires!
En présence de toutes ces réactions, sans compter les prises de positions d’un certain nombre de militaires, que va bien pouvoir dire le Président MACRON lorsqu’il va se rendre à Kigali dans les prochains jours. Il lui faudra bien du courage pour s’opposer à l’ensemble de la classe politique française s’il décide de présenter des excuses, de demander pardon, non seulement au Rwanda, mais surtout aux victimes du génocide perpétré contre les Tutsi, aux rescapés qui, depuis plus de 27 ans, souffrent dans leur chair et dans leur cœur. Le CPCR, qui se bat à leur côté depuis tant d’années, ne comprendrait pas que des paroles fortes de vérité ne soient pas prononcées par le Président MACRON.
Alain GAUTHIER, président du CPCR